28 septembre 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant la 38ème session de l'Assemblée générale des Nations unies, New York, mercredi 28 septembre 1983.

Monsieur le président,
- Mesdames,
- Messieurs,
- C'est un grand honneur pour moi que de prendre la parole devant votre assemblée. Depuis son origine en 1946 - et je n'oublie pas que la France fut à San Francisco l'un de ses membres fondateurs - l'organisation des Nations unies `ONU` a rempli un rôle essentiel. Quels qu'aient été les résultats de son action, elle est restée ce lieu unique où, malgré les déconvenues et l'éternelle tentation de la force, les solutions pacifiques ont été inlassablement recherchées. Par le seul témoignage de cette aspiration et de cette persévérance, elle symbolise ce qu'il y a de meilleur dans la communauté internationale. Je rends hommage, monsieur le président, à la sagesse de la 38ème assemblée générale qui, en vous choisissant, a mis en lumière la place éminente qui est aujourd'hui celle de Panama et, au-delà, de l'Amérique latine.
- J'ai le plaisir de réaffirmer ici la confiance de la France en la personne de votre Secrétaire général `Javier Perez de Cuellar`, que j'ai déjà rencontré à plusieurs reprises à Paris et dont mon pays a pu apprécier l'impartialité, le talent et la conception très élevée qu'il se fait de ses devoirs.
- Le rapport qu'il a présenté à cette assemblée l'an dernier reste présent à nos mémoires. Il contenait comme celui de cette année, sur le rôle du Conseil de sécurité, sur la réduction des tensions, sur les conflits régionaux, le désarmement, les droits de l'homme et le développement économique et social, des suggestions auxquelles je tiens à donner solennellement mon accord.\
C'est précisément sur les thèmes du désarmement et du développement que je vais maintenant m'adresser à vous. Depuis plus de trente ans, une paix de fait fondée sur la dissuasion a prévalu entre les grandes puissances de l'hémisphère nord tandis que, un peu partout, les conflits se multipliaient. N'en a-t-on pas compté plus de 100 au-cours de cette même période ?
- Pourtant, jusqu'aux années 70 `1970`, le monde avait eu le sentiment de progresser. Progrès difficile, progrès fragile, mais progrès tout de même vers un univers moins chaotique où l'on pensait que le sous-développement reculerait, que la paix gagnerait du terrain au sud comme au nord. Or, nous constatons que le fossé s'élargit entre des riches toujours plus riches, malgré la crise, et des pauvres toujours plus pauvres, à cause de la crise. De déséquilibre en déséquilibre, la course aux armements s'accélère. Les droits de l'homme sont encore et toujours bafoués. Trop de conflits restent non résolus. Les crises s'enchaînent et s'engendrent : économique, monétaire, stratégique, culturelle. Sous nos yeux, le monde se remodèle par le fer et par le sang. La puissance appelle la puissance. La faiblesse entraîne la faiblesse.
- Faut-il désespérer des efforts tentés pour trouver aux problèmes de notre monde d'autres solutions que la domination, la violence ou la guerre ? Si les paroles prononcées du haut de cette tribune gardent un sens, il est impossible de se résigner : la misère et la guerre ne sont pas des fatalités, mais l'implacable résultat de logiques perverses qu'il s'agit de briser ensemble. Plus que jamais nous avons besoin de nous convaincre de cette nécessité en un moment où, entre paix et guerre, le sort hésite tragiquement.
- Quoi de plus simple, cependant, que les aspirations des peuples : se nourrir, se vêtir, disposer d'un toit, vivre libre, ne pas craindre pour sa sécurité, accéder à la connaissance, protéger l'acquis, le transmettre à ses enfants. Cette ambition, si légitime soit-elle, je vous pose la question, serait-elle encore excessive ?\
Chacun de nous, je pense, est persuadé que les conséquences d'une nouvelle guerre mondiale seraient incalculables, sans doute irrémédiables. Or, la paix entre les nations ne peut durer que sur la base d'un réel équilibre. Tel est l'enseignement de l'histoire. C'est par le respect de cette règle d'or que se concilient les droits des uns et des autres à l'indépendance et à la sécurité. Etablir ces équilibres ou les rétablir lorsqu'ils ont été rompus, garantir la stabilité, ramener progressivement les forces à des niveaux de plus en plus bas et vérifier à tout moment les informations fournies, là est l'approche, la seule approche possible des problèmes qui se posent à nous.
- Dans un passé récent, les négociations entre Soviétiques et Américains sur la limitation des armements stratégiques, dites SALT, ont permis de limiter certains développements technologiques et de ralentir la course qualitative aux armements stratégiques. Mais en même temps, on a assisté à un développement accéléré de la capacité destructrice de ces armes, à la multiplication du nombre de leurs ogives et à l'amélioration de leur précision. C'est ainsi que les deux plus grandes puissances disposent chacune d''un système nucléaire central de 2 à 3000 lanceurs portant 8 à 9000 ogives. Elles peuvent, de la sorte, s'atteindre l'une l'autre et se détruire, si j'ose dire, 7 à 8 fois. L'une des négociations en-cours à Genève s'attache, vous le savez, à la réduction des armes stratégiques intercontinentales, en vue de réaliser l'équilibre entre les armements américains et soviétiques.\
La France souhaite que cette négociation aboutisse, mais pour l'heure, c'est l'autre négociation, celle qui vise ce que l'on appelle les forces nucléaires intermédiaires, qui retient l'attention de l'opinion mondiale. Je voudrais m'exprimer à ce sujet avec la plus grande clarté.
- Au terme d'une escalade continue de part et d'autre sur le sol de l'Europe, une situation nouvelle s'est créée qui veut qu'aujourd'hui, l'Union soviétique `URSS` et elle seule, dispose dans notre continent d'une force nucléaire intermédiaire, force considérable, missiles à trois têtes, mobiles et précis d'une portée d'environ 5000 kilomètres et qui, ne pouvant franchir l'Atlantique, n'ont par conséquent pour cible possible que les nations d'Europe occidentale, le même raisonnement valant pour les missiles installés dans la partie asiatique de l'URSS en direction des états voisins de cette région.
- La France a salué comme un acte très positif l'ouverture à Genève de la négociation sur ce type d'armement entre l'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique après que ceux-ci, en application de la "double décision" prise par les états membres du commandement intègre de l'OTAN, organisme auquel la France n'appartient pas, ont prévu l'installation, dès la fin de cette année, dans divers pays européens de fusées pershing 2 et de missiles de croisière. Je n'évoquerai pas ici tous les aspects d'un débat que j'ai traité ailleurs et qui n'engage pas directement la France, même s'il la concerne, mais je souhaite préciser la position de mon pays devant la demande faite de décompter son armement nucléaire en vue de je ne sais quel équilibre des euromissiles.\
Je rappellerai, à cet égard, que la France s'est dotée, depuis un quart de siècle d'une force de dissuasion nucléaire, défensive par-nature face à tout agresseur éventuel. Cette force forme un tout et constitue pour mon pays un système de défense central, indispensable à sa sécurité. Quelques chiffres en démontrent le caractère défensif : chacune des deux plus grandes puissances, vous disais-je à l'instant, dispose aujourd'hui de près de 8 à 9000 ogives. La France, elle, en a 98. Ce qui suffit, certes, à notre dissuasion, mais exclut tout autre usage.
- Encore, ces 98 fusées relèvent-elles d'une conception stratégique et non pas d'une conception tactique et non pas davantage d'une conception intermédiaire si l'on emploie le vocabulaire extrêmement précis employé par les Soviétiques et les Américains quand ils traitent de leurs affaires. Il serait au demeurant paradoxal de voir un pays, le mien, dépendre d'une conférence à laquelle il ne participe pas et qui débattrait sans son consentement d'un armement stratégique, notamment sous-marin, dont ni les Américains, ni les Russes, qui en possèdent beaucoup plus, ne discutent entre eux, du moins au sein de cette conférence.\
On ne peut comparer que ce qui est comparable : mettre en balance le système central d'armement sur lequel repose l'indépendance et la survie de mon pays, et les forces nucléaires intermédiaires des deux plus grandes puissances qui ne constituent pour elles qu'un complément à leur formidable arsenal stratégique, ne peut être accepté. Puisqu'il s'agit, en termes concrets, d'une demande de l'Union soviétique `URSS`, au nom de quoi ce pays attendrait-il de la France qu'elle renonce à l'essentiel, je veux dire à sa défense nationale ? Certes, on nous dit, et je veux bien le croire, que tel n'est pas l'objet de cette démarche. Certes, on nous promet que le décompte de la force française à Genève ne conduirait aucunement à la réduire. Mais dès lors que la France entrerait dans un calcul où elle n'a rien à faire, ne s'exposerait-elle pas à voir la modernisation de ses moyens de défense, passer sous le contrôle des deux plus grandes puissances et n'assumerait-elle pas une responsabilité qu'elle récuse, celle de rompre l'équilibre mondial ?
- Mon pays est indépendant. Sa force de dissuasion n'obéit qu'au commandement du Président de la République. Sa fidélité à l'Alliance atlantique nentame pas son autonomie. Elle respecte le grand peuple russe et souhaite préserver les bonnes relations séculaires qui l'unissent à lui. Elle n'a ni l'intention ni le moyen - qu'elle ne désire pas - d'imposer sa loi par les armes. Elle possède l'arme de sa propre défense. Rien de plus, rien de moins. Elle ne comprendrait pas qu'un monopole des forces nucléaires intermédiaires fut consenti en Europe à l'Union soviétique `URSS`, ce qui est le cas aujourd'hui. Elle espère que des concessions mutuelles entre les deux partenaires de Genève permettront de faire cesser ce monopole tout en créant les conditions du nouvel équilibre que j'appelle de tous mes voeux. Cela suppose que continue d'être recherché sans relâche à Genève le point moyen à-partir duquel on saura si la réduction des tensions a été préférée à leur aggravation.\
On n'oubliera pas cependant que plusieurs conflits, conséquences directes ou indirectes de la politique des blocs, ou encouragés et aggravés par celle-ci, suscitent l'inquiétude. L'insoutenable destruction d'un avion civil sud-coréen par un appareil militaire soviétique fait déplorer le mépris de la norme morale et la tragique absence d'une règle juridique assez forte pour rendre impossible la perpétration d'un tel acte. Je souhaite que les propositions de la France à l'OACI soient enfin entendues.
- Mais, au-delà de cet événement, que de situtions inacceptables, que de pays occupés, menacés par des armées étrangères et que de peuples sur tous les continents empêchés de choisir leur destin, de l'Amérique centrale à l'Asie du Sud-Est en passant par l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Asie Centrale, sans omettre l'Europe. Limitons-nous : la liste serait longue. Je songe aussi à ces hommes, ces femmes partout dans le monde, exilés, réfugiés, prisonniers politiques, torturés, et dont les plus simples droits sont bafoués. Sur ce dernier point, la communauté internationale n'a-t-elle pas, à l'excès, économisé la protestation, la sanction et, finalement subi le crime ? Et sur le premier a-t-elle assez montré d'intransigeance chaque fois qu'un peuple s'est trouvé menacé de perdre - ou a perdu - le droit de disposer librement de lui-même ? C'est un principe qui ne souffre pas d'exception. Et là où cela est possible, pourquoi ne pas envisager un processus de désengagement qui consacrerait un statut de neutralité, une fois réunies ces trois conditions que sont la volonté de l'Etat intéressé, l'évacuation des forces étrangères et l'engagement solennel de non ingérence des autres pays et ce, sous le contrôle du conseil de sécurité des Nations unies ?\
Mais je veux m'arrêter sur deux conflits auxquels la France se trouve mêlée : le conflit du Liban et le conflit du Tchad. Au Liban, les Français sont présents comme soldats de la paix d'abord au sein d'une force de l'ONU, la FINUL, - ils y sont encore - ensuite avec trois autres pays et à la demande du gouvernement libanais pour constituer à Beyrouth une force multinationale d'interposition entre les forces qui s'affrontaient alors. Aurait-on oublié que la France a contribué à la sauvegarde et au départ, dans le dignité, des soldats palestiniens, puis à la sauvegarde des survivants des camps tragiques de Sabra et Chatila ? Nous avons considéré cette mission comme un honneur et nous l'avons remplie. Quant à la situation créée récemment par le retrait partiel de l'armée israélienne et par la recrudescence des combats meurtriers où se sont confondues forces civiles et étrangères, nous l'avons abordée en nous plaçant encore au service de la paix. Je l'affirme hautement ici : la France n'a pas d'ennemi au Liban. Elle protège les siens, ses nationaux, comme elle doit le faire. C'est tout. Son voeu est que les Libanais parviennent à surmonter leurs divisions dans-le-cadre de leurs institutions, le respect de leurs autorités légitimes, que le Liban recouvre indépendance, souveraineté et unité et que l'organisation des Nations unies élargisse au plus tôt, si besoin est, c'est-à-dire selon les propositions des responsables, sa mission. Le départ des armées étrangères rendra inutile le maintien d'un dispositif international de sécurité.\
Quant au Tchad, nous sommes venus dans ce pays, alors qu'il était victime d'une agression extérieure, à l'appel du gouvernement reconnu par la société internationale et, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies et à la résolution 387 de 1976 du conseil de sécurité. Nos efforts tendent aujourd'hui à ce qu'une médiation, et par priorité celle de l'OUA, permette, et le cessez-le-feu entre les parties belligérantes, et l'ouverture d'une négociation dont l'objet premier sera de garantir l'intégrité du Tchad et le départ des armées étrangères. Alors, la France ne retardera pas d'une heure le rapatriement de ses troupes. J'ai rappelé l'OUA, marquant par là l'intérêt que porte la France aux efforts régionaux pour traiter les conflits. J'aurais pu faire l'éloge à ce propos de l'action -entreprise dans une autre partie du monde par les quatre pays du Contadora. Bien d'autres exemples me viennent à l'esprit.\
Mais il est temps d'en revenir à l'armement nucléaire stratégique dans le monde. On ne peut rejeter l'idée que les cinq puissances nucléaires débattent ensemble, le jour venu d'une limitation durable de leurs systèmes stratégiques. Il convient donc d'énoncer clairement les conditions d'une avancée dans ce domaine.
- La première suppose que soit corrigée la différence fondamentale de -nature et de quantité qui sépare l'armement des deux plus grandes puissances `Etats-Unis ` URSS` et des autres, ainsi que la différence qui sépare un pays qui risquerait de se servir de cet armement pour asseoir sa puissance du pays qui serait contraint de s'en servir pour sa propre survie.
- La deuxième condition découle du considérable écart existant entre les forces classiques ou conventionnelles, particulièrement en Europe, écart accru, et je le crains, par l'existence d'armes chimiques et biologiques dont une convention devrait absolument interdire la fabrication et le stockage. La troisième condition exige que cesse la surenchère en-matière d'armes anti-missiles, anti-sous-marins et anti-satellites.\
Prémunir les peuples contre les menaces provenant de l'espace est un autre impératif. L'espace deviendra-t-il un champ supplémentaire où se développeront sans limite les vieux antagonismes terrestres ? L'espace est par essence le patrimoine commun de l'humanité. Ce serait trahir l'intérêt de nos peuples que de ne pas définir à temps un droit qui le préserve.
- Or, il n'existe pas de frein au développement des armes anti-missiles situées dans l'espace, pas de limite au nombre des satellites puisque seules les armes de destruction massive, c'est-à-dire les armes nucléaires, sont interdites par le Traité de 1967. Un amendement à ce traité qui interdirait la satellisation de tout type d'armement, qui organiserait le retrait progressif des armes déjà sur orbite et qui prévoirait une vérification effective, un tel amendement lui donnerait sa vraie portée.
- Dans un autre domaine, et parce qu'il nous concerne et quelles que soient les controverses sur ses expériences, la France a décidé d'ouvrir le mois prochain son site d'expérimentations nucléaires souterraines à une visite d'information de personnalités scientifiques étrangères en provenance du Pacifique sud. J'espère que cet exemple sera suivi.\
Je terminerai cette partie de mon exposé, comme je l'ai commencé, c'est-à-dire par l'Europe. Si la paix a régné dans ce continent depuis la seconde guerre mondiale, c'est sur une Europe divisée, déchirée et qui a peine à inventer les voies de son avenir et de sa propre sécurité. Aucun Européen véritable ne renoncera à effacer les conséquences de cette division, à renouer les liens brisés, à dépasser la situation issue de Yalta. C'est en y songeant que la France a agi pour le succès de la Conférence de Madrid sur la sécurité et la coopération en Europe `CSCE` et continuera son action à la conférence de Stockhlom. Seule, une bonne connaissance mutuelle des activités militaires dans l'ensemble de la région allant de l'Atlantique à l'Oural rétablira les conditions d'une meilleure confiance. La relation de la France et de l'Allemagne `RFA` a été à l'origine de la Communauté européenne `CEE`. Elle a ainsi rendu la guerre inimaginable entre les 300 millions d'Européens de l'ouest. Cet engagement et cette expérience expliquent notre appui à tout processus devant assurer à l'ensemble des Européens une sécurité accrue. La contagion de la paix peut vaincre les entrainements de la guerre.\
Monsieur le président, mesdames et messieurs.
- Les Etats ici représentés traversent la plus grave récession qu'aient connues nos économies depuis cinquante ans. La crise nous atteint tous. L'essor, parfois remarquable et toujours difficile, qu'avait connu le monde en développement, est brisé. Alors qu'apparaissent dans certains pays industriels les signes d'une reprise, les difficultés s'aggravent pour le plus grand nombre. Le poids du passé, c'est-à-dire la charge de la dette, s'ajoute aux incertitudes du présent pour imposer à des sociétés fragiles des efforts d'austérité et de discipline d'une sévérité exceptionnelle.
- Certes, il faut assainir les finances publiques. Certes, il faut réduire les déficits trop élevés. Mais lorsque la solution de la crise financière exaspère la crise économique, où sont les signes de guérison ? Lorsque l'accroissement de la misère et de la faim sème le germe de crises sociales et politiques, n'est-ce pas plutôt le mal qui progresse ? Lorsque le Nord se contente de sa propre reprise, croit-il un instant pouvoir retrouver seul un bien-être durable ? Et surtout, que propose-t-il aux vivants d'aujourd'hui et que propose-t-il aux deux milliards d'hommes et de femmes qui vont naître d'ici quinze ans ? Le silence est devenu l'allié du pire. Reprenons donc le dialogue entre les deux hémisphères. Répondons à l'urgence et construisons les assises du futur.
- Un transfert de ressources des pays du Nord vers ceux du Sud est un phénomène naturel et souhaitable pour le salut de tous. A cet égard, il faudrait considérer comme irréversibles les niveaux d'aide actuels, les principaux donateurs prenant l'engagement de ne pas réduire leur aide tant que les pays récipiendaires n'auront pas de croissance. Le secteur bancaire doit être encouragé à ne pas relâcher son effort.\
Mais ces actions immédiates n'éviteront pas les dommages, les déchirures, que connaissent nos sociétés si les monnaies dans lesquelles est libellée la dette du tiers monde et les taux d'intérêt payés sur cette dette atteignent des niveaux excessifs. Il appartient à chaque pays industrialisé de predre ses responsabilités.
- La France, quant à elle, progresse de façon régulière vers l'objectif qu'elle s'est fixé : 0,77 % de son PNB pour le tiers monde £ 0,15 % pour les pays les moins avancés. Elle entend faire tout ce qu'elle peut pour que la 7ème reconstitution de l'AID représente une amélioration significative. Elle continuera d'apporter son soutien au Club de Paris pour rechercher des aménagements aux situations d'endettement les plus critiques. Elle soutient la thèse d'une augmentation des ressources du FMI attribuée par priorité aux pays en voie de développement.\
Encore convient-il de s'attaquer aux causes profondes de l'instabilité et du désordre qui caractérisent les relations économiques internationales. Je retiens pour ma part trois grandes priorités : la monnaie, les produits de base et la technologie.
- Si je commence par la monnaie, c'est qu'elle est après tout la première des matières premières. J'ai lancé il y a quelques mois l'idée d'un nouveau Bretton Woods - il s'agissait pour moi d'une référence symbolique - afin de souligner la nécessité de recréer les conditions d'un système monétaire ordonné, avec des monnaies suffisamment stables et reflétant l'évolution réelle des économies. Il y a là un besoin ressenti par tous. Le Premier ministre de l'Inde `Indira Ghandi`, le Premier ministre de Nouvelle-Zélande, ont eu raison de lancer un appel en faveur de la coopération monétaire internationale. Les sept pays industrialisés ont décidé à Williamsburg de prendre en considération le rôle que pourrait jouer, le moment venu, une conférence monétaire en vue d'améliorer le système international. Il s'agit là d'une -entreprise de longue haleine qui nécessite une préparation sérieuse. Tous les pays intéressés devraient y être associés. S'entendre sur des règles du jeu plus fermes pour l'établissement des parités de change, diversifier les instruments de réserve, s'accorder sur un rythme d'évolution des liquidités internationales, définir les disciplines nécessaires compte tenu des situations économiques et sociales spécifiques à chaque pays, tels sont les thèmes principaux de cette réflexion.\
Pour les matières premières, la voie a été fixée par la VIème conférence des Nations unies sur le commerce et le développement de Belgrade en juin dernier. Mais on ne peut en rester là. La France propose d'améliorer le fonctionnement des marchés des matières premières en régularisant les marchés à terme qui, trop souvent, par leurs mouvements erratiques et spéculatifs, trompent les agents économiques au lieu de les informer. Une discipline plus stricte dans le jeu de la concurrence rendrait à ces marchés le rôle qui leur revient.
- Et j'insiste sur cette matière première vitale qu'est l'énergie. La stabilisation présente des marchés pétroliers ne diminue en rien l'intérêt d'encourager le financement des investissements dans les énergies non-renouvelables, que ce soit par le canal de la banque mondiale ou d'une institution spécifique.\
Par delà les situations pénibles qu'elle a créées, la crise nous a permis de constater le rôle croissant du progrès technique. Il impose, assurément, des efforts constants d'adaptation, mais il offre aussi des opportunités exceptionnelles pour le développement du sud et les progrès du nord. Cette constatation paraît évidente et pourtant, trop souvent, quelques pays ont tendance à considérer que c'est là leur affaire : le progrès technique serait-il un privilège réservé aux plus riches, aux plus savants ou aux plus avancés ?
- Or, nous le savons bien, rien n'est plus ambivalent que le progrès technique, source de croissance, mais aussi facteur déterminant de la course aux armements.
- Faut-il en rester à ce constat ? Faut-il admettre que le principal effort des plus grands soit consacré à la technologie militaire ? Faut-il admettre que le surarmement de la planète l'emporte sur son développement ?
- C'est la question la plus redoutable. Elle se pose avec une acuité croissante de génération en génération. Elle a été inlassablement posée en France et par la France, depuis le début du siècle. Jean Jaurès, Abel Thomas, Edouard Herriot, Aristide Briand, Léon Blum, ont tour à tour tenté de conjurer la menace de la guerre moderne et d'oeuvrer pour le désarmement. Ils ont porté plus loin un espoir inlassable, l'espoir dans la vie qui résiste à tous les échecs.\
Le monde ne retrouvera son équilibre et une plus grande sécurité que si les solidarités, aujourd'hui hélas exprimées en termes militaires, prennent une autre dimension. La solidarité est la forme supérieure de la sécurité. Mais comment l'exprimer ? Votre assemblée a déjà affirmé, à diverses reprises, le lien entre les tâches du développement et l'-entreprise du désarmement, entre le refus de la misère et le refus de l'escalade des armes. Comment nos gouvernements, malgré leurs divergences sur les approches du désarmement et de la sécurité, ne souscriraient-ils pas à la liaison désarmement-développement et à la fondation du Fonds international qui la mettrait en-oeuvre ? La France, elle-même, a présenté des suggestions dans cet esprit. En 1955 déjà, par le gouvernement de M. Edgar Faure, ici présent £ en 1978, à l'initiative de mon prédécesseur `Valéry Giscard d'Estaing` lors de la première session spéciale sur le désarmement.\
Pour atteindre le surarmement à sa racine et placer le désarmement au service du développement, il ne suffit pas, bien que l'idée puisse être retenue, de chercher à répartir au profit des pays du sud une sorte de taxe prélevée sur les budgets militaires ou les équipements. L'expérience de la crise prolongée que nous traversons nous conduit à adopter une démarche globale, très exactement politique. Nous devons remonter à l'origine même de ces dépenses, c'est-à-dire à l'imbrication étroite et croissante entre l'insécurité militaire et l'insécurité économique qui marque le monde actuel. Par une série de paradoxes en chaîne, le dérèglement du système économique international renforce le besoin de sécurité et alimente du même coup la course aux armements, laquelle relance à son tour le déséquilibre. Dans cette vue, des tâches essentielles s'imposent :
- - D'abord déterminer le poids réel des armements. Et les questions se posent : comment surmonter les divergences tant sur les données que sur les estimations ? Comment arrêter une base d'évaluation acceptée par tous ?
- - Apprécier ensuite les effets économiques internes et externes de la croissance des dépenses militaires.
- - En troisième lieu, comment mesurer la relation entre l'évolution des dépenses militaires et les principaux facteurs de désordre économique international ?
- - Aborder enfin et sans délai, ces mises au point faites, le sujet essentiel qui est celui des possibilités et des modes d'affectation à des tâches d'intérêt collectif humain (santé, formation professionnelle, développement agricole dans les pays du tiers monde) des moyens importants qui seraient dégagés par une réduction progressive, mais méthodique, des dépenses militaires dans les principaux pays. Et ces questions encore : comment assurer un effet économique favorable de ces réductions et de ces conversions dans les pays contributeurs eux-mêmes ? Comment concevoir des mécanismes d'aide à la conversion ?
- Chaque pays ne dispose que de réponses partielles à ces grandes questions, mais aucun ne peut les éluder. En effet, quel Etat nierait aujourd'hui qu'après dix ans de crise, et parfois plus, l'évolution de ses dépenses militaires lui crée des difficultés croissantes ? A quoi bon, dépenser plus, pour moins de sécurité, tant militaire qu'économique, voilà l'interrogation fondamentale à laquelle personne n'échappe.\
Tous les pays sont intéressés à ce débat majeur qui dépasse nos divergences. Mais, comme l'essentiel dépend dans ce domaine d'un nombre restreint d'Etats, je crois souhaitable une démarche en deux teemps.
- Premier temps, que se réunisse au plus tôt une conférence relative au problème défini par la liaison désarmement-développement et à la création du Fonds international prévue par l'Assemblée générale des Nations unies, dès lors que les principales puissances militaires auraient fait connaître leur accord. La France est prête à accueillir cette conférence à Paris.
- Deuxième temps : les représentants des gouvernements participant à cette réunion se donneraient pour tâche de préparer une conférence des Nations unies qui s'étendrait alors à tous les Etats membres de l'Organisation. La réunion préparatoire définirait, sans attendre, une première série d'objectifs à atteindre pour les transferts au profit du développement.
- Monsieur le président, mesdames et messieurs,
- Avec les mots et la logique de l'époque, le président du conseil français, M. Pierre Mendès-France, avait en 1954 lancé devant votre assemblée cet appel : "la coopération entre l'Est et l'Ouest, en associant ces pays dans les oeuvres de vie, ne peut que les détourner des oeuvres de mort. En facilitant et en provoquant entre elles les échanges, elle peut abattre des cloisons étanches, éclaircir des mystères, dissiper des méfiances".
- A mon tour, trente ans après et la contrainte des faits s'étant appesantie jusqu'à l'intolérable, j'affirme qu'aucun pays n'échappe à ce débat. Commençons maintenant à nous libérer des réflexes acquis, de la peur, de la méfiance, des habitudes dont nous sommes les premières victimes, et entamons cette marche commune.\