15 novembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert en l'honneur de M. le Président de la République de Finlande et de Mme Mauno Koivisto, Paris, mardi 15 novembre 1983.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Vos hôtes français sont très heureux de vous recevoir ici et de recevoir avec vous des personnalités finlandaises qui ont bien voulu se joindre à nous.
- Rares sont les occasions pour nos deux pays de se rencontrer et de se confronter de cette manière. Visite d'Etat, mais en même temps, occasion d'échanger des points de vue personnels, d'approfondir les débats, de s'informer mutuellement. Déjà, il y a quelque temps, sur la route du Japon, nous étions convenus de nous voir au passage chez vous et vous aviez bien voulu venir jusqu'à l'aéroport où nous avions fait connaissance.
- Plus récemment, à l'Organisation des Nations unies `ONU`, nous avons pu de nouveau prendre rendez-vous et continuer cet échange, engagé l'année précédente, et qui se trouve cette fois-ci - dans des circonstances plus solennelles mais aussi pour un temps plus long - qui nous permettent de parler, et de nos intérêts et des affaires du monde.
- J'ai voulu dire ce matin, lors de votre arrivée de quelle façon nous considérions votre pays. J'ai résumé mon propos en deux termes : courage et sagesse.
- Je n'y reviendrai pas, sinon pour vous dire que nous sommes honorés de recevoir les représentants d'un peuple courageux qui a marqué l'histoire, qui a su affirmer sa vitalité, son identité à travers les siècles en dépit des circonstances contraires, conquérir son indépendance et voisin de l'un des deux plus puissants Etats du monde `URSS`, préserver l'essentiel, entretenir des relations cordiales et garder l'ouverture du regard, de l'esprit, des échanges sur le reste du monde.
- Cela est le résultat d'une attitude courageuse, celle qui refuse toute diminution de soi-même mais qui observe, c'est la sagesse, la réalité telle qu'elle est.
- La Finlande jouit d'une grande réputation à travers son peuple, peu nombreux et cependant présent dans notre mémoire collective, sous les plus divers aspects : ceux des créations de l'esprit, de la constance politique, de la qualité des productions et, d'une certaine façon, d'une réussite économique qui tranche avec les difficultés du moment.\
Votre pays et sa capitale symbolisent les efforts des nations de bonne volonté et des autres pour bâtir entre elles la paix. Et aujourd'hui, la conférence qui se prépare pour Stockholm, qui n'est que la suite de la première qui eut lieu à Helsinki, représente le seul endroit du monde où tous les pays d'Europe, de l'Est et de l'Ouest, plus les neutres, peuvent se rencontrer, tenir les fils souvent ténus de la paix. Si l'on va ainsi chez vous, pour y jouer toutes les chances de négociations pacifiques, c'est bien parce que vous représentez à la fois une tradition et un tempérament, c'est-à-dire une certaine forme de civilisation qui reste l'une des plus affinées du monde. C'est dire que la France, que son gouvernement, que ses dirigeants de toute sorte, ici représentés dans tous les domaines de l'action, éprouvent beaucoup d'intérêt à cette rencontre. Sans doute les événements qui se précipitent ajoutent-ils à cet intérêt. Tant de questions restent posées. Comment ne serions nous pas d'abord préoccupés par les graves problèmes qui se posent à nous, là où nous sommes, dans notre Europe, où se joue l'affrontement des deux plus grands `Etats-Unis ` URSS` autour de l'installation des forces nucléaires dites à portée intermédiaire, où se déroule un âpre débat dont le point actuel ne laisse pas augurer qu'il puisse laisser espérer, du moins dans les jours ou les semaines qui viennent, une solution heureuse, je veux dire par ce mot heureuse un accord de désarmement.\
La position de la France dans cette affaire, n'est pas la même que celle de la Finlande. Cela tient sans doute à nos traditions, à notre situation géographique, à nos constantes historiques, à notre voisinage, ou à nos voisinages. Mais nous avons nos points communs et notre volonté fondamentale de préférer les chemins de la paix à tout affrontement et d'éviter que les menaces ne finissent par faire échapper aux responsables la maîtrise des événements. Vous connaissez la position de la France. Nous avons eu l'occasion d'en parler. Nous estimons, que aussi bien sur le -plan mondial que sur le -plan de notre continent, doivent être respectés les équilibres nécessaires, que la paix risquerait de succomber à toute rupture d'équilibre. C'est pourquoi, ayant regretté l'installation en Union soviétique `URSS` de quelques centaines d'armes intermédiaires d'une grande efficacité technique, si nous souhaitons l'arrangement, plutôt que de rechercher l'équilibre dans le surarmement des autres, nous avions d'abord pensé qu'il était sage dee demander à ceux qui avaient pris l'initiative de cette installation d'y renoncer. L'équilibre par le bas et non pas par le haut ! Mais, dès lors que nos voix n'ont pas été entendues, comment faire autrement, si l'on veut sauvegarder la paix, que de préserver l'équilibre là où il se trouve ? D'autant plus que l'équilibre mondial est déjà, depuis plusieurs années, assuré, si bien que le théâtre en question, c'est le nôtre, monsieur le Président, l'Europe. Et c'est là que s'accentuent les pressions, les poussées. C'est là que se produisent des renforcements de position qui n'ont pas de raison d'être, puisque aucun pays d'Europe ne peut songer, n'a préféré l'affrontement, surtout avec une puissance forte, respectée, représentant un peuple noble, je veux dire l'Union soviétique `URSS`. Qui serait assez fou ou assez vain, ou assez imprudent pour penser autrement ?\
Dans cette affaire européenne, il faut retrouver les chances du dialogue. Mais on ne peut espérer le reprendre par la rupture des alliances et des solidarités qui sont, en dépit de bien des risques, parvenues à préserver, depuis bientôt quarante ans, la paix dans notre continent même si elles n'ont pas empêché la guerre hors de notre continent, si j'en juge par la multiplicité des affrontements sur la surface de la planète.
- Ajoutons que ce conflit, qui se déroule chez nous, ajoute à l'aigu des autres problèmes partout ailleurs. Au point qu'on peut se demander quelle solution pourrait être trouvée, ici ou là, tant que le point central n'aura pas été abordé franchement par les deux principaux partenaires.
- Vous savez également, monsieur le Président, que la France s'est refusée à voir son propre armement nucléaire décompté dans un calcul où il n'a rien à faire. Car on ne parle pas des mêmes choses. Il faut songer que les deux plus grandes puissances `Etats Unis ` URSS` disposent chacune de neuf mille charges nucléaires environ. La France, cela lui suffit pour sa défense, de quatre-vingt dix-huit. Avant de mettre en exergue, et au point de départ, le débat sur ces quatre-vingt dix-huit charges nucléaires, peut-être devrait-on s'intéresser à la réduction des armements de part et d'autre des neuf mille. Alors on saura que ceux qui peuvent troubler la paix du monde dans un affrontement gigantesque, sont vraiment résolus à prendre l'initiative du désarmement, plutôt que de le demander d'abord à ceux qui n'ont que les moyens de se défendre. Encore ces pays-là sont-ils bien peu nombreux, puisque l'on ne compte que trois pays disposant d'armements nucléaires purement dissuasifs.\
Que faudrait-il penser des autres ? Cependant, nous ne nous sommes jamais mépris sur la position de la Finlande, pour les raisons que j'ai dites tout à l'heure, c'est-à-dire l'inspiration constante d'une politique d'indépendance nationale et de fierté. Et nous savons que vous parlez en homme respectueux du droit, reconnaissant une prééminence aux institutions internationales, soucieux de parvenir à un dialogue constructif, faisant de votre neutralité ce que l'on appelle une neutralité active, c'est-à-dire présente dans les débats qui occupent le monde.
- Je souhaite qu'après les difficultés que nous vivons, que nous allons connaître pendant quelques semaines - sans que nous exagérions le propos - nous restions tout à fait calmes devant les incompréhensions, les échecs autour de la table de négociation. Nous faisons confiance à la capacité des principaux responsables. Eh bien ce qu'il faut, c'est que des pays comme les nôtres, quoiqu'il arrive et quelques souhaits qu'ils aient formulés dans l'intervalle, puissent servir désormais d'élément de compréhension pour renouer les fils malheureusement brisés, ou qui pourraient l'être, dans ce moment où je vous parle.
- Bref, je crois à notre rôle éminent, au vôtre, au nôtre, celui de bien d'autres encore, pour à tout moment, exposer aux deux plus puissants qu'il y a assez de choses à faire dans la paix, par le désarmement, quand ce ne serait que d'assurer la reprise, la sortie de la crise où chacun se débat, de tourner le regarr vers ces milliards d'êtres humains du monde en voie de développement qui attendent des grands pays industriels qu'ils aient l'intelligence de comprendre que nos sorts sont liés.\
Vous savez que la France se trouve engagée sur quelques terrains, Proche-Orient `Liban`, Moyen-Orient `Irak`, Afrique `Tchad`. Soyez assurés que mon pays, qui n'agit qu'à la demande des gouvernements légitimes, n'entend demeurer nulle part où il n'est pas chez lui, n'entend qu'apporter seulement un -concours historique à ceux qui savent que l'on peut compter sur notre parole et sur nos contrats et aussi sur notre histoire. Partout, nous sommes prêts à tendre la main, à discuter, à assurer l'indépendance, la vraie indépendance, dans l'intégrité du territoire de chacun des pays en cause. Nous n'avons pas d'autre objectif et nous avons assez à faire chez nous pour que nous puissions aborder cette fin de siècle, ayant pris le parti du progrès, de l'égalité entre les hommes, de la justice sociale, et je le répèterai une fois encore, du développement et de la paix, pour que nous n'ayons pas à perdre du temps ailleurs.\
Je souhaite, monsieur le Président, et vous madame, que vous puissiez connaître de notre pays autre chose que les rencontres officielles. Cela vous sera difficile, monsieur le Président, mais vous, madame, je pense que vous aurez assez de liberté pour apprécier quelques-uns des beaux aspects de notre capitale ou de ses environs, bref, un peu respirer la France, telle qu'elle est et je vous souhaite, monsieur le Président, de trouver un jour une occasion de rencontrer des Français, les Parisiens, comme ils vivent, là où ils travaillent, avec leurs usages, leurs moeurs, leur façon d'être, bref, un peuple dans sa vie quotidienne. J'ai moi-même traversé au-cours de la dernière décennie, quelquefois, approché votre pays. J'ai pu en apprécier la beauté et la force. J'ai aimé sa nature et j'en garde un souvenir très fort.
- Vous venez nous apporter comme un air de Finlande, madame et vous monsieur le Président. C'est un air d'amitié, croyez-le, de considération et d'estime. D'autant plus que nous connaissons votre personne, les actes de votre vie. Ils ont toujours été du côté du peuple, de sa défense, de votre pays et du côté, tout simplement de l'honneur de vivre et d'agir.
- Je lève mon verre, en cette fin de toast, à votre santé, monsieur le Président et vous madame, à la santé de votre famille, d'abord. Eloignons-nous des simples rites et nous vous dirons que nous formons des souhaits pour que votre cercle de famille soit heureux.
- Des voeux, dépassant vos personnes, iront vers votre pays, votre peuple, ce qui donnera un certain sens aux mots sacramentels :
- Vive la Finlande !
- Vive la France !\