22 février 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, et de M. Bettino Craxi, Président du Conseil italien, Paris, Palais de l'Élysée, vendredi 22 février 1985.

Mesdames et messieurs, nous venons de terminer nos entretiens.
- J'ai eu beaucoup de plaisir à recevoir mon ami, M. Bettino Craxi, Président du Conseil des ministres de République italienne. Notre dialogue est facilité par le fait que, depuis de longues années, nous entretenons des relations d'amitié. Et les problèmes qui se posent, qui sont de plusieurs ordres, gardent, lorsqu'ils sont difficiles, leur rigueur mais on va toujours vers la -recherche des solutions positives. Il se trouve que précisément, à l'heure actuelle, leur nombre est très limité. Je dirai même, en examinant la situation telle qu'elle est que dans la démarche communautaire spécialement et dans la démarche internationale, nous sommes tout à fait voisins.
- Mais je ne veux pas entamer dès maintenant le contenu de nos conversations. Je veux surtout saluer la présence de M. Bettino Craxi à Paris, le remercier du contenu et de l'utilité de nos conversations. J'ai le sentiment que nous pouvons aller, l'Italie et la France, d'un commun accord, vers les démarches européennes qui nous attendent au mois de mars et au mois de juin. Ayant dit cela, et souhaité la bienvenue à notre hôte devant la presse, je demanderai au président du Conseil s'il veut bien s'adresser aux journalistes ou bien s'il préfère que vous-mêmes, mesdames et messieurs, vous nous posiez tout de suite des questions.\
LE PRESIDENT CRAXI.- Les discussions que j'ai eues avec le Président de la République française ont été constructives. Nous avons affronté certaines questions qui, comme on l'a rappelé, concernent le calendrier des travaux communautaires et du Conseil de l'Europe et tout particulièrement on s'est référé aux décisions qui sont urgentes et que l'on ne peut renvoyer.
- Il s'agit tout d'abord de l'élargissement de la Communauté `CEE` à l'Espagne et au Portugal et il est nécessaire que les négociations continuent, ce sont des négociations difficiles mais il est nécessaire d'arriver à une conclusion positive.
- Il faudra également prendre d'autres décisions en ce qui concerne le budget 1985, comme on le sait, qui est en cours et on examinera au Conseil européen de mars le rapport du comité pour les réformes institutionnelles et sur ce point nous avons eu un échange d'idées sur la conduite à prendre.
- En ce qui concerne les initiatives que l'on prendra en vue du Conseil européen, la réunion de ce matin a été utile pour un échange d'idées plus générales sur la situation internationale en se référant tout particulièrement à l'évolution de la crise du Moyen-Orient et également en ce qui concerne les aspects nouveaux que l'on peut constater. Certes, nous avons eu également un échange d'idées approfondi sur nos -rapports entre la France et l'Italie qui sont excellents et il est nécessaire de consolider et d'approfondir la collaboration dans beaucoup de domaines y compris la sécurité et l'engagement des deux gouvernements qui veulent garantir la sécurité à l'intérieur de nos pays et donc un échange d'informations continu et une collaboration continue.
- Mesdames et messieurs, je crois que le plus simple est que vous procédiez dès maintenant aux questions qui vous paraissent les plus utiles.\
QUESTION.- Monsieur le Président du Conseil, une question d'Antenne 2 : Avez-vous maintenu les griefs que vous avez émis contre la France à propos du terrorisme.
- LE PRESIDENT CRAXI.- Tout d'abord, une intervention devant le Parlement italien. J'ai souligné la volonté du gouvernement français de lutter contre le terrorisme de façon énergique et j'ai rendu hommage également à une tradition que je considère glorieuse, tradition française qui est le droit d'asile. Cependant, j'avais ajouté que nous souhaitons que l'on porte une attention particulière aux nombreuses demandes d'extraditions avancées par la magistrature italienne afin que ces demandes soient traitées selon la façon qui semblera juste aux autorités françaises et j'ai également mentionné le problème d'une recrudescence du terrorisme en Europe qui a des liaisons internationales plus importantes. Donc j'ai rappelé qu'il est nécessaire que, tous, nous fassions des efforts accrus car ce terrorisme tend à frapper, comme on l'a vu, des objectifs dans les pays de l'Alliance atlantique surtout et je le répète, il y a une caractéristique nouvelle qui est la dimension internationale.\
QUESTION.- Monsieur le Premier ministre, vous avez rencontré récemment le Premier ministre israélien `Shimon Peres` et récemment aussi vous auriez eu des contacts avec différents dirigeants du monde arabe et l'Italie préside pour cette session le Conseil européen de la Communauté européenne. Alors à la suite de vos contacts avec le Premier ministre israélien et les dirigeants arabes, avez-vous déjà une idée d'une certaine initiative que compte prendre l'Europe, soit au mois de mars soit au mois de juin concernant le Proche-Orient ?
- LE PRESIDENT CRAXI.- Je pense surtout que la crise du Moyen-Orient ne sera pas résolue par une décision du Conseil européen £ en fait ce sont les décisions que l'on prendra dans les capitales arabes et la capitale israélienne qui compteront. D'après ce que j'ai pu déduire de mes récentes rencontres, j'ai constaté que la situation était évolutive. Il y a des contradictions, il y a des ambiguités, des obstacles qui sont encore nombreux mais de toute façon la situation est en évolution.
- L'idée qu'il faut travailler pour consolider ou pour créer une atmosphère de confiance, c'est ça la première chose et il faut continuer la -recherche de tous les éléments utiles pour qu'il y ait des négociations futures possibles. Cette idée a fait du chemin. Donc, il est nécessaire que l'Europe ne soit pas simplement un témoin passif. Les pays européens doivent suivre et accompagner cette situation en mouvement et essayer de lui donner la bonne direction, c'est à dire la -recherche d'un -cadre de négociations et une solution politique pacifique, une solution de compromis mais d'un compromis qui tienne compte des exigences de tout le monde et qui en fin de compte soit satisfaisant pour tout le monde.\
QUESTION (TF1).- Monsieur le Président du Conseil, des ministres de votre gouvernement se sont exprimés à propos des ressortissants italiens qui bénéficient en France du droit d'asile, notamment M. Spadolini ou M. Andréotti, considérez-vous que M. Toninegri par exemple devrait être extradé pour être entendu par la justice italienne comme elle le souhaite ?
- LE PRESIDENT CRAXI.- Oui, il y a de nombreux cas d'accusés ou de condamnés par la justice italienne pour lesquels nous avons fait une demande d'extradition. Je ne suis pas en mesure de faire une sélection de tous ces cas, mais je tiens à souligner une différence qui existe, c'est à dire qu'il est urgent de rappeler la présence de ces éléments dangereux et actifs dans le domaine du terrorisme et dans tout ce réseau terroriste et donc il faut s'en préoccuper. C'est une activité subversive mais par -rapport à ce nombre de cas qui est très important pour lesquels la magistrature a demandé l'extradition, je crois qu'il n'est pas utile que je donne maintenant mon avis sur ces cas. C'est la justice française qui donne son avis sur ces cas d'extradition.
- QUESTION (EUROPE 1).- Pensez-vous comme certains ministres de votre gouvernement dont on a cité les noms que la France a servi de base de repli et que la France puisse être accusée de laxisme, de refuge et de mauvaise compréhension face au terrorisme international comme l'a souligné M. Spadolini notamment ?
- LE PRESIDENT CRAXI.- Je ne pense pas que la France puisse être accusée de laxisme envers le terrorisme et il y a de nombreux épisodes qui démontrent exactement le contraire et moi-même, lorsque je me suis adressé au Parlement de la République italienne au nom de mon gouvernement, j'ai souligné que cet engagement français était indiscutable.\
LE PRESIDENT.- Il serait peut-être utile que j'intervienne. Les principes d'actions sont simples à définir. Ils sont souvent moins simples à mettre en oeuvre. Il s'agit du terrorisme qui est par définition clandestin £ c'est une véritable guerre. Nos principes sont simples. Tout crime de sang sur lequel on nous demande justice - de quelque pays que ce soit et particulièrement l'Italie - justifie l'extradition dès lors que la justice française en décide. Tout crime de complicité évidente dans les affaires de sang doit aboutir aux mêmes conclusions. J'ignore - mais telle n'était pas votre question - les problèmes de droit commun qui sont ordinairement traités de cette façon. Et tout Italien - puisqu'on parle des Italiens - reconnu comme terroriste dans son pays pour des actes de cette gravité et reconnu comme pouvant être extradé par la justice française, tous ces cas sont naturellement soumis à l'exécutif qui concluera à l'extradition ou à l'expulsion selon les cas mais toujours selon un critère de sévérité, ce qui va de soi.
- La France, autant que d'autres pays, encore plus que d'autres pays mène une lutte sans compromis avec le terrorisme. Depuis que j'ai la charge des affaires publiques, il n'y a jamais eu de compromis et il n'y en aura pas.
- Le cas particulier qui nous est posé et qui alimente les conversations, est celui d'un certain nombre d'Italiens venus, pour la plupart, depuis longtemps en France. Ils sont de l'ordre de 300 environ - plus d'une centaine était déjà là avant 1981 - qui ont d'une façon évidente rompu avec le terrorisme. Même s'ils se sont rendus coupables auparavant, ce qui dans de nombreux cas est probable, ils ont été reçus en France, ils n'ont pas été extradés, ils se sont imbriqués dans la société française, ils y vivent en tous cas avec la famille qu'ils ont choisie, ils exercent des métiers, la plupart ont demandé la naturalisation. Ils posent un problème particulier sur lequel j'ai déjà dit qu'en dehors de l'évidence - qui n'a pas été apportée - d'une participation directe à des crimes de sang, ils ne seront pas extradés. Cela je l'ai répété à M. le Président du Conseil tout à l'heure, non pas en réponse à ce qu'il me demandait mais en réponse à un certain nombre de démarches judiciaires qui ont été faites à l'égard de la France. Bien entendu, pour tout dossier sérieusement étayé qui démontrerait que des crimes de sang ont été commis ou, qu'échappant à la surveillance, certains d'entre eux continueraient d'exercer des activités terroristes, ceux-là seront extradés ou selon l'ampleur du crime, expulsés.\
`Suite réponse sur les relations franco - italiennes à propos du terrorisme`
- C'est donc simple en principe, c'est moins simple à faire parce que les vrais terroristes engagés sont clandestins £ ils ne sont pas membres de cette petite communauté dont je viens de parler £ ils ont sans aucun doute été mêlés aux événements antérieurs - quelquefois même antérieurs à 1975 - à propos desquels nous ne jugeons pas bon de créer des situations qui seraient inextricables £ mais nous ne souhaitons pas non plus que certaines autorités étrangères créent des cas artificiels.
- Il y a une réalité et cette réalité, c'est la réalité terroriste. Il y a donc des personnes clandestines ou en fuite et qui sont recherchées par la police française comme elles le sont par la police italienne. Toute arrestation qui interviendrait - il en est intervenu encore récemment - donnera lieu à procédure d'extradition, si les autorités judiciaires italiennes le demandent et si la justice française le propose : à ce moment là l'exécutif agira dans le sens de l'extradition. Il y a d'ailleurs des cas que je connais qui auront cette réponse. Mais il ne faut pas faire de confusion avec le groupe de personnes compromises sans crime de sang dans les événements tout à fait détestables qui doivent être condamnés et qui se sont produits en Italie autour du phénomène terroriste. Ne pas confondre.\
Quant à la France, lieu d'asile pour un noyau de terroristes ? Ce n'est pas vrai. La France est un pays qui a obtenu des résultats très sensibles dans la lutte contre le terrorisme. On vient d'assister à un réveil à partir de l'assassinat de l'Ingénieur Général Audran qui fait suite d'une façon tout à fait probable à l'alliance contractée ou à l'unité d'action entre des groupes terroristes italiens, allemands, français. Inutile de vous dire que tout individu appartenant à ces groupes et qui tombera dans les mains de la police sera châtié sans la moindre faiblesse.
- S'il s'agit de Français, la position du gouvernement ne peut pas être mise en doute. S'il s'agit d'étrangers, ils seront remis dans les mains de la justice de leur pays, du moins si l'autorité judiciaire française le demande.\
Les phénomènes terroristes qui se produisent sont, vous le savez, des règlements de compte pour des causes qui ne sont pas celles de la France ou celles de l'Europe mais qui se déroulent sur nos territoires. Un procès actuel `attentat d'Orly ` conflit turco - arménien` illustre ce cas là. Il n'est pas le seul. Il est d'une autre -nature par ses origines, mais de la même -nature quant à la gravité des actes et quant à la nécessité de la sanction. Mais ce n'est pas ce dont vous me parliez. Ce dont vous me parliez ou dont vous parliez à M. Bettino Craxi, c'était de la relation franco-italienne, des accusations proférées par certaines autorités italiennes et du refus obstiné, catégorique que je fais de ce type d'accusations, car il n'est pas exact que la France possède des nids de terroristes, du moins à notre connaissance £ et, s'il en est, nos forces de sécurité continueront de conduire une lutte sans merci contre ces groupes.
- Les ministres de l'intérieur de la République italienne et de la République française se sont récemment rencontrés £ les relations entre les forces de sécurité doivent être intimement accrues par une démarche commune aussi puissante que possible pour qu'ils allient leurs renseignements et leurs actions.
- Nous sommes les amis de la République italienne, nous sommes les amis de la démocratie italienne, nous sommes les amis de l'Italie et nous serons au côté de l'Italie pour détruire tous ceux qui tentent de saper les fondements de cette démocratie. C'est clair, j'espère qu'il ne peut pas y avoir de doute. Pour le reste, écartons-nous des opérations politiques qui se déroulent ici ou là : il est facile de se décharger sur le dos de l'étranger des problèmes que l'on a chez soi. De cela je tiens très peu compte.
- La France, sous mon autorité, n'a jamais accepté un seul compromis avec le terrorisme et n'en acceptera pas davantage maintenant que le passé est apuré, que les situations individuelles apparaissent clairement après que nous ayons procédé aux enquêtes nécessaires. Ceux qui n'ont pas à être extradés doivent être apaisés dans leurs inquiétudes et ceux qui méritent de l'être doivent craindre l'avenir. Nous ne les épargnerons pas. Je vous remercie.\
QUESTION.- Vous avez reçu, il y a quelques jours, un émissaire du Roi de Jordanie qui vous a mis au courant de l'accord entre la Jordanie et l'OLP et vous avez évoqué avec M. Craxi la situation au Proche-Orient. Est-ce que vous ne voyez pas dans l'accord jordano - palestinien, un pas en avant de l'OLP, que vous demandez de sa part depuis un certain temps ? LE PRESIDENT.- J'ai en effet, reçu cet envoyé du Roi Hussein de Jordanie qui m'a très clairement et très complètement exposé les termes de l'accord passé entre le Roi de Jordanie et M. Arafat. J'ai transmis ces informations au gouvernement. La délibération aura lieu et je ne veux pas la précéder. Si vous voulez que j'exprime une opinion, un jugement de valeur, je dirai que, en effet, c'est un pas en avant et un pas sensible.\
Pas d'autre question ? Avant que nous nous séparions, je voulais simplement dire que je reçois aujourd'hui M. Bettino Craxi et pas simplement en sa qualité - ce qui ne serait déjà pas si mal, ce qui serait largement suffisant - de Président du Conseil des ministres italien, mais aussi en sa qualité de Président actuel de la Communauté `CEE`. Il y consacre du temps, de la peine, et je pense que ses efforts devraient aboutir. Il rencontre naturellement des difficultés qui sont grandes, puisqu'on approche maintenant des échéances, plus les positions apparaissent comme inconciliables, mais elles ne le sont pas. M. Bettino Craxi a bien voulu me donner le détail actuel de l'avancement des travaux. Il m'a exprimé aussi l'opinion qu'il en a. Ce que je peux dire, en tout cas, c'est que la relation entre l'Italie et la France est sur ce -plan, comme sur le -plan des relations bilatérales, en très grande harmonie et que dans la plupart - je dis dans la plupart par prudence - que dans l'ensemble des questions qui nous sont posées, notre approche est similaire. En tout cas je tiens à encourager les efforts qu'il mène. Il peut être assuré que tout effort constructif, pour l'élargissement et pour le renforcement de la Communauté, sera appuyé par la France. Je vous remercie.\