4 novembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie d'Angoulême, vendredi 4 novembre 1983.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Vous comprendrez très aisément le plaisir particulier que j'éprouve à me trouver à Angoulême dans cet hôtel de ville en cet instant.
- J'ai pu mesurer à travers le temps l'évolution d'Angoulême. Evolution et progrès tirés d'une grande inquiétude et d'une réalité qui s'annoncaient dramatiques. Je parlais hier soir devant l'assemblée régionale de ces illustres entreprises qui semblaient assises à jamais et que le temps a fini par détruire. Il fallait réagir. Il fallait inventer. Il fallait s'adapter. D'abord assurer la continuité de l'emploi dans sa transformation et assurer, à Angoulême, métropole de la Charente, un équilibre longtemps rompu.
- Ce que je viens de voir, à l'instant, est non seulement rassurant, mais parfois exaltant. Ma visite à Nersac, l'ouvrage du syndicat mixte, la zone industrielle, les réalisations, les projets, mais surtout cette curiosité d'esprit, cette audace industrielle qu'il est vraiment très agréable de trouver en Charente, où on dit que nous sommes un peu lents. Cela veut dire plutôt que nous sommes patients, mais lorsque nous décidons d'agir, nous agissons. Quand je dis nous, c'est parce qu'il me semble reconnaître quelque parenté entre nous.
- Le meuble informatisé, au moment où, et je le dis partout, l'industrie du bois a connu des échecs au-cours des dernières décennies, incompréhensibles quand on sait que nous disposons du plus beau et du plus grand massif forestier d'Europe. Le bois, ses dérivés, ses industries qui nous rendent déficitaires, juste après le pétrole pour notre commerce extérieur. Le bois, une industrie, je ne sais pas si elle est unique en Europe, mais j'ai bien l'impression qu'elle est tout à fait à la pointe. Qu'elle a de grands plans ambitieux, est capable de mêler l'information à la création et de cette façon, correspond exactement à l'effort d'imagination, de travail, d'initiative que j'attends des Français, alors il est bon pour moi de trouver cela. L'industrie du meuble, c'et le moyen pour la France, qui ne manque pas d'artisans, d'artisans d'art, de créateurs, d'industriels, c'est le moyen pour la France de récupérer l'avantage dans un secteur où nous en avons le moyen.
- Même remarque pour des industries plus traditionnelles, j'ai retrouvé des noms connus de ma jeunesse pour le renouvellement du carrelage ou de la tuile venus d'un peu plus loin, vers l'est d'Angoulême et récupérés dans la zone industrielle.\
J'ai pu observer à l'instant, à Saint-Martial `centre d'action culturelle`, de quelle façon, je dois le dire, d'une façon étonnante, surprenante, exaltante, on voit naître une industrie d'un art `démonstration de l'utilisation de l'informatique dans le dessin`. La jonction de la création et de la production, n'est pas seulement, comme vous le disiez tout à l'heure pour le gadget, où pour le plaisir d'une élite, d'un raffinement de l'esprit, ce qui ne serait déjà pas si mal. Ce qui serait tout à fait appréciable. Mais allant beaucoup plus loin, capable de créer des emplois, donc de la vie, d'apporter à notre pays et d'abord à votre ville et à sa région, une nouvelle raison d'exister, d'espérer, de produire, de contribuer au développement, à l'épanouissement de la France.
- Assurément, et je prie que l'on m'en excuse, les industriels que j'ai rencontrés tout à l'heure, ont dans d'autres domaines, d'autres réussites, je ne puis les citer tous. En tout cas, je viens d'assister à un éveil, ou bien à un réveil, parce que Angoulême a connu dans le passé de grandes heures. En tout cas une capacité d'être dans la compétition nationale et même au premier rang, du moins dans les domaines que vous avez choisis.
- Et dans la compétition internationale rejoignant ce que vous disiez à l'instant de la culture, forme d'industrie moderne, comme je le disais, il n'y a pas si longtemps, à la Sorbonne, à l'ensemble des créateurs et des intellectuels venus du monde entier et qui s'étaient rassemblés là. Il ne faut pas oublier, sans que notre discours prenne un aspect exagérément mercantile, mais il ne faut pas oublier que tous les modes de culture sont générateurs de richesses industrielles. C'est une grande, ou cela peut être une grande industrie moderne. J'ai parlé du meuble, mais c'est une forme de l'art, c'est une forme de la culture, d'être capable de donner à l'environnement de l'homme une qualité nouvelle.\
L'artisanat et combien de métiers qui se considèrent comme humbles marquent par le travail de la main, naturellement conduit par le travail de l'esprit, une capacité culturelle que l'on trouve aussi bien chez le paysan qui trace son sillon. Tout cela rassemblé et lié représente une force, une énergie, une vitalité dont je n'ai jamais douté, alors que nous sommes pris de plein fouet, depuis quelques années par une crise mondiale, qui ne vient pas de chez nous, mais qui est tout simplement, comme je l'explique sans cesse, l'aspect le plus caractéristique de la mutation technique. Notre société, un peu lente, un peu lourde, figée dans ses structures, éprouve quelque peine à réduire le temps qui sépare l'invention de l'homme, qui vient aussi de l'esprit de l'homme et ses adaptations et qui n'a pas encore trouvé toujours, le moyen de former les hommes et les femmes à ces nouveaux métiers dans le même moment. C'est-à-dire de faire que le progrès industriel ne soit pas associé immédiatement et dramatiquement à la perte de l'emploi. On a déjà connu cela, rappelez-vous la révolte des canuts de Lyon devant la machine textile. Rappelez-vous les luttes ouvrières - rendues nécessaires et justes - au moment de l'avènement de l'électricité, à la fin du 19ème siècle.\
Maintenant c'est le temps de l'électronique et soudain du Japon, des Etats-Unis d'Amérique surtout, mais de quelques autres pays aussi, toute une série de techniques qui exigent une formation accélérée et généralisée des jeunes qui dans les dix ans qui viennent, se trouveront devant des professions nouvelles, pour lesquelles ils doivent être formés. C'est le B A - BA, c'est le commencement de tout. Il ne faut pas croire que nous allons pouvoir refuser ce progrès, ce serait aller vers un déclin nouveau. Il faut l'accepter et mieux l'appréhender, en accepter les risques, à la condition d'en assumer les charges. C'est ce que je demande aux Français et ceux qui en souffrent doivent comprendre que le travail du gouvernement est fait précisément pour que la soudure soit la plus rapide possible, afin que le passage soit franchi et que nous accédions sans autre délai à la plénitude de la société nouvelle, celle qui s'annonce pour le siècle prochain.
- Je suis heureux de pouvoir vous dire ces mots à Angoulême, parce que cette ville, parmi beaucoup d'autres, que rien ne pouvait signaler, sur le -plan de l'initiative audacieuse, moderniste, donne pourtant l'exemple, ce qui prouve bien que les Charentais ont quand même quelques réserves, plus qu'on ne le croit au dehors. Je me permets de souligner sans que cela prenne, on ne sait jamais, la tournure d'une confidence personnelle.\
Il faut mesdames et messieurs, que l'on aborde de plain-pied la période qui s'est ouverte. A cause de la crise, grâce à la crise, il faut tirer un bien d'un mal. Et lorsque je développe partout le thème de l'initiative, sachant fort bien qu'a priori la politique menée depuis 1981, apparaît comme antithétique de l'initiative, et je ne sais pas pourquoi, simplement parce que nous avons développé ce qui est nécessaire, un secteur public plus vaste, là où il fallait mieux assumer la concurrence internationale. Mais il fallait le compenser dans la mesure où la tentation française est celle de la centralisation, de la bureaucratie et finalement une certaine façon de négliger l'individu, la personne, qui à la base de tout, le ressort de toute action. Si on l'oublie, on oublie tout, alors nous avons fait les lois sur la décentralisation pour développer la responsabilité partout, les élus locaux, à tous les niveaux comme des corps consulaires, comme de tous ceux qui participent d'une façon ou d'une autre à la vie associative afin de compenser, d'équilibrer ce qui est, je le répète on dit depuis les Jacobins, d'autres disent depuis Colbert, moi je vais vous dire depuis Louis IX, depuis François 1er, après tout ce sont eux qui ont nationalisé, ce que je n'oserai appeler les PTT. Eh oui, les postes sont nationales depuis cette époque ! On ne parlait pas encore de socialisme ...\
Mesdames et messieurs, il y a dans le tempérament français un certain nombre de tendances justes pour resserrer et former une nation pendant longtemps déchirée entre ses forces centrifuges. Nous avons par le ciment des guerres, des crises, des affrontements surmontés, nous avons, nos parents ont bâti une nation solide, homogène, dans laquelle s'exercent sans grands risques, les combats démocratiques. Sans grand risque de déchirement, car que ce soit dans l'opposition ou dans la majorité il y a assez d'hommes raisonnables pour savoir jusqu'où doit être portée la revendication ou l'affrontement. Et puis aussi à-partir de quand. C'est la France qui nous intéresse. Le bien commun des uns, des autres. Il faut donc que nous nous préparions à figurer parmi les meilleurs. Et je ne le dirais pas si c'était une forme démagogique d'expression. Les meilleurs j'ajouterai, parce que nous en sommes capables. Pas d'aujourd'hui, nous n'avons pas commencé en 1981, cela a commencé bien avant, mais cela n'a pas commencé non plus en 1974, cela n'a pas commencé non plus en 1944, depuis toujours la France dans la difficulté, - c'est pourquoi ce peuple reste libre - a été et s'est révélée capable d'affronter la difficulté et de rester parmi les hautes civilisations dont on s'inspire.\
J'ai vécu longtemps parmi vous, je reconnais quelques visages d'anciens camarades, ici et là, d'amis de ma jeunesse, j'ai vécu huit ans pensionnaire ici, dans un collège de cette ville où me relient d'excellents souvenirs. J'ai vécu tous les affrontements qui opposent les différentes fractions, les groupes sociaux, les groupes économiques, les diverses idéologies. J'ai moi-même assumé ma propre évolution à ma façon devant les problèmes qui se posaient à moi, au gré des expériences que j'ai vécues, mais je n'ai jamais voulu éliminer aucune forme d'esprit, aucune forme d'action, dès lors, qu'elle contribuait à l'édification, à travers le temps, du peuple qui est le nôtre.
- Monsieur le maire `Jean-Michel Boucheron`, mesdames et messieurs, nous allons continuer le voyage, aborder d'autres problèmes. Je vois à peu près ce qui m'attend en arrivant dans mon pays d'origine, je veux dire à Cognac.
- On a parlé du meuble, de l'image, du papier, bien d'autres choses encore, nous allons maintenant passer à la viticulture. Je retrouverai là aussi des sons depuis longtemps entendus, qui doivent faire partie de mon code génétique. Ensuite, j'irai un peu plus loin, du côté de l'autre Charente que j'ai quelquefois par habitude archaïque, messieurs de la presse notez-le, tendance à appeler la Charente inférieure.
- Mais je n'oublierai pas qu'elle s'appelle maritime, dès que j'aurai franchi la frontière entre Cognac et Saintes : elle n'a rien d'inférieur, c'est un admirable département. Et voilà, je serai donc dans nos provinces, à nous. Le passage d'Angoulême est pour moi très significatif. Sachez que je suis heureux d'être parmi vous. Je n'ai rien d'autre à vous dire sinon que je me dois de vous répéter des phrases rituelles qui pour vous et pour moi gardent leur sens :
- Vive Angoulême !
- Vive la Charente !
- Vive la République !
- Vive la France !\