6 septembre 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant le Conseil général de l'Isère à Chambéry, à l'occasion de son voyage en Savoie, jeudi 6 septembre 1984.

Mais non, monsieur le Président `Michel Barnier`, ce n'est pas une lourde charge. Vous m'avez posé des questions £ elles ont été clairement exprimées. J'y répondrai de la même façon.
- Vous avez su, les uns, les autres, poser ces questions dans le sens de l'intérêt général. Je ferai de la même façon. Ce n'est pas compliqué. Ce n'est même pas difficile. Les sujets, eux, sont très sérieux et exigent un examen le plus attentif, le vôtre, celui du gouvernement, le mien. Et ce qui est difficile, c'est de résoudre certains des problèmes posés, pas simplement en Savoie, mais dans toute la France.
- Beaucoup de commentaires, en effet, monsieur le Président, madame et messieurs, se sont attachés à cette rencontre. Moi, je ne sais pas quel sera le mien. Vous m'avez invité et je suis venu.
- Quel est le contenu, lourd de signification, de choses aussi simples ? Vous m'invitez £ je viens. On en tirera la conclusion que l'on voudra. Vous pouviez ne pas m'inviter. Je pouvais ne pas venir. Mais vous m'avez invité et je suis venu. Alors voilà un problème immense pour les grands cerveaux politiques qui, depuis lors jusqu'à ce matin, sont passés de l'approbation à l'anathème. J'ai d'ailleurs remarqué que l'anathème venait plutôt de vos rangs. Et que vous étiez visé plus que moi. Enfin, cela s'arrangera. Ce n'est pas mon affaire.\
Alors, je suis venu parce que j'ai vraiment la plus grande considération pour votre assemblée. Je ne m'attarderai pas dans les souvenirs personnels. Tout simplement, pour mieux me faire comprendre, je vous dirai que j'ai moi-même été 32 ans conseiller général, dont 17 ans, président de ce Conseil général - carrière interrompue en 1981 - cela dans le -cadre d'une représentation parlementaire qui a duré - je n'ose pas le dire - 35 ans. Et j'ai été maire d'une toute petite commune de moins de 3000 habitants pendant 22 ans.
- J'étais conseiller général, dans une région de montagne, pas si élevée que la Savoie : je connais nos limites et je ne peux pas prétendre que le Morvan puisse aspirer aux admirables élévations de la Savoie. Je ne dirais pas non plus que c'est un plus vieux pays. Cela pourrait paraître comme un air de supériorité. C'est-à-dire qu'il est plus usé. Mais enfin, c'est le vieux massif hercinien. Cela monte entre 600 et 900 mètres. J'ai donc vécu constamment avec le problème fondamental de l'agriculture de montagne. Je ne suis pas spécialement compétent, mais enfin, j'ai retenu tout ce qui m'a été dit par les praticiens, par les agriculteurs, par l'ensemble de la population vivant là et par les représentants syndicaux ou professionnels. J'ai retrouvé l'écho de leurs propos à travers ceux qui ont été prononcés ici par les uns et les autres et je sais qu'il s'agit, d'une façon générale, de gens sérieux - je ne mésestime pas leur opinion - mais je l'estime assez pour leur répondre de la même façon. J'y viendrai dans un instant.\
Vous, monsieur le sénateur, vous avez évoqué "les petits ramoneurs", image qui a marqué l'émigration des Savoyards. Chez nous, c'était les "nourrices" ou bien les "chauffeurs de maîtres". Alors, qu'est-ce qu'ils sont devenus ? Des agents du métro, de la RATP, des gents de police de M. le ministre de l'intérieur. Chaque pays pauvre - mais le vôtre n'est pas si pauvre, car il y a des vallées riches - expatrie ses hommes. Et je me souviens que lorsqu'il s'agissait de lutter, alors que j'étais dans l'opposition, pour obtenir l'implantation d'usines, d'entreprises, on m'a toujours dit "non", sous un prétexte très honorable : il n'y a pas de population, pas de jeunes, ils s'en vont tous. J'avais beau leur expliquer qu'ils s'en allaient parce qu'ils n'avaient pas de travail sur place, j'ai mis trente-cinq ans à n'être pas compris. Finalement, je n'ai été compris que par moi-même, c'est-à-dire que le jour où j'ai pu agir de mon propre gré. Je m'y suis appliqué, bien entendu, et certaines usines, petites entreprises, sont venues dans cette région contre l'avis de toutes les administrations, en dehors de toute politique, de l'inspection du travail, de très honnêtes et laborieux sous-préfets, de corrects préfets. Non, non, non, cela fait mille ans et même deux mille, depuis Jules César, que vos gens s'en vont parce que là, il n'y a rien à faire sur ce granit. Et puis, on a créé des entreprises et en l'espace de peu d'années, il est venu des centaines d'emplois tout simplement parce que les jeunes gens et les jeunes filles préféraient rester chez eux.\
Mais voilà la difficulté est grande aujourd'hui, à l'heure où je vous parle et déjà depuis quelque temps, avant que je ne fusse moi-même élu et depuis. Certes, des exemples pourraient être cités de grande réussite, d'initiatives, de travail remarquable, de capacité d'expansion et de vente. Mais, d'une façon malheureusement trop générale, notre appareil de production n'était plus capable de supporter la concurrence internationale. Il faut bien penser que si cet appareil n'est pas adapté, d'une façon ou d'une autre, de la façon la plus humaine ou la plus intelligente possible, s'il n'est pas adapté à cette concurrence, par quel étonnant privilège, si la production ne produit pas des marchandises qui seraient achetées en France ou à l'étranger, par quel sortilège ces entreprises pourraient-elles survivre ?
- Et on ne peut pas compter sur l'Etat pour constamment alimenter des déficits des entreprises privées, pas plus d'ailleurs que l'on peut imputer à l'Etat le licenciement de centaines, parfois même de milliers de travailleurs dans les entreprises privées, comme c'est le cas de Citroën, de Creusot-Loire. Et si l'Etat intervient dans ces sociétés, c'est parce que la loi - une juste loi - lui demande de se mettre du côté des travailleurs, des entreprises, pour tenter, par un examen aussi analytique que possible et impartial, de voir comment on peut réduire ces licenciements à ce qui est juste nécessaire, plutôt que de laisser un patronat, parfois insensible aux grandes difficultés de ceux qui ont contribué à la réussite de leurs entreprises, de façon à ne pas laisser les travailleurs à l'abandon.
- L'Etat intervient dans ce sens mais, ensuite, on le rend responsable, si, en dépit de ses efforts, il ne peut obtenir des entreprises privées, qu'elles renoncent à leurs licenciements. Il y a donc peu à peu une déviation qui se produit dans l'opinion publique. On a le sentiment que l'Etat est jugé responsable des entreprises nationales, ce qui est à la fois exact et faux, mais aussi de l'ensemble de l'appareil industriel français.\
Alors, je voudrais m'attarder un instant là-dessus. Il y a en effet xdes entreprises nationales et certaines de ces entreprises nationales, particulièrement dans la Savoie ont débauché un certain nombre de dizaines et peut-être même de centaines d'emplois, beaucoup moins, comme l'a dit l'un d'entre vous, que dans le secteur privé. La question que je propose, parce que je me la pose à moi-même, c'est : "combien de licenciements se seraient produits si les groupes en question n'avaient pas été nationalisés ?". Tous, madames et messieurs, tous étaient déficitaires, à l'exception d'un seul, lorsqu'ils ont été adjoints à l'extension du secteur public en 1981 - 1982. Tous étaient déficitaires. Ces chiffres ont été publiés, je ne concours donc à aucun discrédit. Ce serait d'ailleurs à retardement, car la situation s'est rétablie.
- Thomson allait vers l'abîme. Il en allait de même pour Rhône-Poulenc. Péchiney était en danger. Bull était perdue. Le seul groupe qui pouvait espérer l'équilibre sans y atteindre, c'était Saint-Gobain, le seul qui l'avait largement atteint, c'était la CGE. Je ne parle pas des entreprises de sidérurgie dans lesquelles ont été engouffrés, au cours de ces dix-huit dernières années, autant de milliards, plus de cent milliards de francs, 110 à 111 milliards de francs, sous des formes diverses et qui, naturellement, mettront plus de temps que les autres - dans le -cadre du plan que j'ai approuvé, le plan de reconversion - à retrouver leur équilibre.
- Or, toutes les entreprises, devenues nationales, à l'exception de ces deux groupes sidérurgiques, toutes seront équilibrées en 1985. Celle qui a le plus de difficultés de caractère financier, c'est Bull, qui revenait de loin avec, vous le savez, des alliances avec de grandes industries étrangères. Bull aurait été bénéficiaire, dès cette année, s'il n'avait pas à compenser tous ces bénéfices, par une charge financière, non industrielle, plus lourde que ses bénéfices de cette année. C'est dire l'endettement accumulé depuis des décennies. Cela n'avait pas été fait.
- Tel était l'enjeu de cet acte décidé par nous-mêmes : faire cet effort, disons de rationalisation, de modification des structures pour permettre ce que l'on appelle la "restructuration", un terme barbare. C'est-à-dire tout simplement que l'on cherche à restituer un peu de logique, ceux qui fabriquent ceci, et ceux qui fabriquent cela. Il y a trop de mélanges et de concurrences inutiles à l'intérieur d'un marché français qui reste malgré tout étroit, et qui suppose donc que chacune de ces entreprises soit capable de conquérir une part des marchés extérieurs. Et, le cas échéant, certains marchés extérieurs - je réponds à l'un d'entre vous qui est intervenu sur ce point - ne peuvent être conquis que si l'on dispose d'entreprises, d'usines installées à l'étranger. De telle sorte que l'on assiste aujourd'hui à une reprise en main qui donnera sans aucun doute et d'ici peu des résultats très heureux pour l'emploi.\
Mais nous sommes dans la phase difficile, dans la phase où il s'agit de vivre sans perdre espoir ni courage, sans se laisser abattre par les campagnes politiques, où il s'agit de moderniser, d'adapter - employons les termes les plus simples - nos entreprises au marché. Cela n'est pas un souci particulier aux libéraux, aux socialistes pris en tant que famille très vaste à l'intérieur desquelles il y a beaucoup de sous-familles d'esprit. Les uns et les autres, qui ont leurs préférences, et c'est parfaitement respectable, pour des structures ou des systèmes de production, ont pour objectif de réaliser le maximum de profit afin de redistribuer ce profit. Là interviennent des systèmes de répartition, depuis ceux qui ne répartissent rien jusqu'à ceux qui répartissent beaucoup. Et l'ensemble des visages politiques que nous offre l'Europe nous montre une grande variété de cas de figure. Mais, en toute hypothèse, il faut bien que ces entreprises aient des bénéfices si elles veulent pouvoir entretenir le travail, payer correctement et justement les travailleurs. Et il me semble - c'est ma conception, je ne condamne personne à penser comme moi - qu'une entreprise est l'entreprise de tous ceux qui y travaillent et qu'il ne serait pas normal d'assister à des disparitions d'entreprises multiples, laissant des centaines et parfois des milliers de travailleurs dans la misère tandis que l'on voit le propriétaire du capital se retirer, fortune faite, sur la Côte d'Azur ou aux Bahamas, si l'on veut rester à l'abri de l'impôt sur les grandes fortunes.
- Il faut donc penser que notre entreprise est logique. C'est pour l'emploi que travaille le gouvernement, avec la nécessité d'aborder la crise où nous sommes, de telle sorte qu'avant d'obtenir rapidement les résultats souhaités sans crier en quoi que ce soit à la certitude, et sans en quoi que ce soit faire des promesses inutiles, c'est pour l'emploi et pour les travailleurs qu'il faut maintenant créer un instrument moderne de production. Pour y réussir, on a besoin de tout le monde. On a besoin de ceux qui apportent leur compétence, leur esprit d'invention. Ce sont des créateurs, des inventeurs. On a besoin de ceux qui sont capables de diriger et qui doivent diriger. L'autorité ne se divise pas lorsqu'il s'agit de la décision. On a besoin des cadres, c'est-à-dire de ceux qui ont la compétence et qui sont capables de savoir comment s'organise le travail, en même temps qu'une haute conscience des finalités. On a besoin des travailleurs, lesquels n'ont pas besoin d'être considérés comme une sorte de prolétariat soumis à l'intérieur de ce dont je parle. De multiples chances doivent être offertes pour qu'il y ait un mouvement d'un poste à l'autre, un accès aux responsabilités. Et ces travailleurs, à quelque poste qu'ils se trouvent, doivent pouvoir se sentir eux-mêmes concernés par la résussite commune. Nous y travaillons.\
Dans le -cadre de la Savoie, je vous demanderai simplement de noter que c'est moi que vous aviez invité, ce n'est pas le Premier ministre. Du reste, ce n'est pas le Premier ministre qui est venu à Montmélian. Mais je ne voudrais pas me substituer à lui. Je réagirai donc plutôt comme quelqu'un qui a une charge particulière, unique, la Présidence de la République et qui donc doit être à l'écoute, de tout ce que vous avez dit messieurs, qui vous êtes exprimés, je n'ai pas cherché à savoir, même si on me le disait, quelle était votre nuance politique. Vous avez d'ailleurs tous dit des choses que j'ai reconnues comme solides, bien informées et honnêtes par -rapport à votre mandat. Vous faites le travail que vous devez faire pour justifier la confiance de ceux qui vous ont choisis. C'est pour cela que j'ai bien reconnu la tonalité de mes anciens collègues du Conseil général. C'est une bonne assemblée à laquelle j'étais très attaché. Et j'ai eu de la peine, croyez-le, ce n'est pas un jeu de scène, lorsque - c'était mon premier voyage, après avoir été élu Président de la République - je suis allé devant mon propre Conseil général : tous les groupes, comme vous l'avez fait ici, m'ont fait leur petit discours, discours critique pour ceux qui auraient préféré qu'un autre fût élu à ma place, discours approbateur pour les autres et qui tous avaient le respect de la démocratie. J'ai reconnu ici la même tonalité et je vous en remercie.\
Les problèmes qui ont été traités sur le -plan purement industriel, je ne peux en faire l'examen. Je traiterai les problèmes concrets que vous m'avez cités avec une intention particulière.
- Des primes de l'aménagement du territoire : oui, c'est vrai, la Savoie n'est pas sur la carte des aides. D'ailleurs tout le monde ne peut pas y être. En plus, il y a l'intervention de l'Europe, comme vous le savez, la Communauté européenne `CEE`. Si tout le monde s'y trouvait, cela ne serait plus incitatif pour personne. Et le principal critère qui a été retenu, bien avant 1981, ce n'est pas une invention saugrenue de la majorité présente. Elle a d'ailleurs beaucoup imaginé, rarement d'une façon saugrenue, mais enfin, cela peut arriver et c'est arrivé à d'autres. Ces aides, elles ont été définies il y a déjà bien longtemps. Elles n'ont pas visé la Savoie parce que vous avez été victimes, au moment où cela a été fixé, d'une situation qui était meilleure que celle de beaucoup d'autres départements.
- C'est vrai, les Savoyards sont très travailleurs, sont très organisés et ont beaucoup de bon sens. Ils s'adaptent très vite et c'est ainsi qu'au moment de la "grande bourrasque", la moyenne du chômage chez vous était de 7 %. On m'a dit que la moyenne nationale dépassait 9 et atteignait 10. Alors, dans l'effort qui a été fait, et cela a commencé en 1973 et 1974, on a dit : eh bien, la Savoie, elle se défend toute seule ! Et je me rends bien compte, c'est un des enseignements parmi les plus utiles que je retirerai de cette visite, que c'était vrai et cela n'est plus. Et que, de ce fait, cela a été fort bien exprimé par M. le président Barnier, vous connaissez une accélération de la désintégration industrielle qui donne à ce mouvement économique une allure catastrophique. Vous ne vous reposiez pas sur vos "modestes lauriers", mais enfin vous aviez sans doute acquis une certaine assurance que vous étiez mieux protégés que d'autres. Et voilà que ce n'est plus vrai. Donc cela nécessitera sans aucun doute un examen que je confierai au gouvernement dès mon retour.
- Je ne m'attarderai pas sur les questions très intéressantes mais particulières. Vous me dites Fusalp, vous me dites Empereur, vous me dites Cit-Alcatel, ... toute une série d'entreprises. Voilà le problème savoyard et il est relié au problème national. Il ne m'appartient pas de me transformer, non seulement en Premier ministre, mais aussi en ministre du travail et de la formation professionnelle, ministre de l'intérieur, ministre de l'économie et des finances, en dépit de certaines caricatures où j'ai retrouvé mon visage sur le buste de chacun de mes ministres, caricatures très amusantes mais qui ne reposaient sur rien. Je fais mon travail mais je fais confiance au gouvernement selon les termes constitutionnels qui lui donnent la responsabilité des affaires dont nous traitons. Seulement, moi, je dois l'informer. Et si vous avez l'obligeance, comme vous l'avez, de me dire à moi par où le bât vous blesse, d'où nait votre inquiétude, comment vous examinez vos responsabilités, alors mon devoir c'est de transmettre et si possible, ayant compris, de dire aux responsables comment je verrais, en accord avec les élus que vous êtes, les corrections utiles à la situation de la Savoie.\
Vous m'avez parlé de la base aérienne du Bourget du Lac. La décision a été prise dans le -cadre de la loi de programmation militaire, vous le savez. Là aussi il s'agissait de modernisation des armées, de la maîtrise d'un énorme budget, et la fermeture définitive est prévu pour le 1er octobre 1985,. Ce n'est pas contre cela que vous vous élevez, même si vous l'avez regretté, vous l'avez dit tout à l'heure. Il faut maintenant savoir s'il y aura ou s'il n'y aura pas des entreprises de remplacement, d'animation pour la vie de la région, pour la densité humaine : pour tout ce que cela représente.
- Je n'entrerai pas dans le vif du sujet. Je dirai simplement que, d'après les informations dont je dispose, et j'en ai, la Savoie sera bientôt informée de la réalisation d'un important projet industriel. Et comme cela dépendra beaucoup de la volonté de l'Etat, vous pourrez constater si l'Etat tient compte des conséquences dommageables pour votre département du départ de la base.
- Je vous répète, moi, je suis un peu dans l'embarras car je ne veux pas dispenser mes promesses et puis entrer dans les détails qui ne sont pas de mon ressort. Cependant vous avez la possibilité, monsieur le président, d'être en relation avec M. le Premier ministre et les ministres responsables. Vous verrez se réaliser cette information dans un bref délai. S'agit-il de telle entreprise, vous allez me dire, plutôt que telle autre. Discutez-en. J'ai quelque idée sur ce sujet, mais je pense que le Bourget du Lac ne restera pas inemployée.\
Les problèmes routiers. Là-dessus j'ai administré comme vous-mêmes un certain nombre de situations qui étaient loin d'être agréables ... Que deviennent nos routes quand la direction de l'équipement organise soudain, un soir, des circuits de déviation qui protègent les belles routes dont elles ont la charge et qui détruisent en une nuit, quelquefois pour des milliards de centimes, les pauvres routes que nous entretenions en tant qu'élus locaux, avec tant de soin ? Et on se retrouvait le lendemain matin devant un désastre.
- Je me souviens de la façon dont l'Etat s'est déchargé de la plupart de ses routes nationales. Et d'un seul coup on s'est trouvé nous, conseillers généraux, avec en charge plusieurs milliards de centimes parce que l'Etat n'avait gardé à sa charge que la seule route qui dans ce département longe la Loire, en passant par la capitale du département, Nevers, abandonnant tout le reste, et j'étais l'élu du reste. Je me souviens de quelle façon l'Etat a abandonné le canal du Nivernais, en disant, on va le mettre à sec ou bien, le cas échéant, faites-en donc une autoroute. Imaginez une autoroute, à la place de ce canal, avec les admirables ouvrages d'art construits depuis le 17ème siècle, c'est vraiment dommage. Le département l'a pris courageusement à sa charge. L'Etat, très généreux, a offert 300 millions de centimes. Cela en a coûté 2 milliards et ainsi de suite ...
- Donc, que je n'ai pas le sentiment, en sortant d'ici, d'avoir provoqué, à cause de la politique des gouvernements que j'ai désignés, d'être à l'origine d'une sorte de destruction générale du système français. J'ai vécu cela et je m'efforce d'y parer. Et je vous ferai une réflexion de bon sens, monsieur le président, et vous messieurs, qui vous êtes exprimés, de simple bon sens : si cela avait été fait, on n'aurait pas à le faire. Je reconnais que les lapalissades ont toujours quelque chose de choquant. Mais enfin, ce n'est pas moi qui ai installé les grandes et belles stations savoyardes et la neige. Ce n'est pas moi qui les ai inventées, ce n'est pas moi qui ls ai mises en place. Ce sont des gens, d'ailleurs, j'en ai connu certains, qui étaient vraiment des créateurs. La façon dont s'est créé Courchevel, Tignes. Il y a des choses remarquables. Mais peut-être fallait-il penser à assurer la communication entre ces stations très belles, parmi les plus belles d'Europe, du monde, et le reste du pays. Si bien que vous avez des points terminaux qui sont remarquables, vous avez des villes qui sont au point - je pense à celle-ci - vous avez quelques axes routiers très convenables dans le département, là où la plaine l'emporte sur la montagne, du moins des vallées, et vous n'en avez pas là ou des dizaines de milliers, des centaines de milliers de gens, venus de toute l'Europe, se précipitent chaque hiver. Ce n'est pas logique, mais, le problème posé maintenant au ministère compétent, c'est de pourvoir à tout cela et de répondre à une revendication juste, mais qui exige tant de crédits qu'on est bien obligé de programmer, en essayant de rattraper en trois, quatre, cinq ou six ans, ce qui ne l'a pas été pendant trente ans.\
`Suite sur les problèmes routiers de la France`
- Voilà pourquoi les dossiers importants, on peut les mettre en exergue £ je pense à la traversée de Montmélian, financée en partie : 4 millions de francs sur 1984, le solde sur 1985. L'autoroute Montmélian - Port Royal : les études aboutissent à l'heure actuelle à une enquête publique imminente. La nationale 90 en Tarentaise - on a souvent parlé de la Tarentaise aujourd'hui, je veux dire, au cours de mes rencontres avec la population - : 600 millions de travaux. C'est vrai que la part de l'Etat n'est que de 125 millions de francs. Comment pourrait-on compléter ? Faut-il penser au fonds spécial de grands travaux ? Je retiendrai cette idée. La voie rapide urbaine de Chambéry : l'aménagement était encore à faire, il y a des écrans anti-bruit. Cela représente environ, d'après les chiffres que l'on m'a fournis, 30 à 35 millions de francs, cela peut être examiné dans le -cadre du programme 1985. Ces programmes ne sont pas encore arrêtés. Vous m'avez donné ce dossier : cela me plairait beaucoup que de pouvoir répondre de façon positive. J'y travaillerai sans prendre le risque de désorganiser le budget de l'Etat.
- On m'a beaucoup parlé aussi de la route d'accès au Fréjus £ c'est vrai qu'entre le Fréjus et le Mont-Blanc ... il se trouve que le tunnel, il est là-bas. Fréjus, pourtant, c'est la route historique autant que je me souvienne. Il est vrai que dans l'histoire, on ne passait pas sous les montagnes £ on passait dessus. Maintenant il y en a qui passent dessous et vous, vous continuez à passer, par toutes les voies d'accès, dessus : c'est plus long et plus difficile. Et avant que l'on ne puisse organiser une voie de communication comparable avec l'extérieur, naturellement il faudra du temps et beaucoup d'argent. Voilà la réalité, il ne s'agit pas de la masquer. On ne peut pas dire : il faut, il faut, il faut... moi, je vous réponds : voilà comment se pose le problème.\
La montagne : vous m'en avez parlé, monsieur le Président, et bien entendu, vous-mêmes, je veux dire avec M. Caron, avec la compétence qui vous est reconnue, vous l'avez fait d'une façon plus détaillée.
- La loi sur la montagne. J'ai eu l'occasion - c'est pour cela que c'est encore assez frais dans mon esprit - d'en parler lors d'un voyage récent que j'ai fait dans la région Auvergne, et particulièrement dans le département du Cantal, dont l'un des représentants est actuellement secrétaire d'Etat à l'agriculture `René Souchon`. Il a été voté la proposition de la commission qui porte le nom de l'un des vôtres, je pense à M. Louis Besson, député de la Savoie. Elle apporte certaines satisfactions, pas toutes. Faut-il parler de la structure du massif, faut-il parler du fonds de péréquation, de la possibilité, déjà étudiée, d'un statut pour les pluriactifs ? Une revalorisation de l'indemnité spéciale de montagne est prévue. C'est moi-même qui l'ai annoncée au cours de ce voyage d'Auvergne, c'était au mois de juillet 1984, il n'y a pas très longtemps, deux mois. Et environ 60 millions de francs ont été prévus pour cela dans le budget 1985. Les modalités - vous le savez certainement - sont actuellement en discussion avec les professionnels. C'est vrai que le gouvernement souhaiterait réduire l'indemnité aux petits troupeaux. La discussion est sur ce terrain. Nous appliquons une politique contractuelle. Vous exprimerez votre pensée très librement £ d'ailleurs, vous en avez l'habitude et la compétence.
- Mais, s'il y a une loi sur la montagne, s'il y a une revalorisation, il y a aussi le problème de l'extension des zones de montagne. Dans la Savoie, me dit la note que j'ai sous les yeux, 219 communes sur 310 sont classées, c'est une proportion très forte, la proportion naturellement, aussi, des zones montagnardes qui est plus forte qu'ailleurs. La décision dépend, vous l'avez dit, monsieur le président, beaucoup de l'Europe `CEE`. Il importe que le gouvernement appuie le dossier de demande d'extension de la Savoie. Nous le ferons.
- Pour les bâtiments d'élevage, c'est vrai - et il faut le dire - que les subventions destinées à la Savoie, je crois que c'est une trentaine de dossiers, sont actuellement bloquées, à la région. Parce que la région - c'est son droit, elle a aussi ses priorités, je ne suis pas son avocat, je ne suis pas non plus son procureur - la région donc a, en fait, refusé cette priorité-là dans le contrat de plan.\
Alors, vous m'avez parlé de la production laitière. Eh bien, monsieur le président, vous qui vous adressiez à moi tout à l'heure, j'ai négocié, en effet, avec le ministre des relations extérieures, M. Cheysson, le ministre des affaires européennes, M. Dumas, le ministre de l'agriculture, M. Rocard, j'ai négocié moi-même le problème des quotas laitiers, et je demande que l'on parle comme on doit le faire, à des gens comme les savoyards, qui sont rudes, mais qui savent ce que c'est que travailler, et qui savent ce que c'est que produire.
- On produit en Europe 105 millions de tonnes de lait. On en consomme 85 millions. On les consomme et on les vend. Restent 20 millions de tonnes stockées. Le stockage coûte cher et le prix est garanti, c'est-à-dire que l'agriculteur, le producteur est payé, le stockage est payé et l'Europe accumule ses déficits. Dans l'Europe, nous y sommes, si les déficits s'accroissent, les restitutions agricoles se tariront, c'est-à-dire que toutes les autres catégories d'agriculteurs qui exportent, et nous avons une puissante industrie agro-alimentaire, verront s'arrêter les reversements de l'Europe. Est-ce que ce problème ne méritait pas d'être examiné carrément ?
- Dans les décisions qui ont été prises, il a été décidé que des quotas laitiers réduiraient, par définition, la production du côté italien et du côté grec sur la base de ce qu'ils possèdent déjà, car ils achètent aux pays comme les nôtres et ne comprenaient pas très bien qu'on les oblige à réduire leurs propres productions au point qu'ils payaient deux fois puisqu'ils devaient continuer d'acheter en plus grande quantité leur consommation à des pays forts producteurs. Le premier pays producteur de lait c'est la France, environ 27 millions de tonnes avant l'Allemagne, environ 25 millions de tonnes. Et pourtant la France a été frappée d'un quota qui réduit de 2 % la production. Les autres pays Allemagne, Angleterre, beaucoup plus.
- Le marché a été déséquilibré, vous le savez bien, parce qu'il y a ce que l'on appelle, les pays à usine à lait, dont la production au cours de ces dernières années s'est parfois accrue de 30 %. C'est le cas de la Hollande. Et si elle s'est accrue de cette façon, c'est parce que des facilités ont été accordées pour acheter les produits de substitution, les tourteaux, les sojas et le reste, aux Etats-Unis d'Amérique, sans taxe. Les produits pénètrent à l'intérieur de la Communauté sans protection, contrairement au reste du système. Il y a donc d'une part des usines à lait, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas agricoles et elles se fournissent, en ayant naturellement de grandes économies dans leurs achats, en Amérique sur des produits qui pénètrent sans taxe. Cela est le résultat de quoi ? Cela est le résultat d'un accord international qui s'appelle l'accord GATT - quatre lettres G-A-T-T-, ce que l'on appelle aussi les Tokyo rounds, vous connaissez bien ces choses, simplement à la lecture des journaux. Et le gouvernement français, d'il y a bien longtemps, a contresigné cet accord. Je ne peux donc, pour ce qui concerne la France, en sortir qu'en renégociant cet accord. Et la négociation avec quarante, cinquante pays, ça ne s'arrache pas comme ça ! Surtout que les Etats-Unis d'Amérique disposent d'une vaste clientèle sur la scène internationale et tiennent à ce que leurs produits continuent d'envahir l'Europe : voilà le problème, un accord international signé il y a plus de dix ans.\
Montants compensatoires, monsieur le président, c'est très bien. Mais les montants compensatoires, ils ont été institués à la demande de la France en 1969. A la demande de la France .. Voilà, et ils ont été engagés par la Communauté `CEE`. Il faut donc convaincre neuf autres pays, dont ceux qui bénéficient de ces disparités monétaires. Et il est difficile de les convaincre. On y est quand même parvenu puisque finalement les Allemands y ont renoncé sur sept mois, huit mois au 1er janvier, puis sur deux ans. Alors, il faut poser aussi ces problèmes et c'est la production française parmi les grandes productions laitières qui a été le moins réduite : 2 %, beaucoup moins que les autres grands pays, Allemagne, Angleterre. Et cette différence de 2 % est compensée par le succès des indemnités de départ pouvant aller jusqu'à 30000 francs par an : le nombre de demandes a dépassé les suppositions, les prévisions, de telle sorte qu'aujourd'hui, la diminution de la production laitière française, sans réduire en rien la production de ceux qui sont actifs, la production des jeunes qui s'installent et qu'on encourage à s'installer, dépasse 3 %, peut-être 4 % et annule complètement les effets de la disposition européenne. C'est-à-dire que vos agriculteurs, monsieur le président, n'auront pas à réduire leurs productions. On ne peut donc pas traiter ce problème comme si ce que je viens de vous dire n'existait pas et qui vient contrarier toute la logique impressionnante de l'explication que j'avais entendue.\
Les Jeux olympiques en 1992, les jeux d'hiver, nous sommes pour, on vous appuiera. Le problème qui reste posé, c'est qu'il ne faut pas que ces jeux d'hiver entrent en concurrence avec les jeux d'été qui comme vous le savez, sont demandés, enfin, je crois le savoir, par la ville de Paris. Alors, naturellement si on nous dit : "vous aurez les uns et pas les autres", si les deux dossiers sont instruits en même temps, et les chances de réussite à peu près égales, on donnera une préférence aux jeux d'été. Si les choses ne se passaient pas ainsi, nous continuerons de plaider, du mieux possible, pour la Savoie.\
Vous avez beaucoup parlé de la décentralisation, messieurs, et j'avais envié à tout moment d'intervenir en vous entendant, ayant retrouvé tout d'un coup un certain goût pour ce genre de discussion qui ont nourri mon esprit pendant tant d'années et qui m'avaient fait bâtir au-delà de nos contradictions politiques bien des amitiés qui durent avec mes collègues de l'époque, qui restent aujourd'hui mes amis et mes commensaux, et parmi lesquels certains dénoncent avec vigueur la politique que je conduis. Mais l'amitié et l'estime mutuelle ça reste. Ils me disent quelques fois la même chose que vous, et je leur réponds plus crûment que je ne le ferai avec vous. Vous m'avez invité, je suis venu, donc je suis tenu à respecter les usages dont la camaraderie permet de dispenser, parfois, les interlocuteurs. Et je vous dirai, messieurs, sur la décentralisation : ce que vous avez dit n'est pas exact.
- D'abord j'ai admiré le sens dialectique de M. le président du Conseil général de la Savoie `Michel Barnier` : il a dit que cela avait commencé déjà insensiblement, et puis il faut le reconnaître, un petit peu plus fort, à partir de 1981. Tellement plus fort que la plupart des bancs de l'opposition ont voté contre... Effrayée de ce bond en avant. Oui, c'est vrai, c'est à partir de là que pour la première fois dans le système colbertiste, jacobin, napoléonien, l'Etat a accepté le sens inverse, a accepté de perdre une large partie de ses pouvoirs et compétences et donc de ses financements. Mais là-dessus on se retrouve, aujourd'hui nous sommes tous pour et j'observe avec intérêt et un certain plaisir que ceux qui étaient le moins pour, sont ceux qui voudraient que cela allât plus loin. Eh bien je suis disposé à aller plus loin avec eux à la condition de savoir de quoi on parle !\
Eh bien, madame et messieurs, les financements des compétences décentralisées ont été si scrupuleusement établis qu'elles ont été effectuées sous le contrôle d'une commission. Cette commission s'appelle "Commission d'évaluation des charges", est présidée par un magistrat de la Cour des comptes. Les élus locaux y sont majoritaires et les élus de l'opposition sont les plus nombreux.
- Depuis 1983 la Commission a toujours constaté à l'unanimité que les mesures de compensations financières permettaient de couvrir exactement - c'est leur terme - au centime près - c'est leur terme - les charges des compétences transférées. Voilà ce que j'oppose aux arguments que vous me citez. Qu'est-ce que vous voulez : nous nous adressons à l'opinion et je ne peux pas laisser croire à l'opinion une erreur d'appréciation qui provient d'une mauvaise information, la vôtre. Je suis donc obligé de la corriger.
- Ces compensations sont exactes, donc, au centime près, c'est-à-dire que toute compétence transférée qui appartenait précédemment à l'Etat, transférée à une région ou à un département, a été accompagnée de la soustraction aux finances de l'Etat au centime près et apportée à la collectivité locale bénéficiaire de la compétence : 50 % sous forme d'une dotation générale de décentralisation et 50 % par des impôts transférés. Cela correspond au souhait du Parlement de faire moitié/moitié en laissant donc une marge fiscale fort précieuse aux élus locaux. Oh je sais bien que l'on dit : "mais ce sont des impôts pourris"... oui, mais enfin ces "impôts pourris", la carte grise et la vignette automobile, les droits de mutations, ont été choisis en fonction de quelques critères. D'abord ils sont facilement localisables. Et comme il s'agit de pouvoirs locaux, c'est indispensable. La TVA, la TIPP, ce n'est pas facile de les localiser ! Et pendant plusieurs années, avant ce transfert, le rendement de ces impôts a progressé chaque année plus vite que les dépenses qu'ils compensent. Alors, si vous trouvez un meilleur système, je suis preneur. Mais je tiens ici à dire que les financements ont suivi exactement les transferts.
- Je le répète, mais comme je me suis flatté tout à l'heure, d'avoir été votre collègue, conseiller général, je sais bien comment cela se passe : au travers de la décentralisation vous voudriez obtenir de l'Etat ce que vous n'obteniez pas, ce que nous n'obtenions pas lorsque la décentralisation n'était pas faite. Nous avions par exemple un plan de 14 collèges et j'ai fait moi-même des interventions multiples pour dire à l'Etat "prenez-les". Il ne les prenait pas .. Alors le Conseil général avait établi une liste, il en faisait un par an sur ses frais. Maintenant que c'est décentralisé, on prend ce que l'on donne, mais en plus on demande le reste ce qui peu à peu oblitère le sens même de la décentralisation dans l'esprit public. Si en effet on entretient cette idée dans l'opinion que l'on prend tout ce qu'on vous donne et on demande le complément .. Seulement on a peut-être besoin de l'Etat. Je ne sache pas que votre théorie politique soit celle, fort intéressante de Bakounine. Il y a indiscutablement des besoins qui doivent être remplis par la puissance publique à l'échelon national. Mais sur un certain nombre de points, vous avez raison.\
Je m'efforce d'être juste dans ce que je vous dis. J'ai quelques réponses à vous apporter. Vous avez souhaité, monsieur le président, que les services de l'Etat et le préfet ne soient plus à la charge du département. C'est logique. Donc l'Etat financera ces dépenses qui lui incombent. Pour cela il prélèvera les sommes nécessaires soit sur cette fameuse dotation globale de fonctionnement, soit comme vous le suggérez, monsieur le président, sur la dotation générale de décentralisation, car ce n'est par la même caisse - oui, je préfère vous prévenir en tout cas - la mise à la disposition des services de l'Etat au président du Conseil général afin d'assurer le fonctionnement de sa collectivité (DAS, les DDE, les DDA), tout cela touche à sa fin, je tiens à vous en informer, monsieur le président. Les services seront très bientôt répartis entre l'Etat, les départements et les régions de manière à ce que désormais chacun, Etat ou collectivité dispose des moyens qui lui soient propres. Ce n'est pas très facile à faire parce qu'il y a le statut des fonctionnaires, et ces fonctionnaires n'aiment pas être comme cela considérés comme des colis que l'on transporte £ ils ont un statut, ils ont passé des examens en vue de telle ou telle carrière et voilà que tout d'un coup il y a une déviation subite dans leur destination. Il faut en tenir compte. On en discute, mais il est vrai, et vous avez raison de le dire que la fin de ce transfert doit être hâtée pour que chacun sache où il se trouve, que vous ayez vos fonctionnaires, que l'Etat ait les siens. Les services inutiles, il y en a, des administrations centrales seront supprimées ou transférées, cela sera le résultat de la mission Debacq, que vous connaissez certainement.
- Enfin, M. le ministre de l'intérieur, ici présent, me disait tout à l'heure, puisque la réunion entre le ministre de l'intérieur et l'ensemble des commissaires de la République s'est tenue ce matin-même place Beauvau, que des directives étaient données aux préfets en matière de déconcentration car il s'agit aussi de savoir qui commande. Et les administrations centrales ne devront avoir de liens avec les collectivités locales que par le canal du préfet de façon que vous trouviez un interlocuteur unique, même si certaines nuances peuvent être établies, je pense en particulier à l'éducation. Mais, d'une façon générale, vous aurez simplification quant au débat avec l'interlocuteur Etat.\
Voilà quelques précisions apportées. Quant aux compétences transférées, vous m'avez dit, monsieur le président, que vous trouvez que ce n'était pas assez. Mais l'enseignement primaire et secondaire, ce n'est pas mal, c'est même tellement que vous demandez que l'on étale dans le temps et vous avez raison. J'ai consulté, quand vous m'avez dit cela, M. le ministre de l'intérieur pour savoir où cela en était. Il m'a dit que c'était à l'arbitrage du Premier ministre, qu'il y avait déjà un engagement de M. Pierre Mauroy et qu'il convenait, selon lui, et c'est mon opinion, d'étaler dans le temps le transfert d'une charge qui dépasserait les capacités immédiates de la plupart des départements de France. Donc, j'abonde dans votre sens.
- Les transports scolaires : les départements jouent depuis longtemps un rôle très important dans ce domaine. Maintenant, ils sont les responsables, ils sont les patrons. Alors, il s'agit pour eux qu'ils en tirent des conséquences utiles.
- L'aide sociale : vous savez bien que jusqu'à présent les deux tiers de l'aide sociale étaient distribués par les élus locaux en commission cantonale alors que les collectivités supportaient à peine le quart des dépenses, tout cela avec parfois une certaine absence de contrôle, peut-être même quelque démagogie. Désormais, tout ce que les élus vont distribuer sera payé par eux, par vous, à une compétence très remarquable. Vous êtes donc responsables. Vous mesurerez votre effort selon votre capacité, mais quel que soit mon désir, puisque vous m'avez invité, puisque je suis venu, quel que soit mon désir de répondre le mieux possible à votre attente, je crois qu'il sera très difficile de vous transférer la défense nationale, les affaires étrangères, la justice ... c'est ce qui reste ! Bref, je suis tout prêt à me livrer avec vous à l'examen de ce que vous avez et ce qui reste à l'Etat et vous me direz, de façon concrète, en dehors des points que je viens de traiter, quels sont les domaines qui pourraient être transférés aux collectivités locales. Je suis tout prêt à cet examen.\
Voilà quelques données. Vous m'avez parlé aussi de quelques questions très pratiques. Vous voudriez que les collectivités locales puissent bénéficier des Codevi. Or, vous disposez de moyens d'obtenir des crédits à taux bonifiés. Vous les avez déjà quasiment à des taux comparables à ceux des Codevi. Vous avez accès aux emprunts, taux et durée, de la Caisse des dépôts et je vous en informe, si vous ne le saviez, les contingents de la Caisse des dépôts ne sont pas épuisés en 1984. Il en reste. C'est même, je crois, un des rares endroits où il reste des crédits inemployés. Il en reste. Adressez-vous donc au système qui vous permet des conditions avantageuses, prêts à taux favorable pour les réserves foncières, remboursement de la TVA au taux de 18,6, dotation globale d'équipement au taux de 2,2 % cette année et versée dans le trimestre qui suit la dépense. Tout cela existe. Il vous suffit d'en faire usage.
- Vous avez ensuite parlé de quelques problèmes pratiques parce que vous avez l'esprit très pratique. Je m'en réjouis. Si tout le monde était comme ça, cela faciliterait ma tâche. Les groupes bancaires sollicitent exagérément des garanties d'emprunt. Oui, mais les collectivités locales - et je ne dis pas qu'elles aient tort, j'ai pratiqué cette méthode - acceptent de plus en plus de soutenir des entreprises et on les comprend quand elles voient l'emploi diminuer. Naturellement, ces collectivités locales n'en ont pas toujours les moyens. Elles s'adressent donc à qui ? A des banques et ces banques qu'elles soient nationalisées ou qu'elles ne le soient pas, il est rare qu'elles prêtent de l'argent sans garntie. Très rare. Vous me diriez : "oui mais il y a des entreprises soutenues par les collectivités locales qui font faillite". Soyons raisonnables. On ne peut pas demander aux groupes bancaires de renoncer aux garanties d'emprunt, mais j'ai l'impression, et là, je vous rejoins, qu'il y a excès, que désormais c'est un mécanisme. Dès qu'une collectivité locale se tourne vers la banque, la banque y voit une source de profit sans s'occuper, alors qu'elle le devrait davantage - surtout certaines banques dont c'est l'objet - de l'équipement du pays. Donc, c'est une demande sur laquelle je m'efforcerai de vous être utile.
- Je crois que vous avez parlé également pour les Codevi et les taux bonifiés des remontées mécaniques. Je vous ai dit ce que je pensais des taux bonifiés. Vous avez le moyen. C'est, en effet, pour vous un instrument puissant, usez-en. Le département de la Savoie n'a qu'à s'adresser aux filières actuellement existantes et je vous garantis qu'il obtiendra des satisfactions et même, le cas échéant, des améliorations de taux en pourcentage.
- Sur les transferts de compétence, je n'insiste pas.\
Sortant de ces questions très pratiques, que certains jugeront trop pratiques - pas vous, mais en dehors de cette salle - vous avez abordé, je dois le dire, avec délicatesse des problèmes un peu plus politiques : celui du découpage cantonal, celui de la liberté de la presse.
- Le découpage cantonal : je ne sais pas où cela en est mais quand on regarde les évolutions démographiques, comme cela a été fait précédemment et pour la même raison, c'est vrai, il n'y a pas de raison que des conseillers généraux représentent quelques centaines d'habitants et que d'autres représentent des dizaines de milliers. Donc, un effort doit être fait dans ce sens sans prétendre à une proportion démographique trop précise car ce serait nier la réalité cantonale que je connais bien, la réalité de pays. Et moi je ne voudrais pas, je le dis tout de suite à messieurs les commissaires de la République, devant monsieur le ministre de l'intérieur, je n'aimerais pas que toute une série de cantons peu peuplés mais qui représentent une authenticité historique, une unité historique, disparaissent. Lorsqu'un découpage eût lieu, il y a quelques temps, ce n'était pas la même majorité, je crois que l'opposition de l'époque a fait valoir ses observations. Elles ont été parfois entendues. La discussion a été faite très correctement par la plupart des conseils généraux. J'espère que cela se passera de la même façon. Tel est mon souhait.\
Sur la liberté de la presse, c'était un peu plus réservé. Je ne sais pas où vous placez votre liberté mais visiblement pas au même endroit que moi... Car, sans vouloir entrer dans le labyrinthe des intérêts de presse, dire que la liberté de la presse existe quand elle est monopolisée par quelques-uns, c'est un des effets de cette dialectique que j'admirais il y a un instant ! La "liberté de la presse..." qui appartient aux plus riches, pas forcément aux plus riches mais aux plus audacieux comptant sur la richesse des autres, la liberté contrôlée par un groupe de presse pluraliste, peut-être .... Si vous vous en étiez aperçus, d'autres pas. C'est un problème qui se pose en France de telle sorte qu'on a jugé bon sur un -plan national - vous voyez que ce gouvernement a été raisonnable et peut-être timide - sans l'étendre au -plan régional, de s'occuper du problème de transparence du capital et du pluralisme. Connaître au fond ce que les résistants avaient demandé à connaître au temps où le général de Gaulle que vous invoquiez tout à l'heure, avait jugé bon de mettre une ordonnance qui devait régler ce problème, sur les mêmes bases que celles d'aujourd'hui. Et parmi les pressions exercées sur ce groupe - je ne les connais pas, monsieur le président, peut-être aurions-nous avantage à ce que vous les exposiez - pression pour pression, moi j'avoue que je serais très sensible au développement du pluralisme, le pluralisme supposant un certain nombre de conditions qui sont loin d'être réunies aujourd'hui. Grave problème, mais enfin, comme c'est un domaine dans lequel on ne doit pénétrer qu'avec d'extrêmes précautions sans quoi le moindre dérapage pourrait permettre à ceux qui gouvernent d'aller jusqu'à l'abus, il faut s'en tenir à quelques données simples. C'est ce que, à mon sens, a fait le gouvernement de M. Mauroy.\
Vous avez dit pour conclure, monsieur le président, et c'était pour vous un sujet de légitime orgueil que je ne vous contesterai pas, que vous aviez commencé votre vie politique et votre engagement derrière le général de Gaulle. J'ai envie de me servir de cet exemple pour conclure en vous disant : eh bien moi aussi, je ne dirai pas "derrière" le général de gaulle mais "avec", une toute petite nuance .. La seule différence c'est que moi c'était en 1941, ce qui explique parfaitement notre différence d'âge, mais disons que, à qualité égale, être avec le général de Gaulle en 1941, avait pour le moins la même valeur que derrière le général de Gaulle en 1960. Nous sommes donc à égalité à la fois pour nous réclamer de grands exemples, d'une grande histoire que nous avons célébrée aujourd'hui à Montmélian grâce à mon ami le sénateur Rinchet et là, vous avez, par cette évocation, rejoint le thème de nos entretiens, du discours que j'ai prononcé dans cette ville de la Savoie. Nous sommes tous issus d'un vieux peuple qui a connu ses heures noires. En un siècle, un siècle et demi, faisons le compte sans oublier les déchirements intérieurs dont le pire fut celui de 1871. Déchirements intérieurs, déchirements extérieurs, deux guerres mondiales, une guerre européenne d'immense dimension qui marquait la fin d'un temps. Bouleversements sociaux, révolution technologique, tout cela à la fois, un vieux peuple qui a beaucoup souffert, qui en a beaucoup vu et qui a surmonté tout cela. Et il ne me déplaît pas que le jeune président du Conseil général de la Savoie `Michel Barnier` se réclame, même si je ne partage pas ses conceptions et si je n'ai pas partagé les conceptions de celui qu'il invoque, se réclame d'une grande histoire.
- Il m'importe que moi, Président de la République, non seulement je me réclame aussi d'une grande histoire qui est aussi celle de la France, mais que je prenne en compte, parce que c'est mon devoir, devant les Français, toutes les histoires de la France qui n'en font qu'une parce qu'il y a toutes les populations françaises qui ne font qu'un peuple, toutes les diversités de la nation française qui ne doivent en faire qu'une, parce que si l'Etat a accepté de diriger de ses fonctions, ses compétences, de les répartir, si l'Etat a jugé lui-même qu'il y avait trop d'Etat, il y a quand même un Etat, des institutions et si nous nous sommes séparés sur l'adoption de ces institutions, je n'ai rien oublié de mes objections à l'égard des institutions dont j'ai aujourd'hui la charge. Il n'empêche que nous n'avons qu'une loi. C'est notre loi suprême. Quand on m'invite, fût ce une assemblée parlementaire, à manquer à cette loi suprême, je m'y refuse. Et tout autant je me refuserai toujours, comme vous-mêmes, madame et messieurs, à manquer aux obligations qui sont nôtres, à nous tous, au regard de la nation française, à l'égard du peuple français, à l'égard de l'histoire de France, nous en sommes ensemble comptables, dépositaires. Quelle admirable force si nous sommes capables ensemble de transmettre en abordant les temps nouveaux en situation de gagner ces batailles. A cet égard, nul n'est exclu quelle que soit la majorité ... et les majorités changent. Nul ne doit être exclu parmi ceux qui acceptent les données de base de la civilisation qui est nôtre, qui repose sur l'attachement à la patrie, sur le respect de la démocratie et sur l'acceptation d'une certaine forme de civilisation qui nous a nourri, qui reste à mes yeux grandiose, qui repose sur les libertés, sur le respect de l'homme. Je n'ai pas à en dire davantage, mesdames et messieurs. J'espère que cette séance très libre où nous nous sommes expliqués les uns, les autres, avec toute la franchise désirable, participe de ce travail de civilisation auquel je convie les Français dans leurs assises et leurs débats.\