26 novembre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au dîner offert par M. le Président de la République arabe syrienne et Mme Hafez Al-Assad, sur la politique étrangère de la France, Damas, lundi 26 novembre 1984.

Monsieur le président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- C'est pour nous, ma femme, mes compagnons de voyage, moi-même, un grand plaisir d'être ce soir vos hôtes dans cette belle demeure de Damas, au terme de la première journée de notre voyage en Syrie. J'ai été sensible, aussi bien à la qualité de votre accueil qu'aux propos par lesquels vous avez tenu à honorer notre présence ici. J'y vois la marque d'une volonté, partagée du côté français, de nouer des relations plus constructives à l'avenir.
- C'est entre nos deux pays la première rencontre, au niveau le plus élevé, depuis la visite que vous avez accomplie à Paris en juin 1976. C'est aussi, vous l'avez rappelé, la première fois qu'un Président de la République française rend visite officielle à la République arabe syrienne.
- Il est peu de terre de plus haute et plus antique civilisation que celle de l'Oronte et de l'Euphrate. Mari, Palmyre, ces noms résonnent dans nos mémoires. Mais après la grandeur antique, l'Islam a donné naissance aux fastes omeyyades et fait de Damas, jusqu'à aujourd'hui, l'une des plus rayonnantes capitales du monde.
- Carrefour de civilisations, pont jeté entre l'Orient et l'Occident, la Syrie a bien souvent rencontré la France. Nos deux peuples ont été tantôt rapprochés, tantôt opposés : bien des différends, des différences d'appréciations. Nous avons toujours pu régler ces confrontations par un enrichissement réciproqoue et la prédominance du dialogue : telle est notre règle d'action.
- On perçoit, en Syrie, l'activité d'un peuple ingénieux et courageux qui a sû transformer une nature souvent rude et aride, en réalisant des investissements dont le barrage de Tabqa constitue le symbole.
- Depuis longtemps, les historiens, les archéologues, les savants français, en parfaite collaboration avec leurs collègues syriens, participent à la mise à jour d'un patrimoine exceptionnel. Et la remarquable exposition, "au pays de Baal et d'Arstarté", l'a fait connaître aux Parisiens.
- Nombre de jeunes Français viennent se former à la langue et à la civilisation arabe dans l'Institut français d'études arabes de Damas. Le Français en Syrie est parlé ou du moins compris par une forte partie de la population. Nous souhaitons assurément que cette audience s'élargisse. De même qu'en France, nombreux sont les jeunes Syriens qui viennent se former. Nous coopérons à la réalisation de programmes de développement ambitieux, de toutes sortes : économique, scientifique, social. Des accords sont signés sur ces -plans entre nos deux pays. Voilà ce qu'il convient d'approfondir.\
Entre la Syrie et la France, il y a place pour un dialogue politique et nos conversations, monsieur le Président, vont nous permettre d'avancer dans ce domaine essentiel.
- Nous avons parlé, nous parlerons, vous l'avez fait à l'instant, des principaux affrontements qui marquent votre région, le Proche et le Moyen-Orient. Nous pensons naturellement au conflit entre l'Irak et l'Iran que nous voudrions voir cesser pour bien des raisons qui touchent à la libre circulation, qui touchent à la sécurité des pays voisins et plus encore à la vie humaine. Vous nous avez parlé d'autres intérêts, d'autres conflits particulièrement autour d'Israël, dans la relation entre Israël et la nation arabe. La France, quand elle intervient dans ces domaines, il faut qu'on le sache, si elle a des intérêts, des amitiés, des liens privilégiés dans votre région, elle n'entend pas se substituer à ceux qui y vivent.
- Dans la relation antagoniste qui existe aujourd'hui, quelques principes nous dictent la politique de la France. Ces principes, vous les retrouvez dans les décisions ou recommandations des Nations unies.
- D'abord le droit de chaque Etat de vivre en sécurité dans des frontières sûres, reconnues, garanties. Ensuite, le droit de tous les peuples, et particulièrement des peuples de la région, à disposer d'une patrie où ils édifieront les structures de leur choix. Cela vise particulièrement le peuple palestinien. Troisième principe, la solution des problèmes, des conflits, se trouvent dans le dialogue, dans le respect des décisions de la communauté internationale, et notamment du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies `ONU`. Là comme ailleurs, et cela sera dit une fois pour toutes car ce dernier principe recouvre l'ensemble des affaires du monde, partout où nous le pouvons, il convient d'assurer la protection des Droits de l'homme.\
L'évolution récente de la situation au Liban, même s'il y a encore un long chemin à parcourir, montre que peuvent être restaurées, dans leur plénitude, la souveraineté, l'unité, l'intégrité du Liban. La présence militaire d'Israël au sud devrait parvenir à son terme, si l'on veut dénouer l'ensemble des problèmes reliés à cette occupation. Pour progresser vers la paix, toutes les voies doivent être explorées et nous savons, monsieur le Président, vous venez de l'indiquer encore, que votre pays est pour sa part favorable à la tenue d'une conférence internationale. Vous en avez d'ailleurs énuméré les participants éventuels.
- Notre position est très simple en France. D'abord, une conférence de ce type, internationale, doit naturellement réunir, sans exception, tous ceux qui ont des intérêts et un mot à dire sur l'affaire. La deuxième règle est que cette conférence serait si importante qu'il convient de la réussir, et donc de réunir partiemment les conditions de cette réussite. La France ne fait aucun obstacle, que dis-je, serait favorable, à toute conférence d'envergure, même si dans le passé elle a pu constater l'échec des tentatives de cet ordre, et j'ajoute échec regrettable. Mais c'est une tentative qui doit être aidée. Et je pense en-particulier que la dimension que vous avez vous-même soulignée, de l'Europe ou de la Communauté européenne `CEE`, serait d'un utile -concours. Nous avons cependant toujours pensé que l'accord devrait d'abord se trouver dans la région-même et qu'une conférence telle que celle-ci doit nécessairement aboutir, ou bien ferait reculer bien des espérances. C'est autour de ces conceptions que la France marquera sa présence dans le projet que vous venez de nous indiquer.\
Vous avez relié, monsieur le Président, vos réflexions sur ces points à la conception générale qui est vôtre des affaires du monde. Et là encore, dépassant toutes difficultés rencontrées ou vécues, nous devons nous y rencontrer.
- Pour nous aussi, le désarmement passe avant tout autre chose afin de préserver l'équilibre des forces entre l'Est et l'Ouest dans la réduction la plus forte possible du niveau d'armement. La réduction des forces nucléaires, la France y souscrit en sachant fort bien quel est le formidable potentiel des deux plus grandes puissances. C'est par là qu'il faut commencer.
- A cette conception de l'équilibre des forces entre l'Est et l'Ouest, nous ajoutons, nous, cette notation, à savoir que l'ensemble des conflits dans le monde ne peut pas, ne doit pas être ramené à l'équation Est-Ouest. C'est ce qui fait l'intérêt très aigu que nous portons aux mouvements des pays non-alignés et nous nous sentons, sur ce -plan, bien que membres nous-mêmes d'une alliance `Alliance atlantique`, très proche des démarches de ceux qui veulent que leurs affaires soient réglées en dehors du débat principal qui occupe aujourd'hui les affaires du monde.\
Enfin, dernière remarque, c'est peut-être dans mon esprit la plus importante, c'est celle qui doit étroitement reliée la démarche vers le désarmement à celle qui nous conduit vers le développement. Il y a l'Est et l'Ouest. Cela ne peut occuper le Nord et le Sud comme malheureusement cela arrive trop souvent. Indépendance, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
- Dans la relation Nord-Sud, oui, il convient de retrouver les bases d'un ordre monétaire international, les bases d'un règlement durable qui touche au cours des matières premières, qui assure partout où c'est possible et cela se fera de plus en plus, l'autosuffisance alimentaire sans oublier, bien entendu, le flux indispensable des crédits et des liquidités par les institutions existantes ou par toute autre pour qu'on en finisse avec cette irrégularité, cette pression du plus fort sur le plus faible sur cette rétention de toutes les facultés créatrices du tiers monde.
- Je me permets de vous indiquer, monsieur le Président, qu'à l'heure où de très nombreux, de trop nombreux pays industriels réduisent leur aide au tiers monde, la France a accru la sienne.\
Monsieur le Président, au terme de cet exposé, je vais vous dire le -prix que j'attache à ce voyage à la fois en raison de l'importance de votre peuple et du rôle que joue votre personnalité dans le monde. Rien ne peut vraiment s'accomplir au Proche et au Moyen-Orient sans la Syrie et donc sans votre -concours. Et comme la paix dans cette région du monde est un des éléments primordiaux de la paix dans le monde, on voit à quel point votre pays doit remplir un rôle déterminant.
- Les anciennes relations entre la Syrie et la France peuvent retrouver vie et éclat. C'est une des raisons de notre présence parmi vous. Pour cela, le dialogue doit être franc, clair et approfondi. C'est ce que nous avons commencé de faire, monsieur le Président, et je m'en réjouis.
- Nous sommes heureux d'être à vos côtés, ma femme et moi-même, à vos côtés, madame, et vous-même, monsieur le Président, parmi tous vos invités, avec nos amis français, afin de vous souhaiter d'un même coeur des voeux pour vous-même, pour votre peuple et pour l'amitié entre la Syrie et la France, base, je le souhaite profondément, des relations qui, demain, seront nôtres. Je lève mon verre à votre santé, monsieur le Président, madame, à votre bonheur personnel, au bonheur de ceux qui vous sont chers, à la santé du peuple de Syrie et à notre amitié.\