3 novembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Châtellerault (Vienne), jeudi 3 novembre 1983.

Mesdames, messieurs,
- Mes chers concitoyens,
- Voici quelques instants j'étais dans le bureau du maire de la ville `Edith Cresson`, qui, selon les usages, m'offrait des médailles. La médaille de la ville, rassemblant quelques grands souvenirs, qui vous sont propres. J'ai remarqué qu'il y avait la médaille du Pont Henri IV et il y avait la médaille représentant ou célébrant la mémoire de Descartes. Le Pont Henri IV, je ne suis pas assez féru d'histoire chatelleraudaise, mais je compléterai mon information grâce aux deux livres qu'on m'a offerts sur votre histoire. Mais enfin je suppose que cela fait -état des passages d'Henri de Navarre dans votre ville et notamment en 1589, lorsque de Châtellerault Henri de Navarre, bientôt Henri IV, a adressé aux Français une lettre-programme qui les invitait à se réconcilier. Oh ! L'époque, de ce point de vue, était plus rude qu'aujourd'hui. Rassembler les Français, cela ne lui a pas été facile. Ca ne l'est pour personne. Mais enfin, il y est arrivé. Entre temps, que de luttes, que de débats : parvenir à convaincre la majorité, l'immense majorité des Françaises et des Français qu'ils ont de quoi s'entendre, qu'ils ont une grande histoire vécue et à vivre, un grand passé, un présent, un puissant avenir, s'ils le veulent. Et vous savez bien que s'ils le veulent, ils le peuvent.
- Descartes : oui, on vient de le rappeler, il est né pas très loin d'ici, comme une partie de son oeuvre £ c'est la raison, la raison scientifique, obtenir de l'homme qu'il éveille en lui-même toutes ses capacités de réflexion, de raisonnement. Et moi, je suis de ceux qui croient que la raison est mère de liberté. Là est né l'un des grands enseignements modernes, souvent contredit par les faits, souvent rejeté comme si nous n'avions pas constamment besoin de cet instrument en nous-mêmes pour juger sereinement de tout.
- Eh bien moi, je fais appel à votre raison ! La raison, ce n'est pas le seul mobile, le seul ressort d'une société. Mais c'est un élément indispensable. Et je vous demande de réfléchir avec moi, raisonnablement, sur les chances de la France.\
A l'instant, madame le maire `Edith Cresson` évoquait la situation de Châtellerault, non seulement de Châtellerault la ville, mais aussi de la campagne alentour, c'est-à-dire des productions agro-alimentaires qui nous promettent un bel avenir si on sait les maîtriser. Elle a même employé un mot savant que j'ai eu quelque peine à comprendre : oléoprotéagineux. Je pense qu'elle voulait dire le colza et le tournesol, qui sont plus faciles à comprendre. Eh oui, vous avez là, dans ce pays, le moyen de rejeter ces importations abusives de productions américaines qui viennent nourrir les animaux et fournir l'aliment de toutes les grandes usines à production du lait, au travers de l'animal, dans le nord de l'Europe, qui viennent donner au Marché commun du lait la plupart de ses difficultés. Eh oui, nous avons chez nous de quoi produire et concurrencer les plus puissants des autres. Cela dépend de notre volonté et naturellement de notre capacité à organiser la recherche, la production, l'exploitation et la commercialisation de cette production.\
Et précisément, j'ai là, devant moi, parmi vous, mesdames et messieurs, un certain nombre d'entre vous qui sont venus avec des banderoles. Ils ont d'ailleurs bien fait : d'abord parce que je peux lire clairement ce qui, disons, ressort des luttes, des luttes ouvrières surtout, autour de l'emploi, des moyens de vivre, de la justice sociale, des questions qu'on se pose sur les salaires, sur les retraites, sur une politique industrielle, d'autres qui ajoutent "il faut vivre au pays". Et je le disais à l'instant : ce pays a le moyen de vivre ! Non pas totalement sur lui-même : il ne faut pas se refermer. Il faut accepter toutes les lois et les rudesses de la concurrence internationale. Mais il faut savoir que nous disposons, chez nous, en France, et des hommes, si on les forme, et des biens qui nous permettront, comme je vous le disais à l'instant, de remporter les victoires modernes, qui ne se livrent pas sur les champs de bataille militaires, mais qui se livrent sur les champs de la concurrence économique.
- Je lis plus loin : "réussir le changement". Et puis "priorité à l'emploi, avenir de notre aéronautique". Je ne peux pas oublier qu'ici, à Châtellerault, on est comme cela était signalé tout à l'heure, à la pointe du progrès industriel, pour l'aéronautique, pour l'automobile, pour les industries de santé, dans d'autres domaines encore que j'ignore ...
- Mais je vais passer avec vous quelques heures et je le saurai mieux en vous quittant qu'en venant. Car rien ne remplace, mes chers concitoyens, cette relation directe, qui est une meilleure connaissance des dossiers, que ce qui est écrit noir sur blanc par les bureaux, par les services. C'est nécessaire mais rien ne vaut pour moi ce contact avec vous.
- Oh ! Il y a un peu trop de barrières entre vous et moi, c'est difficile de faire autrement. Mais je m'efforcerai, au-cours de ces journées que je vais passer dans le Poitou-Charentes, d'approfondir avec chacun, avec toutes les catégories socio-professionnelles une relation, une discussion, une conversation dont j'ai besoin pour ressentir à tous moments les besoins et les volontés du pays.\
Il faut quand même comprendre que si la France se trouve, comme les autres pays du monde, bouleversée, transformée par la crise internationale, que si nous avons en même temps à affronter, dans les mois qui viennent une situation politique mondiale difficile, à certains moments dangereuse, c'est encore dans les vertus de notre indépendance nationale, dans notre capacité de production, dans la lutte engagée pour la justice sociale, pour que le plus pauvre et le plus démuni ait sa chance et surtout pour que ses enfants par l'instruction et par la formation technologique puissent non seulement s'épanouir mais aussi apporter à la France tout entière une richesse nouvelle, que la France trouvera ses chances.
- Tout cela nous l'avons entrepris en 1981 `élection présidentielle 1981` et depuis lors, au moment même où il devenait indispensable d'organiser le changement sans quoi la France eût continué d'aller vers son déclin. Mais cette reprise en main, c'est cette volonté de lutter à la fois sur plusieurs terrains : la lutte contre l'inflation qui nous a permis en deux ans de descendre de cinq points, marche qui exige chaque fois un effort colossal tant les habitudes et les structures viennent s'opposer à ce que notre pays soit libéré de cette inflation qui nous empêche d'être présents autant qu'il le faudrait, sur les marchés internationaux.
- La lutte pour freiner la crise de l'emploi au moment où, je vous l'ai expliqué l'autre jour à la télévision, où le mot crise s'identifie au mot mutation. Ce qui veut dire que tout change et notre société n'était pas préparée à ce changement. Notre société résistait, et résiste encore à ce changement, de telle sorte que s'était créé un fossé qui sépare l'évolution industrielle, technologique de la formation individuelle des hommes appelés à servir cette industrie nouvelle. Notre société n'était pas préparée parce que on ne s'intéressait pas beaucoup, il faut le dire, aux producteurs, aux travailleurs de l'industrie, de l'agriculture parce qu'ils étaient là pour fabriquer des biens sans que l'on ne s'occupe du reste et le grand mouvement qui s'est engagé il y a déjà longtemps, qui s'est traduit il y a un peu plus de deux ans par une victoire politique, cela a été précisément cette volonté d'un pouvoir et d'un peuple, d'un pouvoir identifié à ce peuple de parvenir à plus de justice non seulement comme je le disais à l'instant pour que le plus petit, le plus pauvre et le plus démuni ait sa chance dans la vie mais aussi pour que l'on réduise les inégalités, pour que l'on en finisse avec d'insupportables privilèges, pour qu'il n'y ait pas des groupes sociaux qui vivent des autres, qui les écrasent.\
J'ai appelé à moi toutes les forces vives et productrices de la nation. Combien d'entre vous appartiennent à ces groupes sociaux qui ont espéré, qui continuent d'espérer parce qu'ils font appel aussi à leur raison et parce qu'ils ont encore dans l'esprit peut-être sans le savoir, le message de celui que j'évoquais pour commencer. Rien, rien de bon ne se fera si les Français ne se rassemblent pas !
- Mesdames, messieurs, mes chers concitoyens je suis heureux de dire cela à Châtellerault non seulement parce que, comme vous le savez peut-être, c'estune ville que je connais depuis longtemps, même depuis mon enfance, ma jeunesse. J'ai parcouru vos rues. Je suis né pas tellement loin d'ici, je connais bien la couleur de son ciel, le tempérament de ses habitants et je sais toutes les richesses et toutes les forces intérieures dont dispose une région comme la vôtre.
- A vous on peut parler, avec une chance très profonde d'être entendu. Les premiers résultats de notre action commencent à se faire sentir. Nous ne sommes pas au bout de notre effort. Je ne peux pas résumer autrement l'action dans laquelle nous sommes engagés.
- Les premiers signes sont là, l'inflation recule. Et si le chômage n'a pas été suffisamment contenu c'est tout de même en France que son ampleur a été la plus réduite parmi tous les pays industriels du monde.
- Enfin, nous avons repris le dessus. Oh, ce n'est pas encore acquis, mais nous avons repris le dessus pour notre commerce extérieur, ce que l'on achète et ce que l'on vend. Les importations : c'est ce que l'on achète, elles ne sont pas beaucoup réduites et cela serait pourtant nécessaire si l'on fabriquait en France ce que les Français consomment. Mais nous avons cependant par l'exportation, c'est-à-dire par la vente de nos productions, de nos marchandises, de ce que nous sommes capables de créer avec nos mains et avec notre esprit, connu en l'espace de trois ou quatre mois, un progrès considérable, progrès auxquels n'est pas tout à fait indifférent le rôle joué par Mme le maire `Edith Cresson` de Châtellerault.\
Mesdames et messieurs, qui attendez du Président de la République qu'il réponde à votre attente, je me contenterai de vous dire pour terminer cet exposé et pour continuer au-delà mon action, que je compte, oui, je compte beaucoup sur celles et ceux d'entre vous qui se sentent disponibles là où ils travaillent, là où ils vivent, là où ils éduquent leurs familles, là où ils sont des Français parmi d'autres, qui se sentent assez ambitieux pour leur pays pour leur apporter, non seulement leur effort, parfois leurs sacrifices, surtout leur espérance.
- Oui je compte sur la volonté des Français. La mienne, croyez-moi, ne fléchira pas. Peu importe les campagnes qui se déroulent ici et là. Après tout que chacun s'exprime. C'est bien la loi républicaine, loi qui pour moi est rigoureuse.
- Mais, mesdames et messieurs, ceux du premier rang et ceux qui êtes plus loin, sachez que j'ai retenu votre message. Le changement nous y sommes, dans un moment parmi les plus difficiles que l'on ait connus dans l'après-guerre alors que la bourrasque a emporté partout dans le monde bien des pays et bien des industries. Et pourtant nous sommes là vous et moi, solides au poste, prêts à défendre la cause de la France partout où il le faut, son rayonnement, son prestige, sa présence, en sachant qu'il faut commencer par le commencement, c'est-à-dire, défendre et protéger le travail par l'emploi, par le salaire, par la juste protection sociale, par les droits des travailleurs, indispensable complément de toute législation sociale, le droit des travailleurs, le droit à l'expression, le droit au dialogue, le droit au jugement sur la marche de l'entreprise, étant bien entendu, que là aussi, dans l'entreprise comme dans la France tout entière, c'est la capacité commune et collective de tous ceux qui participent à la production qui fera notre réussite.
- Mesdames et messieurs, mes chers concitoyens, l'heure passe, il me faut vous quitter, enfin pas tout à fait. J'ai deux façons de rester avec vous : d'abord je vais prendre mon repas avec quelques-uns d'entre vous à Châtellerault £ ensuite parce que les conversations continueront autour des tables. Quand je vous aurai quitté ce soir pour aller à Poitiers, quand j'aurai quitté la région Poitou-Charentes, demain soir pour rentrer à Paris, je garderai l'image de cette place, devant cet hôtel de ville. Je garderai en mémoire vos regards et votre présence et croyez-moi, mes chers concitoyens, cela m'aidera pour la lourde et noble tâche que vous m'aviez confiée.
- Vive Châtellerault !
- Vive la République !
- Vive la France !
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