8 octobre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Jarnac, samedi 8 octobre 1983.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Me tournant d'abord vers vous premier magistrat `maire` de la ville, je vous remercierai pour la qualité de vos propos auxquels j'ai été très sensible.
- Vous m'avez rappelé des choses que je savais mais que le temps pouvait user. D'abord en vous rencontrant ici même, je n'oublie pas non plus, le jeune homme que vous étiez, ni vos parents qui étaient mes voisins. Je n'oublie pas davantage - sans que je puisse verser vers un discours sentimental, nous n'en sommes pas au point seulement d'égrainer les souvenirs - enfin, tout de même, beaucoup de choses me rappellent les jours, des heures, des saisons, des années vécues parmi vous puisque je suis l'un des vôtres.
- Vous m'avez également rappelé quelques vertus charentaises. Je regretterai de ne pas les avoir toutes. Mais j'en ai quelques-unes. D'abord croyez-le je suis patient, très patient et plutôt tolérant jusqu'à la limite de mon devoir assurément et j'ai grand plaisir à retrouver ici, quel que soit leur choix personnel, des Jarnacais qui m'accueillent, les élus, maires du canton, membres du conseil municipal, vous-même monsieur le conseiller général et tous les autres, en-particulier ceux qui sont ici devant cette mairie qui se souviennent aussi, s'ils ont mon âge et qui savent en tout cas que le lien entre nous est profond.
- Dans le cimetière de cette ville reposent mes arrières grands-parents, mes grands-parents que j'ai aimés, mes parents et dans les cimetières alentours les générations d'auparavant par ma mère qui était très Saintongeaise au point que l'on parlait chez moi très souvent par souci de rester fidèle à cette province le patois saintongeais. Mon arrière-grand-père Beaupré - je ne sais pourquoi on l'appelait Beaupré de son prénom - Beaupré Lorrain l'enseignait de la façon qu'il aimait c'est-à-dire à la fin des banquets, des mariages, avec Burgaux des Marais dont il était l'ami au point qu'ils se sont attelés à un moment donné à une grammaire du Saintongeais. C'est vous dire que je me sens à l'aise à l'endroit où se trouvent mes principales racines.\
Quand je vois la liste des maires de Jarnac, même si cela remonte à l'an II, ce sont des noms très connus, les noms de mon voisinage : les Ranson, puis on tombe sur les Delamain, ou les Hine, puis la suite Comandon, les Royer, les Voiron, à travers plusieurs siècles se retrouvent ici toute une filiation obéissant à des choix politiques, historiques, et philosophiques différents qui composent la communauté à laquelle nous appartenons et si nous voyons la liste de ceux qui se sont sacrifiés dans les guerres, on retrouverait d'une autre façon la suite des temps, la continuité des temps avec assurément les modes, les styles, les préférences, les circonstances changeantes. Eh bien moi, avec vous, je représente l'un de ces moments de la vie Jarnacaise.
- Je n'ai jamais quitté Jarnac à vrai dire. J'y reviens de temps à autre, je reviens dans la maison où je suis né, dans la maison où mes grands-parents ont vécu, cela fait déjà quelques 130 ans, dans laquelle une de mes soeurs vit, dont je retrouve très facilement les chemins. Je disais à messieurs les maires du canton que ma bicyclette m'avait permis de connaître pratiquement tous les chemins d'alentour. Je ne suis pas surpris quand on me parle de Julienne ou de Chassors et même Nersac cela ne paraît pas le bout de monde.
- Passons sur ce sujet, je l'ai dit tout à l'heure, nous n'en sommes pas au moment du souvenir. On a encore suffisamment à faire pour ne pas simplement considérer avec émotion et sympathie un passé qui trouve l'essentiel de ses couleurs à Jarnac et en Charente.
- Ce que vous avez dit du tempérament et des qualités du ciel, de la terre, des productions, de la vigne, des hommes de ce pays représente pour moi un certain modèle de civilisation non point que vous soyiez, que nous soyions meilleurs que les autres enfermés que nous sommes derrière nos maisons dont les murs sont assez hauts pour que personne ne puisse y regarder. Nous sommes réservés, peu portés aux confidences, une certaine distance s'établit entre les meilleurs amis. On se respecte beaucoup. On a souvent quelques peines à pénétrer l'intimité, à connaître l'intérieur, la façon dont vivent ceux qu'ils aiment, parfois même ce qu'ils pensent, les gens d'ici. Sont-ce des défauts ou bien des qualités ? Qui le dira ? Il n'en reste pas moins qu'au bout du compte ce sont les deux anecdotes que vous avez rapportées qui marquent le mieux ce qui crée cette communauté très forte dans lesquelles vous avez la chance de vivre toujours et dont je ne suis que le visiteur provisoire. J'ai souvent regretté de ne pouvoir garder davantage le lien avec la Charente bien que ma vie politique m'ait conduit sur un terroir auquel j'ai voué beaucoup d'attachements. Trente cinq ans de vie parlementaire ce n'est pas tout à fait rien. Disons que je me sens un petit peu divisé mais c'est quand même là que je retrouve, bien que ce soit très peu perceptible dans les propos que vous avez tenus, notre accent. Il y a certaines intonations qui ne m'échappent pas. Quand j'étais dans les camps de prisonniers j'appartenais à l'association des Cagouillards et je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir comme une sorte de pulsation plus amicale pour celui qui avait juste le mouvement du langage, qui rappelait Montagan, quelque chose qui ressemblait à une Saintonge charentaise dont je connais tous les détours. \
Bref, je suis resté fidèle à Jarnac, même si je n'y viens pas souvent, ce qui arrange tout le monde. Imaginez que nous recommençions trop souvent cette cérémonie, nous nous y lasserions. C'est pourquoi il faut profiter de cette fois-ci et dire l'essentiel. L'essentiel, c'est d'abord le plaisir d'être chez soi et cela c'est très profond, c'est permanent, c'est une des raisons d'être principales - disons en tout cas lorsque j'évoquais une forme de civilisation c'est celle dans laquelle je me reconnais. Celle à travers laquelle je vois la France tout entière £ ce qui risque parfois d'être une erreur. La France tout entière n'est pas comme Jarnac mais j'aimerais bien que la France tout entière ressemble à Jarnac. Dans les choix politiques, cela dépend du moment, mais dans son tempérament, sa façon d'être ce que j'appelais tout à l'heure le respect de soi-même et le respect des autres, ce témoignage monsieur le maire que vous venez d'exprimer, je vous le répète encore je m'y trouve très à l'aise. C'est un retour non seulement sur un sol, le vôtre, le mien, mais sur soi-même. Il n'y a pas beaucoup de temps, d'occasions dans la vie et surtout maintenant la vie active, pour que nous menions un retour sur soi-même.
- Je marquerai donc cette journée de cette marque unique où l'on peut un moment retrouver ses amis sans réticence aucune, savoir que nous sommes les expressions diverses, parfois contraires mais pas contradictoires, complémentaires souvent d'un grand pays qui est la France et que si l'on pouvait obtenir je ne sais quelle contagion dans la façon d'être et de vivre, où une fois passées les rumeurs et les contradictions on se retrouve chacun acceptant l'autre et permettant des cérémonies aussi agréables que celle-ci. Oui, j'aimerais que la France s'inspirât un peu de l'exemple que me donne Jarnac aujourd'hui dans cette Charente à laquelle je reste attaché par l'essentiel et pour l'essentiel.\
Maintenant, nous allons aller un peu plus loin je crois. Nous allons nous occuper d'un timbre. Lorsque la société de philatélie de Jarnac m'a saisi de cette demande, contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là, je ne suis absolument pas à l'origine de cette manifestation, elle a été suggérée par les Jarnacais, elle a aussitôt été relayée par monsieur le maire de Jarnac. Je n'ai donc pas cédé à je ne sais quelle vanité. J'étais très content quand même, je dois bien le dire, de voir sur une petite vignette le Quai de l'Orangerie avec les maisons bien dessinées, les tilleuls que je respirais avec beaucoup de passion lorsque je circulais le long de ce quai, juste au débouché de chez moi. Cette rivière, c'est un fleuve. Je me souviens d'avoir écrit moi-même, dans un livre déjà ancien, que malgré tout, j'éprouvais toujours une sorte de vanité à savoir que la Charente c'était un fleuve et que ce n'était pas un cours d'eau. J'établissais cette hiérarchie entre un cours d'eau qui va à la mer et celui qui s'arrête avant. Mais c'est comme çà, disons, que nous sommes fiers de notre pays et pour des raisons infiniment plus fortes encore.\
Vous avez évoqué quelques noms importants de notre histoire. Vous m'offrirez dans un instant un ouvrage. Je me souviens que dans ma jeunesse, je m'émerveillais de pouvoir rencontrer à Jarnac quelques-uns des plus grands esprits de ce temps, généralement les hôtes des Delamain qui ont éclairé l'édition, la littérature du lendemain de la première guerre mondiale, la Nouvelle revue française qui fut le point de contact de tous les intellectuels de ces années-là, sans oublier les mille et un talents qui se sont affirmés jusqu'à ceux qui n'avaient pas de talent particulier, qui auraient pu les rendre notoires ou illustres et qui étaient les bons ouvriers de ce terroir, ouvriers, paysans, qui l'ont fait et auxquels je voudrais dédier mes dernières paroles.
- Ces paysans de la vigne, ces viticulteurs, depuis l'époque où je voyais mon propre grand-père s'essayer à la fabrication du cognac, jusqu'à l'ouvrier de nos chais menacé, c'est vrai, par l'évolution des temps, avec cependant un palmarès assez remarquable si j'en juge par les données que vous m'avez fournies sur l'évolution de la population et la diversification des productions, en dépit de l'assaut mené, accord réussi dans le monde du cognac par toute une série de sociétés extérieures à la région, il n'empêche qu'à travers le temps Jarnac vit et vivra.
- Puisse cette rencontre de ce matin être le témoignage vivant de cette énergie, de cette force, de cette pérennité. Nous pourrons dire ensemble monsieur le maire, mesdames et messieurs :
- Vive Jarnac,
- Vive la République,
- Vive la France.\