9 octobre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au dîner offert en l'honneur de M. Rudolph Kirchschläger, Président fédéral de la République d'Autriche, Paris, Palais de l'Élysée, mardi 9 octobre 1984.

Monsieur le président,
- Madame,
- Nous sommes très heureux de vous accueillir ainsi que les membres de votre délégation ce soir au Palais de l'Elysée et de vous souhaiter la bienvenue au nom du peuple français, en notre nom aussi, à l'occasion de ce qui constitue une étape importante, et marquera, des -rapports entre nos deux pays.
- Il y a trente mois, lorsque vous m'aviez reçu à Vienne, nous avions évoqué l'histoire de nos nations et les liens qui, malgré les affrontements, s'étaient créés entre elles. Au cours de cette première visite officielle d'un chef d'Etat français dans votre pays, nous avions cependant dû constater que nos affinités n'avaient pas suffi à créer entre nous un tissu assez dense.
- Depuis lors, comme nous l'avons souhaité, nos ministres, nos diplomates, les dirigeants de nos sociétés et de nos banques, nos créateurs, nos commerçants ont travaillé à resserrer nos liens et à accroître nos échanges. Je me suis efforcé, ce soir, de rassembler autour de vous, monsieur le président, madame, quelques uns des acteurs de cette -entreprise de rapprochement.
- Nous ne pouvions en quelques mois faire des miracles, mais il fallait commencer par créer des comportements nouveaux, de part et d'autre, par donner aux femmes et aux hommes de nos pays l'envie de se rencontrer, de travailler ensemble. Nous commençons d'en voir les premiers résultats.
- C'est tout d'abord la multiplication de nos -rapports politiques. A Vienne, vous avez reçu en février dernier notre Premier ministre `Pierre Mauroy` en visite officielle. Récemment, M. le Président de l'Assemblée nationale `Louis Mermaz` se trouvait être votre hôte. A été mis sur pied un système de consultations politiques régulières entre les secrétaires généraux de nos ministères des affaires étrangères. Nous entretenons avec vous, et nous continuerons de le faire, des contacts suivis dans les enceintes internationales - je pense en particulier au Conseil de l'Europe et à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe `CSCE` - où, grâce à votre politique de neutralité active, vous jouez un rôle essentiel.
- Nous avons pu faire adopter par l'Assemblée générale de l'Organisation de l'aviation civile internationale un amendement commun à la convention de Chicago sur le non recours à la force contre les avions civils. Et je n'aurai garde d'oublier que l'échange de prisonniers palestiniens et israéliens de novembre 1983, auquel la France a apporté sa contribution, avait été engagé, en son temps, par mon ami l'ancien chancelier Kreisky. Je dois aussi vous remercier, monsieur le président, du rôle décisif qu'ont joué vos diplomates dans la libération, en juillet 1984, de trois otages français détenus par le Mouvement kurde.\
Notre désir de renforcer durablement les relations franco - autrichiennes doit désormais s'étendre aux secteurs qui mettent plus directement en communication les populations de nos pays.
- Dans le domaine culturel, je constate un nouvel intérêt, en France, pour l'Autriche. Au-delà de ce que chacun connaît, qui fait partie de notre culture, on découvre des peintres qui étaient, sinon peu connus, du moins mal connus comme Klimt, Schiele, Kokoschka. On se presse aux représentations de "Terre Etrangère" de Schnitzler. On traduit Peter Handke. On prépare un colloque sur Mahler. On attend avec impatience la possibilité d'organiser au Centre Pompidou, en 1986, la grande exposition Paris - Vienne, qui fera découvrir ou redécouvrir l'extraordinaire fécondité de votre capitale au début de ce siècle.
- J'avais demandé en juin 1982, que nous incitions nos entreprises, et particulièrement celles du secteur public, à coopérer. Des projets existent. La nouvelle commission mixte réunie en mars dernier à Paris y a travaillé utilement. Et je souhaite, monsieur le président, que ces tentatives aboutissent, que s'accroissent nos échanges dont le niveau, vous l'accorderez, est encore trop modeste.\
Vous avez exprimé, à plusieurs reprises et avec beaucoup de conviction, votre crainte de voir l'Europe en plusieurs entités, séparée.
- La réunion, en avril 1984 à Luxembourg, des ministres des affaires étrangères de la Communauté européenne `CEE` et de l'Association européenne de libre échange `AELE` a permis de renforcer les relations entre ces deux ensembles. Devant le Conseil de l'Europe, le 30 septembre 1982, j'avais proposé le développement de certaines activités communes et je suis heureux que les 23 ministres de la recherche scientifique des pays membres de cette organisation se soient réunis à Paris, le 17 septembre dernier, pour jeter les premières bases de ce qui devrait devenir un véritable espace scientifique dans une Europe élargie.
- Si nos deux pays partagent les mêmes valeurs et bien des idéaux, ils sont également assaillis par les mêmes préoccupations qui sont celles de l'Europe d'aujourd'hui. Quelles que soient les difficultés, vous avez la volonté de pratiquer une politique de bon voisinage avec les pays européens, de l'Ouest comme de l'Est, à commencer par ceux qui constituent "l'Europe centrale". Et vous avez déclaré récemment, monsieur le président, devant le forum européen d'Alpbach que, je vous cite : "l'Europe sans sa vaste composante slave n'est pas l'Europe" et que, tout en étant conscients des oppositions fondamentales entre la communauté des pays du Conseil de l'Europe et le reste de ce continent, nous ne devons pas laisser se creuser davantage le fossé. Je pense ainsi, et il nous appartient, dans l'intérêt de l'Europe et du monde, d'organiser une cohabitation durablement pacifique en favorisant une coopération mutuellement profitable.
- A ce titre, le "Centre franco - autrichien de rencontres entre pays européens à systèmes économiques et sociaux différents" - c'est son nom - dont le cinquième colloque s'est tenu à Paris en juin dernier avec un grand succès et dont la prochaine réunion aura lieu à Vienne en novembre, apporte sa contribution à notre désir commun de maintenir ouvertes les communications avec les Européens du centre et de l'Est.\
Vous avez fait, on le sait, de la neutralité active le fondement de votre présence internationale et vous aimez rappeler que, je vous cite encore : "la paix, cela commence chez soi".
- Lorsque les grandes puissances s'affrontent, il peut arriver à l'une d'entre elles de penser que le pays qui n'est pas avec elle est contre elle. Je peux vous assurer que la République française, signataire du Traité d'Etat de mai 1955, et profondément attachée à la paix et à tout ce qui permet de la maintenir ou de la rétablir, aidera la République fédérale d'Autriche à préserver sa libre détermination et à développer la politique que son gouvernement et son peuple ont choisi en toute souveraineté.
- Egalement attachées à la paix - et nous en connaissons le -prix - la France et l'Autriche accordent la même priorité au problème du sous-développement dans le monde. C'est le chancelier Kreisky qui, en 1976, avait lancé l'idée d'un plan Marshall pour le tiers monde, enfin quelque chose qui s'inspirât du même principe. Et c'est à Vienne qu'ont eu lieu les réunions préparatoires au Sommet de Cancun. Votre pays est, parmi les plus riches, l'un de ceux qui consacrent une part importante de leur produit national à l'aide au développement. Et la France et l'Autriche ont dans ce domaine le même objectif : que l'aide au développement atteigne 0,7 % de leur produit intérieur brut `PIB`, ce qui est conforme aux objectifs internationaux définis par les Nations unies.\
Je souhaite, monsieur le président et vous madame, que votre séjour en France vous apporte les satisfactions que vous en attendez.
- Vous aurez demain encore une journée chargée qui vous permettra de rencontrer des personnalités de tous ordres, très représentatives de l'esprit des Français, de leurs opinions dans le -cadre des autorités diverses qui représentent nos institutions. J'espère que vous en tirerez le meilleur profit pour votre réflexion et je joins mes voeux à ceux de tous les Français qui désirent que partout, au cours de votre voyage, vous vous sentiez chez vous.
- Et vous, madame, vous avez bien voulu vous joindre au président pour ce voyage dont je dirai qu'il pourrait être fatiguant, mais vous avez une certaine expérience de ces choses puisqu'après dix ans de présidence et quatre ans d'une présence au ministère des affaires étrangères, ces rencontres, qui gardent sans aucun doute pour vous leur intérêt, n'en ont pas moins un aspect traditionnel ou habituel dont, après tout, vous êtes en mesure de tirer le meilleur.
- La France vous accueille, vous ai-je dit, avec plaisir. Nous tenons beaucoup à l'amitié de l'Autriche et nous avons pour elle beaucoup de considération pour son histoire, sa grande histoire, une des plus grandes histoires de l'Europe, pour son apport à la civilisation, l'un des plus importants apports à la civilisation de cette Europe que nous tentons de reconstruire.
- Vous avez souffert plus que tout autre des destructions de ces guerres civiles de l'Europe. Nous avons nous aussi sacrifié du sang, des biens et bien des espérances. Nous voulons donc, comme vous et avec vous, et avec d'autres, rebâtir ce que ce siècle a détruit. Pour cela nous avons de bons et solides moyens. Quelques lignes directrices faciles à définir. Nous sentons de plus en plus que nous appartenons, en dépit de nos statuts différents - cela va de soi - à la même communauté, ce terme n'étant pas employé dans sa définition politique, mais comme une réalité et une aspiration propres au continent que nous avons, vous et nous, forgé.
- Je lève mon verre à votre santé, à votre bonheur personnel, à celui de votre famille et de ceux qui vous sont chers, comme à vous-mêmes, mesdames et messieurs, qui accompagnez le Président de la République fédérale d'Autriche à Paris. Sachez qu'en levant mon verre je m'adresse à tous les vôtres et bien entendu, au-delà, au bonheur et à la prospérité du peuple autrichien, au développement de l'amitié et de la coopération entre l'Autriche et la France.
- Vive l'Autriche !, monsieur le président,
- Vive la France !\