25 mai 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la dissuasion nucléaire, à la suite du lancement du sous-marin nucléaire l'Inflexible à l'Ile-Longue, Brest, samedi 25 mai 1985.

QUESTION.- Cette visite était-elle impressionnante, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Cela l'est toujours.
- QUESTION.- Celui-là plus qu'un autre ?
- LE PRESIDENT.- C'est-à-dire que c'est une merveille de technique qui exige de la part des hommes qui vont l'habiter pendant deux mois des qualités exceptionnnelles, qualité des hommes, qualité du matériel, on fait difficilement mieux.
- QUESTION.- Vous pensez que la force de dissuasion française a encore de longues années devant elle ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement et en tous cas elle repose là- dessus. Elle repose sur ce sous-marin, bien entendu armé `arme nucléaire` et, à l'intérieur de ce sous-marin, le moindre détail qui pourrait gêner sa protection voit croître les capacités de détection des autres puissances et serait mortel. Donc le moindre détail commande la stratégie globale, c'est ce qui est le plus remarquable et le plus impressionnant en même temps.
- QUESTION.- Est-ce que vous pensez que vu le renforcement de la force nucléaire française la France est maintenant en mesure d'élargir le rôle de sa force nucléaire en faveur d'autres pays comme l'Allemagne fédérale ?
- LE PRESIDENT.- Pour l'instant j'observe que la France est en mesure d'élargir son rôle en temps que tel mais tous les matériels que j'ai vus là qui sont naturellement très sophistiqués sont tous de fabrication française, tous.
- QUESTION.- monsieur le Président peut-on envisager un quatrième sous-marin nucléaire en permanence à la mer à l'avenir ?
- LE PRESIDENT.- C'est un objectif désirable. C'est lorsque j'ai décidé la fabrication du septième sous-marin qui comme vous le savez échappera aux modèles actuels, il sera plus perfectionné encore, c'est dans cet esprit, c'est pour rendre plus mobile l'ensemble de notre flotte.
- QUESTION.- Cela coûte cher Monsieur le Président un sous-marin nucléaire ? 7 milliards ?
- LE PRESIDENT.- Très cher. La défense d'un pays coûte cher mais la sécurité c'est un bien précieux.
- QUESTION.- Vous n'avez pas fait de claustrophobie à l'intérieur ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait bien prétentieux de ma part d'en juger sur une courte visite comme celle-là, mais j'imagine que ce doit être une épreuve pour ceux qui vivent là le temps qu'il faut, c'est-à-dire deux mois.\
QUESTION.- Vous avez parlé à l'équipage `du sous-marin nucléaire ?
- LE PRESIDENT.- Un peu, oui.
- QUESTION.- Que vous ont-ils dit ?
- LE PRESIDENT.- Ils ne m'ont pas chargé de vous le répéter.
- QUESTION.- Ils vous ont parlé de leur vie à bord, des problèmes que cela pouvait poser ?
- LE PRESIDENT.- On peut aisément le supposer car il est quand même là-dessus toute une littérature que l'on n'a pas inventée aujourd'hui. C'est vrai que 130 hommes sur un espace étroit, un navire, une plate-forme de 124 mètres de long avec beaucoup d'appareils donc des coursives et des places disponibles réduites, bien qu'elles soient plus larges déjà. Tout se miniaturise, dès lors la place est gagnée au bénéfice de l'homme. Cela exige naturellement une discipline de vie extrêmement rigoureuse. Ceux qui le font sont des gens remarquables quel que soit le poste qu'ils remplissent.\
QUESTION.- Est-ce que vous vous imaginez en -train de donner l'ordre au sous-marin de tirer ?
- LE PRESIDENT.- Cela fait partie de ma mission, s'il le faut bien entendu et comme l'objectif-même de la force de dissuasion c'est de se placer dans une situation où cela doit être impossible, bien entendu on ne peut diriger un pays que si on accepte les obligations que cela implique.
- QUESTION.- Désormais, monsieur le Président, avec l'Inflexible la France va disposer en permanence de 128 têtes nucléaires à la mer. Vous avez vous-même participé personnellement à la définition des nouveaux objectifs ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement. Il y a régulièrement des réunions qui se tiennent à l'Elysée au centre même où ces instructions sont données qui nous permettent, avec les différents officiers et généraux qui en ont la charge, ainsi naturellement que le ministre de la défense et bien entendu le premier ministre, de préciser chaque fois les objectifs, de les rajeunir à mesure que la technique se développe et que les stratégies des autres pays sont connues de nous, ainsi que les moyens qu'ils ont pour assurer non seulement d'éventuelles offensives mais aussi pour se défendre. Notre force à nous doit pouvoir pénétrer les défenses des autres, donc un ajustement constant est nécessaire. Ils avancent, nous avançons. Quelquefois nous avançons, ils avancent. C'est un -entreprise d'une complexité immense. Je répète, on ne doit rien négliger lorsqu'il s'agit de la sécurité et de l'indépendance d'un pays lorsque l'on a pour devoir de le servir, je le crois aussi pour -nature de l'aimer.\
QUESTION.- Monsieur le Président que pensez-vous de la déclaration récente du général Abrahamson expliquant que le SDI `initiative de défense stratégique`, et Eurêka étaient tout à fait compatibles ?
- LE PRESIDENT.- J'ai lu avec attention la déclaration du général Abrahamson et j'ai trouvé qu'elle était très intéressante. Ce n'est pas le reflet tout à fait exact de ce que j'avais entendu.
- QUESTION.- Le nucléaire tactique. Comment voyez-vous l'emploi du nucléaire tactique par -rapport au nucléaire stratégique ?
- LE PRESIDENT.- Nous ne sommes pas ici pour ça. Un jour on se réunira avec les journalistes que cela intéresse, on prendra notre temps, on organisera bien cela mais pour l'instant ce n'est pas le moment.
- QUESTION.- Vous confirmez qu'en cas d'utilisation d'armes chimiques nous utiliserions l'arme nucléaire ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que le ministre de la défense `Charles Hernu` s'est exprimé à ce sujet. Je ne suis pas ici pour le contredire.
- QUESTION.- On a l'impression que la France nucléaire est au détriment de la France conventionnelle et que l'armée souffre un petit peu de l'effort financier consacré à la force stratégique.
- LE PRESIDENT.- L'effort global de la France pour sa défense est considérable et nous nous efforçons de rendre complémentaires les différents moyens dont nous disposons. L'arme atomique, la force stratégique mais aussi tous les autres éléments qui vont jusqu'au conventionnel le plus traditionnel. Nous devons prévoir toutes les hypothèses, bien entendu le choix de la stratégie de dissuasion implique des priorités. Il faut s'y soumettre.
- QUESTION.- C'est la deuxième fois que vous venez à l'Ile Longue.
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est la deuxième fois.
- QUESTION.- Et pourquoi êtes-vous revenu spécialement aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez entendu parler de l'Inflexible ?
- REPONSE.- Oui.
- LE PRESIDENT.- Je suis venu le voir, le saluer car il part dans 3/4 d'heure. Je suis venu lui dire bonne chance.\
QUESTION.- La guerre des étoiles, vous pensez que ça ne va pas rendre caduque dans quelques années cette force de dissuasion ?
- LE PRESIDENT.- C'est tout le problème qui exige pour l'instant la réflexion de tous ceux qui ont voie au chapitre pour la paix du monde. C'est le problème. Et le problème est de savoir, à compter du moment où l'on considère, ce qui est mon cas, que la stratégie sera nécessairement spatiale dans le courant du siècle prochain, qu'il faudra attendre plusieurs décennies avant que cela soit même pas opérationnel mais que cette vue raisonnable sur l'avenir devienne réalisable. La soudure entre les différentes stratégies peut représenter un demi siècle. Et moi je suis comptable d'un élément de ce demi-siècle.
- QUESTION.- Est-ce que la France a les moyens de cette défense nationale ?
- LE PRESIDENT.- Jusque là elle l'a assumée et entend bien continuer.
- QUESTION.- Les experts militaires que vous avez rencontrés on dû vous présenter d'autres requêtes ?
- LE PRESIDENT.- Non il n'a pas été question de cela. Ce n'était pas l'objet de nos conversations.
- QUESTION.- Et le sous-marin nouvelle génération 1995 - 2000 ?
- LE PRESIDENT.- On a prévu 1994.
- QUESTION.- Il n'y aura pas de retard ?
- LE PRESIDENT.- Non pourquoi ? Les travaux sont commencés, les études. Nous avons préféré, après avoir débattu avec l'Etat-Major, repousser de deux ou trois ans la réalisation de ce sous-marin. C'était un choix important à faire. Ou bien en avoir un en 1991 qui serait la suite perfectionnée du modèle actuel mais ce modèle actuel a tout de même déjà un quart de siècle derrière lui - ou bien nous prenions deux ou trois ans de plus et nous franchissions un degré important dans la connaissance et dans la pratique de la navigation sous-marine, sans oublier naturellement les éléments militaires sur le -plan nucléaire, et nous étions assurés de pouvoir construire un bâtiment d'un autre type qui serait le premier d'une nouvelle série. J'ai finalement décidé de choisir cette option-là car cela nous dotera à partir de 1994 d'un modèle qui sera peut être le meilleur au monde à partir duquel nos successeurs s'inspireront pour doter la marine française d'un instrument peu comparable.\