23 mai 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la remise du prix Simon-Wiesenthal, Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 23 mai 1984.

Monsieur le Rabbin,
- Monsieur le Président,
- Je vous remercie de votre initiative. Et me retournant vers vous, mesdames et messieurs, qui êtes venus de loin, pour certains d'entre vous, et qui avez souhaité participer à cette cérémonie, laissez-moi vous dire que ce Palais de l'Elysée vous accueille avec joie.
- Je suis sensible à votre initiative, à la remise de ce diplôme ou de ce prix. Je n'ai pas l'habitude de participer à des cérémonies de ce genre et si j'ai accepté cette distinction, ou plutôt d'être distingué parmi tant d'autres, par votre organisation, c'est parce que, à la fois le nom de Simon Wiesenthal, son action, son oeuvre, son dévouement passionné, son esprit de sacrifice et les services rendus à la simple justice, méritait bien qu'on le saluât et qu'on reconnût sa mémoire. C'est aussi parce que ceux qui ont pris en charge son oeuvre, notamment le Centre, ont depuis longtemps marqué que la façon dont ils choisissaient leurs lauréats, s'inscrivait dans une longue suite d'hommes et de femmes qui ont agi pour la -défense des droits de l'homme.
- Trop souvent, l'histoire de ma génération m'a fourni l'occasion de marquer la solidarité profonde que j'éprouvais à l'égard d'un peuple et des individus, marqués par la persécution, la souffrance - je veux parler du peuple juif -. Depuis les années déjà lointaines de ma captivité, en Allemagne, jusqu'au premier moment de la Libération et la série d'événements qui sont dans vos mémoires, depuis le fameux "Exodus" qui m'avait valu, à l'époque, d'être l'un des Français à intervenir aussitôt pour qu'on en finisse avec cette tragique aventure, jusqu'à une époque plus récente qu'il m'est aisé de résumer, j'ai toujours recherché à assurer mon soutien, dans la mesure de mes moyens, à ceux qui désiraient la paix, la sécurité, par quelque moyen qu'ils choisissent, et particulièrement, par la fondation d'un Etat. J'ai toujours estimé que c'était une quête juste. Je l'ai dit. Je continue de le penser.
- J'ai, depuis lors, soutenu les efforts accomplis pour que cet Etat puisse être doté des moyens de sa sécurité, que cette sécurité fût garantie par l'ensemble des nations, que ses frontières soient reconnues. Bien entendu, cette disposition d'esprit ne m'a pas conduit à me considérer comme lié aux décisions et aux initiatives de ceux qui seraient appelés à conduire cet Etat, dans la mesure où, chacun, là où il se trouve - et moi, je me trouve en France, responsable de la France - choisit ses voies selon les intérêts nationaux et les principes internationaux qui l'animent.
- Je garde un grand souvenir de ma visite à Jérusalem et je me flatte de l'amitié de bon nombre de ceux qui représentent cet Etat. Pour le reste , nous cheminons et cherchons pour cette région du monde si tourmentée les solutions qui permettront à chacun de vivre en paix dans sa patrie.\
Vous avez parlé, monsieur le Rabbin, monsieur le Président, de la -défense des droits de l'homme. Sur le -plan des conventions internationales, j'ai veillé depuis trois ans à ce que la France se mît en règle partout et apportât sa signature aux textes qui l'engageaient, là où cela avait été précédemment négligé.
- Je pense surtout à la Convention européenne, aussi bien qu'à la Convention universelle des droits de l'homme et je crois que c'est un devoir pour chaque Etat, quelque idée qu'il se fasse de ses intérêts immédiats, de s'inscrire dans la ligne générale d'une -défense intransigeante des droits de l'homme.
- Vous avez cité les noms de quelques victimes illustres de l'arbitraire et je m'entretenais, il y a simplement quelques jours, du cas de Raoul Wallenberg, alors que je me trouvais en Suéde. Assurément le cas de M. Chtcharantsky - j'ai reçu Mme Chtcharantsky dans ce Palais -même - et celui de M. Sakharov, sollicitent, aujourd'hui, en première ligne, l'attention.
- Les droits de l'homme sont les mêmes partout ! Et croyez qu'ils seront partout défendus par nous-mêmes de la même façon.
- Et puis, dépassons l'objet-même de cette conversation qui nous engage sans effort vers les thèmes constants qui occupent l'esprit des hommes. Simon Wiesenthal nous invite à penser au malheur, aux tortures physiques et morales, subies par les communautés juives chaque fois que leurs ennemis, leur ennemi - le racisme - a cherché à remplir sur eux, ou sur elles, cette tragique obsession.
- Pensons à toutes ces femmes, à tous ces hommes, à ces enfants, à ces vieillards qui, dans tant de pays du monde, souffrent d'être ce qu'ils sont. Songeons que la cause que vous représentez ici est aussi celle de milliers d'êtres humains et qu'il n'y a pas lieu d'établir de différence dans le jugement à porter, quelle que soit l'idéologie dont se réclament les bourreaux.
- Cela n'est par réservé, monsieur le Rabbin, à un seul pays. Cela est malheureusement une maladie mondiale. Et c'est à cette maladie qu'il faut s'en prendre. Je ne ferai pas ici la liste, qui ne pourrait être d'ailleurs exhaustive, de tous les lieux où les droits de l'homme sont bafoués. Montrons dans tous les cas la même disponibilité. Ne mêlons pas inutilement les thèmes extérieurs à la -défense de cette grande cause. Restons tout simplement intransigeants au regard de quelques principes et surtout de celui-là,qui inspire de grandes associations françaises, de nobles communautés, qui justifient et leur action, et leur vie-même.\
Bien entendu, notre attention et la vôtre, la mienne, est particulièrement attirée par la situation des Juifs de l'Union soviétique. C'est un fait ancien et qui malheureusement tend à se perpétuer. Vous n'ignorez pas que le gouvernement de la France, à tout moment, et plus particulièrement aujourd'hui, n'a jamais relâché cet effort, en choisissant les voies et moyens qui paraissent les plus utiles pour que chacun puisse retrouver sa liberté de choisir le lieu où il entend enfin trouver la paix et la sécurité.
- Je le répète encore : la cause que nous servons ne connait pas de frontières. Et je pense en cet instant, émouvant pour moi, à toutes ces personnes et aussi à ces peuples qui cherchent sans trouver, qui attendent sans toujours espérer, qui désirent tout simplement disposer d'une famille, d'une terre, d'un toit, d'un cercle d'amis et de pouvoir conduire les recherches de leur esprit selon la loi qu'ils aiment, les livres qui leur ont été enseignés, la conception qu'ils ont de l'existence et du destin de l'homme.
- Voilà des droits dont vous êtes, mesdames et messieurs, comme moi, les témoins, dont certains d'entre vous ont été particulièrement les acteurs, les grands acteurs. Et qu'aujourd'hui vous ayez bien voulu venir jusqu'ici pour en rendre témoignage, autour de ce document, me flatte mais aussi me donne le sentiment que nous n'en sommes encore qu'au début de la route tant la tâche est immense. C'est donc une affirmation de volonté pour la -défense des droits de l'homme qu'ensemble nous allons, quand nous nous serons séparés, continuer par notre action et notre conviction.
- Mesdames et messieurs, vous êtes les bienvenus et je vous remercie.\