6 juillet 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Moulins (Allier), vendredi 6 juillet 1984.

C'est à Moulins que je viens en fin de voyage en Auvergne.
- A l'issue de cette deuxième journée se sont accumulés les sujets fort intéressants particulièrement à Montluçon en ce début d'après-midi. Cela a provoqué aussi quelques retards, je vous prie de m'en excuser.
- Je suis heureux de me trouver à Moulins et dans cet hôtel de ville il n'eut pas été juste que désirant connaître de plus près les besoins des autres départements de la région Auvergne, je n'ai pu, à Moulins-même, dans cette capitale, dans cette belle capitale, entendre le Premier Magistrat, rencontrer les élus municipaux et la population. Je m'en réjouis.
- Je sais très bien de quelle façon la majorité de Moulins s'exprime. Cela ne retire rien à l'agrément que j'ai d'être parmi vous, parce qu'il est très instructif pour moi d'entendre les opinions les plus diverses et particulièrement les opinions qui ne sont pas à l'unisson de ma propre pensée.
- Constamment, mon devoir est d'ajuster au mieux les nécessités nationales et toutes les expressions, multiples par définition, concourrent à l'expression de la volonté nationale, y compris la vôtre, mesdames et messieurs, y compris la vôtre, monsieur le maire `Hector Rolland`, que j'ai écouté avec la plus grande attention. Vous avez bien voulu commencer en rappelant que nous avions l'un et l'autre de longs passages nivernais. J'ai, en effet, représenté ce département au Parlement pendant plus de 35 ans. Je ne pense pas que la situation de représentant du Morvan est simplement, par les effets de la géographie, de dominer les représentants ou les habitants de la vallée de la Loire. Ce que je sais monsieur le maire, c'est que les Nivernais, se sont de fortes têtes, mais je ne l'ai pas appris aujourd'hui et vous confirmez quelque chose. Cela me fait plaisir d'entendre ce son-là, cet écho très représentatif d'une partie de la population. Donc, je viens là, je vous écoute, je retiens les éléments qui me paraissent essentiels de votre allocution. J'en ferai je l'espère, mon profit et je ne prends pas tout non plus pour acquis, mais je garde à votre égard la liberté dont vous disposez vous-même.\
Vous avez traité beaucoup de sujets. Cela devient un peu calé de répondre à tout. Je ne pourrai pas le faire. Il aurait fallu que j'inscrive à mesure et puis où est-ce que cela nous aurait conduit, à l'heure de dîner. Je ne veux pas développer l'ensemble de la politique que j'entends conduire, car vous avez abordé le problème sur la continuité du pouvoir.
- Vous avez commencé par un grand salut à la tradition historique de la France, à la préservation de son patrimoine pour terminer d'ailleurs par un mot sceptique sur une opération particulière qui a précisément cela pour objet. Entre le préambule et la conclusion la pensée a suivi des chemins sinueux et il est normal que l'on arrive à cette contradiction. D'ailleurs, je ne suis pas bon juge car j'ai le grand tort de ne pas connaître. J'irai visiter l'objet du litige. Ce qui est vrai, c'est que vous étiez parfaitement fondé à éprouver une grande irritation quand vous observez cette contradiction de l'administration qui décide une démolition pour, ensuite, revenir sur cette décision et pratiquer la sauvegarde du patrimoine. Il y a quelque chose qui ne colle pas dans cette affaire. Si j'étais maire comme vous, j'en aurai éprouvé quelques vexations. Seulement le problème, c'est celui d'abord du monument et pas simplement de nos humeurs. Est-ce que c'est utile, ou est-ce que cela ne l'est pas ? Je ne peux pas me mettre à la place de ceux qui jugent que c'est utile, à la place de ceux qui pensent que ça ne l'est pas. Il doit bien y avoir une conciliation possible mais je vous connais, monsieur le maire, et quand vous dîtes que vous ne donnerez pas un sou, je pense qu'il n'en sortira pas beaucoup. Il faudra qu'ils se débrouillent comme ils pourront. C'est un peu mon affaire mais pas trop non plus. Vous savez, je laisse plus que vous ne pensez le gouvernement agir, et en l'occurence, il s'agit surtout, j'ai l'impression, de décisions administratives sans grande logique. Je conseillerai cependant au ministre de la culture de venir à Moulins. Il faut qu'il voie par lui-même. Il faut juger soi-même de la réalité de ces problèmes. On peut dire : c'est un petit problème ! Non ce n'est pas un petit problème. Il touche la vie d'une ville, vous voulez faire des modifications, des transformations, qui peuvent être intéressantes, ce parc d'expositions. Il y a là un empêchement mais aussi le respect d'un passé respectable. Qui a raison et qui à tort, il faudra bien que vous en discutiez. Comment voulez-vous que les Français s'arrangent s'ils ne cessent de se parler comme ils y ont tendance.\
Quant à votre route, j'élimine tout de suite ces problèmes qui ne sont pas de ma compétence directe. Vous m'avez pris là, un peu pour le Premier ministre, ou pour un membre du gouvernement. Cela ne m'humilie aucunement. Enfin, que chacun reste dans son rôle et le contournement, là, de Moulins si j'étais Moulinois j'y aspirerais très vivement. Quel bruit, quel vacarme et quelle difficulté de vivre dans une ville où il y a beaucoup de raisons de vivre bien, de se sentir heureux. Je veux dire : la nature, l'alentour. Les difficultés inhérentes à la situation présente, je ne les ignore pas mais enfin ce sont des lieux où l'on trouve aisément son équilibre que dans des cités trop vastes, car vous êtes dotés de beaucoup de richesses culturelles et d'une population au travail capable d'inventer, d'innover et de perpétuer ce qu'il est bon de perpétuer. Alors, pour votre route, je crains que s'il devait y avoir engagement du directeur de l'équipement, ce ne soit imprudent. Je n'en suis pas sûr, parce que les fonctionnaires sont rarement imprudents et la décision, elle, ne se prend pas à cet échelon, monsieur le maire, et, savoir si vous serez raccroché à la fin du 9ème Plan, ce qui m'étonnerait fort, ou inscrit au 10ème ce que je vous souhaite de tout mon coeur, cette décision dépendra d'une discussion d'ailleurs entre l'Etat et la région. Cette discussion a commencé, vous avez déjà signé un plan Etat-région. Donc vous allez voir comment il faudra faire le dixième. A ce moment-là monsieur le président de la région `Maurice Pourchon` et vous, monsieur le maire, plaidez pour le contournement de la ville de Moulins. Entendez-vous entre vous sur le tracé car je suppose qu'il va y avoir quelques difficultés dont vous n'avez pas parlé mais qui doit expliquer votre intervention et qui ne doit pas être sans -rapport avec d'autres sujets, mais enfin éloignons-nous de la politique électorale.
- Donc, ce serait bon pour Moulins en effet, d'avoir ce détour, comme c'est bon pour toutes les cités qui en ont assez de voir passer à grands fracas les poids lourds et le reste. Si vous voulez que je vous aide pour arrangez cela, je suis prêt à y contribuer, mais mon pouvoir est plus mince que vous n'avez l'air de le croire, même si vous m'avez situé dans la grande lignée des rois de France auxquels il est bon de dire ce que l'on pense. Non, malgré tout je m'efforce de préserver la réalité des pouvoirs, ceux qui incombent au gouvernement, ceux qui relèvent du Parlement. Enfin, une fois passées ces deux questions particulières qui se posent aux Moulinois - il est normal que le maire de la ville s'en préoccupe - je m'efforce de traiter de quelques sujets de politique générale.\
Vous avez dit que tous les hommes responsables pouvaient - même devaient, vous en faisiez une philosophie - changer d'avis. Moi, croyez-moi, au risque de vous inquiéter, je le fais le moins possible. Simplement j'essaie de gérer le temps. Ce que je ne peux pas faire aujourd'hui j'essaierai de le faire demain. C'est tout £ mais le temps va vite, très vite. Vous le savez bien, à partir d'un certain âge, il va doublement vite. C'est comme cela, je ferai avec le temps, mais il est vrai que l'expérience enseigne et que responsable de tous les Français, donc de ceux qui ne m'ont pas choisi avec ceux qui l'ont fait, je dois prendre en compte aussi leurs aspirations. Non pas en toute chose, car la loi de la démocratie c'est une majorité et une minorité. La majorité, bien entendu, elle exprime ce que je veux moi-même exprimer mais je dois prendre en compte aussi les aspirations des autres et, une fois admise la loi que la majorité a pour fonction de vivre, il faut rechercher les conciliations chaque fois qu'elles sont possibles et qu'elles ne ruinent pas le principe de la pensée qui explique notre action.
- Je ne le refuserai jamais, monsieur le maire. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je suis ici dans cette salle ce soir, pour vous le dire à vous mesdames et messieurs et bien au delà de cette salle, cela sera entendu.
- Pour le reste, voulez-vous monsieur le maire - mais vous ne le voulez pas ni moi non plus - que je fasse une énumération au cours de ces quarante dernières années de toutes les contradictions, et de tous les pouvoirs ? Il ne faudrait mieux pas. Alors je ne m'engage pas sur le terrain que vous aviez choisi. J'arrête là mes réflexions sur ce sujet.\
Vous avez parlé des impôts. Alors cela m'intéresse beaucoup parce qu'il faut peut-être préciser certaines notions. Lorsque vous avez parlé du 1 %, il ne s'agit pas du 1 % des impôts, il s'agit de 1 % des prélèvements obligatoires - charges sociales et impôts -par -rapport au produit intérieur brut `PIB`. Alors naturellement le 1 % qui paraît tout petit à la somme des impôts devient beaucoup plus importants si on le rapporte à la production nationale. Les prélèvements obligatoires représentent 45 %, c'est-à-dire un peu moins de la moitié, du produit intérieur brut. Ce calcul-là donne tout son sens au 1 % dont j'ai parlé. Il faut bien penser que depuis 1973-74 le total des prélèvements obligatoires, donc impôts et charges sociales ont augmenté de près d'un point chaque année. La ligne qui serait tracée par un dessin, sur un croquis, serait continue, sans à-coup particulier, mais ce n'est pas des impôts que provient cette augmentation, monsieur le maire - ils sont restés toujours entre 18 et 19 % du produit intérieur brut - c'est des charges sociales, qui au temps de mes deux prédécesseurs directs ont subi exactement la même courbe et ont continué avec moi, exactement la même.
- J'ai trouvé la part des charges sociales et fiscales à 42,9 %, du produit intérieur brut. Mon prédécesseur l'avait lui-même recueilli à 36 %. Voyez en sept ans presque 7 points. Depuis lors, il a continué exactement de la même façon sur un peu moins de 3 ans, enfin sur deux exercices budgétaires et demi et nous voilà projetés au-delà de 45 %. Il ne faut pas continuer, voilà c'est tout. En disant cela je n'accuse personne.
- Ce qui se fait depuis maintenant dix ou onze ans doit cesser. Sans quoi avec moi, pour le temps dont je dispose, nous irons aux approches de 50 % et avec mon successeur, on en arriverait à un degré d'étouffement de l'initiative française, un étouffement du profit qui ne correspondrait pas à l'idée qu'on s'en fait. Je sais bien les arguments qui me sont opposés, il y a telle et telle nécessité. Comment, on va négliger d'aider telle entreprise ! Vous me conseillez d'en aider quelques-unes. Vous avez raison. Pas forcément celles dont vous parlez. Ca c'est l'argent des contribuables. Il y a des besoins dont je ne discute absolument pas le caractère impérieux. Mais porté par ce raisonnement, alors il faudrait mobiliser entièrement le bien des particuliers et des ménages et finalement mobiliser tous les profits des entreprises pour supporter cette charge nationale. Ce n'est pas possible. C'est en diminuant cette masse qu'on restituera une capacité d'initiative, d'innovation, une volonté, une énergie de créer qui justifiera la formule que j'ai déjà employée. Je ne suis pas le premier. Trop d'impôts, pas d'impôt.
- Alors j'ai décidé de casser cette tendance et je crois que j'ai bien fait parce que, déjà quand j'ai examiné les études préliminaires, je me suis rendu compte qu'on allait tout tranquillement vers un point de plus pour l'année prochaine. Voilà pourquoi l'effort est difficile puisque la réduction d'un point contraint à dépasser la valeur d'un point en retirant également du jeu toute la partie des nouveaux engagements qui s'apprêtaient à être pris. C'est une opération difficile mais nécessaire et je m'y tiendrai. Et cela sera réalisé en essayant d'équilibrer d'une façon aussi juste que possible les allègements sur les ménages (impôt sur le revenu par exemple) et les allègements sur les entreprises (taxe professionnelle par exemple).\
La taxe professionnelle est un mauvais impôt. Il date de 1975, monsieur Rolland, vous étiez peut-être député à l'époque, vous l'avez même peut-être voté. J'étais député et j'ai voté contre. Alors quand on m'envoie à la figure la taxe professionnelle et ses excès, je me sens tout à fait à l'aise surtout lorsque cela vient de vous. Nous sommes là pour parler clairement. Vous n'y avez pas manqué. J'espère que vous ne serez pas étonné que je vous parle de la même façon. Donc, ça date de 1975 et ça a été un impôt très mal mesuré. Je mesure mes termes en m'exprimant de cette façon. Il faut essayer au moins de le corriger afin de le supprimer. Naturellement, on ne peut pas supprimer une recette qui dépasse 60 milliards de francs tout cela simplement en claquant des doigts. Donc, il faut aménager cette situation.
- Déjà au cours des trois années précédentes, on a réduit cette charge de 5 milliards et demi d'abord, plus de 6 milliards, encore 6 milliards, et cette année j'espère qu'on atteindra au moins 10 milliards. Il faut surtout essayer d'éviter les fluctuations excessives. Ce qui est terrible pour les entreprises, c'est de voir soudain une augmentation de 20 % car cette taxe est tellement mal conçue qu'elle aboutie à des résultats de ce genre : 15, 18, 20 %, quelquefois d'avantage. D'une année sur l'autre, il est impossible dans une entreprise de tenir le choc. Elle se sent comme agressée. Elle se ruine. Donc, il faut au moins que les dispositions que nous prenions ne soient pas simplement des réductions, mais aussi un système qui interdise des augmentations dépassant une proportion tout à fait raisonnable en vue de faire disparaître cette imposition qui devra naturellement être remplacée par d'autres ressources.
- Du côté de la sécurité sociale aussi, la plus grande économie que nous ayons réalisée, monsieur le maire, mesdames et messieurs est là. C'est déjà fait. Pourquoi ? Parce que nous avons rétabli l'équilibre. A partir du moment où nous avons rétabli l'équilibre, contrairement à ce qui se passe depuis 1973, nous ne sommes plus obligés d'alourdir la charge puisqu'on se trouve à égalité, mais l'effort que je demande va plus loin. Je demande qu'on réduise les charges au-delà de l'équilibre réalisé de façon que les entreprises retrouvent un nouveau souffle. Le gouvernement est en train de travailler sur ce dossier. Il aura entendu, de Moulins à Paris - la distance n'est pas si grande - et je pense qu'il aura quelques propensions à m'écouter.\
Alors, il ne faut pas dire : les professions libérales payent de plus en plus d'impôts. Non, l'impôt n'a pas changé. A l'intérieur de la masse fiscale, ce ne sont pas exactement les mêmes qui payent la même chose. Nous avons fait ce que nous appelons - je garde pour moi ces termes qui pourraient choquer - un peu plus de justice fiscale, donc sociale. Ce qui peuvent payer plus, payent plus. On a fait l'impôt sur la fortune, sur les grandes fortunes, c'est vrai. Et puis, nous avons exempté 500000 foyers supplémentaires de l'impôt sur le revenu, mais quand on a fait une taxe supplémentaire sur l'impôt sur le revenu, nous n'avons frappé que le tiers de ceux qui payent l'impôt sur le revenu. Naturellement, ceux qui payent le plus en souffrent, mais ceux qui payent le moins, ça les arrange. Seulement ce sont ceux qui payent le plus qui écrivent et qui parlent.
- Alors, naturellement, l'opinion publique a le sentiment que le gouvernement a décidé de l'écraser d'impôts, alors que la somme totale, et donc la moyenne générale de l'imposition fiscale, n'a pas augmenté depuis que nous sommes là. Tout ce que je vous dis est sous votre contrôle, mesdames et messieurs, il serait donc facile de me contredire.
- En vérité, on ne peut pas tenir les deux raisonnements à la fois £ d'un côté l'Etat doit tout faire, au moment-même où l'on se plaint d'un excès d'étatisation - je m'en méfie moi-même - appel à l'Etat constamment pour qu'il soutienne toutes les initiatives privées défaillantes, et, en même temps, l'on réclame une réduction de 2 %, de 3 ou 4 ou 10, 15 ou 30 des prélèvements obligatoires, à l'imitation de Louis XIV. Ce sont deux raisonnements différents. Ca ne marche pas ensemble et cet illogisme, malheureusement, préside l'ignorance entretenue, fait que l'on se laisse embarquer par des raisonnements trop simples. En vérité, nous n'avons pas augmenté la masse des impôts. Les charges sociales ont été, elles, constamment augmentées, comme c'était déjà le cas avant mon élection. Je ne souhaite pas continuer. Nous avons commencé par établir l'équilibre, donc il n'y a pas de raison de demander des impositions nouvelles pour l'équilibre social et par-dessus le marché nous allons tenter de réduire, c'est-à-dire de faire des nouvelles économies ou de diminuer les charges imposées temporairement aux citoyens.
- Est-ce que je me suis assez expliqué là-dessus ? Je ne voudrais pas qu'on tombe dans un débat à caractère fiscal. Cela nous mènerait bien loin. Mais c'est quand même une chose importante que les gens ressentent : professions libérales, me dîtes-vous, les commerçants, les artisans, vont-ils fermer boutique ? Ce n'est pas par les impôts qu'ils sont vraiment menacés. Les charges, je le reconnais, sont lourdes et difficiles. Mais enfin nous sommes dans un état de droit.\
Il faut quand même penser que nous avons une des législations les plus élaborées pour protéger ceux qui souffrent d'un malheur ou d'une difficulté, la difficulté de la vieillesse, mais aussi le malheur de la maladie ou bien la belle charge, mais lourde, d'une famille. C'est plutôt un honneur pour la France d'avoir fait ça, d'ailleurs je dois le dire, ça a été fait déjà avant la guerre, ça a été pleinement réalisé en 1945 et pourquoi voulez-vous qu'on revienne sur une législation dont la France bénéficie depuis bientôt quarante ans. Non, moi, j'y tiens. Bien entendu, il y a parfois des excès. Il faut les corriger, mais il faut rester dans la ligne de protection sociale - je n'ai pas dit l'assistance - de la protection sociale contre les coups durs qui frappent la vie des hommes. Car l'explication de notre démarche, monsieur le maire, mesdames et messieurs, c'est de rechercher la justice sociale. Et le point sur lequel nous butons, sur lequel se créent de nouvelles injustices en dépit de notre volonté, c'est la rudesse de la crise qui condamne tant de femmes et d'hommes au chômage. C'est ça le point central de toute action de gouvernement. Nous sommes pris dans une crise internationale, je ne dirai pas mondiale car les pays d'Extrême-Orient, du bord du Pacifique, échappent à cette crise, avec des taux de croissance qui peuvent encore atteindre à l'heure actuelle 8 % par an, mais le vieux monde occidental, il faut le dire, d'Outre Atlantique et de chez nous en Europe, est frappé par une crise qui marque tout simplement le manque d'adaptation de notre société à ses propres inventions. Le cerveau de l'homme a été capable de concevoir une science et une technique dont les progrès sont prodigieux, mais il n'a pas été capable d'adapter la société des hommes, à supporter ce choc et donc à suivre tout aussitôt par la formation des plus jeunes, par la capacité d'un travailleur à changer d'emploi quand il le faut et à disposer du moyen qui lui permettrait de connaître les ressorts d'un métier, celui qui se propose à lui tandis qu'il continue trop souvent d'être formé aux métiers qui n'existent plus. C'est cette adaption, c'est ce passage de l'un à l'autre qu'il faut combler. Tant qu'il ne sera pas comblé, nous serons dans la crise.
- Eh bien ! Je répète ici ce que je répète partout. Si cela, croyez-moi, monsieur le maire, avait été fait avant moi, cela serait aujourd'hui plus facile pour moi, et pour le gouvernement, et pour l'actuelle majorité. Cela n'a pas été fait en dépit d'efforts réels, ici et là, de réussites authentiques. Je pense au nucléaire que vous avez évoqué, sur lesquelles les technologies françaises depuis une quinzaine d'années ont fait de grands bonds en avant. Mais l'effort reste, pour le principal, à faire. Nous nous y appliquons. Je ne vous demande pas une confiance politique. Vous ne nous l'avez jamais accordée. Vous n'allez pas vous convertir ce soir ici, simplement parce que vous m'avez écouté. Si j'ai réussi, ce sera un de mes plus beaux succès. Mais il n'empêche que je vous demande au moins une confiance pour un point, c'est que je crois à ce que je fais. Par -rapport à mon devoir et aux obligations qui sont les miennes et aux intérêts du peuple français, je suis habité par cette conviction : je dois travailler pour que les Français sortent de la crise et pour ceux qui en souffrent le plus, qui ont toujours souffert le plus depuis bientôt deux cents ans qu'existe la société industrielle, les éternelles victimes d'une société injuste, monsieur le maire, injuste aux inégalités sociales qui se perpétuent malgré nos efforts, où l'on crie liberté ! liberté ! quand on défend des privilèges. Eh bien, je dois m'opposer à cela et je m'opposerai.\
Qu'on ne compte pas sur moi, pour la moindre complaisance. Moi aussi, je sais ce qu'est la liberté. Je suis d'une génération, comme vous-même, qui a vécu assez de périodes où elle avait disparu £ je sais ce que c'était que l'oppression, la violence, la négation même des droits de l'homme pour ne pas y être attaché par toutes les fibres de mon être. Mais je dis qu'il y a un abus sur les mots et qu'on appelle liberté ce qui est privilège. Naturellement, quand on a la chance de pouvoir rencontrer un beau mot comme celui-là afin de couvrir des intérêts particuliers, on s'en sert, on le dit et ça porte, mais ce que je dirai portera aussi, croyez-le. Voilà une donnée très importante dans notre débat afin que le triomphe de la raison serve au développement de la démocratie. Les passions, c'est une bonne chose, bien que "passion" vienne d'un mot, comme vous le savez, latin, qui signifie aussi souffrance. Voyez c'est vrai, souffrance. Tout est difficile. Vivre est difficile. Vivre et puis la vie, quel destin ! Et puis la vie et la mort. Oui, ne sourions de rien de tout cela qui nous touche tous. Nous sommes de la même argile et de ce point de vue nous sommes frères, frères et soeurs. Nous sommes projetés dans un destin commun à l'intérieur d'un même pays. C'est vrai que l'on devrait s'aimer un peu plus et moi je ne refuse personne. Moi aussi, j'ai mes préférences, bien entendu, comme vous avez les vôtres. Mais enfin, lorsqu'il s'agit des grands choix, apprenons à vivre ensemble. Si j'ai tort, je le reconnais, je suis prêt à le reconnaître, cela doit m'arriver. Mais, monsieur le maire, et vous mesdames et messieurs, croyez-vous que cela ne vous arrive jamais. Alors, abordons avec humilité et résolution la période de l'histoire de France dont j'ai la charge principale. Mais cette charge vous la partagez avec moi, parce que nous sommes contemporains. Parce que les paysans là dans les champs, parce que les ouvriers dans les usines et ceux qui sortent de l'usine parce qu'ils vont vers le désespoir du chômage, et puis les commerçants, et puis les artisans que je voyais à l'heure du déjeuner à Clermont-Ferrand - Chamalières, et puis toutes les catégories sociales, et les professions libérales, et les enseignants, tous, ils ont quelque chose de noble à faire. Ce qui est désastreux pour le pays, c'est que les intérêts catégoriels particuliers - ont dit "corporatistes" - finissent par l'emporter trop souvent sur l'intérêt commun. J'ai toujours dit que je comprenais le plus souvent le côté légitime de ces aspirations particulières, mais je me refuse simplement à les suivre dès lors qu'elles peuvent nuire à l'intérêt de la nation et de ce point de vue je serai sans faiblesse. Je vous prie de me croire.\
Il est bien tard. J'ai l'intention de descendre un peu là et puis de regarder votre place devant la mairie, d'admirer les contours de Moulins, d'apercevoir la foule en bas, ceux qui approuvent, ceux qui contestent, ça fait un tout. Si tout le monde approuvait, je finirais par m'ennuyer. Vous pouvez le voir que je suis garanti contre toute forme d'ennui ou bien de lassitude. C'est cette diversité qui me plaît. Bien entendu à la condition que j'aperçoive qu'il existe aussi un vaste écho dans le pays qui réponde à ce que je demande du pays et cet écho est plus puissant qu'on ne le croit, qu'on ne le dit. On le saura en temps utile.
- Monsieur le maire, merci. Non pas pour tout ce que vous avez dit mais pour m'avoir parlé franchement, pour avoir exprimé ce que pensent un certain nombre de vos concitoyens. Vous avez parlé de l'Europe. Je n'en parlerai pas. Mais là aussi se trouve la projection de la civilisation dont on retrouve les normes, ici et là dans cette Europe des Dix `CEE` et au-delà, et qui survit au-delà des frontières artificielles économiques et politiques qui ont coupé l'Europe en deux. Civilisation qui repose sur quelques données simples qui nous ont faits. A celà, j'y tiens. C'est ainsi qu'à travers les temps, s'est peu à peu constituée une certaine idée de l'homme, de sa liberté, de son droit. Peut-être faudrait-il parfois insister aussi sur ses devoirs, car rien n'est possible s'il n'y a pas un consentement national, et son consentement passe par le renoncement à l'affirmation de chaque individu, pour le bien collectif. C'est le terrain sur lequel j'appelle toutes les Françaises et tous les Français. Ils ont une civilisation, elle peut s'exprimer, elle doit s'exprimer dans le débat politique, mais on y manquerait si ce débat politique sortait des limites raisonnables de la démocratie, c'est-à-dire du respect d'autrui. C'est à cela que je vous appelle, mesdames et messieurs, et je vous remercie.
- Vive Moulins ! Vive le département de l'Allier ! Vive la République ! Vive la France !\