17 août 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. François Mitterrand, Président de la République, accordé à la presse à l'issue de sa visite à l'usine BSN à Reims, mercredi 17 août 1983.

QUESTION.- Quelles leçons tirez-vous de votre visite ?
- LE PRESIDENT.- Ce qui frappe après une visite comme celle-ci c'est la façon dont les partenaires sociaux ont su s'entendre après de rudes et longues discussions mais s'entendre pour organiser autrement le travail posté avec la création d'une cinquième équipe et donc un rythme un peu plus lent dans la durée du travail. Ce qui veut dire que finalement le travail se trouve réduit, étant entendu que les partenaires sociaux ont convenu que cela devait correspondre à l'accroissement de la productivité. La réduction du temps de travail doit toujours s'accompagner de cette notion : augmenter la productivité, sans quoi, bien entendu, il y aurait quelque chose quelque part qui ne marcherait pas : notre économie.
- C'est donc une expérience ici, c'est plus qu'une expérience, c'est une pratique, une pratique déjà ancienne qui montre que dans la grande tradition des verriers on est capable dans une industrie traditionnelle d'aller vers des normes de travail et d'organisation que l'on doit considérer comme d'avant-garde, même si cette avant-garde prend parfois du retard par-rapport à la nécessité.
- J'observe aussi que c'est tout de même un travail qui peut être pénible : le bruit, la chaleur £ et c'est une bonne chose que l'entrepreneur, les chefs d'entreprises qui n'ont pu agir qu'avec l'assentiment des travailleurs, aient précisément fixé un programme de réduction du temps de travail et de meilleure productivité, là où le travail était le plus pénible. Cela répond à deux questions à la fois. Enfin vous avez pu le remarquer puisque nous sommes ici à Reims, s'il ne s'agit pas, je ne voudrais pas trop me hasarder, d'une industrie directement exportatrice, elle l'est tout à fait indirectement puisque les bouteilles qui sont produites pour le vin de Champagne, d'abord, mais aussi pour le vin d'Alsace ou pour bien d'autres productions iront heureusement, dans beaucup de maisons, à l'étranger. On connait le champagne un peu partout dans le monde et ce sont des bouteilles produites ici qui iront s'exporter, c'est-à-dire contribuer à la richesse de notre économie.
- Je suis donc venu dans cette usine avec le sentiment que je venais voir quelque chose de très complet parmi les exigences que requiert la production française pour être compétitive et victorieuse en cette compétition. Ici sont réunies, grâce à ceux qui y travaillent, les meilleures conditions, bref, exemplaires. Il y a sans doute, si l'on discutait de la vie quotidienne, bien des choses à redire, mais tout de même, c'est typique de ce que peut faire l'industrie française quand elle le veut. Voilà ce que j'ai voulu voir.\
QUESTION.- Il reste, monsieur le Président, que l'on a sauvé des emplois. On n'en a pas créé puisqu'apparemment en dix ans le nombre d'emplois dans cette usine est passé de 900 à 600.
- LE PRESIDENT.- C'est un phénomène constant, devant toute modernisation, toute évolution technique qui va vers la simplification et vers la mécanisation, la robotisation. Et c'est un phénomène qui dans un premier temps, peut laisser penser que l'emploi ira diminuant. Je ne suis pas sûr que dans un deuxième temps cette évidence en soit une. Car je crois que toute autre, toute nouvelle forme d'industrie suscite à son tour des nouvelles technologies qui requièrent d'autres travailleurs, mais ces travailleurs doivent être formés pour cela. Voilà pourquoi à votre question je répondrai par la formation. Si vous n'avez pas les hommes et les femmes formés pour les nouvelles techniques, alors dans un premier choc de modernisation vous aurez une diminution de l'emploi et vous ne provoquerez pas le deuxième choc qui verra par l'établissement de nouvelles entreprises la renaissance de l'emploi, et le rôle du gouvernement est de faire qu'entre ces deux phases, le moins de temps possible passe. Sans quoi on traverserait une zone désertique pour l'emploi de plusieurs années.
- Notre effort - je suis accompagné ici par M. le ministre de l'industrie `Laurent Fabius`, et il le sait bien, c'est son travail quotidien - tend à raccourcir ces délais pour que nous passions en prise directe sur la formation et la modernisation qui fasse qu'il n'y ait pas de hiatus dans la transformation et la restructuration de l'industrie française. Nous en parlions en venant tout à l'heure, et il me disait : j'ai bon espoir, il faut éviter le télescopage entre un court terme très difficile, un budget difficile, un an, un an et demi, deux ans et le moyen terme qui n'est pas loin - deux ans, ce n'est pas terrible - et là, je vois les chances de réussite. Elles sont en-train de s'additionner, de se multiplier même. C'est l'effort essentiel auquel je convie le gouvernement. Je crois que c'est dur pour les Français, mais qu'ils sont en-train de construire un pays moderne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que les entreprises ont les moyens financiers nécessaires à cette modernisation ?
- LE PRESIDENT.- Certains s'inquiètent de ne pas les avoir. J'ai encore reçu aujourd'hui M. Gattaz qui est président du Patronat français `CNPF`, qui s'est inquiété de la lourdeur des charges que doivent supporter les entreprises et qui souhaite que les pouvoirs publics puissent ici et là les alléger. Donc c'est vrai qu'il y a là un problème, mais quand j'observe que dans certains secteurs - et chez certains entrepreneurs il y a une qualité conquérante qui fait qu'à l'heure actuelle nous accroissons nos exportations, nous améliorons notre commerce extérieur - c'est la preuve que même dans l'-état présent des choses, il y a de la ressource. Si l'on arrive à améliorer l'-état des choses, cela ira encore mieux.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous jugerez peut-être que ce n'est ni l'heure, ni le lieu, mais permettez-moi de vous demander si vous pensez, à l'heure où la France envoyait mille hommes au Tchad, si vous pensez ....
- LE PRESIDENT.- J'en parlerai aux Français .. Ce soir la discussion que nous avons, dont je me réjouis porte sur un problème industriel précis, dans une industrie particulièrement importante et intéressante et dans une entreprise particulièrement performante. Alors, je crois que ce genre de visite perdrait beaucoup de son intérêt si c'était simplement le prétexte à mille et une conférences de presse sur tous les sujets qui intéressent le monde.\
QUESTION.- Alors sur la réduction de la durée du travail, est-ce que vous comptez donner une nouvelle impulsion aux partenaires sociaux, ou est-ce que vous comptez uniquement sur l'exemple contagieux d'opérations telles que celles que nous venons de découvrir avec vous ?
- LE PRESIDENT.- Je dois compter d'abord, et le gouvernement comme moi, sur la capacité de dialogue des partenaires sociaux. Il faut autant que possible réduire l'aspect directif de la politique gouvernementale. Cet aspect est parfois nécessaire. Il fallait donner l'élan, c'est ce que nous avons fait il y a dix-huit mois. Mais la réduction du temps de travail doit être le résultat du dialogue et de la négociation entre les partenaires sociaux, entreprise par entreprise ou branche par branche. Une vue surplombant l'ensemble des entreprises françaises risquerait, en-raison de la disparité des situations, de créer des tensions proprement insupportables.
- QUESTION.- Vous visitez ce soir une entreprise donc particulièrement performante. Est-ce que vous avez l'intention de visiter également d'autres entreprises qui elles le sont peut-être moins ?
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement, cela m'est déjà arrivé, mais je vous convierai, si vous le voulez bien, à me rencontrer dans des endroits où l'on souffre davantage par manque d'adaptation à la compétition internationale. Il faut, en effet, voir aussi le revers de la médaille.\