11 octobre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Marmande, jeudi 11 octobre 1984.

Monsieur le député-maire,
- Mesdames et messieurs,
- Je me réjouis de cette halte à Marmande, dans un voyage assez serré qui me conduira en moins de trois jours dans les cinq départements de la région d'Aquitaine, avec la difficulté imprévue d'un temps très beau en Agenais, obscur en Dordogne, et qui semble s'obscurcir à nouveau alors qu'il me faut venir en Gironde. Il faudra donc aussi m'excuser si les intempéries - je veux dire le brouillard tout simplement - m'ont empêché d'honorer exactement mes rendez-vous. Il vous a donc fallu quelque patience, mais enfin nous y arrivons et cette séance, dans cet Hôtel de Ville, après le passage dans vos rues de cette ville que je connais, que j'apprécie, où il m'est arrivé naguère de faire plusieurs visites, c'est pour moi une joie, un réconfort si j'en avais besoin, mais en tout cas une façon d'apprendre la France, que l'on ne cesse jamais d'apprendre, à mesure qu'on la connaît.
- Je me trouve dans une commune dont le maire `Gérard Gouzes` est pour moi depuis longtemps déjà un compagnon de l'action politique pour tenter de donner à la France le visage auquel nous travaillons, lui comme moi, d'autres encore. Nous avons pour mission certes de mener à bien les objectifs que nous avons choisis, mais aussi de les faire comprendre et admettre par le plus grand nombre et de respecter ceux qui ne les adopteront pas et qui appartiennent comme nous à la communauté française. Monsieur Gouzes est à l'heure actuelle un parlementaire qui a fait sa place. J'ai observé que le gouvernement l'avait chargé d'une mission intéressante puisqu'il s'agit de déterminer le statut juridique de l'exploitation agricole ce qui fait que ce maire citadin d'une région agricole peut sans nuire aux intérêts des uns ou des autres définir - et le gouvernement en tiendra le plus largement compte - un statut que l'on aurait dû mettre depuis longtemps en place. Vous me dites : parlez de l'avenir, c'est déjà fait, je me suis exprimé à la mairie de Périgueux, je me suis arrêté, entre-temps, dans une industrie de Dordogne très intéressante, très productive, l'une des gagnantes car il en est, on ne le dit pas assez et puis Agen où j'ai pu débattre avec les principales personnalités de l'Agenais et puis maintenant la réunion des dirigeants agricoles dans une petite commune proche d'Agen. Je vais continuer tout à l'heure sur Libourne, et sur Bordeaux.\
Devant chacun, je dis ce que je pense, je dis ce que je crois et je ne prends pas et ne prendrai pas de précautions. Je peux me tromper dans mon diagnostic mais, j'y réfléchis et j'y travaille, je m'efforce de prendre en compte tout ce qu'il y a d'utile dans la politique française au travers de la période qui nous sépare de la dernière guerre mondiale. Je ne rejette rien, mais j'essaie aussi de tracer la voie d'un changement indispensable pour que la France entre de plain-pied dans le monde qui s'organise, dur, difficile, audacieux, exigeant. La France y a sa place si elle sait la conquérir. Voilà ma réponse : si elle sait la conquérir. Et on ne la conquerra pas par les paroles de la facilité ou bien en se fermant les yeux sur la rudesse de cette concurrence, sur l'accélération des changements technologiques et scientifiques qui oblige à former d'un coup des centaines et des centaines de milliers, j'allais dire des millions, de femmes et d'hommes pour qu'ils exercent des métiers, pour qu'ils soient formés aux métiers qu'ils feront. Quant aux difficultés, mais il y en a toujours - vous en avez connu des périodes où il n'y en avait pas ? - l'environnement est plus dur qu'il n'a été depuis les années 1929 et 1930, deux chocs pétroliers, le choc du dollar, l'apparition de deux super-puissances dont l'une, dont nous sommes les alliés, n'en est pas moins une concurrente qui tend à être dominatrice, le changement que l'on pourrait appeler la rupture du monde industriel autour de ces nouvelles technologies qui crée une crise en Europe Occidentale qu'on n'a jamais connue, du chômage en France, mais du chômage dans les neuf autres pays de la Communauté et dont certains beaucoup plus que nous. C'est difficile, bien entendu, mais ne pourrais-je pas m'adresser à la conscience, à la réflexion, à l'intelligence, et au courage de mes concitoyens, serais-je obligé de faire semblant de croire que tout viendra, simplement parce que nous serions élus, choisis, sans qu'on s'occupe nous-mêmes de ce que sera ce destin ? Non !\
C'est à la force du poignet, expression à reprendre dans tous les sens que vous gagnerez avec la volonté de l'intelligence, la connaissance et le savoir, le refus de tout ce qui tend à vous distraire de l'effort. Arrière les démagogues ! A quoi servirait-il de représenter la France dans les fonctions que j'occupe si ce n'était pour assumer l'Histoire de France, telle qu'on peut la comprendre aujourd'hui en 1984 ? Je suis fidèle à ce qui fait ma raison d'être dans l'histoire politique, à l'idée que je me fais d'une société meilleure et j'y vais à l'allure que me permettent les circonstances, mais j'y vais, et j'en appelle à celles et ceux qui, ayant une bonne connaissance du pays, ceux qui ont appris à pratiquer un métier, ces paysans agriculteurs du Lot-et-Garonne, ces artisans, ces industriels, ces entrepreneurs, ces commerçants, ces professions libérales. Même si, dans un département comme le Lot-et-Garonne, la réalité industrielle n'est pas une réalité dominante, il n'en reste pas moins, y compris à Marmande, qu'on observe partout une montée de notre capacité industrielle dans le déchirement, car nous n'irons vers l'avenir que si nous savons nous défaire au passage de tout ce qui est dépassé.\
Le chômage, c'est le mal de la France et même c'est sa souffrance. Je m'imagine aisément la solitude et la révolte du plus jeune, le désespoir du plus ancien ou bien de celui frappé au milieu de son âge, comme inutile, au rebut. J'imagine même la révolte que cela suppose, et bien au-delà, du chômmeur, de tous ceux qui l'entourent et qui l'aiment et mon action n'aurait pas de sens si elle n'était entièrement axée pour répondre à cette question angoissée. Mais j'y répondrais mal si je faisais semblant, sauvant, et ne sauvant, que les apparences, en maintenant en place des industries qui n'en peuvent mais, qui ne le pourront pas, qui entraîneront dans leur ruine toute une partie de la classe ouvrière et au-delà de tout ce qui constitue l'ensemble des travailleurs de France. Je le répéterai à chaque étape : c'est pour eux que je combats, c'est pour eux que le gouvernement combat à mes côtés, même quand ils en doutent parce qu'ils souffrent, c'est parce que je veux préparer une France capable de reprendre une activité économique correspondant aux besoins de la concurrence internationale, qu'il me faut avec vous franchir ce moment déchirant, ce moment difficile où l'on se sépare de bien des restes du passé sans apercevoir encore les fondements de l'avenir. Oui, l'ensemble de notre peuple ne le voit pas, je m'efforcerai dès lors de lui dessiner l'itinéraire qu'il nous faut prendre. Beaucoup se retournent en arrière en disant : "mais si l'on faisait autre chose", bah, quoi donc, ce qu'on a déjà fait ?. Si nous étions capables, et nous en serons capables, tous ceux qui le voudront, personne n'y sera jamais contraint, de rassembler le meilleur de nos forces, et bien nous gagnerons. Attendez : ici il y a sûrement des anciens combattants, il y a peut-être même, enfin pas loin d'ici, des combattants de l'autre guerre, bon ils en ont vu deux ceux-là, ils auront vu à quel point la France avait cotoyé l'abîme, finalement on a gagné, voilà l'exemple dramatique de notre histoire mais il est des exemples beaucoup plus heureux, beaucoup plus joyeux, n'est-ce-pas dans vos équipes sportives, on en voit qui semblent disparaître, finies, effacées de la carte et en quelques dimanches, parce que quelques-uns y croient parce que les talents s'affirment dans la réussite collective, voilà que ça repart et toute une ville et une région enthousiaste se dit "on va gagner". Voilà je n'ai rien d'autre à vous dire. S'il faut un message aujourd'hui à Marmande, je crois en la France et je crois en vous. Je vous demande de croire dans ma volonté et mon assiduité pour servir notre pays sans exclusive mais avec la volonté très ferme de suivre la route tracée jusqu'au jour où elle sera reconnue comme la meilleure par le plus grand nombre, parce que nous aurons su montrer la patience et la ténacité, avancer jusqu'au point où l'on verra bien que l'horizon est clair.
- Mesdames et messieurs, merci d'avoir attendu. Imaginez si je m'étais trouvé tout seul en arrivant là ! Merci d'être là, merci de votre attention, puis-je vous dire merci pour votre aide ? Beaucoup répondront oui j'en suis sûr, nul le refusera.
- Vive Marmande,
- Vive la République,
- Vive la France.\