10 juillet 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République et de Sa Majesté le Roi Hussein de Jordanie, au centre culturel d'Amman, mardi 10 juillet 1984.

LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs, je remercierai d'abord Sa Majesté le Roi Hussein qui vient d'exprimer, sur le -plan des relations entre la Jordanie et la France ce que je ressens moi-même. Il a terminé sa présentation en parlant de l'amitié solide et durable, non seulement entre les pays mais aussi entre leurs dirigeants. Je ne peux que confirmer cette appréciation et dire que nous venons de passer quelques heures importantes pour nous et utiles, je l'espère, pour tous, en Jordanie.
- J'avais déjà eu la chance de pouvoir rencontrer le Roi Hussein à deux reprises à Paris - Il était venu me voir -. Il ne s'agit donc que d'une rencontre qui en précèdera d'autres, qui marqueront le très utile contact et la relation permanente entre deux pays amis et qui ont toute raison de l'être et de le rester. Nul ne se trompera s'il pense que les heures que nous vivons depuis hier sont pour nous très riches d'impressions diverses, mais complémentaires et que toutes vont dans le sens d'une définition meilleure chaque fois qu'il est possible de ce que doit faire la France dans cette partie du monde, bien que, après tout, la trace ait été fixée depuis déjà plusieurs années.
- Les relations avec la Jordanie sont depuis déjà longtemps, heureusement, de bonnes relations. Je les ai trouvées telles et j'ai entendu les maintenir en les actualisant, c'est-à-dire en les adaptant aux circonstances qui se proposent à tout moment aux responsables du monde dans une période aussi troublée. Mais je crois que nous avons bien franchi ensemble, Sa Majesté le Roi Hussein et moi-même, ces dernières années, particulièrement rudes, en face de l'évolution du monde et spécialement dans cette région.
- Les relations sont multiples, elles sont de caractère politique - politique internationale - £ elles sont d'ordre bilatéral. Sur le -plan bilatéral elles revêtent les aspects que des journalistes qui sont ici connaissent bien : économique, culturel. Le champ n'est pas limité, il s'agit d'un peuple qui plonge dans l'histoire, comme on a pu le constater au cours de nos visites de la matinée et de quelle façon ! Porteur d'une culture, à l'origine des civilisations dont les Français sont eux-mêmes pratiquement formés. Beaucoup de raisons de s'entendre et de se comprendre. Beaucoup de raisons d'adopter devant les grands problèmes qui exigent le rappel de quelques principes, des positions politiques fermes.. Beaucoup de raisons d'approfondir, là où elles sont faibles, les raisons d'échange qui entretiennent, bien entendu, et soutiennent l'ensemble des données lorsqu'il s'agit d'unir deux peuples.\
On a discuté ici et là de l'opportuniité de la date. Vous savez, quand on fixe un voyage, plusieurs mois à l'avance, car il faut bien que les deux principaux responsables puissent mettre d'accord leur calendrier, ils ont quand même pas mal de choses à faire, 6 mois, 7 mois à l'avance, on ne sait pas toujours exactement comment les choses seront ailleurs, car il n'y a aucune raison que nos relations changent. Donc nous n'avons pas spécialement minuté, calculé que cela tomberait exactement à un moment où ..., non pas du tout. Mais il n'empêche qu'on peut observer une stagnation dans le débat, l'approche de la paix dans le Proche-Orient du côté de l'Ouest, c'est-à-dire dans les relations israélo - arabes. Qui dit stagnation dans ce genre de problème, généralement cela dit aggravation, latente lente. Tandis que le Liban s'oriente, peut paraître s'orienter, en tout cas, vers un apaisement, que j'espère durable, des passions intérieures, tandis qu'il faudra du temps pour résoudre les relations du Liban avec les puissances voisines. On le voit bien. Et cela intéresse aussi beaucoup la France.\
Enfin, le débat sur la guerre, guerre chaude, active, présente, que se livrent l'Irak et l'Iran, et qui représente une menace particulièrement tangible quand on se trouve en Jordanie, elle a occupé, bien entendu, une bonne partie de nos conversations. Et là encore, j'ai pu le dire comme je le dis à Paris, la France n'est aucunement l'ennemie de l'Iran, elle n'est pas belligérante elle n'a pas à l'être. Il se trouve que depuis assez longtemps, en tout cas une dizaine d'années, les relations entre l'Irak et la France se sont encore resserrées. Des contrats ont été passés, ils ont été respectés. Le seul fait de les avoir respectés, ou d'en avoir renouvelé certains, montre que la politique française reste inchangée par -rapport à ce pays. Qu'est-ce qu'ils représentent surtout lorsque s'engage une bataille qui marque un temps de l'affrontement historique pour une frontière déplacée dans un sens ou dans l'autre, entre le monde persan et le monde arabe, alors qu'il y a tant de raisons pour que ces peuples s'harmonisent ? La France a un comportement amical à l'égard de l'Irak. Ce comportement a précédé la guerre, une guerre sur laquelle la France n'a pas à émettre particulièrement de jugement sinon pour dire qu'il paraîtrait vraiment nécessaire, raisonnable, de parvenir à une détente, et donc à une négociation. S'il s'agit simplement de discussions sur le tracé d'une frontière, une négociation, serait-elle longue, sera toujours préférable à la mort de milliers et de milliers de jeunes gens et à la destruction d'économies qui ont davantage besoin d'être soutenues que détruites.
- Je suis à votre disposition, mesdames et messieurs, pour répondre aux questions que vous souhaiterez me poser. Vous voyez comment les problèmes se posent ici, dans un climat de franche amitié qui n'exclut aucunement la volonté d'explication approfondie, au contraire. C'est ce à quoi nous avons procédé déjà hier et ce que nous continuerons après vous avoir quittés pour la fin de la soirée. Je vous remercie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, soyez le bienvenu, vous êtes dans un pays ami. Permettez-moi de vous dire, monsieur le Président, et de le dire brièvement comment nous voyons le rôle de la France dans le problème palestinien. Pour les arabes, je crois, et pour la majorité des Français, il existe une relation spéciale entre la France et les Arabes. Autant la France est un pays ami, la France est aussi une puissance européenne, une puissance distinguée. Personne n'oublie le rôle que la France a joué au Liban et l'aide qu'elle a apportée à l'Irak. Je crois que la France est capable d'un geste plus grand qui, puisse faire avancer effectivement et réellement la cause de la paix. De la France nous attendons un geste spécial et plus hardi. La question est la suivante, monsieur le Président, pourrons-nous espérer après vos entretiens avec Sa Majesté le Roi, que dans les mois prochains, la France pourra entamer une activité spéciale pour faire avancer la cause de la paix au Moyen-Orient ?
- LE PRESIDENT.- Oui, s'il s'agit du problème israélo - arabe. La position de la France ? C'est un pays, en effet, vous l'avez dit, qui jouit d'une grande tradition historique dans ses relations avec le monde arabe, premièrement. Deuxièmement, c'est un pays qui joue un rôle certain, au sein de la Communauté européenne, de 250 à 260 millions de personnes. C'est enfin un pays qui appartient aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Voilà trois atouts dont vous me demandez, au fond, comment la France entend les jouer.
- Je viens de vous dire ce qui représente des atouts. Je vais maintenant limiter la capacité de la France, du moins dans mon discours, en disant naturellement qu'elle n'a pas la possibilité de se substituer aux intéressés. Dans le monde où nous sommes, dans cette région, coexistent, on le sait, des pays antagonistes, Israël, ses voisins, d'autres encore, et il n'est pas dans les moyens de la France d'obtenir de l'un ou de l'autre, qu'ils adoptent des positions plus favorables à la négociation.
- Certes, et c'est ce que vous pensez, et c'est ce que je pense aussi, une option continue, persistante, peut contribuer à faciliter l'évolution non seulement des esprits mais l'évolution des faits. La France est disposée à agir dans ce sens. Elle a déjà rappelé ses positions. Elle s'identifie à celles des Nations unies, et de ce fait, cela fait déjà bien longtemps que les choses sont fixées, mais bien longtemps sans qu'interviennent les actes décisifs. Cela n'est pas du fait de la France. C'est tout simplement que les différents pays qui se sont posés en intermédiaire, les deux plus grandes puissances puis un certain groupe de grandes puissances, puis l'ensemble des pays de la région, toutes les formules ont été essayées, elles ont échoué. J'ai toujours pensé que la sagesse était de favoriser la relation directe entre les belligérants ou entre les antagonistes. Mais je dois constater que cette formule-là, non plus, n'a pas fait avancer les choses. Si donc ce n'est décidément pas possible, je souhaite qu'une conférence dont le nombre des participants reste à déterminer, mais enfin tous ceux qui sont intéressés à ce problème, puisse se réunir sans élimer aucun des protagonistes, ce qui serait à l'avance absurde car cela conduirait à l'échec évident de cette conférence. La France peut en effet peser dans ce sens.\
Vous savez également qu'elle a déposé, il y a plus de deux ans, un texte, avec l'Egypte, devant le Conseil de sécurité. Le problème de l'opportunité de ce texte se posait car d'autres initiatives concurrentes, parfois un peu différentes, occupaient le devant de la scène. Plusieurs pays arabes eux-mêmes souhaitaient que les propositions de la conférence de Fès, par exemple, ou que le plan dit "Plan Reagan" puissent se développer sans que viennent en traverse des propositions, celles que l'Egypte et la France avaient elles-mêmes avancées. Donc, le problème de l'opportunité est naturellement constant dans mon esprit. Il ne suffit pas de penser d'avoir raison pour que l'on obtienne raison, vous le savez bien. J'aurai certainement l'occasion d'en parler avec le président Moubarak, que je rencontre demain. Mais ce qui est sûr, c'est que la France maintiendra sa position, cent fois répétée, qui se veut juste à l'égard de chacun. Les résolutions de l'ONU, surtout la 242, signifient par contrecoup la reconnaissance d'Israël. L'ONU attend d'Israël qu'il se soumette ou qu'il se range derrière un avis qui, bien entendu, ne lui permet pas d'exercer le pouvoir souverain qu'elle exerce sur les territoires qui ont été conquis à la suite des guerres de ces dernières années, et pour le moins de s'y comporter en puissance totalement souveraine.
- Dans tout cela, la France a gardé des relations qui sont bonnes, en tout cas, qui sont tout à fait fécondes avec Israël. Cela ne nous a jamais empêchés de dire ce que nous pensions puisque je l'ai fait moi-même à la tribune de la Knesseth qui, il faut le reconnaître, n'est pas le lieu le plus favorable pour ce genre de discurs,ours, c'est-à-direla reconnaissance des droits du peuple palestinien à disposer d'une patrie et à s'autodéterminer.
- S'il s'agit de parler des autres problèmes,celui de l'Irak, j'ai dit dans quelle condition la France entendait agir. S'agit-ildu problème libanais, la position de la France a été mise en évidence dans des conditions souventtragiques. Je n'ai pour l'instant rien à y ajouter car j'ai le sentiment que la tonalité principale de votre question visait le problème des relations israélo - arabes.\
QUESTION.- En se fondant sur les -rapports privilégiés que vous avez avec le leader du parti travailliste `Shimon Pérès`, cela pourrait-il déboucher sur une initiative ?
- LE PRESIDENT.- Madame, si en effet, j'ai des amitiés en Israël, surtout par affinité politique et en raison des relations acquises dans le passé, un passé récent même, avec des représentants du parti travailliste, mais aussi avec un certain nombre de représentants du parti conservateur, ma règle est de ne pas intervenir dans les débats intérieurs d'un pays et surtout en période électorale. Donc, je crois que la sagesse consiste à attendre le résultat des élections pour savoir quel meilleur parti en tirer au bénéfice de la paix.\
QUESTION.- Vous avez la possibilité - la France - de participer à une conférence internationale sur le Proche-Orient. Il y a quelques mois vous avez effectué un voyage aux Etats-Unis et en Union soviétique il y a quelques semaines. Est-ce que vous avez vu qu'il y a une convergence de points de vues entre ces deux capitales ? Quels seront les pays qui seront invités à cette conférence ? Aura-t-elle lieu en plusieurs phases ?
- LE PRESIDENT.- Je tiens d'abord à vous répéter, monsieur, que ma préférence allait, ou irait vers une négociation entre les partenaires ou antagonistes directs de la région, et je trouve très dommage que cela n'ait pu avancer. Mais enfin, puisque les choses ne se font pas, il faut bien chercher d'autres voies qui nous raméneront à un sujet traité depuis longtemps déjà, celui d'une conférence plus large. Je n'ai pas dit d'ailleurs que la France y prendrait part, je ne veux absolument pas imposer la France dans un débat de ce genre. Si la France est estimée comme un partenaire utile dans cette négociation, j'examinerai l'action à entreprendre bien entendu. Si la France peut rendre service à la paix elle le fera .. A priori, en raison de son importance, surtout comme membre du Conseil de sécurité, il est normal que la question soit venue à votre esprit.
- Je ne peux pas dire qu'à Washington et à Moscou j'ai ressenti une même longueur d'ondes sur ce problème, sauf sur un point, sans doute, c'est que cela intéresse chacune des deux puissances, d'assez près. En tout -état de cause, je pense que si conférence il devait y avoir, alors, il ne serait pas raisonnable de vouloir jeter un interdit sur l'une ou l'autre des deux plus grandes puissances. Il vaut mieux mettre toutes les chances du même côté, non seulement pour réussir la négociation, ce qui n'est pas acquis, loin de là, mais aussi pour la garantir au cas où elle réussirait ou, dans la limite où elle réussirait, pour en garantir les résultats. On a déjà vu beaucoup de ces conférences finalement aboutir à des textes intéressants mais sans portée, faute d'être garantis par tous ceux qui pourraient venir troubler le jeu. On n'en est pas là, monsieur, malheureusement, puisqu'il se pose toute une série de problèmes sur les participants, et je ne parle pas là de la France, de l'Union soviétique ou des Etats-Unis d'Amérique. Je parle des participants de la région elle-même, le débat sur la présence des Palestiniens, en particulier. Moi, j'ai toujours dit à tous ceux que je rencontrais y compris à mes amis israéliens lorsqu'il m'arrive de les voir : "puisqu'il s'agit de régler le problème des Palestiniens, il est difficile de le régler sans eux. Cela a d'ailleurs été l'erreur de plusieurs décisions importantes de ces dernières années que d'avoir voulu régler le problème des Palestiniens, comme cela, sans qu'ils eussent été là pour dire leur mot". Quant aux finesses diplomatiques, il ne m'appartient pas de les imaginer : d'autres que moi le feront, s'il en est naturellement.
-Alors, je ne peux pas entrer dans le détail de savoir qui y serait, toujours en me plaçant dans votre hypothèse à savoir que cette conférence pourrait se réunir. Je peux vous dire, moi simplement, quelles conditions seraient réunies pour qu'elle échoue, cette conférence, et parmi ces conditions, la première, c'est d'écarter soit des grandes puissances dont on sait bien qu'elles disposent d'atouts puissants dans la région, ici ou là, soit les intéressés eux-mêmes. Voilà ce que je pense de cette perspective.\
QUESTION.- La déclaration de Venise est restée sans effet £ l'initiative "Reagan" a été refusée. Quant aux décisions de Fez... ! ! Le seul espoir qui nous reste est la conférence internationale proposée par les Nations unies. Quel rôle pourrait jouer la France pour garantir la tenue de cette conférence et son succès ?
- LE PRESIDENT.- Je crois avoir, de mon côté, déjà abordé à deux reprises cette question. Je ne vois pas beaucoup ce que je peux ajouter : tout ce qui permettra la mise en application des résolutions de l'ONU, d'ailleurs votées par la France £ tout ce qui permettra de rapprocher les points de vue et de réunir d'abord les intéressés eux-mêmes, si cela est possible - le passé, lointain et récent, ne le démontre pas - , soit une discussion au sein d'une conférence plus large, la France le fera. Elle ne se pose pas du tout en puissance, pas plus là qu'ailleurs, médiatrice. Elle connaît très bien, comme vous-même, l'extraordinaire difficulté du sujet que nous traitons parce qu'après tout, pour négocier, il faut que les partis en cause le veuillent, s'ils ne le veulent pas, alors se brisent les conseils et les positions diplomatiques. C'est à ce moment-là, au Conseil de sécurité et aux Nations unies d'en tirer les conséquences.
- Ce que je puis vous dire, c'est que la bonne volonté de la France, l'influence dont elle peut jouir auprès de ceux qu'elle fréquence et qu'elle connaît, de part et d'autre, s'exercera dans ce sens-là. Dans le sens que j'ai indiqué à quatre ou cinq reprises de façon solennelle à la Knesset, au Caire, à Alger, que je répète ici si vous le voulez bien, bien que je n'ai pas eu l'occasion de le faire au cours d'un exposé, hier soir, qui s'est contenté de rappeler les quelques données simples déjà énoncées.
- La France est un pays volontaire pour tenter de contribuer au rétablissement de la paix. Dans le sens du droit de chaque Etat à voir sa sécurité garantie, son existence d'abord, les moyens de son existence et de sa sécurité, mais aussi dans la reconnaissance des peuples de la région qui existent, dont on sait bien qu'ils existent, qu'ils ne se sont pas évanouis dans le brouillard de l'histoire, que ces peuples-là puissent avoir droit de cité, c'est-à-dire droit à l'existence d'une patrie dont ils feront ce qu'ils voudront.\
QUESTION.- L'équilibre est en principe l'essentiel de votre politique. Pourrait-on espérer que le Président français parlerait à l'autre partie, aux Palestiniens ? sans attendre la reconnaissance d'Israël par les Palestiniens ?
- LE PRESIDENT.- Je vais vous répondre clairement sur ces deux questions. Il faut, dès lors qu'il s'agit de politique internationale, éviter les confusions sur le vocabulaire. Bien entendu, je ne demande pas à l'OLP de reconnaître l'Etat d'Israël d'une façon unilatérale. Je demande à l'OLP d'accepter la résolution des Nations unies d'une façon claire. Si vous attendez de moi de la clarté, il faut aussi la demander à chacun des protagonistes pour qu'ils puissent s'insérer dans le processus de discussion voulue par l'Organisation des Nations unies. Cela n'a pas été vraiment fait jusqu'alors puisque je pense que dans l'esprit des dirigeants de l'OLP, même si je comprends leur réticence, - mais cela, c'est notre problème - admettre ces résolutions publiquement, c'est aussi admettre une résolution de l'ONU qui a elle-même admis l'existence d'Israël. Je reconnais la difficulté. En tout cas je ne demande pas de reconnaissance unilatérale car ce serait injuste. Il n'y a pas de raison que l'OLP, qui est un mouvement de lutte, fasse des consentements a priori sans savoir à quoi ils serviraient, par exemple, qui pourraient signifier un certain abandon de son idéal - mais reconnaître eux-mêmes les résolutions qu'ils voudraient voir mises en oeuvre. Or, cela reste à faire.\
`Suite réponse`
- Vous avez parlé de la reconnaissance par la France de l'OLP, en tant que mouvement de lutte, de combat. Je l'ai fait, précisément dans ce discours, que je rappelais, devant la Knesset. Je ne sais plus l'expression que j'ai employée, je n'apprends pas mes discours par coeur, mais enfin les idées, elles, je les connais bien. Cela consistait à dire qu'on ne pouvait pas ignorer que c'était l'organisation représentative d'un peuple en lutte. Dire le contraire n'aurait pas de sens et nous avons agi ainsi puisque nous sommes allés au secours des Palestiniens de Beyrouth-ouest, puisque nous avons assisté la Grèce dans l'évacuation des Palestiniens de Tripoli, puisque nous avons été nous-mêmes les intermédiaires pour un règlement entre les prisonniers qui a abouti à la libération de 3500 Palestiniens, puisqu'il existe une délégation de l'OLP à Paris. Elle a été créée avant que je sois Président de la République par mon prédécesseur, nous l'avons maintenue £ il existe des relations entre le délégué qui s'y trouve et le gouvernement français.
- Le ministre des relations extérieures français `Claude Cheysson` a rencontré à diverses reprises, et récemment encore à Tunis, M. Yasser Arafat. Si M. Yasser Arafat, veut venir à Paris, en France, - ce n'est pas un "scoop", je vois beaucoup de journalistes qui le notent - cela fait la quinzième fois que je le répète, mais enfin, vous auriez pu ne pas le remarquer - il peut venir en France quand il le veut, et il peut y rencontrer des responsables qualifiés. Mais quant au problème de la reconnaissance des résolutions de l'ONU sans équivoque, d'une part, d'autre part, celui d'une certaine attitude à l'égard du terrorisme, je crois qu'il faut que le langage soit plus clair encore, à mon avis. Il ne s'agit pas pour l'instant d'un chef d'Etat, cet Etat n'existe pas. Vous disiez vous-même tout à l'heure que l'on n'en connaissait pas l'exacte situation géographique. Moi je suis un chef d'Etat. Quand je ne l'étais pas, j'ai rencontré M. Yasser Arafat, au Caire, il y a déjà de nombreuses années, je crois que c'était en 1975. Mais là, j'agis en tant que chef d'Etat et je pense qu'il y a une certaine distinction à faire entre le chef reconnu d'un mouvement de lutte, comme il en existe dans beaucoup de pays du monde, et le chef d'un Etat.
- Donc la France n'ignore pas l'OLP, n'ignore pas M. Arafat, en tient compte, mais le type de relations officielles demandé pour l'instant doit être, et serait, prématuré tant qu'un certain nombre de données diplomatiques et juridiques n'auront pas été clairement établies. Voilà tout ce que je dis, et cela ne comporte aucun dédain à l'égard d'homme dont le sort nous émeut et nous préoccupe. S'il y a dans l'avenir quelques démarches à faire qui puissent sauvegarder des vies et assurer au peuple palestinien des chances nouvelles, la France le fera.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la guerre Iran - Irak risque de s'étendre à d'autres pays du Golfe, notamment après le bombardement par l'Iran contre les Saoudiens et les Koweitiens. Quelle sera l'attitude de la France si ces pays amis sont menacés ?
- LE PRESIDENT.- Dans une matière aussi délicate, je préfère voir et savoir avant d'annoncer telle ou telle forme de mesures. On est en droit de redouter des événements du type de celui que vous venez d'exposer. Mais cela n'est pas fait. Je répète que je ne veux absolument pas adopter à l'égard de l'Iran une attitude agressive.
- La France est fidèle à ses amis. Les Emirats et les pays du Golfe sont les amis de la France. Cela ne comporte pas une déclaration de co-belligérance. D'ailleurs l'état de belligérance entre l'Iran et les pays du Golfe n'existe pas pour l'instant. Parlons avec précision et prudence. Dans l'affaire Irak - Iran, il y a un choix évident de la France, de la Jordanie, de beaucoup d'autres pays raisonnables. Mais voilà, parler de raison dans une affaire de ce genre c'est déjà un peu détonner. S'il s'agit d'un problème de frontière, toute négociation vaudra mieux que ce massacre des deux jeunesses d'Irak et d'Iran. On ne peut pas vivre uniquement sur des rancunes. S'il s'agit d'une guerre idéologique, c'est peut-être cela, alors cela prend une autre dimension. Bien entendu je n'exclus pas cette hypothèse. Moi aussi je connais comme vous-même notre histoire, l'histoire de cette partie du monde. Naturellement la dimension change. Le problème alors ne se poserait pas simplement pour les Emirats ou les pays du Golfe, cela prendrait une ampleur beaucoup plus grande. Non seulement dans le Proche et Moyen-Orient, mais aussi dans tous les pays d'Islam et par voie de conséquence dans les relations de tous ces pays avec leurs voisins, d'Occident ou d'Afrique. Donc, voyez je ne peux pas traiter de sujets qui restent imaginaires, mais je dis simplement que les pays du Golfe peuvent compter sur notre amitié qui se marquera d'une façon à examiner selon les éventualités qui se produiront. C'est tout ce que je peux dire. Je ne veux pas du tout que l'assistance que nous portons à l'Irak, en raison d'une amitié que nous n'avons pas du tout à dissimuler - d'ailleurs on ne la dissimule pas - nous fasse entrer dans ce conflit comme des ennemis d'un peuple aussi important que le peuple iranien. Pas du tout. Qu'on ne confonde pas.\
QUESTION.- posée également à S.M. le Roi de Jordanie (qui y répond en arabe).
- Sur quoi négocier si Israël poursuit sa politique d'implantations ?
- LE PRESIDENT.- Je vous rappelle, monsieur, que je ne peux pas me substituer à tout le monde à la fois. Sur quoi doivent-ils discuter ? C'est les territoires en question, peut-être aussi le statut de ces territoires, c'est-à-dire non seulement l'examen de ce qui se passe aujourd'hui mais les précautions à prendre sur l'avenir. Il est évident qu'une négociation n'a de chance de réussir que si on dessine pour les années à venir des garanties mutuelles. Cela ne peut porter que là-dessus. Quant au Conseil de sécurité il lui appartient de déterminer les moyens qu'il compte mettre en oeuvre pour que ces résolutions déjà anciennes se modernisent et soient cette fois-ci en mesure d'être appliquées. C'est une démarche très difficile car l'ONU ne dispose pas toujours des moyens de se faire entendre. On l'a constaté bien souvent. Ce qui ne doit pas nous conduire à nous en éloigner, ou à l'ignorer ou à la mettre de côté. Car ce serait une erreur. Finalement c'est quand même là que les peuples par leurs gouvernements se rencontrent.
- La France n'entend pas disposer de moyens contraignants, en tout cas pas la force. C'est naturellement hors de l'épure. Quels sont les moyens contraignants qui sont de l'ordre de la diplomatie ? Nous avons dans certains domaines, je pense au Liban - je pense même à la guerre du Golfe - obtenu des Nations unies - nous la France, un certain nombre d'avancées qui peuvent peser sur la suite des choses. Je pense en particulier à la dernière résolution prise sur la circulation dans le Golfe. L'Irak et l'Iran, à la limite, ne semblaient pas mécontents de cette proposition. Je pense que nous allons essayer de nous servir de notre imagination pour que les choses cessent d'être bloquées comme elles le sont aujourd'hui indiscutablement.
- Mais à quoi est-ce que cela tient ? Réfléchissons : est-ce que cela tient à un pays comme la France ? Non. Ni d'un côté, ni de l'autre on ne peut douter de la France. Nous ne voulons nuire, ni à Israël en tant qu'Etat reconnu, ni à son peuple, ni aux pays arabes qui se sentent profondément blessés par la façon dont depuis de longues années ces problèmes ont été traités et résolus. Nous pensons que la négociation suppose le renoncement à certaines exigences. Il est évident qu'Israël ne peut pas prétendre obtenir le consentement international autour d'une série d'actions quis marquent qu'il s'agit d'une façon souveraine dans les territoires qui sont l'objet même du débat. Cela n'est pas accepté par la France. Il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point. Pas plus qu'il ne devrait y en avoir sur aucun autre.
- Vous savez c'est un travail quotidien. Vous me posez des questions. Je comprends que vous me les posiez, vous me les posez d'une façon extrêmement précise et cordiale, mais vous me posez des questions comme si la France était le pays qui allait trancher, régler ce problème. Qui pourrait le dire ? Ayons plus de modestie dans nos jugements. Mais y contribuer certainement dans le sens que je viens de vous dire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les déclarations de M. Lionel Jospin reflètent-elles la position du gouvernement français en ce qui concerne le transfert éventuel de l'Ambassade de France de Tel-Aviv à Jérusalem ?
- LE PRESIDENT.- Ce qui est ennuyeux c'est que vous connaissez déjà très bien la réponse. C'est un goût immodéré de la répétition. D'abord, bien que Lionel Jospin soit un ami personnel et un soutien fidèle de la majorité qui elle-même me soutien, je ne suis pas du tout chargé de dire oui ou de dire non à ses déclarations. Il faut bien trancher les problèmes. D'autre part, aucun parti politique, fût-il membre de la majorité, n'a pour mission de dire à la place du chef de l'Etat, ce qu'il convient de dire sur le -plan de la politique étrangère. D'ailleurs Lionel Jospin n'y a pas prétendu. Il a été, dans sa réponse, beaucoup plus dialectique que vous ne semblez le penser. Il avait dit, sur le -plan de l'histoire, des origines, "Jérusalem capitale". Mais il n'a pas du tout dit "capitale politique d'un Etat". Cela, il ne l'a pas dit. En tout cas, la politique de la France reste la même. Elle n'a pas changé. Nous avons notre ambassade à Tel-Aviv, elle y restera.
- QUESTION.- Monsieur le Président, avec votre visite en Jordanie, vous avez visité tous les pays en conflit dans la région. Le seul pays que vous n'avez pas visité c'est la Syrie. Pensez-vous, malgré les problèmes qui existent avec ce pays, le visiter prochainement ?
- LE PRESIDENT.- Bien entendu. "Prochainement", l'adverbe est de trop. M'y rendre, oui, si j'y suis invité. Il n'y a aucune raison pour que la France exclue la Syrie de ses relations dans le Proche et le Moyen-Orient. Aucune raison. Cela ne s'est pas trouvé comme cela. Naturellement un certain nombre de faits sont intervenus qui n'ont pas placé ce problème au premier rang des préoccupations de la France. Mais je vous réponds oui.\