8 novembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en l'honneur de M. le Président de la République algérienne démocratique et populaire et de Mme Chadli Bendjedid, Paris, Palais de l'Élysée, mardi 8 novembre 1983.

Monsieur le Président,
- Madame,
- Vous voici donc officiellement au deuxième jour de cette visite à Paris. Et ce soir dans ce Palais, j'ai grand plaisir à vous redire combien nous sommes heureux de vous accueillir dans notre pays. Heureux, et conscients de l'importance de votre présence parmi nous. En ce moment, tous les Français rassemblés à l'occasion de ce dîner, membres du gouvernement, responsables politiques, personnalités éminentes, économiques du monde du travail, de la culture, de l'université mesurent, comme, je le pense, vous-mme et ceux qui vous accompagnent, la signification de cette étape de notre histoire commune.
- Cette histoire ! Elle plonge, vous le savez, loin ses racines dans un passé très longtemps partagé. Nous le connaissons bien, ce passé, votre passé, notre passé. Ses bons et ses mauvais moments, ses passions et ses tourments. Mais il n'y a pas de raison de rejeter ce passé que nous avons vécu. Et à ceux qu'il a réunis, à ceux qu'il a déchirés, je redis comme naguère à Alger, "construisons donc le présent et regardons résolument vers l'avenir". Vous avez déclaré il y a quelques jours vous-même, monsieur le Président, "nous avons tourné la page pour en écrire une nouvelle".\
Prononçant ces mots, je pense d'abord à cette trame humaine si dense, à ces communautés algériennes en France, Français musulmans, anciens ou actuels Français d'Algérie, à tous les nôtres. Vous savez que nous sommes conscients de l'apport pour le développement de notre économie des 800000 de vos compatriotes qui travaillent et vivent chez nous. J'ai été touché de l'accueil qui m'a été réservé ce matin par eux-mêmes lors de la réception que vous avez offerte en leur honneur.
- Nous sommes tous ici autour de vous, intransigeants quant à leurs droits et à leur dignité. Nous veillons ensemble, j'en ai le premier la charge, à ce qu'ils soient effectivement respectés.
- Vous avez bien compris, naturellement, le sens des mesures qui ont été prises, il y a deux mois, après une longue concertation avec votre gouvernement, pour mieux organiser les conditions de leur entrée et de leur séjour en France. Il serait paradoxal que ceux qui cherchent à rentrer dans notre pays, ici, sans toujours respecter les conventions portent en fait préjudice à ceux qui sont venus selon les règles que nous avons admises en commun. C'est un souci qui nous occupe depuis déjà longtemps : apprendre à vivre ensemble sur les lieux du travail, apprendre à vivre ensemble dans les quartiers qui ne sont pas toujours des quartiers où l'on puisse bâtir une vie équilibrée. Il était très important d'en débattre. Nous l'avons fait avec vous-même, monsieur le Président, avec vos ministres, avec les responsables de votre administration. Nous avons trouvé des partenaires résolus, c'était bien normal, à défendre tous les droits de leurs compatriotes en même temps que respectueux des usages et des lois françaises, respectueux de leurs partenaires. Je crois que cela a beaucoup contribué à faire avancer notre dialogue.
- Vous avez récemment parlé, monsieur le Président, des Français en Algérie et des difficultés qu'ils peuvent encore connaître. Ce propos s'applique tout autant à ceux que nous appelons les Français d'Algérie, parce qu'ils y ont passé leur vie depuis plusieurs générations. Je dois constater à cet égard que grâce à votre volonté tenace d'effacer les séquelles des anciens contentieux, presque toutes les questions en suspens ont progressé vers une heureuse solution. Je salue à cet égard les dispositions prises par votre gouvernement à propos de transferts de fonds, de la vente des biens immobiliers, de la possibilité pour les Français musulmans de rentrer en Algérie. A l'issue de la visite récente du Premier ministre, M. Pierre Mauroy, à Alger, nous avons montré que ces problèmes peuvent toujours trouver une solution des lors que chacun veut et désire, avec patience et l'esprit disponible, aboutir.\
Nous voici à pied d'oeuvre pour construire dans la confiance et dans l'estime mutuelle, l'édifice de nos relations nouvelles. Tout nous y invite : nos liens si imbriqués, que je viens d'évoquer. Notre voisinage géographique, la complémentarité de nos économies, la coïncidence de nos analyses sur bien des points essentiels. Et puis l'histoire, l'histoire tout simplement qui veut que nous soyons intimement associés à toutes ces grandes heures.
- Les fondations de notre coopération étaient déjà largement avancées quand sont survenues la déclaration franco - algérienne du 1er décembre 1981, la déclaration des deux ministres des affaires éttrangères du 3 janvier 1982, l'accord général de coopération de juin 1982. Et dans bien des domaines d'application visés par ces accords - habitat, transports, agriculture - nous avons signé des accords sectoriels. C'est assez dire que nous avons dépassé le stade des intentions et celui des principes, cent fois affirmés, et que nous sommes engagés dans celui des réalisations. Ce que nous avons mis en oeuvre représente une tâche immense. Nombreux sont vos collaborateurs, monsieur le Président, ou les principaux responsables en Algérie qui ont, comme nos propres responsables, réfléchi, discuté et passé des jours, parfois des nuits, à élaborer les nouveaux statuts, ils y sont parvenus, je dois les remercier.\
Cela nous permet de penser qu'au-cours des années à venir nous pouvons nourrir bien des ambitions. Nous allons développer notre coopération dans d'autres domaines : ceux de l'énergie, de l'automobile, des télécommunications, de l'informatique. Chaque opération en-cours doit, comme vous le souhaitez, et comme nous y sommes prêts, comporter des actions de formation, de recherche, de transferts de technologie. J'attache à ce dernier point une importance capitale.
- Bref, je puis dire, ce soir, m'adressant au-delà de cette salle, à la France, que nos volontés se complètent. Vous voulez avec réalisme, avec résolution, poser partout les bases de l'économie algérienne de demain. Et nous-mêmes nous sommes engagés en France dans un puissant effort de recherche et d'investissement pour maîtriser les technologies, toutes les formes modernes de l'industrie.
- Notre coopération culturelle, scientifique, technique doit demeurer ce vaste champ d'action et de rencontre où tant de Français, tant d'Algériens apprennent à travailler ensemble. Mais on ne peut pas agir en 1983 comme on le faisait il y a 20 ans. Nous devons ensemble repenser les objectifs et les modalités de nos programmes de coopération.
- Il est enfin remarquable que nos actions communes ne soient pas simplement le fait des gouvernements et des Etats, mais aussi le -fruit d'initiatives, impossible à dénombrer, des villes, des régions, des entreprises, des universités, des associations. Il n'y a pas je crois de meilleure preuve de vitalité !
- Nous ne cherchons pas à servir d'exemple. Mais tant mieux si ce que nous édifions peut illustrer cette conviction. Il est nécessaire pour les économies du Nord et du Sud d'agir de concert afin de sortir tous de la crise. Nous en sortirons si nous nous entendons. Bien imprudent serait celui qui croirait qu'il pourrait échappe r au drame qui attend le monde en crise, si le Nord et le Sud à l'image de ce qu'ont fait l'Algérie et la France, ne prennent pas conscience de ce qu'ils doivent.\
Les nouvelles relations franco - algériennes s'inscrivent dans le -cadre des -rapports d'amitié que nous entretenons avec les pays du Maghreb, avec la Tunisie d'où je reviens, avec le Maroc dont j'ai reçu il y a peu le souverain, avec l'Algérie. Vous en apportez, monsieur le Président, madame, une illustration qui nous est chère.
- Ont été conçus des projets pour que ce Maghreb devienne le grand Maghreb. Issue politique ambitieuse qui correspond, je le crois, aux intérêts du coeur et de la raison. C'est dire combien nous apprécions l'effort accompli par vous-même pour que les pays du Maghreb puissent développer leurs -rapports, dominer leurs contradictions. Il n'y a ni contradiction, ni antagonisme dans les diverses actions que vous avez menées. Quand on sait de quelle façon se développe et à quelle allure votre population, on se rend compte à quel point l'Algérie d'il y a 25 ans a déjà pris racine dans l'histoire moderne et comme elle est prête, pour la fin de ce siècle, à jouer le rôle déterminant que sa culture et les qualités naturelles de son peuple lui permettent d'espérer.\
Oh ! Certes que de conflits. Je citerai en premier celui qui se déroule au Sahara occidental. Aucune solution n'a pu être trouvée, même si l'Organisation de l'unité africaine `OUA` est parvenue à émettre des propositions dont on pouvait penser qu'elles seraient mises à exécution. La poursuite de cette crise fait peser des menaces qui gênent et qui embarrassent le développement de chacun des partenaires. Il ne m'appartient pas, représentant d'un pays, la France, qui par bien des aspects garde certes un penchant et des intérêts en Afrique, il ne m'appartient pas de juger à la place des pays africains et particulièrement d'Afrique du Nord, sur ce qu'il convient de faire, sinon que la méthode démocratique conforme aux bonnes règles d'une société internationale équilibrée, d'un referendum le cas échéant sous contrôle international, avec une possibilité de dialogue entre les intéressés nous paraît être le chemin indispensable, pour parvenir à la paix nécessaire.\
Vous avez des problèmes qui se posent face à la Communauté `CEE`, et le cas échéant à l'élargissement de cette Communauté, bien que la France ait pour elle-même bien des questions en suspens à ce sujet. Mais vous concevez quelque inquiétude £ vous savez quels sont les liens qui vous unissent déjà à cette communauté. Vous ne voudriez pas qu'ils fussent mis en question. Vous trouverez, je puis vous le dire, dans la France un partenaire fidèle qui a beaucoup souhaité l'établissement de ces liens et qui sera toujours du côté de ceux qui veulent les maintenir.\
J'ai parlé tout à l'heure de l'Organisation de l'unité africaine. Je voudrais souligner nos positions dans l'affaire du Tchad. Nous pensons que c'est précisément dans le -cadre de votre Organisation africaine que doivent être recherchées et proposées les négociations de solutions pacifiques de ce conflit né des luttes intérieures, mais aussi des influences extérieures.
- Cette solution ne peut passer que par le respect de quelques principes fondamentaux qui recueillent notre accord et je pense le vôtre : tels que l'intégrité du territoire. Imaginez à quel point seraient remises en cause toutes les règles qui ont prévalu dans l'avènement des pays d'Afrique, vos responsabilités nationales et internationales si ce débat sur l'intégrité devait être repris ! Et cette intégrité doit nécessairement passer par un effort de réconciliation nationale auquel la France est prête à contribuer.
- Quant aux forces étrangères qui se trouvent dans ce pays, j'ai déjà dit partout que la France qui n'a aucune ambition territoriale au Tchad, n'y était venue qu'appelée par le gouvernement légitime et aussi à la demande pressante de tous ceux qui s'inquiétaient en Afrique et particulièrement en Afrique noire des déséquilibres menaçants. Nous sommes, nous, dès le point de départ, sans argutie, sans autre argument que celui du droit, disposés à faire rentrer nos armées au pays dès lors qu'aurait cessé toute menace et toute présence étrangère qui pourrait, sans le consentement des habitants de ce pays et de son gouvernement, constituer une sorte d'agression constante et qui ne serait pas supportable.
- Notre action a eu pour effet immédiat d'interrompre les combats. Il est donc juste de dire que les Français qui n'ont pas tiré un coup de feu, sont venus en soldats de la paix. Certes, c'est en général à d'autres que l'on attribue ce type de fonctions, mais lorsque par un consentement très général il est demandé à un pays comme le nôtre de contribuer à l'établissement des équilibres et de la paix, nous acceptons cette charge, cette lourde charge comme un honneur et nous ne défaillons pas devant nos responsabilités. Il est clair que notre objectif est de participer au rétablissement de ll'intégrité, de 'indépendance et de l'exercice de la souveraineté de ce pays d'Afrique. Pas autre chose, nous calquerons notre attitude sur celle qui sera admise par les autres partenaires étrangers.
- D'ailleurs partout en Afrique, nous avons la même politique. Nous l'avons pour la Namibie. Pourquoi ce territoire n'accèderait-il pas à l'exercice de son indépendance ? C'est dans ce sens que nous agissons, au sein du groupe de contact qui devrait permettre au mouvement de l'histoire d'aller dans ce sens. Nous en connaissons les difficultés, les obstacles. En tout cas la position de la France est logique avec elle-même £ le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne connaît pas de frontières.\
Et puis il y a la Méditerranée, monsieur le Président. ! Nous sommes d'un côté et de l'autre de la même Mer dont nous avons tiré tant de richesses de notre culture, de notre négoce, de notre réalité à travers le monde. Vous êtes méditerranéens, nous le sommes aussi. Ayant l'ambition tout en connaissant très exactement les réalités du moment, ayons l'ambition, vous et nous, de développer une zone de paix afin d'échapper à la pression, sinon même à la présence de ceux qui, aujourd'hui, font de cette Mer qui pourrait être un havre de paix, le lieu de passage de toutes les puissances militaires prêtes à s'affronter.
- Mêmes propos pour le Proche-Orient. Vous vivez ce drame intensément. Tant d'affinités vous lient aux peuples qui souffrent, qui luttent, qui se déchirent. Un pays comme le vôtre en-raison d'une vieille culture et de grandes traditions, observe des principes de raison, d'examen attentif des problèmes. Même si votre population comme la nôtre peut céder aux passions d'un moment, il est rare qu'i n'y ait pas eu dans toute l'histoire, à travers plusieurs siècles et sous des formes de civilisations reconnues parmi les plus hautes, je pense en-particulier à celle de votre pays où sur tout le long de l'Afrique du Nord, une certaine domination de la raison, les richesses de l'esprit se refusent aux passions brutes. Il n'en est malheureusement pas de même partout. Et lorsque nous observons la guerre qui oppose l'Irak à l'Iran, notre souhait est tout simplement que ces deux pays renoncent finalement à bouleverser un équilibre séculaire autour d'une frontière que l'histoire et la géographie ont désignée. Pour arriver à ce déchirement, à ce meurtre, d'une ou deux générations, pourquoi ? Nous sommes de ceux qui pensent que rien ne serait meilleur pour ces peuples que d'obéir à l'amour de la paix qui occupe sans aucun doute l'âme de leur peuple.
- Nous avons d'ailleurs nous-mêmes été mis en cause au-delà de la raison, car nous ne sommes les ennemis de personne et nous souhaitons que chacun vive ce grave moment dans l'honneur et dans la dignité, et dans la sauvegarde des intérêts mutuels.
- Nous sommes intervenus récemment à l'Organisation des nations unies pour permettre un accord qui n'est pas allé jusqu'à son terme, en-raison de l'hostilité de l'un des pays en cause £ mais enfin les choses ont avancé pour qu'il soit reconnu dans cette terre, dans ce golfe si disputé, certains principes internationaux qui nous permettront d'aller bientôt , je l'espère, vers la paix.\
Quant au Liban, j'ajouterai, que dès les premiers mots, monsieur le Président, vous m'avez saisi de ce problème en me faisant part de votre préoccupation, aussi bien à l'égard du peuple palestinien, assailli de toutes parts, démuni de toute terre, que pour les populations qui vivent sur le sol libanais, qui se reconnaissent dans une patrie et qui elles-mêmes voient désormais leur réalité nationale interdite par la loi de la force, avec ce que cela représente d'incertain, de victoires, d'échecs, de succès, de revanche. Il faudra bien qu'un jour on y mette un terme. Et sur qui compter, sinon sur le peuple et toujours sur la base de quelques principes sûrs et clairs, souveraineté, intégrité, indépendance. Pourquoi raisonner autrement, ici, que là et appliquer à d'autres des principes ou imposer un comportement que nous refuserions pour nous-mêmes ?\
Monsieur le Président, madame, vous savez que nos pays d'Europe sont eux-mêmes, aujourd'hui, face à des réponses angoissantes, au coeur d'une tourmente alimentée par des conflits entre l'Est et l'Ouest. On débat d'armements, d'équilibre des forces. ! Les peuples s'inquiètent, doutent d'eux-mêmes.
- La position de la France doit être bien comprise par nos amis et par vous-mêmes. Qui pourrait imaginer que notre pays, assuré de sa propre force, de son autonomie de décision et d'action, a d'autres objectifs que l'équilibre et la paix ? Qui pourrait douter qu'à-partir des moyens puissants dont nous disposons, puissants mais, face aux réalités des deux plus grandes puissances `Etats-Unis ` URSS`, qui ne peuvent être par définitiion que de dissuasion, de défense, de protection du territoire, d'assurance pour notre indépendance ? Qui pourrait nous contester ce droit ? Mais, sans qu'on ne puisse jamais imaginer que la France pourrait obéir à des réflexes d'interventions ou de menaces ?
- Voilà que s'accumulent les risques. Tant que les hommes, les responsables gardent la possibilité de décider en pesant au plus près les risques, il n'y a pas lieu de désespérer. Je ne suis pas de ceux qui désespèrent. Cela n'est pas de mon tempérament, cela ne m'est jamais arrivé. Ce n'est pas devant les déséquilibres qui se présentent, aujourd'hui, devant les incompréhensions ou les actions inconsidérées que la France et le Chef de l'Etat français perdront le sens de la mesure, cesseront d'être maîtres d'eux-mêmes et donc désespéreront. Nous n'en sommes pas là.\
Mais est-on sûr que dans quelque main très puissante, ne s'échapperont jamais les dés ou les cartes, sous un coup de folie, une erreur d'appréciation, un mouvement d'humeur ? Voilà pourquoi la France en appelle au dialogue, mais sur des bases claires, de façon que nul ne doute de notre résolution. L'équilibre est une notion sage. De l'équilibre des forces dépend la paix, dépend la guerre. Que ce soit sur le -plan dit stratégique, universel, ou sur le -plan de l'Europe, on ne peut pas vivre dans un pays comme le mien avec le sentiment d'un déséquilibre qui serait menaçant par -nature.
- Je n'en demande pas davantage ! Je veux dire par là que je ne refuse pas un déséquilibre dans un sens pour l'accepter dans l'autre.
- La cohérence de la politique française est celle de son indépendance nationale. Cela s'applique aux uns, aux autres. Nous avons nos alliances et nous les respectons. Nous avons un principe majeur : obéir à ce qui nous paraît comme le meilleur pour la France, pour l'Europe et pour l'équilibre du monde. C'est pourquoi nous montrons quelque résolution pour refuser les sollicitations qui nous sont faites en même temps que nous gardons la volonté résolue de servir en tout moment la paix par des propositions, une attitude, une façon d'être, qui doit laisser penser à chacun de ceux qui sont parmi les acteurs des problèmes européens autour du désarmement, que la France n'a pas d'autre camp que celui de la réduction progressive des sur-armements. Bref, l'équilibre au niveau le plus bas possible, étant bien entendu que ce niveau le plus bas possible ne peut pas signifier l'altération ou la disparition du moyen dont nous disposons, nous, Français, pour garantir notre indépendance.\
J'ai lié, il y a peu de temps, à l'Organisation des Nations unies `ONU`, les deux notions du désarmement et du développement. Je ne l'ai pas inventé. Cela résulte d'une longue tradition de la politique française puisqu'on en retrouve déjà les sources dans les débats des premiers temps de la Société des Nations. C'est une constante qui a été généralement respectée par tous ceux qui ont eu l'honneur de gouverner la France. Mais c'est un débat qui doit constamment être éclairé, modernisé selon les -rapports de force existant, en vertu des évolutions que nous propose la technologie, spécialement la technologie militaire. Désarmer, oui, encore serait-il plus sage de savoir en même temps développer. Désarmer, développer peut-être mieux, développer parce qu'on aura davantage désarmé.\
A cet égard, je dois vous dire, monsieur le Président, que la France est un des rares pays industriels du monde à avoir respecté entièrement ses engagements, à avoir refusé le désengagement de plus puissants, de plus riches que nous, pour permettre d'unir le monde développé, et celui qui cherche à le devenir, et de surmonter ensemble la crise d'aujourd'hui.
- Et c'est ainsi que nous avons continué d'avancer vers notre objectif, consacrer 0,7 % de notre produit intérieur brut à l'aide au développement, et 0,15 % pour les pays les moins avancés `PMA`. Nous avons maintenu notre présence en demandant même qu'elle soit accrue pour l'AID, et nous insistons sur toutes les tribunes pour que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international `FMI` aient de plus en plus conscience de leur rôle, soit pour la création de liquidités nouvelles `DTS` dont devraient profiter les pays du tiers monde, soit pour engager des actions, telles que la -recherche de sources d'énergies nouvelles autres que le pétrole, l'autosuffisance alimentaire, la garantie des cours des matières premières. Toutes choses que je ne me lasse pas de rappeler partout, et si l'on me dit que je ne suis guère écouté, je répondrai que cela n'ôte rien au devoir qui est le mien, au nom de mon pays, et que viendra bien le jour où nous serons mieux entendus. En tout cas, et en attendant, pour ce qui nous concerne, nous appliquons nous-mêmes ce que nous attendons des autres : c'est ce qui fait sans doute que la France est aujourd'hui entendue comme jamais dans ce que l'on appelle le tiers monde. C'est ce qui fait que dans nos relations bilatérales nous ayons été capables de surmonter les habitudes de pensée, pour créer en commun les premiers éléments d'une coopération originale qui pourrait servir à beaucoup de modèle de développement.
- Vous en tirez profit. Nous aussi, monsieur le Président, et nous en avons conscience. C'est ainsi que les choses iront mieux quand les pays industriels auront tout à fait compris que l'une des réponses à la crise touche à leur capacité de développer le tiers monde et d'examiner avec un oeil aigu le problème crucial de l'endettement accumulé par tant de pays du tiers monde. Alors, nous serons près de connaître une période de croissance renouvelée, éclairés par l'intelligence humaine et capables de proposer d'années en années de ces merveilles techniques dont l'homme doit rester maître.\
Voilà, monsieur le Président, madame, quelques données. C'était la seule occasion que j'avais de dire ainsi, à la fin de cette soirée, de quelle façon nous considérons l'avenir de nos relations, et de quelle façon nous envisageons quelques problèmes majeurs qui sont de votre domaine et du nôtre. Un peu plus l'Afrique, un peu plus l'Europe, selon les lois de notre géographie, vous là-bas, nous ici. Mais enfin quand même, peuples majeurs et peuples adultes dont les réponses seront écoutées bien au-delà de l'ère géographique où nous vivons.
- Eh bien je dois dire, monsieur le Président, madame, ce que vous avez apporté à tout cela, à ces rudes débats où nos responsables, avec une grande ouverture d'esprit mais une ténacité souvent redoutable se sont affrontés, ont trouvé les meilleures solutions après avoir pensé parfois qu'ils n'y parviendraient pas. On s'attendait à des reculs, à des lenteurs en tout cas qui pouvaient laisser craindre finalement des refus. Et puis, nous y sommes parvenus. Laissez-moi vous rendre hommage, monsieur le Président : vous n'y êtes pas pour rien, car vous avez exprimé une volonté politique qui a dominé, transcendé les débats et je crois avoir, au nom de la France, agi de la même façon. Je n'aurais pas tout dit si je ne soulignais pas que votre présence parmi nous, tel que vous êtes, incarnant à la fois un grand passé, un patriotisme intransigeant, du courage, de la simplicité, et de la noblesse dans les relations avec ceux qui étaient vos ennemis pendant un temps et qui sont redevenus vos amis. Cette noblesse que l'on retrouve si souvent dans le caractère algérien, et qui vous habite, monsieur le Président.
- Le peuple français ne s'y est pas trompé. Vous êtes chez lui, depuis deux jours. Vous apercevrez à mesure que les heures vont passer le sourire et la joie gagner de proche en proche. D'abord, la surprise. "Quoi, le chef de l'Etat de l'Algérie ?" "Pour la première fois depuis toujours ?" "Visite d'Etat, avec tout ce que cela représente d'engagements mutuels ?" "Quel est cet homme, quels sont ces responsables ?" "Que pensent-ils, comment agissent-ils ?"
- Et ils voient arriver à eux des gens aux idées précises, à la volonté sans faille, mais avec une ouverture du coeur et de l'esprit. Croyez-moi, le peuple de France a tout de suite reconnu ceux auxquels ils pouvait accorder à son tour tous les titres de l'amitié.\
J'ai commencé comme je finirai, lorsque j'ai prononcé cette phrase qui pourrait prêter à un débat : le passé d'avant 1962 `indépendance de l'Algérie`, vous disais-je nous n'avons pas à le rejeter complètement, entièrement. D'autres générations avant nous ont souffert, aimé, vécu et se sont souvent opposées avec leurs incompréhensions. D'autres, au contraire, pionniers, ont annoncé le futur. Nous avons vécu. Nos peuples se sont forgés, souvent dans le malheur. Et voilà que nous vous retrouvons, vainqueurs d'abord de vous-mêmes, comme la France a su l'être aussi. Est-il plus grande victoire que celle que l'on remporte sur soi-même lorsqu'un ami vous tend la main.
- Vous êtes ici, monsieur le Président, vous disais-je et madame, les bienvenus. Ce n'est pas une parole de circonstance. Huit cent mille de vos compatriotes vivent sur notre sol. Sachez que pendant ces trois jours où vous serez parmi nous, et après, lorsque vous serez rentrés chez vous, nous vous considérerons comme ceux qui ont su tendre la main, recevoir la nôtre. Pas seulement rêver d'un avenir harmonieux, mais le construire. Pour cela il faut des ouvriers, attachés à leur besogne, les yeux fixés sur leur matériau, et capables de temps à autre de lever la tête et de contempler l'horizon. Monsieur le Président, c'est la leçon que nous vous devons et je vous en remercie.
- Laissez-moi vous dire pour conclure.
- Vive l'Algérie !
- Vive la France !\