26 janvier 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant le Conseil général de la Charente à Angoulême, samedi 26 janvier 1985.

Laissez-moi vous dire en peu de mots, car je ne crois pas qu'on dispose de beaucoup de temps, mais je dépasserai sans doute un peu le quart d'heure prévu parce que vous avez traité beaucoup de questions sérieuses, importantes. Mais vous me pardonnerez si j'emploie un langage un peu schématique. En effet, ce voyage en Charente s'est greffé sur une autre prévision de ma journée, puisque je dois me trouver dans les Pyrénées-Atlantiques à Orthez et que je reçois, ce soir, chez moi, le nouveau Président du Brésil.
- Et puis voilà qu'arrive l'invitation de M. le maire d'Angoulême, l'attraction de la bande dessinée, les remarquables avancées réalisées par cette ville dans le domaine industriel. J'accepte. Et voilà que se greffe l'invitation de M. le président du Conseil général qui était la bienvenue, qu'il fallait insérer naturellement dans cet emploi du temps assez restreint. Alors vous me pardonnerez si je traite les problèmes d'une façon qui vous paraitra exagérement cursive. Je vous apporterai des réponses aussi précises que possible.
- Je vous dirai d'abord, dans une brève introduction, que je me réjouis d'être dans cette salle, à la fois parce que c'est le Conseil général de la Charente, parce que c'est Angoulème et que chacune de vos personnes et que chacun de vos cantons évoquent pour moi toute une histoire à laquelle je suis très attaché. Je ne peux pas non plus m'empêcher de penser que j'ai été moi-même conseiller général pendant 32 années consécutives, loin d'ici, toujours dans le même canton, de 1949 à 1981, ma carrière ayant été brusquement interrompue. J'ai beaucoup aimé cette fonction. J'ai rempli, de plus, la responsabilité de président de ce Conseil général pendant 17 ans. J'ai donc vécu ces problèmes autant qu'on peut le faire, autant que vous le faites vous-mêmes, en faisant moi-même les observations qui ont beaucoup dirigé la réflexion qu'une fois élu Président de la République, j'ai menée à bien, c'est-à-dire la décentralisation. Je pensais qu'il y avait assez de responsables compétents dans un département pour qu'ils puissent prendre en main leurs affaires, sans nuire en quoi que se soit à la nécessité ou la présence du Commissaire de la République et de son rôle puisqu'il s'agit là de l'unité de la nation et du rôle indiscuté de l'Etat.
- Voilà pour le rappel d'une vie antérieure qui a été ma vie à moi, ce qui fait que je crois connaître de près tout ce qui peut être, une fois dépassés les choix politiques, auxquels on reste fidèle, mais il s'agit de savoir la façon dont on gère le département, d'être inspiré par la pensée qui nous anime, mais en même temps la -recherche des points de consentement dans l'intérêt des habitants.
- Vous êtes chargés des charentais, d'une certaine façon un peu de moi-même, bien que cela soit pour moi surtout une réalité intellectuelle et sentimentale. Mais, il n'empêche que de me retrouver devant le Conseil général de la Charente, c'est pour moi un rendez-vous important.
- Alors, venons en maintenant, monsieur le président, aux questions qui vous préoccupent dont je sens bien que vous en avez un vrai souci.\
Procédons par ordre, c'est-à-dire dans l'ordre que vous avez vous-même choisi. Je voudrais aborder un problème à caractère général qui est celui de la décentralisation. Car c'est la façon dont on traite ce problème-là, qui éclaire les autres. La décentralisation, je vous le disais tout à l'heure par expérience, je l'ai voulue. Le département de la Nièvre, dont je présidais le Conseil général, a été le deuxième département après celui du Lot à inaugurer toute une série de méthodes qui ont fait que toutes les subventions départementales, toutes, sauf celles qui étaient déjà attribuées à des syndicats intercommunaux, fussent réunies en une seule caisse étant entendu que c'était les maires des communes sous la présidence du conseiller général qui faisaient eux-mêmes la répartition entre eux, ce qui les a conduits, peu à peu à planifier, c'est à dire à situer leurs perspectives à eux, maires de chaque commune, sur six ans le temps de leur mandat. Et nous nous sommes rendus compte au bout de très peu de temps que l'harmonie et la bonne entente règnaient entre les maires puisque nous avions prévu naturellement une procédure d'appel, en cas de conflit, et que, pendant les années, je crois six ans où le système a été mis en place, sous ma présidence, nous n'avons jamais eu à user de ces droits de recours. Jamais le bureau du Conseil général n'a été appelé à trancher : on voit bien qu'il y a, à la base, une vie démocratique intense, que les maires sont très responsables, qu'ils sont parfaitement capables de comprendre, bien qu'ils avaient une très bonne idée du dosage à faire et nous avons pu moderniser notre département par ce moyen, non pas que les Préfets à l'époque eussent été incapables de le faire, mais je crois qu'une avancée dans la démocratie ne sera regrettée par personne.
- Donc nous avons voulu cette décentralisation, je prends naturellement l'exemple du département, puisque je me trouve devant un Conseil général. J'aurais pu extrapoler en parlant de la région, et en examinant la situation peut être plus difficile des communes qui étaient habituées à traiter directement avec l'Etat et qui aujourd'hui ont plusieurs intermédiaires.\
Je considère que la décentralisation est une des grandes réformes de ces trois à quatre dernières années. Il faut que de nouvelles habitudes soient prises, ce n'est pas toujours très facile, mais finalement, quand on acquière la responsabilité des citoyens, on gagne en liberté. Et j'ai l'impression, par la façon dont vous avez traité les problèmes, que tel est bien l'itinéraire accompli par le Conseil général de la Charente.
- Alors, là dessus, une querelle. Ce n'est pas la première fois que j'en entends l'écho. Mais je fais toujours la même réponse parce qu'elle est vérifiée, monsieur le président. La répartition entre l'Etat et les collectivités locales, régions et départements, a été scrupuleusement respectée, sur la base, bien entendu, de la répartition de 1982, aux centimes près. Pas un centime n'a été retenu par l'Etat, de ce qui représentait la division des rôles et des financements au moment où la loi a été adoptée. Nous avons créé un organisme de contrôle £ c'est une commission nationale de vérification. Cette commission nationale est composée d'une majorité d'élus, et la majorité des élus elle-même est représentée par les élus de l'opposition. A l'unanimité, ils ont signé ce constat, à savoir qu'aux centimes près la répartition avait été scrupuleuse. J'aurais pu vous apporter, c'est pas la peine, la question n'est pas mise en doute, leur dernière délibération. D'années en années, ces contrôles se font. Donc, au total, l'Etat a exactement transmis aux régions et aux départements, ce qui était autrefois de son ressort et qui a été décentralisé par la loi en question. Donc votre milliard je ne sais pas où vous le trouvez. Ou plutôt vous ne le trouvez pas.
- Peut être y a t-il une certaine confusion dans le fait que la dernière dotation n'a pas été naturellement versée. Donc de ce fait, vous avez encore des crédits à attendre, un financement à attendre. Mais, la confusion vient surtout du fait que les communes étaient autrefois habituées à recevoir des subventions sectorielles et ma foi si le conseiller général, le député ou le sénateur étaient plus actifs que d'autres, on voyait pleuvoir des subventions, on s'en est tous servi, ce n'était pas toujours très facile, pour moi, en raison de la situation que j'occupais à l'époque mais, je me débrouillais, et vous faites pareil. Mais voilà que c'est maintenant une subvention globale qui atteint tous les secteurs. Il faut donc prendre de nouvelles habitudes, et les communes risquent de se trouver victimes dans cette dotation globale, parce que désormais, elles n'ont plus un contrôle aussi strict elles-mêmes de ce qu'elles souhaitent obtenir, et ce qui est global ne peut pas répondre exactement à ce que sont les voeux particuliers de telle commune par -rapport à telle autre, c'est cela la difficulté. Mais les financements ont exactement suivi les compétences et cela, je l'affirme hautement devant des femmes et hommes responsables et devant la presse. J'en prends donc la responsabilité. Si sur tel ou tel point monsieur le commissaire de la République, vous observez que la Charente a subi tel retard, ou vécu tel ou tel transfert inexact, ce qui serait contraire à la constatation de la commission nationale, bien entendu, vous le signaleriez. Et ce serait aussitôt réparé, car le droit est là, et le droit doit être respecté.\
Pour les prêts bonifiés, vous savez, il y a beaucoup de prêts bonifiés actuellement en France, c'est pour nous un des moyens de réveiller l'économie, et comme vous le savez, non seulement l'inflation, vous l'avez dit vous-même, a baissé, je l'ai recueillie à 14 % en 1981 elle est aujourd'hui de 6,7 %, mais il n'y a pas lieu de penser que l'on puisse vraiment échouer dans une perspective qui nous ramènera encore nettement plus bas en 1985. Quant au décalage avec les pays extérieurs, c'est le plus faible que l'on ait connu actuellement depuis le début de la crise, c'est-à-dire depuis 1973, le chiffre le plus comparable est celui de 1975. Avec l'Allemagne, qui est l'exemple le plus typique, puisque c'est notre principal client et notre principal fournisseur, et que c'est aussi la monnaie la plus forte du système monétaire européen, l'écart a atteint avant 1981, 8,1 %, il est à l'heure actuelle de 4,8 %. Je répète une seule référence comparable : 1975.
- Alors nous veillons actuellement, a réduire les taux d'intérêts. Vous avez pu le lire dans la presse, vous avez pu le constater, régulièrement : les taux d'intérêts baissent, ce qui est tout à fait à contre courant de ce qui se passe dans le monde occidental actuel. Voyez les taux d'intérêts américains, voyez les taux d'intérêts allemands, qui ont tendance pour défendre leur monnaie à les accroître, ce qui a l'inconvénient dramatique de vider - je parle surtout de la politique américaine - l'Europe de tous ses capitaux, naturellement pour s'investir là-bas - "s'investir", c'est déjà beaucoup dire, car c'est bien souvent pour spéculer ce qui nous prive du nerf de la guerre `argent`. D'autre part le tiers monde lui-même, voit ses matières premières subir des à-coups dramatiques en l'espace de 48 heures, tandis qu'une hausse inconsidérée du dollar ruine les efforts de la plupart de ces pays qui ont planifié ces efforts en relation avec les institutions internationales. Alors voyez le problème qui se pose aussi à la France. Notre tendance est de réduire les taux d'intérêts, mais nous sommes tenus par la concurrence étrangère à ne pas avoir un trop grand décalage dans les taux d'intérêts, nous trop bas, les autres trop hauts pour les raisons que je viens de vous dire.
- Vous avez également parlé des banques. Eh bien oui, les banques, il faut leur faire comprendre leur rôle, il est certain qu'elles doivent être les instigatrices du progrès économique. Le réflexe naturel des banquiers c'est bien entendu de veiller aux garanties de l'argent qu'ils prêtent. mais je crois que même si le système bancaire en France n'a pas assez compris encore - il y a des progrès très nets, il ne s'agit pas de frapper toutes les banques sous cette critique - qu'il y avait une part de risques à prendre. J'en ai vu l'exemple à Stanford, silicon Valley, qui se trouve être la capitale, avec Pittsburg, de ce qu'on appelle le capital-risque, de même qu'en France un certain nombre d'expériences sont aujourd'hui tout à fait démonstratives. Et on constate que dans un pays comme le nôtre, chaque fois qu'on prend ses risques, bien entendu, il y a des chutes, mais il y a aussi des réussites. Et les réussites, ça rapporte à la banque et aussi au pays.\
Bon, ces observations générales étant faites sur la décentralisation vous m'avez parlé des routes. Je suis venu ici à Angoulême, il n'y a pas très longtemps, c'était lors d'un voyage officiel que j'ai fait à votre région. Je m'étais engagé alors sur différents points, à Poitiers devant le conseil régional où j'avais dit que l'Etat retiendrait comme priorité l'aménagement à deux fois deux voies de la RN10 et que l'on financerait plusieurs éléments dont la déviation de Cognac. La note que j'ai sous les yeux me dit que ces points ont été scrupuleusement respectés. La déviation d'Angoulême a été engagée en 1984, sera lancée en 1985 la déviation de Tournier. Que le Fonds spécial de grands travaux permettra de financer le prolongement au sud de la déviation d'Angoulême en 1985. Que viennent d'être mises à l'enquête d'utilité publique, à la suite de ce voyage, deux nouvelles déviations, celle de la Chignolle au nord d'Angoulême et celle de Barbezieux que vous connaissez bien naturellement au sud. Quant à la route nationale 141, c'est l'extrêmité Ouest comme vous le savez de l'axe Centre - Europe - Atlantique, vous avez à cet égard émis d'excellentes idées, c'est -capital pour un département comme celui-ci et l'ouverture sur la façade atlantique. La déviation de Ruelle a été mise en service en 1984, les travaux concernant la déviation de Cognac ont été engagés, et la construction du pont sur la Charente sera commencée cette année. Vous savez aussi, que le contrat de plan prévoit, pour la région, 448 millions de francs pour les investissements. En Charente ces investissements, pour 1985, atteindront 57 millions dont 34,4 millions à la charge de l'Etat. Alors tout n'est pas fait, beaucoup reste à faire. Mais mes engagements ont été tenus. Il n'y a pas que le problème de remplir le programme, il y a aussi, et vous l'avez évoqué, celui de son rythme. Et la cagouille `escargot` charentaise n'est évidemment pas l'idéal du mode de transport public, bien qu'après tout elles arrivent assez sûrement. Mais je me souviens, lorsque j'étais prisonnier de guerre, en Allemagne, j'appartenais au groupe des Cagouillards qui était le groupe le plus amical qui soit, dans lequel j'ai bâti des amitiés qui durent aujourd'hui et à Angoulême, j'ai encore d'anciens camarades qui n'ont pas du tout les mêmes opinions politiques que moi - je les soupçonne de voter plutôt contre - mais on est amis, c'est comme ça. Nous sommes des Cagouillards. Je ne dis pas non plus, qu'ici, à cette tribune, les Cagouilles soient calomniées, enfin, il faut le reconnaître entre nous, cela ne va pas vite. Et je voudrais bien que l'Etat mette l'accélérateur bien souvent. C'est une observation que vous m'avez faite, qui est juste, mais sur laquelle, notre conversation peut être utile, je l'espère en tout cas. Pour le futur programme du Fonds spécial des grands travaux, il y a déjà 4,5 milliards d'engagés sur 6 milliards, et on vient d'engager et je crois 600 millions pour la construction du bâtiment. Sans prendre d'engagements précis, je demande à monsieur le Commissaire de la République de bien vouloir me rappeler votre demande et s'il est possible de faire quelque chose on le fera.\
l'informatique, eh bien monsieur le Président, je n'aurai aucun mérite à vous assurer que votre voeu sera réalisé, pour la raison toute simple qu'après avoir beaucoup réfléchi, nous avons décidé, ce que M. Fabius a exposé hier je crois que toutes les écoles de France depuis la plus petite école primaire jusqu''à la plus élevée des Universités seront dotées de micro-ordinateurs. Donc, toutes vos écoles seront servies sans délai à partir de maintenant, toutes les écoles, toutes les communes, tous les cantons, la Charente toute entière. Je pense que ce sera une mesure qui permettra à la jeunesse d'accéder beaucoup plus rapidement à la possession, à la maîtrise des grands moyens culturels modernes, notamment un certain nombre d'approches scientifiques dont on aperçoit par l'exemple d'Angoulême depuis ce matin que cela devait être aussi une grande approche culturelle.
- Pour l'emploi, vous avez fait une énumération très triste et cela n'est pas propre à la Charente. Vous avez cité le papier et le cuir mais madame et messieurs, le cuir et le papier c'est-à-dire un dérivé du bois, ont été abandonnés depuis de longues années ! Il est absolument incroyable de penser, parlant du bois, que la forêt française qui est la première d'Europe soit si mal traitée et que les dérivés du bois sont le deuxième poste déficitaire de notre commerce extérieur après le pétrole.
- Moi j'ai toujours vécu dans des forêts, j'en ai toujours connu. Lorsque j'étais en Charente ce n'était pas dans la forêt mais j'y allais souvent, dans les environs - enfin, qui ignore les environs d'Angoulême ? - et puis j'ai été ensuite élu, député de la forêt Morvandelle, immense et massive. J'ai vu l'arrivée progressive des résineux remplaçant quelquefois exagérément d'ailleurs ce que l'on appelle les arbres de lumière : le chêne, le hêtre, le charme, le bouleau etc ... et j'habite sur le plan familial les Landes. Certes, un professionnel du bois dirait : "non, vous en connaissez moins que moi " et il aurait raison mais enfin, je peux apprécier et je vois là une richesse inexploitée c'est pourquoi nous venons de faire une loi sur la forêt. C'est aussi pourquoi j'ai fait créer un secrétariat d'Etat à la forêt qui n'avait jamais existé dans l'histoire de la République. Nous avons là une richesse qui dort. J'ai constaté que la plupart des grandes usines qui transforment, étaient situées près des ports et loin de la forêt elle-même et qu'en fait tout ce tissu industriel qui utilise la forêt depuis la scierie jusqu'à la transformation et l'industrie du meuble était pratiquement en état de carence. Vous avez vu se fermer un certain nombre des plus grandes entreprises touchant aux utilisations du bois. Le papier en a subi les mêmes conséquences et quand je pense aux merveilles d'art dans la création du papier, dans les papiers les plus fins aux plus légers, jusqu'aux papiers les plus lourds et les plus traditionnels c'est vraiment pour moi une grande tristesse. Mais nous allons repartir du bon pied, nous sommes repartis du bon pied monsieur le Président. J'espère que nous pourrons unir nos efforts dans ce sens.\
Quant au cuir je me souviens d'avoir fait des tournées en Ardèche, en Haute-Loire et dans un certain nombre de départements où les usines étaient à vau-l'eau avec une crise de l'emploi dramatique. Je dois vous dire que cela remonte à 1974 - 75 et c'était un de mes objets de réflexion les plus constants. La France tombait dans un -état semi-colonial, et du mauvais côté du pacte colonial, c'est-à-dire un pays producteur de remarquables matières premières et assez peu adapté aux produits finis ou semi-finis là où se trouve la valeur ajoutée. C'est cela le pacte colonial : finalement nous en sommes venus, dans certaines de nos régions de France, c'était le cas de la Nièvre, je pense que c'est le cas de la Charente, à être semi-colonisé. C'est-à-dire que ces régions fournissaient une très belle matière première - je ne parle pas du cognac naturellement qui, lui, devient un produit fini sur place - mais beaucoup d'autres, je pense à l'élevage et de telle sorte que nous n'avions pas les grandes laiteries et nous n'avons pas non plus la nourriture des animaux sur place, les produits industriels qui conviennent. Tout cela a donné à la Hollande, à la Grande-Bretagne une avance considérable sur nous avec les usines à lait. Tout cela a représenté pour la France un grand dommage mais voilà les choses sont comme cela il faut réparer.
- Vendre des peaux puisque vous parlez du cuir et acheter des chaussures c'est absurde. Pourtant, c'est ce que l'on a fait. On vend donc la peau, matière première pas chère, et on achète la chaussure et toutes les utilisations du cuir très chères. Même chose dans le domaine de la sidérurgie. On vend des plaques d'acier grossières et on achète des machines sophistiquées. C'est comme cela que l'on se ruine. En 1981 on a renversé la vapeur pour le bois c'est très bien engagé. Pour le cuir, ce sera plus lent mais nous faisons ici une analyse clinique d'une situation. Bien entendu, nous allons nous battre.\
Alors les dotations laitières. Là on va toucher à l'agriculture, enfin à l'agro-alimentaire qui est la plus grande industrie française. J'ai participé à la décision sur les quotas laitiers et je suis l'un de ceux qui l'ont inspiré. Il y a des éléments de cette décision que je critique. Par exemple, le fait que les usines à lait qui n'ont rien d'agricole ne correspondent pas du tout aux définitions du Traité de Rome. Le Traité de Rome fait intervenir la notion d'entreprise familiale. C'est un des éléments du pacte aujourd'hui complétement négligé. Et quand on fait une usine à lait en achetant les tourteaux, le soja et quelques autres produits en Amérique il ne faut jamais oublier cela. Les produits alimentaires américains pour les animaux viennent en Europe, malgré le Marché commun, sans taxes, et ils sont beaucoup moins chers que les produits concurrents. Nous n'avons pas assez développé ce que l'on appelle les proté-oléagineux, les tournesols par exemple, on n'a pas assez planté de soja chez nous. Alors de ce fait, ils inondent les marchés européens à bas prix. Un industriel saisit cette matière première et nourrit ses animaux d'une façon industrielle c'est-à-dire qu'il pourrait le faire Place de la Concorde, il suffit d'avoir un immeuble, de faire venir les animaux par tous les moyens dont dispose la technique moderne et de les exploiter sur place. Pas un seul paysan, pas une seule entreprise familiale ne peut être mêlée à cette opération et ce sont eux qui ont accru la production laitière en un an de 30 %. La France l'a augmenté elle de 7 % et on est arrivé à une situation que je vous résume en peu de chiffres.
- La production laitière de l'Europe du Marché commun est de 105 millions de tonnes. Consommation et exportation : 85 millions de tonnes. Restent 20 millions de tonnes, là. Alors cela coûte cher parce que l'on a des prix garantis c'est-à-dire qu'on paie les garanties aux producteurs aux prix fixés. Ensuite, puisqu'ils sont invendus on les stocke et le stockage cela coûte cher. On va dire : "mais alors il faut les expédier même à perte" - Mais les populations du tiers monde sont assez peu friandes de ce lait qui est lui-même assez difficile à transporter sans dommage. Tout ce qui est végétal est préféré à ce qui est animal. Il faut ajouter que les conditions climatiques font qu'une déperdition serait considérable. Donc, il n'y avait pas d'issue et il faut que l'Europe s'habitue à éviter les excédents car ces excédents ont les paie pour rien. On a décidé de ramener cette production de 105000 à 97000. Je résume un peu parce qu'il y a des étapes intermédiaires. C'est-à-dire qu'il reste encore beaucoup d'excédents. Il faut bien vous dire que c'est vous, moi, nous Européens qui payons la différence. C'est anti-économique au maximum.\
Mais la France ne s'est pas mal arrangée là dedans. C'est le premier producteur de lait d'Europe en quantité. Au moment où l'on en parlait je crois que c'était de l'ordre de 27 à 28 millions de tonnes, légèrement devant l'Allemagne surtout grâce à la Bavière, avec 24 ou 25 millions de tonnes, les autres assez loin derrière. Nous avons baissé dans une proportion qui nous permet de compenser. Pourquoi compenser ? Parce que nous avons pris des mesures internes en particulier une prime de 30000 F qui va à chaque producteur âgé - enfin moins que moi - âgé par -rapport aux plus jeunes et qui acceptant cette prime se retirent. Cela a été un tel succès, il y a eu tellement de demandes qu'il nous a fallu accroître les crédits d'un mois à l'autre. Nous l'avons fait et aujourd'hui la production française est inférieure au quota attribué à notre pays. Ce qui change et qui provoque votre difficulté monsieur le Président c'est que la répartition interne elle, bien entendu est tout à fait injuste. Le quota national que les coopératives et donc les professions ont pour charge de mettre en oeuvre est tel, puisque nous sommes au dessous de la production autorisée, nous n'en souffrons en rien globalement mais à l'intérieur de telle région, en fonction de l'avancement des investissements des jeunes qui venaient de s'installer, tous les éléments qui interviennent créent un certain nombre d'injustices. Donc critiquer la mesure globale n'a pas de sens. Quelle personne raisonnable acceptera de payer en vain des excédents ce qui est toujours dur à accepter pour des producteurs ? Nous avons donné des garanties multiples aux jeunes qui s'installaient, on a doublé leurs primes et leurs avantages mais il n'en reste pas moins que ce que vous dites est vrai : il y a des distorsions qui doivent être corrigées. C'est à quoi s'applique le ministre de l'agriculture. Voilà pour ce dossier ce que je puis vous dire.\
Nous trouverons d'ici peu un débat du même ordre lorsque l'on parlera du vin parce que l'arrivée de l'Espagne qui produit moitié moins que la France et l'Italie, risque de désorganiser les marchés. Déjà l'Italie produit trop, la France a besoin elle-même d'examiner cette situation et l'Europe qui est mal préparée à recevoir cet apport parce que les pays du Nord dominaient l'Europe et que l'arrivée de l'Espagne et du Portugal rétablierait l'équilibre qui se rapprocherait d'ailleurs de la France. Une ville comme Toulouse, une ville comme Bordeaux retrouveront - car cela se fera - un rôle très important dans le Marché commun dont elles sont un peu marginales aujourd'hui, étant à la frontière. Le problème du vin se posera de telle sorte que l'Europe refusera l'excédent de vin. Nous avons déjà obtenu des résultats considérables. C'est la première fois depuis la création du Marché commun, depuis 1957, que l'Europe accepte de transformer, de distiller une production qui ne va pas vers le vin, mais vers des alcools avec des garanties de prix, même si l'Italie résiste le plus à cette nouvelle réglementation. Et plus, nous avons créé l'office des vins. Il est absolument certain que nous nous trouvons devant ce problème et la France je puis vous le dire est déjà garantie contre les inconvénients pour ses producteurs, je pense surtout aux producteurs de Languedoc-Roussillon Provence et un peu de la France de l'Aquitaine qui se trouve tournée vers le sud.
- J'aurais pu vous dire tout à l'heure que la plupart des réglementations pour le lait qui vous préoccupent ne tiennent pas au gouvernement mais les décisions ont été prises par l'Office du lait, l'office interprofessionnel. L'Etat y joue un rôle mais il n'est pas déterminant. Je ne vais pas renvoyer la balle mais puisque l'on fait une analyse aussi complète que possible, je donne tous les éléments d'appréciation.\
Venons-en aux céréales monsieur le Président. La France a une situation très importante pour les céréales dans le Marché commun. La production cette année est tellement considérable que cela nous inquiète. Nous avons déversé des centaines de milliers de tonnes vers les pays en -état de fatique ou de famine prenant à nous seuls 25 % de la charge que vient d'assumer la Communauté européenne. Nous avons vraiment un chantier immense. Les céréales, elles, ont toujours des difficultés naturellement, qui n'en a pas. Ne pleurons pas plus qu'il ne convient. Je suis plus soucieux pour la viande, ayant été pendant 35 ans député de la Nièvre, producteur de Charolais. Je ne vais pas vous embarquer sur ce terrain là mais j'en connais un morceau c'est le cas de le dire. C'est vrai que la baisse du prix qui tient à beaucoup d'éléments qui ne sont pas ceux de la politique économique du gouvernement me fait penser que c'est un des secteurs qui ont été le plus négligés dans l'organisation du Marché commun agricole. La viande n'est pas défendue au sein de l'Europe comme elle devrait l'être. On ne va pas faire le tour de toutes les questions qui intéressent notre pays.
- Une réflexion quand même, c'est celle que vous avez faite sur les calamités. Je crois que vous avez raison sur les calamités et cette règle des 40 % à l'intérieur de la région - qui nous entend -. Quand je regarde les chiffres bruts - je ne les connais que depuis ce matin - je reçois cela comme le sentiment d'une injustice à l'égard d'un département qui est quand même un producteur très remarquable et très remarqué, dont la réputation est immense. Le problème de la répartition devra être examiné de plus près. Je ne peux pas vous donner à l'avance le résultat de cette démarche que je ferai car je vous le répète moi je ne me substitue pas, contrairement à ce que je dis dans quelques journaux, au gouvernement dans des domaines qui ne sont pas les miens. Je peux donner des conseils. N'appelez pas ces conseils directives monsieur le président, mais des observations, des remarques, je transmets. C'est ce que je ferai en la circonstance.\
Pour le cognac, venant ici je pensais bien que l'on m'en parlerait. Je suis également venu à Cognac où j'avais annoncé un certain nombre de choses. Je tiens à vous faire constater que mes promesses sont tenues. La situation du marché s'est améliorée mais ce n'est pas à cause de moi. La récolte 1984 était plus favorable, ce n'est pas non plus à cause de moi bien que quelquefois j'ai l'impression que je suis responsable de la pluie, du soleil, des orages. On se fait une idée un peu excessive de mon pouvoir. Les ventes de cognac sur le marché intérieur ont continué de baisser et les ventes à l'exportation ont cru de 4 % en volume et de 15 % en valeur. Cela représente 5 milliards de francs. Les viticulteurs ont mieux vendu leur alcool, les stocks ont diminué de 30000 hectolitres, l'accord de campagne 1983 - 84 que j'avais cité dans un discours prononcé à Cognac a été reconduit en 1984 - 85 alors qu'il y avait des menaces. Les arrachages je les ai encouragés là où la production n'a pas la qualité qu'elle devrait avoir. Bien entendu il faut accélérer cela mais en accord avec les nouveaux règlements viticoles de Bruxelles. Bref, la situation du marché s'est quand même assainie depuis le moment où j'ai prononcé ces paroles. Plus de 1000 viticulteurs en difficulté ont bénéficié en 1984 d'aides représentant 10 millions de francs. Grâce à l'administration départementale je dois le dire ont été réglés de très nombreux cas sociaux qui échappent aux normes définies pour bénéficier de ces aides.
- Je ne vais pas m'attarder sur les aides à l'arrachage mais j'aurai beaucoup de choses à dire. Pour les autres mesures, des actions de promotion du cognac, l'office des vins a affecté 3 millions de francs au bureau inter-professionnel. J'avais annoncé les levées de servitude sur les distillations afin de permettre de trouver d'autres débouchés que l'alcool, c'est chose faite. Et c'est ce qui m'a fait tiquer tout à l'heure dans le fond ce n'est pas un problème grave lorsque vous parlez de la capsule.
- Est-ce que vous êtes très calés sur ces choses ? Moi je ne le suis pas depuis très longtemps bien que j'ai été non pas nourri au cognac mais nourri dans l'environnement du cognac. Mon propre grand-père en fabriquait ainsi que mon propre frère. Une petite information : ils ont un langage, c'est comme les médecins quand ils vous parlent de vos maladies, c'est comme les ingénieurs lorsqu'ils vous parlent de l'informatique, c'est comme les avocats qui parlent de votre dossier : on n'y comprend rien ! Et les grands professionnels du cognac ont un langage, une science telle que l'on s'y perdrait assez facilement. Enfin, c'est une réflexion purement personnelle j'espère qu'elle ne sera pas reproduite.\
Pour la capsule congé pour le Pineau il y a eu des retards c'est vrai. Vous savez quelle était la principale cause du retard ? Je vais peut-être vous l'apprendre : on n'a pas trouvé de fabricant de capsules parce que c'est un tout petit marché ! Cela dit, c'est fait £ les professionnels et l'administration devaient répartir les capsules congés lors d'une réunion ici à Cognac le 25 janvier c'est-à-dire hier. Est-ce qu'elle s'est tenue la réunion ? J'espère que oui. Si cela n'est pas fait alors je leur rappellerai vos recommandations et je dirais que décidément c'est toujours pareil, il faut remuer des mondes pour faire bouger quelques grains de poussière. Pour les prix du cognac à la consommation vous savez que les négociants demandent la liberté des prix sur les marchés intérieurs afin d'éviter les détournements de trafic vers l'exportation. Moi, je suis très partisan de cette mesure. Vous savez que la politique du gouvernement est de libérer les prix en relation avec la baisse de l'inflation. Il appartiendra aux ministres compétents d'en décider mais moi personnellement je suis très partisan de la liberté des prix. Alors on va mesurer avec l'allure que l'on a prise, si c'est possible mais je dois vous dire que j'ai demandé déjà sans attendre ce matin que priorité soit faite pour les logiciels de l'informatique où la France a une très grande avance. Vous m'avez demandé cette liberté des prix pour le cognac, ce n'est pas encore fait. Ce ne sera peut-être pas fait maintenant je n'en sais rien mais la question est aujourd'hui à l'examen.
- Alors le sort du bureau national c'est le 30 janvier que la Cour de justice européenne se prononce sur la légalité des accords interprofessionnels passés dans le cadre du bureau national interprofessionnel du cognac. Cette Cour européenne naturellement elle décide en conscience. Je sais qu'il y a eu un reproche fait par les professionnels disant : "mais le gouvernement aurait dû envoyer lui-même ses avocats représentant le gouvernement à côté de celui du BNCI". Nous avons fait une analyse complètement différente. Nous avons pensé que si le gouvernement y allait, en raison des moeurs, des habitudes et des points de vue "libéraux" majoritaires en Europe l'arrivée d'un avocat du gouvernement aurait fait le plus mauvais effet car la règle à l'intérieur du Marché commun c'est la libre circulation et l'égalité des législations. Plus il y a d'Etat, plus l'Europe se rétracte, moins il y en a plus elle se rassure, enfin dans sa majorité. D'ailleurs moi cela ne me choque pas : je veux qu'il y ait beaucoup d'Etat là où il est nécessaire et je ne veux pas qu'il y en ait là où il se mêle de tout quand c'est pas nécessaire. Ce que l'on appelle une certaine mixité. On peut être un peu Charentais et regarder le terrain comme il se propose sans vouloir tout régler. Cela ce n'est pas un défaut charentais. Je dis çà à ceux d'entre vous qui auraient une connaissance particulière des problèmes du cognac. Le BNIC s'est très bien défendu. Bien entendu le jugement je l'ignore. Enfin, après le jugement de la Cour européenne on pourra entreprendre la réforme du bureau national, j'en avais parlé à Cognac on verra bien.\
Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet est-ce que j'aurai oublié quelque chose ? Oui, l'Université.
- J'ai été - pardonnez cette redite - ou cette redondance - député de la Nièvre et même sénateur, dans ma jeunesse qui consistait à réclamer à tout -prix d'avoir une unité au moins, une fraction d'université à Nevers, ville assez comparable à Angoulême peut-être légèrement moins active actuellement mais du même ordre de grandeur. Et pour le département de la Nièvre les jeunes gens de mon département vont faire leurs études à Clermont-Ferrand, à Dijon, à Paris. Et les jeunes filles, les jeunes gens se marient, ils se fixent ailleurs, ils ne reviennent pas et c'est un phénomène très important pour un département que de parvenir à avoir un échelon universitaire sur place parce que ce sont les industries locales qui tout de suite font connaissance de ces jeunes gens, peuvent distinguer les éléments les plus utiles et les plus remarquables, les employer, les garder et eux-mêmes fonder une famille. Bien entendu comme on a réduit le budget de la France on fait beaucoup d'économies ce n'est pas le moment de promettre des nouvelles initiatives mais vraiment c'est un sujet qui me tient à coeur et croyez-moi si je peux aider la Charente sur ce point je le ferai.
- Monsieur le président, madame et messieurs, voilà traités d'une façon très factuelle un certain nombre de sujets. Inutile de cultiver plus qu'il ne convient ce matin les idées générales. Sachez d'abord que je suis heureux de me trouver parmi vous et à travers vous, au-delà de vous de m'adresser à mes compatriotes Charentais que je retrouve en vous rencontrant et que le fait d'entendre un président du Conseil général exposer les projets d'un département, exposer aussi ses inquiétudes c'est pour moi de toute façon très agréable.\