14 décembre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au "Nouvel Observateur", sur les grands projets d'architecture pour Paris, vendredi 14 décembre 1984.

QUESTION.- Monsieur le Président, vous allez modifier considérablement la paysage des parisiens.
- LE PRESIDENT.- Non seulement des Parisiens, mais aussi de beaucoup d'habitants des villes de province.
- QUESTION.- Si vous le voulez bien, parlons d'abord de Paris. Quelle idée en aviez-vous avant d'entrer à l'Elysée ? Quelle était votre vision de la capitale ?
- LE PRESIDENT.- Comme beaucoup, c'est banal à dire, je suis amoureux de Paris. J'ai donc tendance à trouver beau ce que j'y vois. L'amour que j'en ai magnifie sans doute à mes yeux bien des choses. Mais je trouve que Paris a fait une trop modeste place à l'architecture moderne. Même le Centre Pompidou, qui me plaît, depuis le premier jour, représente un modèle d'architecture qui trouve là son achèvement. Avec peut-être quelques décennies de retard. L'architecture contemporaine ne s'est pas assez exprimée en France. Elle doit donc l'être davantage.
- QUESTION.- Croyez-vous qu'il y ait une architecture des année 80 ? LE PRESIDENT.- Nous sommes trop au-dedans de ces années-là pour pouvoir en juger. Mais je me souviens qu'en examinant certains projets qui m'étaient soumis il y a trois ans, je m'étais dit qu'il serait fâcheux que l'architecture de mon septennat fût celle des péages pour autoroutes...\
QUESTION.- Vous avez participé de très près au choix des différents projets. Est-ce le Président de la République qui choisit ou François Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- J'ai été guidé par les choix des jurys car partout, sauf pour le Grand Louvre, il y a eu jury. Cependant, à l'intérieur des limites fixées par les concours, mon goût s'est exercé. Et l'idée que je me fais de ce que pourrait être, à notre époque, le paysage français a pesé sur ma détermination.
- QUESTION.- Quelle idée ?
- le PRESIDENT.- Nous en reparlerons à mesure qu'avancera cet entretien. Mais je pense que je n'ai pas le droit d'imposer mes seules préférences. Plusieurs des projets que j'ai approuvés ne reflètent pas mon inclination personnelle. D'autres que moi, que je consulte, ont des avis fondés sur l'expérience et sur des jugements esthétiques qui valent d'être considérés. Lorsqu'ils estiment un projet remarquable, j'en tiens le plus grand compte. Dans son -état initial, par exemple, je n'aurais pas choisi le projet de l'Opéra Bastille. Maintenant, j'y suis rallié.
- QUESTION.- Quel est le projet que vous préférez ?
- LE PRESIDENT.- Peut-être la Défense.
- QUESTION.- Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- La Défense ... Et le Grand Louvre pour être juste. Pourquoi ? Je crois que, finalement, j'ai des goûts assez classiques et que les formes géométriques pures m'attirent. Il s'agit, comme vous le savez, à la Défense d'un cube ouvert, pour le Grand Louvre d'une pyramide. Mais tout est affaire de proportion aussi bien pour l'objet lui-même que pour l'objet dans son environnement. C'est dans les proportions que réside le génie de l'architecte. L'exacte mesure c'est comme le coup de foudre ! Si tant de monuments fameux de l'antiquité ont frappé l'imagination c'est bien parce qu'ils avaient la juste dimension.\
QUESTION.- Pourquoi s'adresser à des architectes étrangers ?
- LE PRESIDENT.- Nous (je dis "nous" parce qu'ont travaillé avec moi les cinq membres d'un groupe constitué à cet effet et parmi eux les ministres de la culture et de l'urbanisme ainsi que le directeur du cabinet du Premier ministre d'alors), nous ne nous sommes pas spécialement adressés à des architectes étrangers. Nous avons lancé des concours internationaux pour la Tête-Défense, la Bastille et le Parc de la Villette et des concours nationaux pour le ministère des finances, l'Institut du monde arabe et la Cité musicale. De plus, ceux qui font le bilan (critique à mon égard) des projets parisiens oublient que quatre sur huit ont été décidés par mes prédécesseurs.
- QUESTION.- Vous les avez accueillis...
- LE PRESIDENT.- Oui.
- QUESTION.- ... et modifiés ?
- LE PRESIDENT.- Oui ... Prenez le Musée des sciences et des techniques de la Villette, le Musée d'Orsay et l'Institut du monde arabe : ce sont des projets qui datent du temps de M. Giscard d'Estaing. Je ne dis pas qu'il a eu tort, au contraire, puisque je les ai continués. Mais en les modifiant. De même, la Tête-Défense a été arrtée à l'époque de M. Pompidou, transformée par M. Giscard d'Estaing et je l'ai finalement retenue ... sur la base d'un autre projet.
- QUESTION.- Tout a été revu. Certains de vos collaborateurs nous ont dit justement que par -rapport à cet héritage, par -rapport au choix de vos prédécesseurs, vous aviez manifesté une très grande volonté d'intervention, vous aviez largement participé à ces projets.
- LE PRESIDENT.- C'est exact. Pour la Villette j'ai vu l'architecte, Adrien Fainsilber, j'ai conversé avec lui, comme avec les responsables de l'établissement, et nous avons allégé, simplifié certains éléments £ mais l'essentiel a été préservé.
- Pour le Musée d'Orsay, nous avons surtout précisé avec Michel Laclotte, conservateur en chef, le contenu. L'idée première avait été de créer un Musée du XIXème siècle. Mais l'histoire des arts ne se lit pas forcément selon la chronologie catégorique des siècles : 1700, 1800, 1900 ... D'autant plus que, depuis longtemps, les siècles et leur contenu historique en France, ont pris 15 à 20 ans de retard sur les chiffres ronds : 1515, avènement de François 1er, 1610 mort de Henri IV, 1715 mort de Louis XIV, 1815 chute de Napoléon Bonaparte, 1914 Premier Guerre mondiale. Or l'architecture exprime les techniques du moment et la -nature des matériaux commande l'expression artistique. Des années 1830 à 40 jusqu'à la guerre de 1914 - 1918, l'explosion de la société industrielle a imposé les techniques de la fonte, du fer, du verre, du béton armé, des structures tendues et bouleversé du même coup les critères esthétiques en même temps que les réalités sociales. Tout se tient. C'est pourquoi ce Musée s'appellera tout simplement Musée d'Orsay, qui n'est pas, qui ne peut pas être le Musée du XIXème siècle.
- Pour l'Institut du monde arabe, il a fallu changer et le site et le style, en accord avec la ville de Paris.\
`Suite réponse sur les concours internationaux d'architecture`
- Voyez, on m'a apporté, hier soir, une maquette de travail du Grand Louvre et j'en ai discuté avec I.M. Peï, l'architecte, et les différents concepteurs et responsables. Certaines controverses sont utiles. J'ai tiré -profit, par exemple, d'un article récent de M. Michel Guy, dans "Le Monde" et d'une correspondance avec Maurice Druon. Je tiens compte de ces opinions, sans renoncer au coeur d'un projet que je crois très beau.
- Quant à la Tête-Défense, elle a connu plusieurs métamorphoses. M. Pompidou avait retenu un projet d'Emile Aillaud. M. Giscard d'Estaing l'a écarté et retenu à sa place un projet de Jean Willerval. J'ai lancé à mon tour un concours international qui a rassemblé 424 participants. Le secret du concours a été comme il se doit respecté. C'est seulement après coup que l'on a su que le gagnant était un Danois `Johan Otto Von Spreckelsen` et le deuxième un Français.
- Il y a, à l'heure actuelle, de très bons architectes français. C'ezst encore un de nos compatriotes qui s'est classé 2ème du concours Opéra Bastille gagné par un Canadien `Carlos Ott` sur 756 concurrents... Le Parc de la Villette a rassemblé 471 projets. Au total, quelques 2000 architectes du monde entier ont participé aux concours. Pourquoi avoir organisé ces concours internationaux ? Parce que cela sert considérablement le rayonnement de la France et fait émerger de nouveaux talents.\
QUESTION.- Qu'est-ce que vous pensez des Halles ?
- LE PRESIDENT.- J'aime le Centre Pompidou, moins les Halles. Je regrette les Pavillons Baltard.
- QUESTION.- Vos -rapports avec la ville de Paris, sont-ils difficiles ?
- LE PRESIDENT.- Bien sûr, il y a des obstacles, mais il y en a toujours entre les villes et l'Etat, surtout lorsque - comme c'est le cas de Paris - leurs domaines fonciers et urbanistiques sont à ce point imbriqués. Mais j'insiste : il y a eu aussi des concours nationaux, le ministère des finances, l'Institut du monde arabe, les salles de rock et de musique populaire, le Conservatoire national de musique.
- QUESTION.- Quel projet avez-vous retenu pour ce dernier ?
- LE PRESIDENT.- Le choix final est imminent.
- QUESTION.- Chacun de ces bâtiments une fois terminé aura une fonction culturelle précise...
- LE PRESIDENT.- Culturelle et économique. Une culture vivante renforce le patrimoine national, diffuse l'invention et le savoir, crée des centres de production.
- Les sciences et les techniques au Musée de la Villette, la communication à la Défense, les arts plastiques au Louvre, à Orsay, l'Histoire, la Sociologie à l'Institut du monde arabe, la Musique à la Bastille et au Parc de la Villette.\
QUESTION.- Et banlieues 89 ?
- LE PRESIDENT.- Ah ! Voilà une grande ambition !
- QUESTION.- Vous avez dit qu'on pourra peut-être y voir ce que sera le siècle prochain.
- LE PRESIDENT.- Je n'aurai pas le temps d'avancer suffisamment cette -entreprise qui requiert une longue durée, mais j'aurai donné l'élan. J'ai fait appel à des hommes de talent et d'enthousiasme qui continueront de tailler le chemin £ ils ont commencé, hardiment, et l'idée qu'ils ont, autour de Roland Castro, de donner aux banlieues des centres vivants et beaux, de relier des quartiers épars et sans âme, de mettre l'esthétique là où il y a de la laideur, de donner à chacune de ces banlieues une unité autour de constructions et de sites harmonieux, l'idée de créer entre ces centres un lien, que ce soit dans la banlieue de Paris ou dans celle des villes très nombreuses qui participent à "Banlieues 89" avec une formidable diversité de projets, toutes opinions politiques confondues, oui, cette idée est exaltante. S'amorce là un puissant mouvement qui changera la relation entre la ville et l'homme et qui donc, enfin, bâtira les structures de la civilisation urbaine.
- QUESTION£- Où l'imagination peut prendre le pouvoir ?
- LE PRESIDENT.- Naturellement. C'est l'architecture, par son utilité et par sa qualité, qui peut tout entraîner. L'architecture des villes champignons a souvent un effet repoussoir. On a séparé architecture et urbanisme. Résultat, il n'y a pas de société urbaine... Mais un amoncellement, un entassement, ou bien, au sens contraire, une dispersion qui interdisent l'essentiel : la communication, la convivialité, l'échange.\
QUESTION.- Vous avez parlé de l'avenir plus ou moins lointain... Comment pourrez-vous assurer à vos successeurs, aux générations futures, le fonctionnement de tous ces organismes ?
- LE PRESIDENT.- Il faut que chacun ait sa fonction propre, que chacun apporte sa réponse, que chacun assure une large part de sa rentabilité. Pour cela il faut que l'intérêt et l'attrait que chaque projet suscite soient si grands qu'un vaste public s'y intéresse, s'y presse. La beauté excite la curiosité, répond à un besoin du coeur et de l'esprit et a valeur à la fois d'enseignement et d'entraînement.
- QUESTION.- Je pensais aux crédits de fonctionnement.
- LE PRESIDENT.- J'ai bien compris. Voyez le Centre Pompidou, c'est un bâtiment et un ensemble réussis, mais il est évident qu'il absorbe une importante part des crédits culturels. D'où la nécessité d'implications commerciales. Pour le Carrefour de la communication, les financements privés seront nombreux, les techniques de communication y trouveront à s'affirmer, à s'accomplir. Le Musée des sciences et des techniques de la Villette attirera un nombre de visiteurs considérables. Le reste va de soi ... Le Louvre, ce sera le plus grand musée du monde. Plus il sera populaire et prestigieux, plus il saura bénéficier de -concours privés et de recettes propres, plus sera facilitée l'acquisition d'oeuvres. Pour l'Institut du monde arabe, il existe un financement international. Le ministère des finances trouve sa justification en lui-même.\
`Suite réponse sur le problème des crédits de fonctionnement des grands projets culturels`
- Pour l'Opéra, la réponse est plus difficile, si l'on en juge par ce qui se passe actuellement.
- QUESTION.- Les deux Opéras ? Car si Garnier continue à fonctionner...
- LE PRESIDENT.- J'ai dit que l'Opéra Bastille était le projet sur lequel j'avais le plus hésité et pas seulement pour son architecture. Finalement j'ai été convaincu. François Bloch-Lainé, Président de l'établissement public, et l'équipe responsable connaissent à fond les finances publiques et ils croient à la réussite. Les créateurs, les musiciens comme Pierre Boulez, m'ont encouragé. Cet Opéra se comprend mieux quand on l'insère dans les plans du nouvel avènement de la musique en France voulu par Jack Lang. Un opéra, deux conservatoires nationaux supérieurs à Paris et Lyon, la musique partout dans les rues le 21 juin, qui sera célébrée à travers toute l'Europe en 1985, des initiatives comme le studio des variétés, les salles de rock - à commencer par le "Zénith", la création de l'orchestre des jeunes et d'un orchestre national de jazz, la relance des industries du son et de la facture instrumentale, la réforme de l'enseignement du chant. La musique revient à l'ordre du jour des passions françaises et la Bastille y trouvera naturellement sa place et son public.
- QUESTION.- A propos de la Bastille toujours, pourquoi n'avoir pas fait appel aux finances privées, aux mécènes, comme cela se passe à l'étranger ? Pourquoi considérez-vous que l'Etat doit tout assumer ?
- LE PRESIDENT.- Paradoxe apparent : depuis trois ans, jamais le mécénat privé n'a été aussi florissant. Les particuliers et les entreprises privées ont été stimulées par notre politique nationale pour la culture. Diverses mesures les y encouragent. Après l'exonération des oeuvres d'art au titre de l'impôt sur le capital, voici que, sur proposition du gouvernement, le parlement s'apprête à accroître les possibilités de déductibilité fiscale des dons aux arts par les entreprises. A l'exemple du Metropolitan de New York, je souhaite que le mécénat privé augmente sa participation au financement de l'Opéra de Paris. Déjà, pour d'autres grands projets, le Louvre et le Parc de la Villette, des -concours privés importants ont été obtenus.\
QUESTION.- Un de vos amis et collaborateurs, Paul Guimard, dit qu'avec ces monuments, vous voulez "griffer" le temps...
- LE PRESIDENT.- Paul Guimard est un écrivain, un vrai, qui travaille précisément avec moi sur les grands projets. Il sait de quoi il parle. C'est vrai que la postérité aime s'inscrire dans la pierre.
- QUESTION.- Pierre qui n'est plus la pierre.
- LE PRESIDENT.- C'est une expression... modeler le regard, la mémoire, l'imagination des générations et des générations... Ce n'est pas une ambition pour moi mais pour la France. J'ai souffert d'observer que la plupart des grands gestes architecturaux se passaient plutôt à l'étranger depuis la première guerre mondiale. J'ai la conviction profonde qu'il y a une relation directe entre la grandeur de l'architecture, ses qualités esthétiques et la grandeur d'un peuple. Une période pauvre en architecture me semble correspondre à une période de faiblesse.\
QUESTION.- Justement, dans l'Histoire, quelles sont les périodes qui pourraient être aujourd'hui, pour vous, une référence ?
- LE PRESIDENT.- Mes goûts ont changé, avec l'âge et l'expérience. Et mes connaissances se sont approfondies avec le temps. Pour parler d'art religieux, je préfèrerais le roman au gothique et je n'aimais pas du tout le baroque. Eh bien, aujourd'hui j'ai une prédilection pour lui ! Je ne dis plus : je préfère le roman au gothique. Je dis : j'aime Vézelay. Morienval, Aunay ou Fontenay, mais j'aime tout autant la cathédrale de Bourges, et quel plaisir d'aller à Saint-Eustache ou à Ronchamp ! Bref, l'oeuvre, quels que soient le style et l'époque, m'attache en tant que telle. Au demeurant, si les églises romanes sont ces merveilles d'épaisseur et d'ombre qui invitent à la méditation, c'est aussi parce qu'on ne pouvait construire autrement. Une ouverture un peu trop grande et tout s'écroulait. Ouvrir les murs supposait une autre technique. Elle est venue. Les architectes ont pu jouer avec la pierre, le verre, les métaux. Est venu aussi le moment où le verre a pris le pas sur la pierre, et le moment où l'on a sorti de la construction ses viscères. Au Centre Pompidou, tout est dehors... Comme chacun, j'ai dû admettre ce qui choque les habitudes de l'oeil... J'ai appris.
- QUESTION.- Est-ce que cette sensibilité pour le baroque se retrouve dans vos choix architecturaux ?
- LE PRESIDENT.- J'ai plutôt tendance à redouter l'excès, la surcharge, la fioriture.\
QUESTION.- Vous avez des contacts avec les architectes, vous parlez longuement avec eux ?
- LE PRESIDENT.- L'architecture est un art que j'admire. Pour moi, c'est le premier des arts. De plus, c'est un art utile. J'apprécie donc les architectes et je souhaite toujours les entendre.
- QUESTION.- Vous avez dû apprendre beaucoup de choses sur les techniques nouvelles, parce que c'est très complexe maintenant ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Et les matériaux tirent aussi leur beauté du service qu'ils rendent.
- QUESTION.- Comment définirons-nous votre action de bâtisseur qui sera probablement l'une des plus importantes du siècle ?
- LE PRESIDENT.- On avait pris du retard, il fallait essayer de le rattraper. Pour une action politique qui tend à restituer à la France les moyens de sa grandeur, mieux encore, l'inspiration de sa grandeur - et plus elle est menacée, plus il faut qu'elle soit grande, plus elle s'universalise, plus il faut qu'elle reste elle-même -, l'architecture exprime le mieux cette ambition.\
QUESTION.- Question que tout le monde se pose : est-ce que ces dépenses étaient compatibles avec la rigueur et la crise ?
- LE PRESIDENT.- Oh ! Je ne vais pas vous abreuver de statistiques. Tout dépend de l'utilité qu'on leur accorde. Faut-il construire le Musée d'Orsay ou son équivalent, trois kilomètres et demi d'autoroute ? Remettre la France d'aplomb permet de faire les deux. Et pour remettre la France d'aplomb, relancer l'esprit des bâtisseurs, c'est commencer par le bon bout.
- QUESTION.- Qui met des freins ?
- LE PRESIDENT.- Tout le monde. Sauf le petit monde des métiers capables de réaliser des prouesses. Sans nos travaux, des quantités d'artisans et de métiers d'art, la tradition, la grande tradition des plus nobles métiers français peu à peu se perdraient. Grâce aux grands projets, ils sont sur le chantier, et ils se passionnent. On touche là vraiment une élite de la classe ouvrière et de la petite entreprise. Et ils sont là pour des années. Ils ne vont pas disparaître, ils vont revivre, et faire revivre le don de créer la beauté. C'est intéressant, çà aussi. Songez que les projets en question mobiliseront chaque année 10000 emplois, que les professions du bâtiment et des travaux publics en seront les premiers bénéficiaires, que les réalisations sont des vitrines exceptionnelles pour les bureaux d'études dont une large part d'activité va vers l'exportation. On parle toujours des bâtisseurs de cathédrales. On écrit des livres sur les compagnons du devoir ou du Tour de France. C'est gens-là, qui sont exceptionnels, existent toujours. Et maintenant on voudrait s'en passer ? Une somme d'expérience inégalable se transmettra grâce à des projets aussi ambitieux que nécessaires.\
QUESTION.- Que pensez vous des objections de Michel Guy sur le Grand Louvre publiées la semaine dernière dans "Le Monde" ?
- LE PRESIDENT.- J'ai évoqué ces objections un peu plus haut. Figurez-vous que je recevais I.M. Peï juste après avoir lu cet article. Je lui ai dit qu'il y avait là des remarques à retenir. Cependant M. Michel Guy pense qu'il n'y aura plus qu'une seule entrée pour le Louvre. Il se trompe ! 40 % des visiteurs du Grand Louvre passeront par celle de la Pyramide, les autres par les entrée du passage Richelieu (à travers l'ancien ministère des finances) ou les accès souterrains. Quant au parti esthétique de Peï, je l'admire. La pyramide valorise toutes les perspectives. Celle du Pavillon Sully, celle du Carrousel, celle du passage Richelieu, celle du Palais Royal et la Cour Napoléon elle-même, si triste, si ennuyeuse avec son square élimé et son parking de foire exposition.\
QUESTION.- Ces grands projets sont-ils bien du domaine du Président de la République ?
- LE PRESIDENT.- Il exigent une exécution à long terme qui - sept ans et plus - s'accorde à la durée d'une mandat présidentiel. Mais si je m'en suis beaucoup occupé, les responsables qualifiés du gouvernement, et d'abord le Premier ministre, on toujours suivi de très près l'élaboration et l'exécution des travaux et débattu du choix, du volume et du rythme.
- QUESTION.- Vos prédécesseurs ne s'étaient pas tant inquiétés d'architecture, de Gaulle ne nous a rien laissé sauf des tours, Georges Pompidou s'en est bien tiré grâce à Beaubourg.
- LE PRESIDENT.- Pour moi, les grands projets ne sont plus des projets, mais déjà des chantiers. ILs sont une façon de dire aux Français qu'ils doivent, qu'ils peuvent croire en eux-mêmes.
- QUESTION.- Bref, vous persistez et vous signez...
- LE PRESIDENT.- Avec moi, persiste et signe tout ceux qui ont compris l'importance de cette -entreprise, et ils sont, croyez-moi, très nombreux. Car si nous avons parlé des architectes, pensons à ces autres créateurs dont les sculptures, les peintures, les tapisseries, les céramiques, les ferronneries, les jardins, - j'arrête la liste !- iront embellir et compléter les bâtiments en cours de construction et d'aménagement.\
QUESTION.- Et la province ? Vous vouliez en parler.
- LE PRESIDENT.- Et pour cause ! Car les grands projets, ce sont aussi les réalisations de portée nationale hors de Paris. Parmi celles-ci, je relève : la construction du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon : architecture traditionnelle le long de la Saône qui sera terminée avant même que soit entamée la construction du Conservatoire supérieur de Paris à la Villette £ la création du Centre national de la bande dessinée d'Angoulême £ la création de l'Ecole nationale de la photographie d'Arles, dont la deuxième tranche pourra être inaugurée au printemps prochain £ la construction de l'Ecole supérieure de la danse à Marseille £ la réalisation par l'architecte Ciriani du Musée archéologique d'Arles qui sera sans doute le plus important musée français d'archéologie £ l'ouverture à Grenoble d'un Centre national d'art contemporain £ la création à Saint-Etienne d'un musée qui abritera l'une des plus importantes collections d'art contemporain après celles du Centre Pompidou £ la création à Lille du Musée des plans et reliefs £ la fondation de l'Institut Louis Lumière à Lyon £ l'ouverture à Roubaix du premier Centre national d'archives industrielles £ la construction de 10 Zénith en France (prochainement à Montpellier, Lorient, Lyon-Villeurbanne, Mérignac) £ la réalisation par Christian de Portzamparc de l'Ecole de l'Opéra de Nanterre £ la création du Centre national de la mer à Boulogne £ l'aménagement de l'ancien cirque de Châlons-sur-Marne en Ecole nationale du Cirque £ la création du site national de Bibracte £ l'ouverture du nouveau Musée national de la Préhistoire aux Eyzies-de-Tayac dont l'architecte est Jean-Pierre Buffi £ la création d'un Centre scientifique et technique de l'énergie à Mulhouse £ et la création d'un Centre scientifique et technique à Poitiers.
- Chacun de ces projets est unique en son genre et aura une dimension nationale et internationale.\
`Suite réponse sur les projets culturels pour la province`
- J'observe également que dans le même temps où s'édifient les projets parisiens, chacun d'entre eux à son prolongement en province sous la forme d'actions nouvelles en faveur de la culture. Dans le sillage du musée de la Villette, une multitude de centres de culture scientifique et technique et d'éco-musées d'édifieront à travers tout le pays £ avec l'Opéra Bastille, des centres de formation à l'art lyrique se constitueront dans plusieurs grandes capitales de province £ à l'heure où le Grand Louvre occupe la vedette, 30000 chantiers de rénovation des musées de province vont s'ouvrir. Jamais, depuis le Second Empire les musées de province n'ont bénéficié d'autant de crédits et de soutien. Le rajeunissement de l'architecture et de la présentation des musées de province se doublent eux d'une politique d'acquisitions d'oeuvres d'art au bénéfice de ces musées : près de 100 millions de francs en trois ans. J'ajoute pour terminer que si naguère 60 % des crédits du ministère de la culture étaient consacrés à Paris, aujourd'hui c'est l'inverse : 60 % des crédits de la culture sont consacrés à la province.
- Tels sont les grands projets : n'est-ce pas un beau projet ?\