8 juin 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la télévision indienne, sur les relations franco-indiennes et l'aide au développement, Paris, samedi 8 juin 1985.

QUESTION.- Monsieur le Président comment voyez-vous l'-état actuel des relations entre l'Inde et la France et les perspectives d'avenir et quelle est l'importance que vous attachez à la visite du Premier ministre `Rajiv Gandhi` et qu'en attendez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Ces relations sont bonnes. Elles sont bonnes depuis longtemps. Les malentendus ou les difficultés ont été dominés et les perspectives d'avenir me laissent plein d'optimisme. L'Inde, faut-il le dire, est un très grand pays. Une grande et longue histoire, une forte culture, un peuple très nombreux. La façon dont ce peuple a su à travers l'histoire s'affirmer, montre qu'il est capable dans tous les domaines intellectuels et matériels d'affirmer sa présence à la surface de la planète. Outre le plaisir que j'ai de recevoir le Premier ministre, M. Gandhi, cette visite se relie à des souvenirs personnels nombreux au travers de ces dernières années d'une relation personnelle, amicale avec Mme Indira Gandhi. J'ai aussi la conviction que le rôle rempli par l'Inde dans le domaine international particulièrement dans ce qu'il est convenu d'appeler le tiers monde et donc dans la relation entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement sans oublier enfin les intérêts indiens et français. On a tout à gagner à un approfondissement et à une multiplication des échanges. Vous voyez que nous avons beaucoup de choses à nous dire mais la première chose que je voudrais dire, avant que nous ne passions à votre deuxième question c'est le salut amical que j'adresse au peuple indien et la confiance que j'exprime à ses dirigeants particulièrement celui que j'ai l'honneur de recevoir.\
QUESTION.- Vous avez parlé des relations commerciales entre les deux pays. Il y a eu une très grande croissance commerciale ces dernières années mais surtout en ce qui concerne les exportations françaises vers l'Inde. Est-ce que le gouvernement français pourrait envisager certaines mesures pour augmenter les importations dans l'autre sens, les importations françaises en provenance de l'Inde, pour un meilleur équilibre des échanges ?
- LE PRESIDENT.- Si l'on parle des exportations de l'Occident, de l'Europe vers l'Inde, la France tout en ayant accompli de réels progrès au cours de ces dernières années est quand même placée très loin derrière d'autres pays la Grande-Bretagne ou l'Allemagne. Cela montre que les producteurs français ainsi que les commerçants français ont besoin de faire des progrès dans ces marchés, mais il est vrai qu'un bon accord suppose toujours des avantages mutuels pour l'un et pour l'autre. Je favoriserai donc tout ce qui permettra un meilleur équilibre commercial par les importations indiennes dans un progrès que j'espère, un progrès général.\
QUESTION.- La France a dit qu'elle était disposée à transférer les technologies à l'Inde y compris dans des secteurs stratégiques. Quelles seraient les mesures de la libéralité, du libéralisme du gouvernement français dans ce domaine ? Est-ce qu'il y avait des conditions préliminaires ? Par exemple, est-ce que la France serait d'accord pour vendre à l'Inde du matériel de défense de haute technologie ?
- LE PRESIDENT.- Le transfert technologique a été admis par la France dans de nombreux échanges avec des pays amis dont l'Inde est le meilleur exemple. Nous pensons en effet qu'il n'y a pas lieu de réserver aux pays en voie de développement uniquement les achats de matières premières. Il vaut mieux leur acheter aussi des produits finis ou semi-finis surtout lorsque l'on parle de l'Inde qui dispose aussi de très hautes technologies et d'une vie universitaire tout à fait remarquable. Quant à savoir où cela s'arrête dans le domaine militaire, cela nécessite un examen particulier, cas par cas. Un exemple : nous avons passé un accord pour des centrales nucléaires entre l'Inde et la France mais naturellement la France n'entend pas manquer aux obligations qui sont les siennes sur le -plan international dès lors qu'il s'agit de "prolifération" en passant du civil au militaire, donc c'est un examen qu'il nous incombe de faire chaque fois qu'un contrat sera examiné.
- QUESTION.- A propos du domaine nucléaire, vous savez que l'Inde est très préoccupée par les informations selon lesquelles le Pakistan se prépare à fabriquer la bombe atomique. Est-ce que le gouvernement français pourrait s'engager à ce que les entreprises françaises en aucune façon n'aident le Pakistan dans cette démarche ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je viens de vous dire vaut pour tout le monde. Nous nous conformerons aux obligations qui sont celles du contrôle international qui a déjà été défini. Cela vaut pour le Pakistan comme pour tout autre pays.\
QUESTION.- Vous aviez parlé des problèmes du tiers monde et parmi les pays développés, la France, le pays qui a fait preuve de plus de compréhension qui émane de pays en voie de développement, l'Inde demande un nouvel ordre ... Pourquoi est-ce que l'on n'a pas fait plus de progrès ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'a pas dépendu de la France. Je ne veux pas vous répondre pour les autres en dépit des démarches multiples que j'ai -entreprises dans de nombreuses capitales et en particulier l'intervention que j'ai faite aux Nations unies. En dépit de cela, j'ai vu plusieurs grands pays industriels se retirer peu à peu de l'aide multilatérale. Tel n'est pas le cas de la France qui a augmenté ses aides et qui a défendu l'idée, qui continue de défendre l'idée de mise en ordre du système monétaire international d'un rôle accru des institutions spécialisées, d'un accroissement des liquidités internationales et d'une politique de soutien des cours des matières premières. Pour ce qui nous concerne, nous, dans une époque où nous réduisons nos dépenses budgétaires pour nous-même, nous les avons accrues en matière d'aide bilatérale et multilatérale et nous allons peu à peu vers le chiffre indiqué par les Nations unies mais nous ne pouvons pas faire que les autres agissent de la même manière.
- QUESTION.- Comment est-ce qu'on peut sortir de cette impasse ?
- LE PRESIDENT.- Il faut que la pression continue. Je le ferai pour ce qui concerne la France. Vous le ferez pour ce qui concerne l'Inde et je pense que la nécessité fera loi, que le fossé qui s'élargit entre les grands pays industriels et les pays en voie de développement représente un très grand danger pour l'équilibre mondial, pour la paix mondiale indépendamment des aspects humains évidents. De plus, je pense que c'est l'intérêt du monde industriel, la seule solution de la crise présente, c'est précisément l'accès de très nombreux pays du tiers monde avant que ce soit le cas de tous à l'accélération des échanges. Et si l'on veut échanger, il faut d'abord produire et si l'on veut produire il faut les techniques, des hommes et des femmes formés, il faut des facilités financières. C'est ainsi qu'il faut commençer.\
QUESTION.- A cet égard est-ce que je pourrais me permettre une démarche pour créer un fonds supplémentaire au côté de l'IDA pour aider les pays en voie de développement. Or, les Etats-Unis n'ont pas dans ce domaine est-ce que la France et certains autres pays sans les Etats-Unis pourraient quand même se réunir en dehors des Etats-Unis ... on parle de 3 milliards de dollars ?
- LE PRESIDENT.- Quand Mme Indira Gandhi a invité un certain nombre de pays à se réunir à New York lors de la session des Nations unies pour se concerter sur les perspectives de ce genre je crois que la France a été l'un des très rares pays occidentaux du monde industriel à répondre à cette invitation. C'est dire que nous sommes ouverts à une discussion sur ce point.
- QUESTION.- Oui, seulement on n'a fait aucun projet. Est-ce que la France ne pourrait pas prendre l'initiative de créer un tel fonds ?
- LE PRESIDENT.- C'est une suggestion que je vais examiner. Il appartiendra au gouvernement de prendre les décisions.
- QUESTION.- Vous avez ....... une vision commune du monde de la part de l'Inde et de la France. Quelle est cette vision du monde ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que cela tient pour beaucoup à certaines sources de culture qui conduisent à avoir une vue universaliste des problèmes humains. Cela tient ensuite à l'histoire. Des pays comme les nôtres ont été affrontés depuis longtemps à des difficultés de la vie, aux affrontements avec une conception très haute de l'identité. Cela tient à la géographie. Nos situations différentes certes mais qui se ressemblent par certains aspects dans le voisinage des plus puissants. Chacun a son système d'alliance et de sécurité mais avec la volonté de préserver une capacité autonome. Il faut y ajouter je pense des affinités personnelles qui ne sont pas négligeables. J'ai toujours eu à me louer de la façon de faire des dirigeants que j'ai connus.
- QUESTION.- Vous avez parlé au début de rapports étroits avec Mme Indira Gandhi. Quelles sont vos impressions de Mme Gandhi ?
- LE PRESIDENT.- C'était une femme de premier -plan dans le domaine de la pensée, dans le domaine de l'action. Elle connaissait la langue française, elle connaissait nos moeurs, elle avait une profonde culture. On pouvait donc non seulement aborder les problèmes internationaux du moment mais aller un peu plus loin dans la perspective des besoins de l'humanité. J'ai eu beaucoup de peine en apprenant sa mort.
- QUESTION.- Bien sûr vous voudriez poursuivre vos rapports avec M. Rajiv Gandhi. Est-ce que vous le connaissez bien ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai connu précisément lors du voyage que j'ai fait en Inde et j'ai pu approcher M. Rajiv Gandhi à diverses reprises notamment autour de la table familiale de Mme Gandhi. Je l'ai donc rencontré avec Mme Gandhi, leurs enfants, ce qui donne aux relations personnelles un éclairage extrêmement utile et chaleureux et j'étais très intéressé par la façon dont a commencé à gouverner cet homme dans la force de l'âge, qui a su aborder cette tâche parmi les drames et apporter le calme extérieur et intérieur, une sagesse, une capacité de réflexion, une volonté de regarder l'avenir, de moderniser son pays qui sont parus très prometteurs.\