13 octobre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Mont-de-Marsan, samedi 13 octobre 1984.

Monsieur le sénateur-maire,
- Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs,
- Me voici au terme de cette visite en Aquitaine qui m'a conduit pendant près de trois jours dans 19 villes ou villages. C'est ici à Mont-de-Marsan que je puis établir le bilan. Les impressions reçues, les conseils entendus, les mille et une inflexions qui marquent ce que pensent et ce que veulent les habitants de ces départements, j'en ferai le compte et je m'efforcerai dans la conduite du pays d'en tirer la meilleure leçon.
- Il m'est agréable de me trouver dans cette ville £ c'est la capitale de mon département. Je la connais un peu, je connais son histoire, sa pratique des arts, elle est le centre naturel d'une agriculture qui chaque jour se transforme, se perfectionne et devient peu à peu l'un des éléments dominants du potentiel français. Son commerce, ses artisans et de plus en plus ses entrepreneurs industriels démontrent, à travers l'Aquitaine tout entière, que l'esprit d'initiative et la capacité de réussite ne sont pas réservés à quelques-uns. Pendant ces deux jours et demi, j'ai pu constater sur place que ce que demande le gouvernement et son chef, Laurent Fabius, était perçu de mieux en mieux par ceux qui sont sur le terrain.\
J'ai commencé mon voyage en m'arrêtant dans une petite ville de Dordogne, Saint Martial d'Artenset, où un groupe de menuiserie Gregoire m'a présenté un spectacle tout à fait remarquable ! Une toute petite entreprise d'une vingtaine de travailleurs il n'y a pas si longtemps, elle est aujourd'hui avec près de 400 salariés parmi les quatre premières de France. Son organisation, son climat social, sa capacité de créer, montrent bien que là, dans ce petit coin de chez nous, il a suffi de quelques hommes audacieux avec intelligence et compétence pour transformer les données locales avec des répercussions nationales qui sont fort intéressantes.
- En Gironde, je suis passé par la cave coopérative "Les Lèves-et-Thoumeyrèques" : vous ne connaissez sans doute pas, je ne connaissais pas moi non plus. Il s'agit d'investissements dans de nouvelles cuves de vinification. C'est une production importante que le vin, et quand on pense au vin de Bordeaux, on pense naturellement aux grands crus, mais là, j'ai vu des producteurs-viticulteurs qui ont su s'associer dans une coopérative avec un moins de 200 membres, et dont l'efficacité, le sérieux permettent de penser que nous assistons, une fois de plus, à une réussite partie de la base, simplement parce que quelques-uns, qui savent ce qu'est le travail, ont su aussi s'organiser. Ils ont de l'ambition, et ils ont réussi.
- Je me suis arrêté au centre de formation professionnelle pour adultes de Bègles. Là il s'agissait, au-delà de la destination normale d'un centre de formation, d'investissements nouveaux dans des machines à commandes numériques et l'on voyait des jeunes, garçons et filles, devant des appareils fort complexes, qui vont leur permettre d'exercer les métiers qui se feront demain. On a perdu trop de temps au-cours des décennies précédentes à former des jeunes à des métiers qui ne paient plus et c'est l'une des causes de ce malaise, de ce chômage qu'on ne peut jeter au visage de ceux qui gouvernent aujourd'hui et qui ont à réparer pour reconstruire, et là encore, pour réussir.\
Dans les Pyrénées-atlantiques, je me suis arrêté au groupe Elf-Aquitaine, à Pau. La description en est inutile puisqu'il s'agit du premier groupe industriel français, l'un des premiers du monde : je crois qu'il se situe au 22ème rang des entreprises dans le monde entier. La multiplicité des créations d'entreprises nouvelles, non seulement à-partir du pétrole ou du gaz mais aussi dans des industries différentes, sert de centre de formation et d'expansion pour les Pyrénées-atlantiques. Ces activités annexes de l'exploitation du pétrole et du gaz sont si importantes que les élus de ce département s'inquiéteraient de les voir cesser. Ils ont le sentiment que cette puissance économique bâtie au-cours de ces décennies, avec une grande continuité, permet de grandes espérances.
- Un peu plus loin, c'était à Mouguerre dans la banlieue de Bayonne, la Société anonyme de télécommunications `SAT` qui fabrique des matériels électroniques, téléphoniques, télégraphiques, téléinformatiques, là encore près de 400 personnes. Dans cette région qui fut pendant longtemps délaissée par la grande technologie moderne, vous assistez à l'éclosion d'une industrie incomparable, capable de vaincre toutes les productions étrangères : on me citait le rendement de certaines productions qui dépasse le rendement japonais.
- Tout cela, le sait-on ? Je l'apprends moi-même en allant un peu partout en France. Ce n'est pas dans les dossiers qu'on le trouve toujours, même si les dossiers sont bien utiles. Mais rien ne remplace ce que nous faisons ce jour, vous et moi, vous avez la possibilité de vous exprimer, d'indiquer au chef de l'Etat, les points sensibles qui vous inquiétent, ce dont vous souffrez. Pour moi, c'est un motif de réflexion et aussi une directive pour ceux qui, à mes côtés, ont la charge de gouverner le pays.
- Et quand je vois sur place la qualité de ceux qui créent, je suis de ceux qui croient en la France et je ne doute pas du résultat de nos efforts. Je ne cultive pas le pessimisme et je lutte contre ceux qui l'entretiennent. On souffre, c'est vrai, et j'en dirai un mot dans un instant, mais j'ai la volonté, la persévérance, la certitude que notre pays recèle en lui-même des forces suffisantes issues de toute une histoire de mille ans, et même davantage. Quand je dis mille ans, c'est parce que nous allons célébrer dans 3 années, l'une des grandes dates, l'un des grands tournants de la France qui a accédé à l'organisation nationale autour d'une unité de direction et par le rassemblement de ses forces.\
Dans les Landes au service départemental de défense des forêts contre l'incendie, j'ai vu les premières tentatives, qui me paraissent très prometteuses, de surveillance de la forêt par les rayons infra-rouges, système couplé un ordinateur. Ainsi, on pourra en l'espace de peu de temps, et je sais l'aide qu'apporte le Conseil général, encore mieux surveiller cette immense forêt, grande richesse qui n'est plus exploitée autant qu'il le faudrait, et qui se trouve souvent interdite d'avenir par manque d'imagination et de constance. Cette imagination, elle est là, dans les Landes. Il y a la nation, et il y a l'Etat pour en tenir compte et en assurer le prolongement.
- Des questions agricoles, j'en ai parlé hier à Bordeaux. Je constate quand même que le département des Landes est aujourd'hui le premier département producteur de maïs et qu'une troisième production de maïs doux se met en place. Ce n'est pas très loin de Pau, décrétée capitale du maïs, mais enfin une capitale sans cette province-là, je me demande ce qu'elle deviendrait, monsieur le maire de Pau qui êtes devant moi...
- Lieu de mes vacances, dira-t-on ! Non, lieu de ma maison. Au voisinage direct des communes près du littoral et de celles de l'intérieur, j'ai appris à vous connaître. Vous n'êtes pas toujours si faciles. Mais vous êtes sûrs et, quand vous avez donné votre confiance, vous savez accueillir. C'est une forme de civilisation, sans doute parmi les plus fines, et les plus riches : savoir vivre ensemble, savoir dépasser ce qui nous sépare, souvent légitimement. Que diable, chaque individu a bien le droit de penser ce qu'il pense, je dirai même qu'il en a le devoir. Et je n'irai jamais reprocher à quiconque de penser autrement que moi, en lui demandant la permission de bien vouloir accepter que je pense comme je pense. Ce n'est pas toujours le cas.
- Oui, il faut apprendre à vivre ensemble. Ensemble, on a fait de grandes choses dans l'histoire de la France. Pourquoi cela se tarirait-il ? Parce que les temps sont durs ? Raison de plus. C'est dans les moments difficiles qu'il faut avoir la volonté et la générosité d'accepter les diversités, de ne pas s'arrêter aux obstacles, d'aller de l'avant, de bâtir l'avenir en réformant ou transformant les structures du présent.\
Je viens de vous dire ce que j'avais vu au cours de ce voyage. Il y a bien d'autres choses que je n'ai pas vues, mais dont je connais l'existence. La façon dont l'Aquitaine, autour de ses grandes métropoles, est devenue l'un des pôles technologiques de la France. Cela, on ne le sait pas non plus, habitués que nous sommes à considérer l'Aquitaine comme une terre du bien vivre - ce qui n'est pas si mal. On ne peut s'arrêter à cette grande et belle réputation qu'il faut entretenir : il faut aller plus loin.
- De bons exemples sont : le centre technique du bois £ les programmes aéronautiques £ l'institut des matériaux composites, à Pessac £ l'usine Elf-Péchiney-Toray de fibres de carbone, l'association du Conseil régional - cela s'appelle Azimut - qui rapproche aujourd'hui les grandes entreprises des PME et PMI £ Bordeaux-Technopolis, qui a l'ambition de rassembler tous les moyens d'information et de communication modernes en même temps que toutes les techniques. URBA 2000 à Biarritz, Bayonne, Anglet - l'autre tentative est dans le Nord, autour de Lille, Roubaix, Tourcoing - insérera toutes les technologies de la fin du 20ème siècle dans la vie quotidienne. Et cela commence d'exister. Ce n'est pas un projet, ce n'est pas un rêve. C'est une façon de vivre déjà complètement différente, dans le quotidien de la vie.
- On dira que je suis en train de faire du futurisme. Non, c'est aujourd'hui que cela se produit. On me le disait à Mouguerre qu'il faut modifier les technologies tous les trois ans et qu'il faut déjà réinventer ce qui apparaît comme le sommet de la technique, au moment où je parle. Quand on sait que dans cinq ans, la plus grande part des objets usuels que nous employons dans la vie moderne seront dépassés et que les nouveaux commencent à se fabriquer, plus encore que chez nous, dans trois grands pays du monde, est-ce que cela ne vous donne pas envie, soit de rattraper le retard, soit de servir nos avancées, en tout cas d'être en mesure de supporter, de vaincre, la compétition internationale ?
- Les Français ont été capables de faire leurs pays, de le construire, contre les ambitions voisines, d'arriver à bâtir leur pré carré, à le défendre aux frontières, contre tout ce qui venait du Nord, de l'Est, et des grands pays, à notre sud, qui ont représenté quelques sommets de l'histoire de l'Europe au 16ème siècle, au 17ème. La menace permanente des empires à l'assaut de cet occident où nous sommes, et nous y avons résisté et nous sommes là ! Et rien qu'en ce siècle, deux immenses guerres mondiales qui ont pris pour l'Europe l'atroce visage des guerres civiles. Les millions et les millions de morts, les désastres qui s'en sont suivis, et, certains d'entre vous, encore solides au poste, ont échappé au péril qu'ils ont vécu. Vous et moi, qui ont été témoins ou acteurs des événements qui ont bouleversé le monde entre 1940 et 1945, et vous les plus jeunes, sachez-le et apprenez-le : rien ne se fait sans l'apport des générations qui nous ont précédés. Fausse illusion des coupures et des séparations £ que de fois l'ai-je dit - et je le reprendrai ce matin à Mont-de-Marsan -: la mémoire de l'histoire est révolutionnaire.
- C'est cette mémoire du passé, le sens de la grandeur et de la tradition, qui donnent assez de force pour vouloir changer ce qui est dépassé et crée déjà les conditions qui permettront à nos enfants de vivre mieux, mais aussi de vivre rassemblés dans le même pays £ non seulement de se supporter, mais de s'entendre et de s'aimer, pour offrir un certain modèle de civilisation. Permettez-moi de vous le dire : je n'ai pas d'objet plus réel que de restituer aujourd'hui, à notre société, dans la difficulté et parfois dans la douleur ce qui fait le meilleur d'elle-même.\
Plus de justice ! Vous me parliez tout à l'heure des pauvres, des plus pauvres. Ceux qui ont été abaissés, ceux qui, à travers près de deux siècles de société industrielle, ont toujours été appelés à faire l'essentiel de l'effort, sont les mêmes, toujours les mêmes, de génération en génération. Je veux, avec leur-concours et leur soutien, relever ce défi et contribuer à faire que plus de justice règne en France. C'est ce que nous avons fait, monsieur le sénateur-maire et vous l'avez rappelé au-cours de votre exposé, par les grandes réformes, les plus grandes réformes réalisées depuis le Front populaire en 1936, et sans doute depuis le début de ce siècle, en France. Non seulement ce sont des réformes sociales, mais ce sont des réformes économiques. Nous cherchons à établir plus de justice et donc plus de compréhension. Nous ne disons pas aux Français : luttez les uns contre les autres. Nous constatons qu'une large fraction de la France souffre encore d'avoir été dominée ou exploitée par l'autre. Et nous ne disons pas des paroles de refus, ni de querelle. Nous disons à ceux qui ont connu le meilleur sort, que le moment est venu pour eux d'aider davantage, de contribuer et de comprendre que l'expression de ces gouvernements que j'ai mis en place, est celle d'un grand appel à la justice et que cela est dû aux plus faibles.
- Il se trouve que les réalités du monde sont devenues plus rudes encore, comme on ne l'avait pas connu depuis les années de la grande dépression, 1929 - 1930. Cette crise était déjà partie des Etats-Unis d'Amérique, crise d'une certaine forme de structure sociale, économique, d'une forme de civilisation. Et voici qu'à nouveau la crise est venue de l'extérieur, et qu'elle frappe de plein fouet un pays comme le nôtre, trop peu préparé à la supporter.
- Et nous sommes là comme des ouvriers qui doivent retrousser les manches devant toute une série d'incendies, et qui ne disposent que de leurs mains, sans autres moyens plus modernes pour y faire face comme il eût été nécessaire. Comme, bien entendu, l'incendie progresse encore ici ou là, on se retourne vers ceux qui ont pris la responsabilité de refuser cet -état de choses, ceux qui ont décidé de s'attaquer aux causes de l'incendie et pas simplement aux effets. C'est une comparaison qu'on comprendra, dans les Landes. Comment ne rencontrerait-on pas une certaine incompréhension, y compris de ceux auxquels nous destinons notre travail. Qui s'en étonnerait ? Pas moi, en tout cas.
- Mais cela renforce encore davantage la résolution qui est la mienne de poursuivre la tâche -entreprise, telle que l'a exprimée récemment le Premier ministre, le jeune Premier ministre que j'ai donné à la France `Laurent Fabius`.
- Oui, rassembler ceux qui le veulent. Ceux qui ne le veulent pas, qu'y puis-je ? Ils seront respectés. Mais ceux qui le veulent, et il y a en aura de plus en plus, les rassembler pour faire reculer la crise, pour gagner le combat dans lequel nous sommes engagés.\
Je le répète partout : il faut que la France gagne ! Elle gagnera, à l'évidence, si l'on sait répondre aux problèmes sociaux qui nous sont posés. Nombreux sont ceux auxquels nous nous sommes attaqués, avec succès. Je pense que les personnes âgées, les familles, les handicapés, même s'ils n'ont pas encore la situation qui serait souhaitable, ont tout de même pu enregistrer les sensibles progrès réalisés. Les bas salaires, aussi : le droit de vivre dans l'entreprise, de s'exprimer, d'être consulté, le droit d'être informé du projet qui conditionne la vie du travailleur. Et puis la capacité du cadre responsable, lui aussi, à s'exprimer davantage.
- Il est bien clair que ce qui est dit, un peu partout, soudainement sur la "nouvelle pauvreté", je le pense, moi aussi. Elle n'est pas née d'aujourd'hui. C'est une autre lèpre qui s'est répandue dans notre société depuis bientôt quinze ans. Ces termes-mêmes de "nouvelle pauvreté", ont été employés à l'instigation de quelques-uns et à la nôtre, dans des institutions internationales, il y a exactement douze ans. Mais c'est vrai que nous sommes pris à la gorge, que le chômage progresse dans l'ensemble des sociétés occidentales d'Europe et particulièrement en France.
- Cela fait longtemps que j'habite les Landes et que j'y ai trouvé mes amis. C'est vrai que pour toutes celles et tous ceux qui arrivent au terme du temps pendant lequel ils ont reçu des allocations, témoignage de la solidarité nationale, c'est l'angoisse, la misère, la pauvreté. Vous m'avez posé la question, monsieur le sénateur-maire, il y sera répondu. Le gouvernement devra à bref délai proposer des dispositions qui permettront de parer autant qu'il sera possible, aux effets de cette pauvreté. Quand on dit cela, il ne faut pas se tourner uniquement vers le gouvernement, vers le Président de la République. Tout effort de solidarité nationale exige la participation de tous. Quand on demande constamment de nouvelles mesures sociales et on a raison de le faire, il faut savoir que c'est sur le budget de l'Etat et donc sur les contribables français que devra être fait cet effort, à l'échelon national ou local. Il faut donc mesurer cet effort. Mais l'objectif essentiel d'un gouvernement inspiré par les thèmes qui sont les nôtres et pour lesquels nous avons été choisis en 1981, c'est bien de répondre à cette question : la solidarité nationale d'abord !\
Mais ne croyez pas, mesdames et messieurs, que la réponse sociale suffira. L'essentiel reste encore et toujours la capacité de production, le réveil de l'économie. Si vous ne créez pas de nouvelles richesses - pardonnez cette vérité de La Palice - vous ne pourrez pas les répartir. Et pour créer ces richesses, il faut délibérément choisir les industries : je pense d'abord aux industries agro-alimentaires, monsieur le Président du Comité économique et social d'Aquitaine, mais aussi à quelques autres grandes disciplines industrielles.
- C'est en étant capable de moderniser, d'équiper et de produire les marchandises qui se vendent et non plus celles qui n'ont pas cours sur le marché international que nous gagnerons cette bataille. Sinon nous serons envahis, comme nous le sommes trop souvent déjà, par les produits étrangers. On me dira alors : "fermez les frontières", dans ce cas ce serait fermer les frontières à nos propres productions. Et croyez-vous que l'on pourra faire des progrès si l'on se protège frileusement de toutes les technologies venues de l'extérieur, ? C'est seulement par le choix d'un combat ouvert, que la France, ouverte sur l'extérieur, gagnera.
- Que le meilleur gagne ! Ce meilleur, je vous le dis de toute ma foi, peut et doit être la France, notre pays. Est-ce que vous y croyez ? Vous me direz : "oui j'y croirais bien, mais il faut rétablir la confiance". Trop d'usines ferment, c'est vrai, le tissu de la production française s'est déchiré. Mais comment pourra-t-on réussir si l'on n'a pas d'abord les femmes et les hommes formés à ces nouveaux métiers. Tout commence donc par l'éducation, par l'instruction, par le savoir, tout commence par la ressource humaine. Voilà pourquoi nous consacrons tout notre temps et nos efforts à développer chez les jeunes et chez les adultes une connaissance qui leur permettra de maîtriser les industries nouvelles.\
Revenons aux Landes, à cette terre, cette forêt. La légende historique des Landes tourne autour de quelques professions que l'on ne connait plus : la résine, le bûcheron. La forêt, elle, est toujours là et même, contrairement à ce que l'on croit généralement, la forêt s'étend en France. Mais où sont les travailleurs de la forêt ? Ils ont disparu pour une bonne part. Pourquoi ? Parce que l'industrie française n'a pas été mise en mesure d'exploiter comme il convenait cette richesse. Aujourd'hui je le dis, et à Mont-de-Marsan on ne me croira pas, aujourd'hui les industries du bois sont en France le deuxième poste déficitaire de notre commerce extérieur, après le pétrole. Il suffirait que nous comblions ce fossé-là et on commence à le combler pour que notre forêt nous rapporte et donc qu'elle rapporte d'abord à ceux qui la travaillent. Il suffirait de rétablir ce poste-là pour qu'un large pan de notre économie reprenne le dessus avec les dérivés du bois. Je me réjouis de voir tant d'hommes et de femmes, et j'en connais beaucoup, qui dans ce département, qui ont repris pied, ont déjà suscité les technologies nouvelles, et sont en mesure d'utiliser la forêt sous tous ses aspects : le sol, les végétaux, la brousse productrice d'énergie £ enfin le bois lui-même, cette matière noble qui témoigne d'un degré de civilisation supérieure.
- J'étais heureux, dans cette grande menuiserie de Saint-Martial en Dordogne, de constater que les bois exotiques venus d'Indonésie pour fabriquer les portes et les fenêtres, d'abord choisis parce qu'ils résistent mieux à la corruption, commençaient à être remplacés par le pin des Landes. Désormais, tout un secteur de leur entreprise va se développer sur la base du pin des Landes, après un traitement qui a fait l'objet de cinq ans de recherche technologique. Le pin autant que les autres bois ouvre la possibilité d'un immense marché.\
Il y a des gens qui travaillent, pourquoi penserait-on toujours à ceux qui ont tendance à baisser les bras ! Pourquoi ne chanterait-on pas les louanges de ceux qui ont entrepris ! Ils courent des risques, souvent ils tombent et il faut les aider à se redresser. Mais plus souvent encore ils apportent la preuve que la France rassemblée autant qu'il est possible sera capable d'atteindre les rivages du siècle prochain avec tous les atouts d'une grande puissance.
- Oui, mesdames et messieurs, une grande puissance et je m'efforce pour ma part d'en témoigner sur le terrain de la politique extérieure qui fait assez peu souvent le thème des discours car cela parait loin. Mais en venant dans votre ville, je passais tout à côté d'une compagnie d'Infanterie coloniale £ avec des parachutistes que j'avais rencontrés à Beyrouth £ je les ai vus là-bas sur place : soldats de paix qui souvent circulaient sans armes dans les rues d'une ville en feu au milieu d'incendies, du sang et des morts. Ils avaient aménagé plusieurs quartiers très populeux où ils étaient considérés comme la sauvegarde des enfants qui allaient à l'école quand il y avait des écoles, des vieillards pour traverser les avenues, ou tout simplement pour les abriter derrière des pans de mur qui restaient debout. Oui, ces jeunes soldats ont fait cela. Quand ils sont partis, la totalité des partisans et ennemis au Liban pour une fois réunis étaient là pour les saluer, eux qui avaient été choisis pour assurer le passage d'un quartier de la ville à l'autre, là où s'accumulaient les ruines. Ces soldats français sont maintenant à Mont-de-Marsan.
- Et si au Tchad nous commençons à nous retirer, c'est parce que l'autre armée étrangère, celle qui a procédé à l'occupation du Tchad en venant du nord, se retire aussi. L'objectif est atteint : restituer à ce pays son indépendance et son intégrité, et au delà, protéger l'équilibre d'une Afrique trop souvent instable, amie de la France, formée par la France. Neuf chefs d'Etat étaient venus vers moi pour me dire : "venez ou c'est tout notre monde qui bascule". J'ai pris cette responsabilité qui n'a pas été accueillie de façon unanime. C'était bien difficile mais aujourd'hui nous pouvons partir en restant le regard fixé sur ce pays d'Afrique, résolus à tenir nos engagements, ayant en même temps assuré la paix, après avoir montré que la France était une amie fidèle et qu'elle pouvait continuer à être considérée par les autres, en tout cas par ses amis comme le pays protecteur des libertés.
- Je vous dis tout cela et je ourrai vous dire bien d'autres choses. Je laisse aller un peu mon coeur en m'adressant à cette foule.\
Je suis par votre grâce le Président de la République française. Est-il honneur plus grand pour un citoyen de notre pays ? Non ! il n'en est pas. Cela ne me confère aucun privilège, aucun droit particulier. Ma vie est celle que j'avais la veille, et elle continuera de l'être mais j'en en moi comme vous je n'en doute pas, l'amour de la France. Il y a des mots qui paraissent un peu vieux, employons-les néanmoins : l'amour de la patrie. Dans cette patrie, nous sommes et devons être frères. Des frères cela se querelle. Nous étions 8 frères et soeurs chez moi, je sais de quoi je parle. Nous sommes encore tous là, plus amis que jamais et pourtant la vie apporte tant de préférences contraires, tant d'opposition d'intérêt.
- Vous êtes les Français, vous appartenz à la même famille si vous le voulez, nul ne vous l'impose. Rassemblez-vous pour que la France réussisse, rassemblez-vous pour que la France gagne. Ayons le courage, la fermeté de caractère, poursuivons notre route, et ne changeons pas tout le temps de cap au point de ne plus s'y reconnaître. Tenons bon partout où il faut. Disons à ceux qui s'égarent, comme je le disais hier près de Bayonne : la France est une grande chose. Restons-y ! Je n'accepterai que personne veuille entraîner hors de l'unité nationale telle ou telle fraction du territoire, ni le moindre village. Voilà ma charge et mon devoir mais c'est aussi ma conviction : un grand pays moderne, un grand pays solidaire, un grand pays riche d'avenir. Les misères, les angoisses, les drames, je les connais, j'en souffre aussi et je lutte avec vous. C'est comme cela que nous atteindrons le but que nous nous sommes fixé.
- Merci à vous, habitants des Landes, de Mont-de-Marsan d'abord mais aussi des autres communes ou régions voisines, merci à vous Landaises, Landais mes amis, vous qui avez le coeur chaud, vous qui savez vivre, vous qui aimez quelques grands sports où il faut être costaud mais où il faut aller vite, où il ne faut pas trop avoir peur des plaies et bosses et où l'on sait respecter celui d'en face.
- Une comparaison me vient à l'esprit au moment de terminer : je l'emprunterai à la tauromachie dont je ne suis pas spécialiste, mais ici on connait cet espèce de face à face de l'homme avec l'animal, un animal noble £ cette observation, cette sureté qu'il faut, cette acceptation du risque et puis cette souplesse, ce mouvement esthétique qui veut que la cape suive, et voilà que le spectacle s'ordonne. C'est un spectacle grave en même temps. Non pas que je veuille magnifier un sport ou un spectacle plutôt qu'un autre. Je veux simplement dire qu'ici, il y a des femmes, il y a des hommes qui ont appris dans leur discipline culturelle, professionnelle, dans leur vie quotidienne à former leur caractère et leurs muscles, bref à dominer le temps de leur vie.
- Un pays doit faire comme cela. Il n'a d'histoire que s'il domine son histoire. C'est à cela que je vous appelle mesdames et messieurs, mes chers concitoyens.
- Vive Mont-de-Marsan,
- Vive les Landes,
- Vive l'Aquitaine,
- Vive la République,
- Vive la France.\