23 janvier 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l'inauguration du Centre de microélectronique du Laboratoire d'électronique et de technologie de l'informatique (LETI) à Grenoble, mercredi 23 janvier 1985.

Mesdames et messieurs,
- Comme vient de le rappeler à l'instant, M. Lacour, j'ai eu en effet l'occasion de rencontrer il y a quelques mois aux Etats-Unis d'Amérique un certain nombre de dirigeants d'entreprises dans des laboratoires, et particulièrement dans un laboratoire qu'ils avaient financé ensemble sur le campus de l'Université de Stanford. Ce centre pour systèmes intégrés, celui où nous sommes, n'est pas sans analogie avec ce que j'évoque.
- J'en inaugure, avec vous, les nouveaux laboratoires. Mais je dois dire que ce souvenir ne doit pas nous égarer car c'est le LETI qui, depuis déjà de longues années, a démontré, en précurseur, la fécondité d'une idée simple : la mise en commun de la recherche de base entre des entreprises et l'Etat est un puissant facteur d'efficacité. Et il est paradoxal de constater que cette idée rencontre ses premiers succès dans le secteur de la micro-électronique, où la compétition entre firmes, entre nations, est particulièrement vive. Et il faut du talent et de l'imagination pour arriver à concilier l'intérêt des sociétés, d'entreprises, soucieuses d'exclusivité, et l'intérêt du pays qui ne peut disperser ses efforts - vous le comprenez fort bien - ni multiplier des investissements identiques, s'il veut atteindre au résultat souhaité.
- Je dois le dire et c'est un motif de satisfaction que nous partageons, le LETI a su réaliser cet équilibre, d'une manière brillante et selon notre génie propre. Ce n'est pas comme aux Etats-Unis puisque nous en parlons, ce ne sont pas les industriels qui se coalisent pour créer un centre commun de recherche. C'est un organisme public de recherche - le Commissariat à l'énergie atomique `CEA` - qui prend l'initiative de s'ouvrir vers l'industrie et de mettre ainsi à profit les compétences qu'il a acquises dans les activités nucléaires.
- Je comprends même, après la visite que j'ai faite, que le modèle de relations entre recherche et industrie, que vous avez construit progressivement, va encore plus loin que l'initiative américaine, puisqu'avec certaines entreprises - on me cite Thomson - vous travaillez non seulement sur des produits nouveaux, mais aussi sur le développement de filières de production, de telle sorte qu'il n'y a pas de solution de continuité entre la recherche et la production. Nous avons d'énormes efforts à faire dans ce sens car la disposition d'esprit de nos concitoyens n'est pas nécessairement portée de ce côté-là, ou, en tous cas, nous avons du retard à rattraper. Et, en ce sens, le LETI nous a montré l'exemple.
- C'est un de ces centres d'excellence qui peuvent nous rassurer - si nous en doutions - sur notre capacité à nous mesurer au reste du monde.\
A l'accélération vertigineuse du développement de certaines technologies de pointe, on ne peut répondre que par une organisation rigoureuse. Pour l'Etat qui conduit la politique de recherche du pays, cela veut dire qu'il doit coordonner les efforts de ses partenaires. Et je tiens à souligner, précisément, combien je me réjouis des relations étroites que vous avez développées avec le centre Norbert Segard voisin, en approfondissant deux voies technologiques différentes : les deux laboratoires contribuent, chacun à sa manière mais ensemble, à établir les bases de notre indépendance.
- Pour un laboratoire tel que le LETI, dont la position prééminente en France n'est contestée par personne, cela veut dire aussi qu'il doit être vigilant, un peu en avant du mouvement pour prévoir les progrès techniques, s'y préparer de manière à éviter qu'un écart ne se creuse avec les pays concurrents.
- Parce qu'il conduit des recherches dont le débouché industriel est très proche, le LETI illustre un des grands thèmes de notre politique de recherche, une politique que nous avons portée à un diapason jusqu'alors ignoré, sous la conduite, en ce jour, d'un homme qui lui a consacré sa vie - le ministre de la recherche et de la technologie `Hubert Curien`. Cette valorisation au profit du développement industriel et de la création d'entreprises, de l'effort de recherche - que l'on pourrait chiffrer, mais je vous dispenserai de toutes ces statistiques, vous n'en doutez pas - auquel le pays consacre vraiment d'importantes ressources.\
Je disais que l'existence de centres de recherche de la qualité du LETI montre que nous sommes capables de rechercher la qualité, de nous adapter au monde moderne. Pourquoi est-ce que je reviens deux fois de suite sur cette idée ? Ce n'est pas que j'en doute, moi, personnellement. Je ne pense pas que les femmes et que les hommes qui sont dans cette salle puissent en douter eux-mêmes £ c'est leur métier, leur vocation, leur réussite, leur espérance .. Mais au-delà...
- Nous avons besoin de prouver davantage, chaque jour, et surtout nous avons besoin de gagner les marchés, de préserver le nôtre d'abord et de conquérir ensuite celui des autres, étant entendu que les deux démarches sont absolument complémentaires.
- Ce que j'appellerai l'aventure du LETI, bien que cela n'en soit pas une - c'en est une sur le -plan intellectuel et sur le -plan de l'imagination créatrice, sur le -plan de la démarche de l'industrie et de l'Etat £ cela est voulu, organisé, mené dans une direction bien précise - montre - permettez-moi de le dire - la capacité d'adaptation du Commissariat à l'énergie atomique, organisme de recherche à qui la France doit d'éclatantes réussites et qui, lui, a pris résolument le parti de l'ouverture industrielle, qu'il s'agisse de création de filiales comme la compagnie Oris-Industrie dans le champ biomédical, ou de contrats de recherche sur des thèmes proposés par des industriels comme dans le cas précis que nous traitons ici, au LETI.
- Cette politique a la vertu essentielle, à mes yeux, de sortir les chercheurs de ce qui fut, de ce qui pourrait rester une "tour d'ivoire", pour qu'ils soient au contact du marché, de la réalité industrielle - et cette assemblée illustre bien cette démarche - parfois-même de les inciter à prendre le risque de jeter les bases de nouvelles entreprises. Mais cela n'est possible du côté des industriels (grands, petits, moyens, peu importe) que s'ils ont en même temps l'assurance que leurs efforts sont relayés, le sentiment que ce qui est créé, construit, imaginé dans une multitude de villes françaises - je passais dans un des laboratoires et je voyais qu'il y avait une société de Montpellier qui s'y trouvait - à condition qu'ils soient assurés, bien entendu, d'avoir un débouché. Et la collaboration est dans cette affaire le secret même de votre réussite.
- Je ne vais pas continuer mon discours. C'est une façon pour moi de vous remercier, mesdames et messieurs, du travail que vous faites. Mais le travail n'y suffirait pas £ je dois aussi vous remercier au nom de la France de la réussite, du chemin de la réussite sur lequel nous sommes engagés. Croyez-moi la France en est capable dans beaucoup d'autres domaines, et l'on commence à savoir - la crise, ce que l'on appelle la crise, elle est là encore, elle recule - et nous sommes en mesure aujourd'hui d'assurer que nous sommes en train d'en dominer certains des éléments les plus difficiles.
- Je souhaite que les nouveaux laboratoires dans lesquels vous venez de vous installer renforcent la valeur et le résultat de vos recherches, que ce laboratoire reste dans l'avenir un pôle foisonnant au service de l'industrie de cette ville, de cette région, du pays tout entier, mesdames et messieurs, tout se tient. De l'effort de quelques-uns dépend l'effort de la nation £ de l'effort de la nation dépend la réussite de quelques-uns, du plus grand nombre - c'est ce que je souhaite - vous me donnez un bel exemple de ce que nous sommes capables de faire.\