17 février 1984 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de sa rencontre avec le Premier ministre danois, M. Paul Schluter, Copenhague, vendredi 17 février 1984.

Je commencerai en remerciant M. le Premier ministre `Paul Schluter` et les membres de son gouvernemet de leur accueil à Copenhague. Nous avons pu parler clairement, utilement. J'avais pour intention d'informer les responsables danois de l'-état actuel des conversations bilatérales, celles que je conduis moi-même, et celles qui ont lieu, comme il est normal, au sein des conseils. Nous essayons de faire avancer, en même temps, ces deux méthodes, les relations bilatérales permettant de débrouiller des problèmes dont l'écheveau est souvent compliqué, et surtout de chercher les quelques pistes qui permettront de sortir de la difficulté où la Communauté s'est installée déjà depuis plusieurs sommets.
- Je n'ai pas terminé ces consultations, puisque je me rendrai lundi en Italie et mardi en Irlande. Après quoi, ainsi que j'ai eu l'occasion de l'indiquer ailleurs, je recevrai à Paris ceux des chefs de gouvernement de la Communauté qui le souhaiteront. Rendez-vous est déjà pris avec le chancelier Kohl pour le 24 février £ je me rendrai moi-même le 5 mars en Grande-Bretagne où je ne suis pas allé, Mme Thatcher étant venue me faire une visite pour commencer, et je rencontrerai tous ceux qui en éprouveront l'utilité.
- Pendant ce temps, les Conseils des ministres se tiendront, et c'est au vu de l'ensemble de ces travaux que, dans les premiers jours de mars, en ma qualité de Président de la Communauté `CEE`, j'examinerai le document qu'il conviendra de soumettre aux partenaires, après avoir naturellement consulté les organismes compétents, et particulièrement la Commission.
- Voilà, tout aura été fait de ce qu'il est possible de faire afin de sortir de l'impasse.
- Ces consultations n'étant pas terminées, il serait imprudent d'émettre un jugement £ disons qu'on a bien cantonné la discussion, renvoyé l'accessoire, retenu l'essentiel, mis l'accent sur les véritables différends et tenté de les réduire. Voilà ma tâche actuelle.
- Je bénéficie évidemment des travaux antérieurs, à la fois de la définition donnée à la démarche commune à Stuttgart et des propositions concrètes émises à Athènes par les chefs de gouvernement. Encore faut-il aller plus loin : la question qui se pose est de savoir si cela permettra de réaliser l'accord que je crois vraiment nécessaire à Bruxelles.
- Voilà expliquée la méthode £ sur le fond, vous comprendrez très bien que je ne puis m'exprimer avant d'avoir vu tous les partenaires, mais je remercie les journalistes ici présents, surtout ceux qui sont venus de loin, et qui marquent par là l'intérêt qu'ils portent à nos travaux.
- Je vous écoute.\
QUESTION.- Deux petites questions pour sortir de l'impasse, comme vous avez dit : est-ce que vous pourriez envisager une évolution qui irait vers plus, disons, un pas vers plus de supranationalité, comme a semblé le souhaiter l'Assemblée de Strasbourg, il y a deux jours ?
- LE PRESIDENT.- C'est un peu une autre question. Par modestie, afin de ne pas trop embrasser, donc de mal étreindre, nous nous sommes attelés pour l'instant aux contentieux, au pluriel, à tous ces contentieux qui se sont multipliés au-cours de ces deux dernières années, et qui maintenant sont entrelacés, reliés dans un paquet, comme l'a dit le chancelier Kohl à Stuttgart. Mais vous avez raison de le dire, je l'ai moi-même esquissé à La Haye : on ne règlera les contentieux que si l'on a une vue plus claire du devenir européen, si l'on a un objectif sur les politiques nouvelles et sur ce qu'on appelle l'Europe politique, la responsabilité politique de l'Europe des Dix `CEE`. A cet égard, j'ai bien naturellement observé et étudié de près le débat de Strasbourg, mais il est prématuré pour moi de m'exprimer à ce sujet. Ce qui est certain, c'est qu'il faut un engagement du côté d'une plus forte union politique, avec toutes les conséquences que cela implique. En tout cas, pour ce qui me concerne, j'irai dans ce sens.
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QUESTION.- Est-ce que votre échec éventuel impliquerait des révisions fondamentales ?
- LE PRESIDENT.- Mais ce ne sera pas mon échec !
- LE JOURNALISTE.- Maise celui de la présidence français...
- LE PRESIDENT.- Non, la Présidence française fait un travail à son tour. Vous savez, tous les six mois, c'est un rite qui oblige chaque pays responsable, en fort peu de temps, à réunir des fils distendus. Non, non, je ne pense pas qu'il y ait du tout une responsabilité particulière. Cette responsabilité serait dans la négligence que j'apporterais à tenter de réduire des difficultés pré-existantes. Mais, il faut que ce soit clair, je me sens quand même responsable, et c'est pourquoi j'ai tenu à me rendre partout pour tenter tout ce qui peut l'être.
- Alors, s'il s'agit maintenant de parler de la Communauté, `CEE` ce qui serait plus juste, il faut dire que les risques d'échec tiennent au fait que les procédures se sont relâchées. Aujourd'hui, sur des problèmes dont certains sont mineurs, la pratique de l'unanimité est devenue la règle, et de ce fait, il devient extraordinairement difficile de rallier des positions de 10 sur 10, même pas de 9 sur 10, de 10 sur 10, sur tous les points. Il y a donc là un problème de fond, que vous avez d'ailleurs posé tout à l'heure. Entre les différents compromis, et notamment le compromis de Luxembourg et le Traité de Rome, je m'en aperçois de plus en plus, il y a des fossés qui se creusent.
- Si Bruxelles ne doit pas aboutir, il sera sans doute difficile au sommet suivant, qui se tiendra en France, d'aller beaucoup plus loin. Enfin, c'est un diagnostic. Ce qui ne sera pas fait en mars, si on peut le faire en juin, on le fera en juin. Les conditions s'y prêteront assez mal £ les campagnes électorales dans chacun des pays risquent d'aiguiser davantage les différences que les rapprocher. Mais il ne faut pas non plus jeter le manche après la cognée, on continuera : moi, jusqu'au 1er juillet, et d'autres après moi. J'espère bien qu'on pourra aborder le mois d'avril dans une situation améliorée. C'est ce à quoi je travaille.
- QUESTION.- Monsieur le Président, si Bruxelles échouait, est-ce que le fonctionnement de la Communauté `CEE` ne se trouverait pas simplement bloqué, ne serait-ce que sur le -plan financier, car il y a des échéances, maintenant.
- LE PRESIDENT.- Oui, il n'y a plus d'argent, - enfin d'argent disponible. Le budget est grippé, les excédents `agricoles` s'amassent. D'un certain point de vue, ce serait une saine leçon : la perspective où se trouverait la Communauté en cas d'échec ne peut qu'inciter les participants de ce Sommet à comprendre que leur intérêt, leur intérêt national, c'est de réussir tous ensemble. Cette nécessité devant laquelle ils se trouvent est un argument supplémentaire en faveur d'un bon accord.\
QUESTION.- Je peux me permettre de poser une autre question puisque les deux gouvernements sont plus ou moins d'accord sur le Marché commun : la France prépare un coup diplomatique pour ainsi dire au Liban. Vous êtes en-train de préparer l'entrée des forces de l'ONU au Liban. Il y a un accord des Américains, également des Russes qui ont posé des questions et des conditions, notamment que les troupes françaises et américaines se retirent et ne reviennent plus. Sur cette dernière partie : à savoir qu'ils ne reviennent plus, est-ce que les Etats-Unis et la France seront d'accord ?
- LE PRESIDENT.- Mais, madame, nous ne faisons pas de "coup". Nous avons adopté cette politique depuis très longtemps. Je ne crois pas avoir pris la parole une seule fois sur ce sujet sans avoir indiqué que le relais devait être assuré par les institutions internationales, que la force des quatre pays ne correspondait pas à un mandat suffisamment vaste pour pouvoir répondre à toutes les questions. Cette façon de s'interposer avait été simplement provoquée par la nécessité. La nécessité, à l'époque, c'était le face-à-face meurtrier de l'armée israélienne et de l'armée palestinienne. C'est comme cela que cette force est née, et d'une façon lointaine, dès les mois d'août et de septembre 1982, d'une façon précise en 1983, j'ai toujours parlé de l'Organisation des Nations unies. Ce n'est donc pas une découverte. Nous avons accéléré l'allure et exercé, dans le bon sens du terme, une pression diplomatique au-cours de ces dernières semaines pour les raisons faciles à imaginer.
- Nous avons toujours dit que l'arrivée des forces internationales devrait correspondre à une substitution et non pas à une co-existence des forces sur le sol libanais.
- C'est-à-dire qu'une force arrive et que l'autre s'en va, sans quoi cela serait dénué de toute logique. Ce n'est pas un problème français, madame, vous devez l'imaginer : lorsque la France estime que ce serait une bonne chose que la force internationales comprenne un cetain nombre de pays et qu'après tout, il ne s'impose pas que les membres du Conseil de sécurité en soient des participants, cela peut être compris de plusieurs façons. Nous, nous estimons avoir fait notre devoir. J'allais dire suffisamment notre devoir, mais on ne fait jamais trop son devoir £ enfin nous avons vraiment fait ce que nous devions faire, supporté des sacrifices, et nous trouverions tout à fait heureux que la force internationale vienne nous relever. Comme vous le savez, nous avons aussi des soldats actuellement dans la FINUL et beaucoup. C'est dire que depuis le premier jour, sous quelque forme que ce fût, nous avons été présents au Liban. Si on veut bien nous relever, ici et là, ce sera fort bien. Nous avons des intérêts, des amitiés au Liban, et nous continuerons de les servir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si le Conseil de Sécurité estimait que parmi ces casques bleus, il faudrait que les casques bleus français restent quelques temps, Paris serait-il d'accord ?
- LE PRESIDENT.- J'attendrai qu'on me pose la question. Paris a estimé que cette question ne devait pas être un obstacle à un accord, et même qu'il était sage, je le répète, qu'il y ait une vraie relève. Si on nous demande alors, cette fois-ci au nom des Nations unies, de rendre un nouveau service à l'intégrité du Liban, j'examinerai cette proposition qui n'est pas encore faite. Mais a priori, tout ce qui servira l'unité du Liban, sera accueilli par moi avec faveur.
- QUESTION.- (sur les propositions de l'URSS et des Etats-Unis)
- PRESIDENT.- A vous de leur poser la question. Ce qui est certain, c'est que pour l'instant il semble que des discussions soient engagées, ce qui est un progrès. Alors entre les positions de départ et les positions d'arrivée, on jugera sur pièces.
- QUESTION.- Dans cette affaire, monsieur le Président et dans l'attitude du Conseil de sécurité, est-ce que vous considérez que les Soviétiques ont fait un véritable geste de bonne volonté, et que pensez-vous des conditions qu'ils semblent poser par ailleurs ?
- LE PRESIDENT.- Je ne me prononcerai pas à ce sujet, je laisse les négociateurs poursuivre leurs conversations. Il y a ce qu'il est raisonnable de demander : je l'ai dit, la substitution d'une force à l'autre, en-particulier £ des retraits également, raisonnables, pour ne pas mêler plusieurs modes d'intervention, entremêler, confondre. Pour le reste, c'est du domaine de la diplomatie, ils sont en-train d'en discuter. C'est une affaire que je suis de près, sur laquelle j'aurai certainement l'occasion de me prononcer, mais pas aujourd'hui, et pas à Copenhague en tout cas.\