24 novembre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Interview accordée par M. François Mitterrand, Président de la République, à la télévision syrienne, à l'occasion de son voyage officiel en Syrie, Paris, Palais de l'Élysée, samedi 24 novembre 1984.

QUESTION.- Monsieur le Président, nous vous remercions vivement pour votre accueil à l'Elysée et pour nous avoir consenti cet entretien, en dépit de votre emploi du temps qui était fort chargé récemment, et cela deux jours avant votre départ en Syrie. Cette interview que vous avez bien voulu nous accorder, témoigne de l'importance, à vos yeux, de ce voyage et de votre rencontre avec le Président de la République arabe syrienne, Hafez Al-Assad. Cette visite qui prend des dimensions très importantes, exceptionnelles, sur le -plan régional et international, vous permettra, monsieur le Président, de voir la réalisation du peuple syrien après des années de lutte et de combats. Cette visite, nous l'espérons, aidera à l'établissement d'un règlement pacifique d'une paix durable globale dans cette région.
- Permettez-nous, monsieur le Président, de vous poser quelques questions relatives à la situation au Proche-Orient, aux objectifs de votre visite et aux relations bilatérales entre la Syrie et la France.
- Je donne la parole à M. Bijab, le directeur de la télévision, qui va poser la première question :
- Pour la première fois, un président français se rend en Syrie sur invitation officielle du Président de la République arabe syrienne, M. Hafez Al-Assad. Monsieur le Président, quelle est la position de la Syrie, du point de vue français, sur la carte du monde et plus précisément sur la carte du Moyen-Orient ?
- LE PRESIDENT.- Je voudrais d'abord, monsieur, avant même de m'engager dans cette conversation, dire que j'attache beaucoup d'importance à cette visite, moi aussi. Et que je veux m'adresser, bien entendu d'abord aux responsables de ce pays, et particulièrement à son Président, auquel j'adresse mon salut avant de pouvoir le faire directement, dans son pays, mais aussi au peuple syrien. Je voudrais que cette visite soit considérée comme une façon de mieux se comprendre et de poursuivre, en l'enrichissant, un dialogue qui a commencé bien avant nous dans l'histoire.\
`Réponse`
- Maintenant, j'en viens à votre question. Quelle est la place que la France attribue à la Syrie ? La France et ses dirigeants connaissent l'histoire, la géographie et la réalité de ce peuple, le vôtre. C'est-à-dire sa culture, ses racines, ses prolongements. Et si vous réunissez tout cela, on en conclut tout naturellement, que la Syrie exerce un rôle déterminant dans la région où elle se trouve. Comme cette région joue un rôle déterminant dans l'équilibre mondial, par voie de conséquence, la Syrie joue un rôle important dans le concert international. L'histoire, faut-il la rappeler ? Non. Nous, Français, nous savons ce qu'est la Syrie. La culture ? Non plus. La culture française est assez bien répandue, de façon très ancienne, en Syrie. Mais la culture syrienne fait partie de notre histoire. Quand nous regardons nos églises du Moyen-Age, nous apercevons toute une série d'animaux et de plantes, que l'on ne connaissait pas dans les premiers temps du royaume de France et qui venaient d'Orient, comme on disait. Mais, bien souvent, les signes, les symboles, l'esthétique, de culture arabe d'une façon générale, mais syrienne en-particulier, a marqué notre âge.
- Alors, la géographie ? Il se trouve que la France est une puissance méditerranéenne, que beaucoup de choses l'ont conduite, à travers les siècles, à avoir un certain rayonnement dans le bassin oriental, où elle ne se trouve pas géographiquement elle-même, et que cette réalité géographique fait qu'il est difficile qu'il se passe quelque chose dans un bout de cette mer sans que l'autre bout en sente les répercussions. Et, à cet égard, tout ce qui touche à la frange orientale de la Méditerranée, sur laquelle la Syrie dispose d'une indéniable influence, doit être considérée avec sérieux par la France. Voilà bien des raisons de ne pas trop prolonger ma réponse. Je la résumerai d'un mot : la Syrie est un pays de première importance pour nous.\
QUESTION.- Si vous me permettez, monsieur le Président, je passe la parole à Mme Aqfat, qui a une autre question à vous poser.
- Au-cours de votre visite, monsieur le Président, vous examinerez, avec le Président Hafez Al-Assad, des questions primordiales, ayant trait à la situation au Moyen-Orient, à la sécurité mondiale et aux relations bilatérales. Y aura-t-il des questions sur lesquelles vous voudriez mettre particulièrement l'accent ?
- LE PRESIDENT.- Rencontrer le Président Hafez Al-Assad est quelque chose de très intéressant car je le connais de l'extérieur. Sa personnalité est grande et le jugement qu'il porte sur les problèmes internationaux, particulièrement sur le Proche et le Moyen-Orient, ne peuvent pas m'être indifférents. Loin de là, c'est une façon de parler.
- Il suffit d'être informé de ce qui se passe, depuis déjà des décennies, de ce qui s'accentue, de ce qui bouge aujourd'hui même, s'exprime et le premier mot qui vient à l'esprit, c'est le mot paix, qui entraîne celui de sécurité. Vous avez, tout près de chez vous, une guerre entre l'Irak et l'Iran. Voilà, j'espère qu'assez de bonnes volontés pourront s'unir pour que ce conflit trouve un terme honorable et digne pour les deux parties. Naturellement la Syrie joue un rôle, doit jouer un rôle.
- Un deuxième conflit latent, lui, depuis longtemps, celui qui oppose Israël et les pays arabes alentours. La Syrie peut jouer un rôle très important. Il y a les problèmes de déchirements internes au Liban, que l'on vient de vivre, que l'on vit encore et qui trouvent naturellement des prolongements, parfois même des encouragements dans bien des pays du monde extérieur au Liban. Comment peut-on faire que ce peuple puisse retrouver son unité dans des institutions durables et dans l'indépendance nationale ? Là-dessus la Syrie a un grand rôle à jouer.\
`Suite réponse sur le rôle de la Syrie dans l'échiquier international`
- Si l'on se cantonait dans la région, les gens nous diraient cela. Mais il se trouve que la situation historique et géographique, que j'ai rappelée tout à l'heure, de la Syrie, fait qu'elle se trouve également au point de conjonction des grands intérêts du monde. L'Est, l'Ouest. Vous savez ma position. Mais je crois que nous aurons l'occasion d'en reparler. Moi, je cherche à éviter que tout problème dans le monde soit aussitôt transformé en une pièce sur l'échiquier militaire de l'Est et l'Ouest. Et, à cet égard, la Syrie joue un rôle, et a un rôle éminent à jouer, en a tout à fait le droit, ce n'est pas moi qui le contesterait. C'est un pays souverain : il peut choisir ses amitiés, ses accords, ses alliances, et, à cet égard, il y a bien des problèmes sur lesquels nous pourrions avoir les mêmes conceptions si d'autres nous opposent.
- Mais, il se trouve que la Syrie se trouve justement au carrefour. C'est un carrefour de l'histoire. Alors, la question qui me vient à l'esprit est : comment la Syrie, peut-elle contribuer à l'apaisement, disons le mot, à la paix dans le Proche et dans le Moyen-Orient ?\
QUESTION.- ...... des forces françaises vers de nouveaux horizons, en ce qui concerne les pays du tiers monde ? Quels seraient les principes de cette nouvelle politique ?
- LE PRESIDENT.- Mademoiselle, c'est ce que nous faisons tous les jours, depuis trois ans et demi. D'abord, je suis allé dans un certain nombre de pays où j'ai fait des déclarations publiques et qui ont eu quelques retentissements, pour bien marquer les orientations de la France. On se souvient peut-être de ce que j'ai pu dire, notamment à Mexico, puis à Cancun, puis sur différentes tribunes comme celle qui m'ont conduit d'Alger à Rabat et à New Delhi, et d'autres lieux encore .. Je me suis aussi adressé, dès mon élection, à la Conférence des pays les moins favorisés (les plus pauvres). Et j'ai soutenu la thèse selon laquelle il fallait que les pays industriels fassent un effort supplémentaire pour vraiment consacrer 0,15 % du produit intérieur brut, de chacun de ces pays, à l'aide aux pays les moins avancés. De même que j'ai proclamé mon adhésion, à la demande des institutions internationales, pour que les mêmes pays plus riches puissent contribuer jusqu'à 0,7 % de leur produit national brut pour l'aide au tiers monde. Nous partions de loin, en France, puisque nous en étions à 0,3 %, compte non tenu de ce que nous apportions aux territoires et aux départements qui sont directement reliés à la France et qui ne comptent pas dans ce calcul.\
J'ai maintenant dépassé les 0,5 % et j'irai aux 0,7 %, et j'irai aux 0,15 pour les pays les moins avancés. D'ailleurs on s'en rapproche. C'est-à-dire que dans l'ensemble des pays du monde que l'on classe actuellement parmi les pays industrialisés, il y a quatre pays qui font un effort accru : les trois pays scandinaves - Norvège, la Suède et le Danemark et les Pays-Bas. Et puis, parmi ceux que l'on appelle les grands pays industriels, un seul : la France. Non pas que la Grande-Bretagne ne fasse pas également un effort. Mais la France a continué d'augmenter sa participation à l'aide multilatérale au tiers monde, tout en augmentant son aide bilatérale, avec un certain nombre de pays.
- C'est ainsi que cette année, dans un budget, que nous avons ramené à une augmentation inférieure à notre inflation, ce qui suppose des compressions extrêmement difficiles, aux alentours de 6 %, nous avons augmenté notre aide, selon les cas de 9, 12 ou 15 % pour tout ce qui touche au tiers monde. Nous avons maintenu et accru notre aide dans le -cadre de l'AID, du Fonds monétaire international et nous sommes tout à fait scandalisés de voir nos partenaires des pays industriels, soit maintenir, soit même réduire leur aide. Je dis cela pour que l'on sache bien que la France, que je dirige, est restée fidèle à elle-même et qu'elle entend continuer, poursuivre dans ce sens.\
Les premières idées qui viennent à l'esprit pour définir cette politique, c'est que, d'abord, il faut tenter d'apporter une réponse économique, et cette réponse économique ne sera possible que s'il existe un meilleur ordre monétaire international. Sans quoi si chaque pays du tiers monde voit ses productions connaître des fluctuations de prix d'une année sur l'autre, généralement vers la baisse, comment voulez-vous que ces pays puissent souscrire à des contrats durables de développement ? Ce n'est pas possible : ils sont ruinés. Les augmentations, les folies monétaires, l'augmentation du dollar, les ruinent encore plus. Il faut donc parvenir à ce qu'une négociation parvienne à un soutien durable des cours des matières premières. D'ailleurs, il existe déjà des réglementations spécialement entre l'Europe et certains pays d'Afrique, pour le sucre .. On a déjà commencé, de façon très insuffisante, donc il faut s'attaquer à ce problème-là. La monnaie, d'une part, et d'autre part, les matières premières. Puis, il faut bien déterminer les pays qui pourraient parvenir, au -prix d'une aide importante, mais raisonnable, à l'autosuffisance alimentaire. Il y en a qui y parviennent et qui ont de grandes réussites. Mais il y en a tellement qui en sont tellement loin qu'ils sont obligés de tout importer. Et puis enfin il faut essayer de développer tous les moyens énergétiques, lorsqu'il n'y a pas de pétrole. Il faut que les pays qui n'ont pas de pétrole puissent avoir de l'énergie, par leurs propres moyens. Certains disposent de masses hydrauliques considérables, le vent, le soleil, l'énergie qui se trouve dans le sol, tout simplement thermique, enfin, il y a beaucoup de façon de faire et il existe un plan international. Mais il n'est pratiquement pas mis en oeuvre. D'où le rôle très important de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, indépendamment du rôle que doit avoir l'ONU, plus toutes ces institutions spécialisées, afin de parvenir à créer une politique cohérente. Je peux vous dire que la France est très engagée dans ce sens. J'aurai l'occasion, d'ailleurs, de le répéter bientôt, sans oublier cet aspect des choses, fort important, que j'ai exprimé à la tribune de l'Assemblée des Nations unies. Il faut créer un lien entre le terme "désarmement" et le terme "développement". Il faut qu'une part des sommes qui pourraient être économisées sur le développement de l'armement puissent être reportées sur le développement. Et, au fond, le problème du désarmement, c'est surtout le problème d'une relation est-ouest. Et le problème du développement, c'est surtout le problème d'une relation nord-sud. C'est en faisant la conjonction de ces deux termes, qu'on pourra esquisser une solution.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la société internationale accorde un intérêt croissant à la tension de la situation du Proche-Orient, vu sa position stratégique et vu son influence sur l'avenir de la paix et de la détente internationales. Des propositions ont été faites pour tenir une conférence internationale sur le Moyen-Orient. Quels sont, d'après vous, les meilleurs moyens de parvenir à un règlement global, juste et permanent au Moyen-Orient ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait très bien une conférence internationale, à condition qu'elle réussisse ! Ce serait très mauvais de réunir tous ces pays pour aboutir à rien. Alors là, ce serait vraiment une espérance brisée. Il ne faut pas donc disposer de cet instrument diplomatique à la légère.
- Or, jusqu'ici, tout le monde s'est cassé les dents. Les plus grands pays, de l'Est, de l'Ouest, l'Organisation des Nations unies, a rendu de réels services. Mais le tout n'a pas abouti à l'essentiel de son propos. Des pays se sont offerts, par leurs bons offices, pas suffisamment, ce n'est pas ce que soit nul, je dis que ce n'est pas suffisant. Ou bien la guerre larvée ou bien la guerre ouverte. Donc, une conférence comme cela, ça se prépare. Est-ce possible, est-ce réalisable. Si c'est possible, réalisable, il faut le faire. Mais il serait très imprudent de dire à l'heure où je le dis, que c'est possible et réalisable, parce que les esprits n'y sont pas préparés, parce que les intérêts sont encore divergents, parce que les passions sont extrêmement vives. Vous définissez ce qui est souhaitable. Mais je dis que l'on ne peut avancer que sur un terrain vraiment préparé. S'avancer sur un terrain - c'est le cas de le dire - miné, on saute.
- QUESTION.- Est-ce que la France a pris l'idée de cette conférence ?
- LE PRESIDENT.- L'objectif, très bien. Les moyens eux restent à discuter.\
QUESTION.- Je passe maintenant à une autre question.. Monsieur le Président, nous entendons parler souvent d'initiative européenne conjointe ou bien d'initiative française indépendante pour un règlement équitable au Moyen-Orient. Y aurait-il, dans un proche avenir, une initiative européenne ou française à soumettre et bénéficiant d'un poids international important ? Quel serait le rôle que la France s'apprête à jouer dans ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- La France ne peut jouer qu'un rôle qui soit rendu possible par les partenaires sur le terrain. La France n'a pas à se substituer à Israël, à la Syrie, à la Jordanie, à l'Egypte, au Liban, à l'Irak - le jour où il sera débarrassé de cette guerre -, sans oublier les pays du Maghreb. La France n'a pas à se substituer à eux. Elle peut aider. C'est tout ce qu'elle peut faire. C'est dans ce sens que la France a co-signé avec l'Egypte `en 1982`, rappelez-vous, une proposition sur le Proche-Orient, qui a été écartée et qui a été mise un peu en réserve, car cela coïncidait avec une proposition Reagan, qui occupait beaucoup les milieux des Nations unies. Nous restons tout à fait disponibles.
- Prendre une initiative originale, indépendante, nous ne le craignons pas. Nous l'avons fait dans de nombreuses circonstances, par-rapport aux autres pays d'Europe, par exemple. Mais, à la place des pays intéressés, non. Nous avons fait un accord sur une autre scène internationale : l'Amérique centrale. Nous avons fait une déclaration, seuls, avec le Mexique, rappelez-vous. C'était avant l'existence du groupe de Cantadora. Maintenant, nous sommes un des pays qui soutiennent les propositions du groupe de Cantadora et nous faisons attention à ce que l'on ne nous dise pas : vous êtes en-train de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas. Donc, nous ne pouvons venir qu'en appui et non pas nous substituer aux volontés, ni des gouvernements, ni des peuples.\
`Suite réponse sur le rôle joué par la France au Proche-Orient`
- Il existe pour le Proche-Orient cette proposition franco - égyptienne. Notre intime conviction est que beaucoup de choses doivent se faire aux Nations unies, donc une relation très étroite avec M. Perez de Cuellar. Et c'est vrai que la Communauté européenne `CEE` des Dix est intervenue plusieurs fois. Elle a bien fait, à condition de rappeler quelques principes de base. Les principes de base, c'est qu'il existe des résolutions de l'Organisation des Nations unies, que tout s'organise autour des deux thèmes que j'ai cités tout à l'heure, c'est-à-dire le droit de chaque peuple à la sécurité, donc aux moyens de la sécurité, et le droit des peuples - je pense naturellement au peuple palestinien - à disposer d'une patrie. Ce peuple fait ce qu'il veut, à-partir de là. Tout cela dans des conditions à définir de sécurité mutuelle. Je ne veux pas rentrer dans les détails. Si c'est pour recommencer la guerre, ce n'est pas très intéressant. Voilà ce que je peux vous dire.
- C'est vrai que l'Europe et la France sont tout à fait disposées à répéter, réitérer les principes diplomatiques et d'action, qui paraîtraient nécessaires, mais, en même temps, elles ne peuvent qu'être les accompagnatrices d'initiatives qui engagent les pays de cette zone. Voilà notre position.
- QUESTION.- La déclaration de Venise ...
- LE PRESIDENT.- La déclaration de Venise est un peu ancienne. Elle a déjà eu l'occasion d'être redite. Elle était un peu, par-rapport aux termes de l'époque, enflammée. Les dispositions générales, que je viens de vous rappeler, sont celle qui nous inspireront.\
QUESTION.- Pour nous, en Syrie, la France que vous représentez, monsieur le Président, c'est d'abord une histoire glorieuse, une civilisation rayonnante et des valeurs humaines universellement reconnues. Comment ces valeurs prestigieuses peuvent être mises au service de la cause de la libération des peuples et surtout la cause palestinienne ou la cause du peuple palestinien qui souffre de l'occupation et de l'expulsion de ses territoires ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons des moyens d'agir. Nous sommes les témoins et les acteurs. Nous sommes acteurs en tant que pays membre permanent du Conseil de sécurité `ONU`. Nous sommes témoins - il est bien rare que nous ne nous exprimions pas sur des sujets que vous venez d'évoquer. Donc, nous avons voté les résolutions, considérées comme positives pour le peuple palestinien.
- Ensuite, ce sont les positions de principe, politiques, juridiques, diplomatiques. On sait bien que ce n'est pas tout à fait suffisant. Il y a la réalité sur le terrain. Chaque fois que le peuple palestinien a besoin d'une main secourable pour protéger, préserver des vies humaines, la France a été là. Nombreux sont les Palestiniens qui ont eu recours à la France et la France n'a jamais détourné son regard et sa main.
- Quant au problème politique lui-même, à savoir quand, comment les Palestiniens pourront disposer de la terre sur laquelle ils pourront édifier les institutions de leur choix, c'est un problème de fond sur lequel on revient, qui, naturellement, ne dépend pas de la France. Je définis un -cadre juridique et politique, il est conforme aux souhaits des Nations unies. Et, à-partir de là, encore une fois, c'est aux pays de la région d'assumer leurs responsabilités puisqu'ils sont à la fois, frères, voisins ou amis, ou bien voisins et partenaires adversaires. Ce sont ceux-là qui tiennent la solution : personne d'autre.
- QUESTION.- Est-ce que, monsieur le Président, vous êtes pour l'Etat palestinien ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai déjà dit £ je l'ai même dit à la tribune de la Knesset, à Jérusalem. Qu'on ne voyait pas pourquoi ce peuple ne pouvait pas disposer d'un Etat. Je comprend très bien qu'Israël doive aussi assurer les conditions de sa propre sécurité, qu'il dispose des moyens de sa sécurité, qu'il veuille s'assurer que la création d'un autre Etat, auquel il s'oppose, ne soit pas une cause supplémentaire de difficultés, de menaces militaires. Mais cela, ça se discute toujours. Le principe, la réalité, je l'ai déjà affirmé très souvent.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous mettez continuellement l'accent sur l'indépendance de la décision politique française et sur l'importance du rôle que peut jouer la France dans les relations Est-Ouest. Quelles seraient les limites de cette indépendance, d'une part, à l'égard des Etats-Unis, dont vous semblez recherché l'alliance, et d'autre part à l'égard de l'Union soviétique avec laquelle il existe un certain désaccord sur de nombreuses questions ?
- LE PRESIDENT.- La souveraineté nationale peut connaître des limites, à la condition que ces limites soient fixées souverainement. C'est ce que nous faisons avec les pays de l'Europe des Dix `CEE`. A l'égard de nos neuf autres partenaires, nous avons renoncé à certains aspects de la décision prise à Paris £ beaucoup de décisions sont prises à Bruxelles, aujourd'hui ou à Strasbourg. Donc un pays indépendant peut contracter des obligations communautaires, c'est le cas, de même que tout pays indépendant. Rares sont ceux - en-dehors de ceux qui sont neutres - qui n'ont pas des alliances, qui sont des amis privilégiés, des alliances militaires, c'est le cas de la France.
- La France a une alliance avec les Etats-Unis d'Amérique et beaucoup d'autres pays de l'Europe occidentale. C'est ce que l'on appelle l'Alliance atlantique. Il faut simplement bien cerner le contenu de cette alliance : c'est une alliance défensive et qui a une aire, une surface géographique limitée. Elle n'a pas pour mission de se comporter en gendarme du monde. Et cela, nous le rappelons sans cesse. Et, à l'intérieur de cette alliance, il existe un commandement intégré militaire. C'est-à-dire qu'il existe une structure, une hiérarchie, une décision collective qui engage naturellement tous les pays qui la constituent. La France n'y est pas £ elle fait partie de l'Alliance atlantique mais pas du commandement intégré. C'est-à-dire que nous avons, nous, la totale et libre disposition, notamment de notre force atomique, force nucléaire. Et c'est un facteur d'indépendance fort important. Toute notre démarche, je le dis très simplement à ceux qui m'interrogent, toute la démarche consiste à réaliser la synthèse entre l'indépendance à laquelle nous tenons avec beaucoup de fermeté dans l'alliance. Constamment il faut ajuster pour que l'indépendance soit claire et entière, et pour que l'alliance soit appliquée loyalement. J'ai dit défensive et j'ai dit qu'à l'intérieur de cette alliance même, sur le -plan militaire, la France peut disposer d'une capacité, d'une autonomie entière pour sa stratégie de dissuasion.\
`Réponse sur les relations franco - soviétiques`
- Alors l'Union soviétique, vous savez, c'est un pays d'Europe. Nous nous connaissons depuis longtemps. Cela fait déjà des siècles que la Russie et la France se connaissent, s'apprécient. Très rarement dans l'histoire ils se sont combattu, extrêmement rarement, c'est même un phénomène intéressant à observer. Il y a eu un certain nombre de chocs qui n'ont jamais été des chocs brutaux, qui ont toujours été greffés sur d'autres événements internationaux. Il y a donc un très long passé de paix et d'appréciation mutuelle entre les Russes et les Français. Il n'y a pas d'hostilité, du tout, il y a même souvent beaucoup d'amitié. Là-dessus, naturellement, interviennent les événements politiques, les régimes politiques, économiques, sociaux, et puis même depuis quelque temps, malheureusement, les blocs. C'est le résultat des guerres mondiales dans lesquelles l'Europe s'est affaiblie. On a vu se développer la puissance de deux super-puissances, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique. Beaucoup de ce qui se passe sur le monde passe par-dessus la tête des autres, se décide entre les deux puissances en question. Et le problème pour nous, est de pouvoir préserver notre capacité, notre liberté de décision.
- Avec l'Union soviétique, bien entendu, nous avons des différends mais nous avons quand même un dialogue permanent £ j'étais moi-même, il n'y a pas si longtemps, à Moscou, et j'ai rencontré M. Tchernenko £ M. Tchernenko viendra nous voir, je pense, l'année prochaine à Paris, si les événements le permettent. C'est en tout cas le souhait exprimé de part et d'autre que de faire que ce rendez-vous puisse continuer d'enrichir notre relation. Il y a bien des points sur lesquels nous sommes d'accord, nous ne sommes pas du tout en lutte £ le système n'est pas le même, les objectifs sont différents, il y a des actions militaires soviétiques que nous n'acceptons pas, mais il y a à côté de cela un grand peuple qui a énormément souffert de la guerre, qui a contribué à notre propre libération, dont les sources de culture sont les mêmes que les nôtres, et dont des intérêts sont communs, plus souvent qu'on ne le croit. La France et l'Union soviétique, et la Russie en l'occurence, doivent être les deux éléments particuliers de l'équilibre européen. Je veille constamment à préserver cet équilibre-là, croyez-le.\
`Suite réponse sur les relations franco - américaines et franco - soviétiques`
- Cela m'arrive de discuter avec les Américains, je ne suis pas du tout d'accord avec la politique qu'ils ont suivie en Amérique centrale, je ne suis pas du tout d'accord avec leurs démarches à l'égard du tiers monde. Il y a bien des choses que je n'approuve pas ici ou là sur la surface du globe. Je ne suis pas d'accord avec leur politique en Afrique australe, et je manque jamais une occasion de le dire. Donc on peut être alliés, on est amis, mais nous avons un langage et une action tout à fait libre. Avec l'Union soviétique, nous ne sommes pas alliés, mais nous pouvons être amis, et en tout cas j'ai beaucoup de respect pour ce peuple et par voie de conséquence, je traite comme je dois traiter pour rechercher les voies d'un bon dialogue avec ses dirigeants.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous êtes d'accord avec la politique américaine au Proche-Orient ? Vous avez cité les accords mais dans d'autres régions ..
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, c'est leur politique, et nous avons la nôtre. On n'est pas toujours sur la même longueur d'ondes.\
QUESTION.- Pour terminer, la dernière question. Monsieur le Président, à l'occasion de votre visite en Syrie, vous adressez un message au peuple syrien, nous vous prions de bien vouloir le transmettre au terme de cette interview.
- LE PRESIDENT.- Je vous l'ai dit tout à l'heure, je vais en Syrie, je serais accueilli par une personnalité internationale de grand poids, votre Président, et par d'autres personnalités qui comptent.
- Nous avons eu, la Syrie et la France, au-cours de ces dernières années un certain nombre de différends, nous avons des différends. Il n'y a pas d'identité. Il n'y a pas de raison qu'il y ait identité, la situation géographique et politique n'est pas la même. Mais nous n'avons jamais voulu cuper le contact, même dans les moments difficiles. Aujourd'hui, ce moment est plus facile, cette invitation a été bien reçue, j'y suis sensible. Notre dialogue sera franc. Là où on est pas d'accord, on le dira. L'essentiel est que cette analyse précise, que je peux attendre, d'ailleurs, des dirigeants syriens, s'inscrive dans un contexte qui soit une -recherche d'entente et de bon dialogue, et que cela dure, que ce ne soit pas un feu de paille.
- Voilà pourquoi il m'est très aisé d'adresser un salut amical au peuple syrien, déférent aux dirigeants du peuple syrien avec l'immense espoir que ce voyage soit utile à nos deux peuples et à la paix.\