28 mars 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant les membres de l'Economic Club à New York, mercredi 28 mars 1984.

Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs,
- Au terme d'un voyage de sept jours aux Etats-Unis d'Amérique, me voici donc à New York, votre grande métropole industrielle, financière et culturelle. Me voici devant bon nombre de ceux qui font des Etats-Unis d'Amérique la première puissance économique du monde. Je suis très sensible à votre invitation. Et je ne comprends pas pourquoi, je ne suis que le troisième. On aurait dû venir plus souvent avant moi, car ce type de relations, de discussions, de dialogues, est éminemment utile à mon propre pays. J'espère qu'il sera aussi utile au vôtre ou en tout cas à vous-mêmes.
- A Washington, je me suis entretenu avec votre Président `Ronald Reagan` et les principaux dirigeants politiques. Dans tous les endroits où je suis passé - Géorgie, Californie, Illinois - j'ai pu constater le dynamisme, la vitalité de votre pays. Partout j'ai écouté et puis j'ai questionné. Et après une semaine de rencontres, de dialogue, je vais vous dire mon sentiment.
- D'abord, ainsi qu'il vient d'être énoncé par votre Président, après deux siècles, cela va bien entre la France et les Etats-Unis d'Amérique. Après tout, c'est difficile de vivre longtemps ensemble. On le sait bien. Peut-être s'entend-on d'autant mieux, quand même, que cela dure ! C'est bien le cas. Il n'est pas une seule circonstance historique importante où nous n'ayons été côte à côte £ et je n'oublie pas la dette de reconnaissance que la France doit à votre pays.
- Mais il me semble aussi que les Etats-Unis et la France aujourd'hui mesurent mal leur solidarité. Nos deux pays appartiennent à la même alliance `Alliance atlantique`. Ils défendent un même type de civilisation, fondé sur la liberté. Mais aller plus loin, agir ensemble pour sortir ensemble de la crise, on dirait qu'ils n'osent pas. Alliés contre la guerre, ils restent trop souvent séparés pour construire la paix.\
Or, cette solidarité, comment la nier dans tant de domaines. Prenons l'exemple du domaine monétaire. Vous êtes des industriels, des banquiers, des hommes d'affaires. Lequel d'entre vous ne souhaite pas, pour le dollar, une parité stable, réaliste, conforme à la structure des coûts de production ? Un dollar trop haut paralyse, je l'imagine, vos ventes £ trop bas, il gêne vos implantations à l'étranger £ trop volage, il rajoute à vos incertitudes d'investisseurs ou de commerçants. De même pour les taux d'intérêts : trop faibles, trop élevés, ils freinent la reprise. Eh bien, dites-vous bien que ce que vous pensez, nous le pensons, nous, encore plus. Pour des raisons évidentes : notre situation est plus fragile que la vôtre et nous ne sommes pas au centre même de la puissance économique. Comme nous, je l'espère, vous souhaitez plus de calme sur ce front monétaire.
- Je sais les difficultés d'un décideur, dans un monde où tout change toujours, à moins que tout ne soit un excitant pour réussir mieux. "Donnez-moi un appui", disait Archimède, "et je soulèverai l'univers". En refusant de discuter tous ensemble d'un nouveau système monétaire international, j'estime que nous nous refusons à nous-mêmes l'appui nécessaire, indispensable pour soulever le monde.
- Dans le domaine des relations avec le tiers monde, nous refusons aussi trop souvent de voir la réalité, c'est-à-dire de constater la solidarité de nos intérêts, les avertissements ne manquent pas. Tantôt c'est un conflit local, issu de rivalités ethniques, ou territoriales, attisé par la misère et amplifié par des puissances étrangères, menace pour l'équilibre des continents, pour la sûreté de nos approvisionnements. Tantôt c'est une crise financière, comme au Mexique, comme au Brésil, comme dans bien d'autres pays encore, qui fait vaciller l'équilibre de nos plus grandes banques et passer au rouge leurs bilans.
- Je vois beaucoup de financiers parmi vous, pour lesquels les deux ou trois dernières années n'ont pas été très confortables. Est-ce trop demander que le dialogue renaisse, activement ? Que les institutions spécialisées se réunissent pour examiner enfin le problème général de la dette, que l'on se préoccupe sérieusement des famines qui grandissent et des déserts qui avancent. Si encore l'avenir était certain, nous pourrions prendre le risque de ne pas écouter ces avertissements.\
Mais la solidarité, c'est d'abord la connaissance mutuelle. C'est la raison pour laquelle je me propose de vous parler maintenant de l'économie française. Pour que cessent certains malentendus, pour que se développent nos échanges. Je vous dirai nos difficultés et nos efforts aussi les signes de notre redressement. Et je vous parlerai avec la franchise qu'attendent des responsables tels que vous.
- Souvent je lis dans les journaux que l'on s'étonne que le Président de la République française élu en 1981 sur la base majoritaire que vous savez, ayant constitué le gouvernement que vous savez, puisse se trouver à l'aise en 1984 aux Etats-Unis d'Amérique. Eh bien, c'est le cas, je me trouve très à l'aise aux Etats-Unis d'Amérique. Nous n'avons pas brûlé les églises, nous n'avons pas fermé les usines, nous n'avons pas mis de rideau de fer, bref, j'arrête là ma description. Ce que je veux dire, c'est que nous avons fait le choix de la liberté à notre façon, estimant que les libertés collectives et sociales, après tout, valaient bien les libertés de droit public et en tout cas qu'elle les complètent.\
Ce que je veux dire, c'est que la France ne serait pas en mesure de vivre avec un triple déficit du budget, du commerce extérieur, de la balance des paiements. Aussi nous sommes-nous attaqués à plusieurs de ces domaines, vous le verrez, parfois avec succès.
- Nos importations représentent le quart de notre produit intérieur `PIB`, nous devons acheter en dollars les deux-tiers de notre énergie, et 70 % de nos matières premières. La France est l'un des pays les plus ouverts du monde sur l'extérieur. Nous refusons le protectionnisme, et s'il en reste ici et là, et il en reste y compris chez nous, alors comme je le disais au cours de ces derniers jours à d'autres interlocuteurs, il faut qu'on mette tout sur la table et que nul n'accuse l'autre, l'Europe, les Etats-Unis - les Etats-Unis, l'Europe. A l'intérieur de l'Europe, l'Allemagne `RFA`, la France, la Grande-Bretagne £ à l'extérieur, la France, les Etats-Unis d'Amérique. Que nul n'accuse l'autre sans que nous ayons procédé à un examen honnête et approfondi de la réelle situation des protectionnismes opposés qui d'ailleurs finissent par s'annuler l'un et l'autre. Mais nous sommes, je le dis, contre le protectionnisme, je suis prêt à supprimer toutes les barrières qui demeurent dès lors que cette démarche ne serait pas unilatérale.
- Pour financer nos importations, nous sommes contraints, nous, Français, de gagner sur les marchés extérieurs, par l'innovation, par les prix, par l'habileté commerciale. Si nous ne gagnons pas sur ce terrain, nous serons enfoncés par des importations, dont je vous ai dit qu'elles coûtaient cher et qui immédiatement détruisent nos équilibres. Ah, certes, le repli sur soi serait une tentation, celle de la facilité, et je m'y refuse, car c'est aussi la certitude du déclin. Pour garder son rang, il faut accepter la lutte. C'est dans la compétition et non dans la fuite ou dans le repos que se forgent les énergies. Et c'est le choix que j'ai fait.\
Pour recréer les conditions d'une reprise de la croissance, deux objectifs pour nous : rétablir l'équilibre de nos comptes extérieurs, réduire le taux d'inflation jusqu'à ce qu'il devienne comparable à celui des autres grands pays développés. où en sommes-nous aujourd'hui ?
- Pour réduire l'inflation, nous avons agi simultanément sur les déficits publics, sur la monnaie et sur les revenus. Dès le début de 1982, le gouvernement français a limité à ma demande le déficit du budget de l'Etat à l'un des niveaux les plus bas du monde occidental, grâce à des économies substantielles sur les dépenses et un grand progrès dans la gestion, déficit qui se situe aux alentours de 3 % de notre produit intérieur brut `PIB`.
- Pour la monnaie : nos objectifs ne sont ni laxistes comme on dit, ni déflationnistes. Nous essayons de les accorder le plus strictement possible à l'évolution prévisible de l'activité. Par exemple pour cette année nos autorités monétaires ont fixé entre 5,5 et 6,5 % le taux de croissance de la masse monétaire.
- Nous faisons aussi un effort sans précédent dans l'histoire de notre pays pour briser les enchainements néfastes. Jusqu'en 1982, prévalait en France depuis longtemps la coutume d'une indexation trimestrielle des revenus sur les prix. Eh bien, depuis 1982, c'est chaque année et en fonction de l'objectif gouvernemental que sont et seront négociés les salaires.\
Notre politique de lutte contre l'inflation est pragmatique. Elle cherche à s'attaquer à nos faiblesses propres. Les résultats : lorsque j'ai été élu Président de la République, j'ai hérité d'une inflation de 14 % d'une année sur l'autre, et, pendant les sept années précédentes, on était toujours resté entre 9,5 % et 14 % en 1974, 10 % environ les années suivantes, 14 % de nouveau en 1981. Et comme on nous disait, c'était sans doute vrai, que nous avions à l'époque les meilleurs économistes, comme nous faisons mieux, que dira-t-on de nous ? Mais on ne le dit pas. Or nos résultats sont encourageants puisque nous avons réduit en deux ans de 5 points notre taux d'inflation. Cette dernière est trop forte, beaucoup trop encore. L'année dernière, nous avons fait 9,3 %. Mais depuis maintenant six mois nous sommes en régime de croisière, sur 7,5 % avec pour objectif d'atteindre 5 % à la fin de l'année, ce qui nous permettrait de rester dans le peloton des bons résultats européens ou extérieurs. Malgré la forte hausse du dollar et sans compromettre notre action en faveur de l'emploi qui reste une option difficile, je compte poursuivre la réduction de notre taux d'inflation.
- Nous avons réduit de moitié le déficit de notre commerce extérieur. Au dernier trimestre de 1983, notre commerce extérieur était proche de l'équilibre. Les derniers mois ont été moins bons, surtout en raison de l'augmentation de nos approvisionnements de pétrole et de gaz, mais au total nous restons dans la ligne que nous avons fixée. La balance des opérations courantes au dernier trimestre 83 est redevenue excédentaire. Et les réserves de change de la France s'élevaient à 53 milliards de dollars à la fin de 1983.\
La rigueur politique, économique n'est évidemment qu'un moyen, ce n'est pas une fin, ce n'est pas un objectif. C'est une façon de traverser une époque difficile pour que la France reparte d'un bon pied. Alors notre politique économique c'est d'abord la préparation de l'avenir par une suite d'actions délibérées en faveur de l'industrie.
- Ainsi cette année alors que la moyenne des dépenses de l'Etat reste stable, c'est-à-dire au niveau de l'inflation, le budget de la recherche augmentera en plus de 8 % en volume. Les mesures en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle augmenteront également en valeur réelle, bien entendu, au-dessus de l'inflation, d'au moins 6 %.
- Cette politique d'incitation et de modernisation commence à porter ses -fruits, c'est bien le moins. La production industrielle est en progression depuis six mois et pour la première fois depuis longtemps nous attendons cette année une augmentation du volume des investissements industriels, car nos entreprises ont compris cette nécessité d'investir. Nombreux sont les étrangers, même, qui ont choisi notre pays pour redévelopper leurs activités. Nous les accueillons de grand coeur et nous les aiderons à pouvoir s'implanter dans les meilleurs conditions.
- Il faut dès maintenant abandonner cette image commode d'une France capable de réalisations technologiques de grand prestige, mais spécialisée surtout dans quelques articles de luxe ou de gastronomie. Etant entendu que pour le luxe et la gastronomie, nous entendons persévérer.\
Mais préparer l'avenir, c'est aussi, certainement, pour nous, mieux répartir l'effort. Il n'y aura pas de redressement national de la France sans une plus grande solidarité nationale, une plus grande justice pour tous. C'est ma conviction. En 1983 et malgré la rigueur, le pouvoir d'achat des plus démunis a été maintenu, tandis que celui des plus aisés, en compensation, aura légèrement baissé.
- Nous voulons que chacun dans son travail, aussi modeste soit-il, soit associé à l'effort collectif. C'est pourquoi alors nous accompagnons de mesures sociales les indispensables mutations industrielles dans certains secteurs. Une partie de l'industrie lourde n'est plus compétitive, quelques secteurs sont devenus archaïques, parce que n'ont pas été réalisées à temps les transformations qui leur auraient permis de revivre déjà, car il n'y a pas de secteur condamné, il y a des entreprises condamnées, c'est tout à fait différent. Dans la sidérurgie, les chantiers navals, les Charbonnages, nous avons cherché une politique sociale active pour former à d'autres métiers. Difficile problème que celui de la restructuration qui frappe tant de gens dans leur emploi et dans leur vie. Ce n'est pas propre à la France. Hier, j'étais à Pittsburgh, j'y étais venu quelques années plus tôt et j'ai pu observer la renaissance de cette ville qui a dû sortir de la formidable crise de l'industrie lourde pour aborder les temps nouveaux ce qu'elle fait d'ailleurs avec intelligence et sérieux.
- Non, je ne veux pas nier la réalité économique et je sais qu'une politique aussi difficile que celle-là avec une modernisation que nous accélérons provoque des taches de chômage. Nous nous attaquons à ce problème par la formation des hommes, et aussi par une meilleure diversité de nos productions surtout du côté des technologies de pointe. Bref, il faut moderniser. Car moderniser plus tard que nos concurrents, c'est la certitude de notre échec.\
Voilà, mesdames et messieurs les principaux aspects de ce que l'on pourrait appeler la politique de l'offre à la française. Cette politique ne cherche pas à appliquer je ne sais quelle théorie économique. Elle procède de l'analyse du monde actuel avec ses contraintes et ses perspectives. Elle tient compte de l'originalité française de ses traditions, de ses lenteurs, de ses lourdeurs, mais aussi de ses atouts et ils sont réels.
- Je sais que certaines de ces traditions vous paraissent étranges pour le moins, je veux parler des nationalisations. Nous en avons fait, je ne le regrette pas. Un peu moins cependant que le général de Gaulle en 1945 et certaines d'entre elles que l'on me reproche au quinzième siècle, François 1er au début du seizième, Louis XIV et Colbert. Eh oui, les Postes ont été mises sous l'autorité de l'Etat par le vieux Roi Louis IX. Moi j'aime bien Louis IX, mais que l'on me charge du fardeau de ce qui correspond, il faut le dire, à une tradition française, cela nous gêne pas, mais j'aime mieux partager avec tous ces messieurs, dont je viens de citer les noms. En tout cas, les entreprises publiques nationales françaises sont parmi les meilleures en France, dans les secteurs de pointe.
- Ainsi le programme électro-nucléaire est l'un des plus solides du monde, 50 % de notre électricité est d'origine nucléaire, et cette proportion atteindra bientôt 75 %. Nous pouvons construire en moins de cinq ans des centrales de 900 mégawatts. Nous produisons l'électricité à un prix très compétitif, ce qui nous permet d'en exporter et de réduire la dépendance énergétique de l'Europe.
- Télécommunications, nous avons rattrapé nos retards. Notre système de communication électronique est l'un des plus avancés qui soient, et nous l'avons déjà fait accepter dans plus de trente pays, en attendant le trente-et-unième, c'est-à-dire le vôtre.
- Un autre exemple des performances réalisées par nos entreprises nationales : le train à grande vitesse, qui inaugure une nouvelle génération de matériel ferroviaire, puisqu'il permet d'atteindre la vitesse commerciale de 270 K/H entre Paris et Lyon. Voilà le bilan très incomplet de nos entreprises nationales, je n'ai pas parlé de l'aéronautique, de l'automobile, je veux rester dans les limites du temps que vous m'avez prêté. Je pense que ces entreprises nationales, en dehors de la sidérurgie, problème propre à l'Europe tout entière, extrêmement difficile à régler, seront toutes en équilibre à la fin de 1985. Certaines d'entre elles sont déjà bénéficiaires.\
Mais, il n'y a pas en France que des entreprises nationalisées, il n'y a pas de collectivisation de notre économie et je n'y tiens pas. La France est un vieux pays occidental, dont la civilisation, la structure ne permettrait pas cela, ce ne serait d'ailleurs pas souhaitable. De telle sorte que la grande majorité de nos sociétés, petites, grandes moyennes, appartient au privé. Plus de 80000 ont été créées au cours de ces derniers mois. Bref ces entreprises ont de l'audace, elles ont de l'initiative £ elles sont un moyen puissant pour développer toute une série de techniques, je pense à la mobilisation des capitaux à risques. Et les investisseurs ont compris la potentialité de la France £ en 1983, vous l'avez sans doute noté, la Bourse à Paris a enregistré une hausse de plus de 56 %, ce qui n'est pas si mal.\
Nous le savons, mesdames et messieurs, il reste beaucoup à faire pour mieux agir. Pour lutter contre le poids de la bureaucratie, contre une certaine hypertrophie sur Paris, pour résister à l'augmentation naturelle des dépenses publiques. Alors nous avons réformé, nous avons fait ce que l'on appelle la décentralisation, donné des pouvoirs, comme on ne l'avait pas fait depuis Napoléon 1er, depuis bientôt deux siècles, aux régions, aux départements et aux communes.\
J'ai demandé au gouvernement - exercice difficile pour lui - de réduire cette année les prélévements obligatoires, c'est-à-dire les cotisations sociales et les impôts. Ils n'ont pas cessé d'augmenter depuis dix ans. Ils seront réduits en 1985.
- La France ne se dérobe pas devant l'effort. Elle ne se réfugie pas dans l'illusion. Elle connaît des difficultés. Elle veut l'efficacité économique, mais elle veut la coupler avec la justice sociale. Nous n'y arriverons pas comme cela, par enchantement. Nous y arriverons par l'effort et par la lutte.\
Nous sommes en Europe. Nous sommes au sein de la Communauté économique `CEE` qui connaît une crise, mais qui vit, qui travaille, qui continue une compétition de haute qualification. Notre avenir est lié à celui de nos neuf autres partenaires avec l'Espagne et le Portugal. L'Europe n'est pas dépassée. Elle n'a pas une conscience politique suffisante de sa réalité économique et commerciale et c'est cette volonté qu'il faut lui donner. Volonté dans le domaine politique de son unité, mais sans doute aussi, volonté dans le domaine de sa sécurité, de sa défense.
- Mesdames et messieurs, je vais terminer en vous disant que depuis trois semaines l'Europe a décidé le lancement d'un nouvel avion Airbus, 250 places `A 320`, elle a enregistré un nouveau succès avec la fusée Ariane, elle vient de mettre en place un dispositif de coopération scientifique et industrielle de tout premier -plan pour toutes les technologies de l'information qui s'appelle le programme "Esprit". Voilà £ ce qu'on appelle le vieux continent ne se porte pas si mal.\
Mais il ne faut pas que nous fermions nos portes. Il y a place chez nous pour tous les dynamismes. Toutes les alliances sont permises. Ainsi dans le domaine des moteurs d'avion notre société nationale, la SNECMA a engagé avec le constructeur américain, General Electric, le développement d'un moteur de la nouvelle génération : le CFM 56 £ l'armée américaine a commandé plusieurs centaines d'exemplaires de ce moteur pour ses propres avions. De la même façon pour la construction des satellites, la SNIAS, société française, coopère avec la division aérospatiale de Ford.
- Parmi les convives ici présents, j'en ai rencontré plusieurs qui me disaient : nous avons une entreprise en France et nous en sommes plutôt contents. S'ils ne sont pas assez contents, qu'ils viennent me voir, on s'arrangera. Moi, je tiens à ce que vous veniez. Vous me procurerez des emplois, du travail, de l'activité et travaillant sur place vous me rendez une partie de la richesse que vous créez et vous en tirez profit. Après tout peut-on faire un meilleur accord ? A tous les entrepreneurs qui sont déjà chez nous, je dis que nous sommes heureux de leur présence. Je leur souhaite plein succès et je les remercie.\
Voilà, mesdames et messieurs, j'ai saisi cette occasion pour parler devant vous de l'effort que nous menons. J'aurais pu vous faire une description de nos difficultés, mais il suffit de lire les journaux pour les apprendre. Si je ne viens pas moi-même corriger cette image, qui le fera à la place ? Seulement vous pourrez vérifier que ce que je vous dit, c'est la vérité de mon pays.
- Et puis je voudrais accroître la solidarité entre nous. Nous avons nos différences. Après tout c'est mieux comme cela. Mais face à la force et à la brutalité, la liberté peut être une faiblesse si chacun s'isole, elle est une force si nous sommes ensemble, le passé récent l'a montré. Dans les années qui viennent, mesdames et messieurs, la liberté devra montrer sa détermination et résister à bien des attaques. La démocratie est largement minoritaire dans le monde.
- Je souhaite beaucoup de succès à vos entreprises, je vous redis l'amitié de la France. Je suis dans une attente d'ambitions communes et je remercie votre club, l'Economic Club d'avoir bien voulu m'entendre. J'en suis flatté et je vais vous exprimer mes sentiments de gratitude. Merci.\
QUESTION.- (Concernant les -rapports avec l'Union soviétique).
- LE PRESIDENT.- Cela ne tient pas au changement de personnes. Cela tient à un certain nombre de -rapports, que je n'appellerai pas -rapport de forces, et à des réalités politiques, économiques et dans le domaine de la défense.
- Certes, les caractères et les tempéraments sont différents. M. Andropov n'était pas M. Brejnev et M. Tchernenko ne ressemble pas à M. Andropov. Cela n'est pas indifférent. Les hommes comptent, même dans les systèmes les plus figés. Mais il ne faut pas s'imaginer que la politique de l'Union soviétique soit déterminée autrement que par une sorte de démarche collective d'un nombre réduit de personnes, de telle sorte que la politique d'aujourd'hui sera très semblable à la politique d'hier. Je crois que cette politique d'aujourd'hui et de demain sera plus ouverte qu'on ne le croit à un possible dialogue, parce que c'est devenu une nécessité pour eux comme pour les autres.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- Nous avons abordé ce problème, en effet, sous son aspect fiscal. Il est indispensable. Il faut que l'investissement soit de plus en plus libéré de ses charges - je ne dis pas complètement, naturellement - mais il faut qu'il y ait un intérêt puissant à investir, et plus encore pour le capital à risques. Je l'ai demandé au ministre de l'économie et des finances `Jacques Delors`, qui a d'ailleurs commencé à soumettre à notre Conseil des ministres des mesures tout à fait concrètes pour donner au capital à risques toutes ses chances. Nous avons bien constaté que c'était chez vous un des vrais moyens de développer les hautes technologies, et nous n'avons pas perdu la leçon.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- La France fait partie, vous le savez, de l'Alliance atlantique. C'est une alliance militaire défensive, dans une aire, sur une surface géographique déterminée. Restons-en là. C'est déjà très important. Mais la France ne fait pas partie du commandement intégré de l'OTAN. C'est là qu'est la différence. La France a quitté ce commandement par la décision du général de Gaulle et il n'est pas question qu'elle y revienne, d'autant plus que la France dispose d'un armement nucléaire autonome qui ne peut dépendre, selon ses propres lois, que de la décision ultime du Chef de l'Etat français.
- Cette discussion m'intéresse parce que nous sommes dans l'alliance, parce qu'il s'agit de nos amis et parce qu'en cas de danger mutuel, nous serions évidemment associés. Mais pour ce qui touche à l'organisation-même de l'OTAN sous commandement intégré, nous pouvons donner un avis, mais cet avis serait un peu égoïste puisque, de toute manière, nous n'en subirions pas les conséquences. Nous ne sommes pas dedans. Nous n'y rentrerons pas. Si les participants de cet OTAN intégré désirent se réorganiser, qu'ils le fassent. Moi, je ne peux pas vous dire - ce serait malséant - s'il vaut mieux que le général en chef soit américain, hollandais, allemand ou je ne sais quoi ... puisque de toute façon cela ne pourrait pas être un Français. Après tout, il y a de bons militaires partout, choisissez les meilleurs. C'est votre affaire, nous vous faisons confiance.\
QUESTION.- (concernant la Communauté européenne).
- LE PRESIDENT.- La Communauté économique européenne `CEE` a vécu, au cours de ces dernières années, au-dessus de ses moyens ou plutôt elle ne s'est pas dotée des ressources suffisantes. Mais précisons les choses pour que tout soit clair.
- Le budget de la Communauté est un tout petit budget. C'est un budget consacré au marché commun agricole ou a un certain nombre d'opérations du type "aide au développement d'une région", je pense au sud de l'Italie, à telle ou telle région de l'Irlande, etc ... et ainsi que l'extension à de nouvelles ressources méditerranéennes, puisque la Grèce est maintenant dans la communauté, puisque l'Espagne et le Portugal pourraient y entrer. Voilà le budget, et le budget c'est 1 % du produit intérieur brut `PIB`, des dix pays de la Communauté dont certains ont des produits intérieurs bruts extrêmement faibles. Voilà, car la Communauté c'est tout autre chose que son budget et il n'y a pas de budget industriel. Et pourtant, l'Allemagne, l'Angleterre et d'autres, nous-mêmes dans certains domaines, ont fait des considérables bonds en avant industriels grâce au Marché commun, mais ce n'est pas comptabilisé dans un budget.
- Sur quoi est fondé ce budget ? Sur la TVA (la taxe à la valeur ajoutée), cet impôt qui, je crois, a d'ailleurs été inventé par des Français. C'est un impôt indirect dans la mesure où il vise, par des taux différents, un certain nombre de groupes socio-professionnels ou économiques. Chaque pays donne à la communauté 1 % de sa TVA, de sa taxe à la valeur ajoutée.\
Les deux autres ressources de la Communauté, ce sont deux autres ressources bien claires, bien spécifiques. D'une part, les taxes douanières : quand un produit vient de l'étranger en France, en Angleterre, dans la Communauté, il paye un droit, qui va directement à la caisse commune £ d'autre part, les prélévements agricoles. Lorsqu'un pays de l'Europe des Dix achète un produit agricole en dehors de la Communauté, par exemple la Grande-Bretagne des moutons en Nouvelle-Zélande, ou du beurre, ou encore l'Italie des carcasses de viande bovine en Argentine, à ce moment-là, le pays qui achète à l'extérieur doit payer la différence de prix à la caisse de la Communauté. Ce qui veut dire - excusez-moi d'être un peu long là-dessus, mais il faut bien comprendre ce dont il s'agit, lorsqu'on parle de faillite de la caisse commune - que les taxes douanières et ce prélèvement sur les produits agricoles achetés à l'extérieur, appartiennent directement à la Communauté. La TVA, elle, appartient d'abord à chaque Etat national qui en reverse 1 % à la Communauté.
- La crise s'applique donc à ce petit budget, elle ne s'applique pas à l'ensemble des opérations européennes et il y a, en particulier, des opérations de crédit à base d'écus tout à fait importantes qui ont été décidées au cours de ces derniers temps.\
La difficulté est venue d'un accord de 1980, entre les pays de l'Europe des Neuf, - avec la Grande-Bretagne -. Les dirigeants, notamment de la France et de l'Allemagne ont consenti à l'époque à la Grande-Bretagne un remboursement de ce qu'elle verse à l'Europe des deux tiers. Pourquoi ça ? Parce que la Grande-Bretagne, en versant sa TVA, a constaté qu'elle n'était que le septième pays sur dix - le septième - pour son produit intérieur brut `PIB`. Donc elle donnait des sommes vraiment importantes pour un revenu assez faible. Elle a demandé, en 1980, qu'on lui rembourse aussi les deux tiers des taxes douanières et des prélèvements agricoles qui sont pourtant communautaires, et les gouvernants de l'époque ont accepté. Personnellement, je pense qu'ils ont été faibles mais enfin c'est fait, et depuis quatre ans, on vit là-dessus, si bien que les neuf autres pays de la Communauté n'acceptent plus de payer un remboursement à la Grande-Bretagne sur des ressources qui leur appartiennent.
- Si un produit vient par un port britannique, la Grande-Bretagne réclame qu'on lui rembourse les deux tiers de la somme qui n'a fait que passer par elle mais la Belgique ne le demande pas pour Anvers, la Hollande ne le demande pas pour Rotterdam. Comme cela a été accordé à la Grande-Bretagne en 1980, naturellement elle dit : voilà, cela fait jurisprudence, il ne fallait pas me le donner ! Il faut ajouter, pour être tout à fait clair, qu'il devait y avoir, en France, en Allemagne et dans quelques autres pays des élections peu de temps après mais c'est une remarque purement personnelle. Alors, il ne fallait pas de crise en Europe. Pour cette fois-ci on a dit, non, nous voulons bien contribuer à la démarche de la Grande-Bretagne qui est notre amie, et avec laquelle j'ai personnellement beaucoup de liens. Je discute beaucoup et avec le plus grand intérêt avec Mme Thatcher et nous travaillons vraiment utilement, mais sur ce sujet-là, je ne veux pas détruire le traité de base de la Communauté, le Traité de Rome, qui, lui, interdit ce genre de pratique. Autant j'accepte naturellement, comme les autres, qu'on rembourse à la Grande-Bretagne une partie de sa TVA, autant je ne veux pas lui rembourser une partie des ressources qui ne lui appartiennent pas. Voilà, c'est l'objet du litige. Historiquement, l'Angleterre a raison, depuis 1980 £ juridiquement et économiquement, elle a tort à nos yeux mais, je le répète, cela ne touche qu'à la partie étroite des budgets agricoles, cela ne touche pas au reste, de telle sorte que nous avons encore de larges secteurs disponibles. Quant à l'affaire agricole, j'espère que nous l'arrangerons et j'y suis en tout cas pour ma part tout à fait disposé.\
QUESTION.- (concernant le Liban).
- LE PRESIDENT.- Et avant même que le Liban n'existe, avec les "échelles du Levant" la France a des liens séculaires. Depuis en tout cas le XIVème siècle, les liens ont été constants et le Liban d'aujourd'hui est un pays qui, culturellement, économiquement, politiquement aussi est très proche de la France. Culturellement, notre langue est très répandue dans ce pays. Nous avons de l'amitié les uns pour les autres. Nous ne pouvons donc pas, nous Français, être absents lorsqu'il se pose des questions vitales pour le Liban. Nous avons d'ailleurs exercé un mandat international sur le Liban, comme vous le savez, après le premier des grands conflits mondiaux.
- Au Liban il y a eu la guerre, une guerre de plus, lorsque Israël a estimé nécessaire, pour assurer sa propre sécurité, de dégager le territoire libanais des armées palestiniennes qui s'y trouvaient. On appréciera, oui ou non, l'initiative israélienne. Elle a en tout cas accéléré un processus de décomposition dont nous souffrons encore. Israël a obtenu un succès très remarquable sur le -plan militaire, plus remarquable encore que sa guerre des Six Jours et, en peu de temps, Israël avait pratiquement remporté tout le territoire - sauf naturellement là où se trouvaient les armées syriennes car Israël ne voulait pas de guerre d'un pays à l'autre - et a en particulier occupé Beyrouth-Est. C'est à ce moment-là que les Palestiniens, écrasés sous les bombes à Beyrouth-Ouest, ont appelé au secours et que, sur le -plan international on a estimé nécessaire, à la demande du gouvernement libanais, d'intervenir pour sauver des vies et servir la paix. Avec l'accord du gouvernement d'Israël, nous y sommes allés. Les Français y étaient les premiers, et ils ont aidé à l'évacuation de 4000 Palestiniens, avec leurs armes légères naturellement, par leurs armes lourdes, et dans la dignité. Nous étions alors une force d'interposition, comme on dit, entre les divers combattants, américains, italiens, anglais, français. Et puis nous sommes partis, mission terminée, quand, par malheur, s'est déroulé le massacre de Sabra et Chatila. Et à la demande du gouvernement libanais et de toutes les fractions libanaises, celles qui se déchirent, qui s'entretuent aujourd'hui, nous avons accepté de revenir pour tenter d'épargner à ces populations Druses, Chrétiens, etc.... de nouveaux massacres. Et nous avons en effet évité au Liban de connaître un déchirement supplémentaire qui eût été plus dramatique encore que celui qui s'est produit par les bombardements que vous savez.\
Nous avons eu de très bonnes relations avec nos partenaires de la force multinationale. Chacun était resté sous son commandement. Il n'y avait pas de commandement unique, mais il y avait consultation, concertation. Lorsque les actes terroristes venus de l'extérieur ont tué, de façon abominable, 250 soldats américains et 58 soldats français, nous avons senti plus encore notre solidarité. Je suis moi-même allé à Beyrouth le lendemain et mon premier soin a été, indépendamment des forces françaises, d'aller visiter l'armée américaine et m'incliner devant ses morts.
- Les Etats-Unis d'Amérique disposent d'une alliance intime avec Israël £ nous sommes amis avec Israël mais nous n'avons pas ce type d'accord. Nous avons, avec les pays arabes, de traditionnelles relations qui nous sont propres, notamment avec la Syrie avec laquelle nous avons beaucoup de difficultés mais avec qui cependant, nous avons perpétué ce type de relations. A quoi avons-nous encore servi ? Je vais vous citer deux exemples : lors de l'évacuation des palestiniens de Tripoli, écrasés sous la mitraille syrienne, nous avons, avec les Grecs, assuré le convoi de ces soldats qui ont pu rejoindre d'autres pays, environ 4000 encore. Et puis nous avons assuré, à la demande d'Israël et des autres, l'échange entre les soldats prisonniers israéliens et les soldats palestiniens : encore 3500. Puis nous avons, vous et nous, dans les secteurs où nous étions en relation avec le gouvernement libanais, d'un commun accord entre nous, sauvé des vies, assuré une paix relative dans les quartiers où nous étions, protégé les vieux, protégé les enfants, permis aux écoles de continuer à fonctionner.\
Naturellement, cela nous a coûté cher en vies humaines et il est arrivé un moment où, ayant le sentiment qu'on s'enfonçait dans une guerre civile, plusieurs gouvernements ont estimé devoir quitter le Liban £ cela a été le cas des Etats-Unis d'Amérique, de la Grande-Bretagne et de l'Italie. Nous sommes restés jusqu'à maintenant parce que, je le répète, nous avons une histoire, une relation particulière non seulement avec le Chef de l'Etat, M. Gemayel, avec lequel nous sommes amis, mais aussi avec ceux qui le combattent. Ce n'est pas que nous jouions double ou triple jeu, c'est que tous viennent normalement nous voir. J'ai reçu M. Nabi Berri, le chef des Chiites, comme j'ai reçu le Président Gemayel, comme j'ai des relations déjà anciennes avec M. Jumblatt - j'étais l'ami de son père - ce sont des traditions très anciennes. Nous connaissons tous les leaders qui se combattent : nous connaissons M. Frangié, le Chrétien, dans le Nord, côté syrien £ M. Karame, du côté de Tripoli, mulmusulman lui aussi côté syrien £ et puis les uns et puis les autres .. Nous voulions l'accord de tous pour assurer notre départ et cet accord existe. A la veille du début de notre départ, leur démarche a même tendu à ce que nous restions, c'est dans les postes français que les rencontres ont pu se faire entre factions hostiles. C'était le seul terrain où ils pouvaient se rencontrer. A peine avons-nous amorcé notre mouvement de retour en France que, comme vous le savez, le gouvernement libanais, avec l'accord du comité militaire représentant les quatre factions principales vient de nous demander d'envoyer des observateurs dans le plus grand nombre possible. C'est un problème que j'examine.
- Donc il n'y a pas eu de difficultés particulières avec les Etats-Unis d'Amérique. Nous n'étions pas la même armée, mais nous étions des armées voisines, deux armées qui se rendaient mutuellement service. Nous ne sommes pas partis ensemble, parce que notre politique n'est pas exactement la même ni nos moyens non plus. Cela n'a pas signifié de dissentiment, cela a marqué simplement l'indépendance de nos démarches, ce qui est le propre de la société internationale.\
QUESTION.- (concernant l'Amérique centrale).
- LE PRESIDENT.- Question délicate, semble-t-il. Je me garde bien de raisonner sur des hypothèses : que ferait la France ? Ce n'est pas la France. La France est intéressée par ce qui se passe en Amérique centrale, mais elle n'est pas voisine de ces lieux et, de ce fait, nos situations ne sont pas semblables.
- Je pense, et je ne veux offenser personne en vous le disant, j'ai dit cela au Président Reagan, comme je l'avais dit à beaucoup d'hommes politiques américains importants, c'est une constante de notre démarche et je l'ai toujours dit franchement, jamais brutalement mais franchement. Mon analyse est différente : les pays de l'Amérique centrale comme, d'une façon générale, les pays de l'Amérique latine, ont besoin de réussir deux sortes de révolution, de se dégager de la toute puissance économique d'un certain ordre oligarchique, presque totalement propriétaire du sol et en tout cas propriétaire de toutes les ressources naturelles ou industrielles et ils ont aussi besoin d'être débarrassés de dictatures sanglantes dont ils ont atrocement souffert. Je pense que dans cette double révolution nécessaire qui ressemble en plus sanglant, en plus violent, aux révolutions que nous avons nous-mêmes connues en Europe, tout le long du XIXème siècle, je pense que, dans ce mouvement d'opinion pour une plus grande indépendance nationale et pour une plus grande liberté humaine, le rôle de l'Occident serait davantage d'aider, de contribuer.
- Parce que, je suis de ceux qui croient que le développement, la lutte contre le sous-développement, est la condition première de la démocratie. Que de fois m'est-il arrivé de dire que, quand on examine la situation de l'Union soviétique, de la Russie faudrait-il dire en 1917, ou de 1917 à 1920, le facteur principal n'a pas été Lénine, cela a été le sous-développement. Et Lénine plus le sous-développement, cela a donné Staline.
- Et combien de pays sous-développés, ou en voie de développement quand on s'exprime en termes tout à fait polis, vivent en démocratie ? La première condition c'est le développement.\
`Suite réponse sur l'Amérique centrale`
- Si l'on voulait réduire les tensions, il aurait fallu, ou il faudrait encore, qu'un plan auquel nous serions prêts à participer mais dans lequel les Etats-Unis d'Amérique auraient naturellement, en raison de leur puissance et de leur proximité, un rôle important à jouer, soit établi pour contribuer à la libération des servitudes économiques. De ce fait on aura, en même temps, la libération des servitudes dictatoriales. Naturellement, ces mouvements révolutionnaires luttent contre le pouvoir établi. Le pouvoir établi durcit son attitude £ la guerre civile entraîne la guerre civile et les révoltés cherchent de l'aide. Ce n'est pas chez eux qu'on fabrique de l'armement lourd. où le trouvent-ils ? Essentiellement du côté où l'on se réjouit des difficultés qui pourraient survenir aux démocraties, et en particulier aux Etats-Unis d'Amérique. Si bien que, tout naturellement, plus on pousse cette situation, plus les révoltés doivent aller chercher le secours du côté de Cuba et de l'Union soviétique en tout cas.
- C'est dire que l'on est entré dans un cycle infernal. Il arrivera un moment où l'on pourra dire : vous voyez bien, c'était des sociétés communistes £ on ne pouvait donc pas les laisser se développer, avec ce que cela peut représenter comme bases de départ contre la démocratie américaine. Si cette situation finit par se produire, on ne moralisera pas, on ne montrera pas du doigt ceux qui ont commis cette erreur. Mais n'est-il pas encore temps de l'éviter ? N'est-il pas encore temps de comprendre que ce mouvement peut trouver en Occident une contribution démocratique ? Après tout, regardez l'exemple de la République dominicaine, qui obéissait exactement au même processus et qui, aujourd'hui, agit à peu près correctement avec des institutions suffisamment démocratiques et, en tout cas, guère de violence.
- Je pense, personnellement qu'il faudrait demander conseil davantage au groupe de Cantadora - Venezuela, Colombie, Mexique, Panama - parce que ce sont des gens qui connaissent bien la situation et qui ne veulent pas que la gangrène des guerres civiles gagne du terrain. Voilà mon opinion, messieurs. Je dis cela sans vouloir offenser aucune conscience américaine puisque je sais que telle n'est pas forcément la politique que vous avez choisie. Mais qu'est-ce que je ferais ici à cette tribune si, interrogé par des personnalités de votre sérieux et de votre importance, je vous disais autre chose que ce que je pense ? Et je continuerai, si vous le permettez.\