21 juillet 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de La Roche-sur-Yon, jeudi 21 juillet 1983.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- C'est un bref passage que le mien dans votre ville, votre département. J'aurai d'autres occasions de venir parmi vous, plus officielles, avec une vue plus générale de la région. Depuis déjà plus d'une année, je me suis efforcé de voyager en France avec des objectifs tout à fait précis : ceux de pouvoir constater par moi-même et sur place la façon dont les choses allaient, dans l'industrie, l'agriculture, l'enseignement, tous les aspects du développement technique de la France, la culture, que sais-je encore .. Cela me permet de mieux savoir, de mieux ressentir la réalité des choses, les -rapports humains, de quelle façon les Français agissent et réagissent. Certes, je ne prétends pas que de si rapides visites me permettent d'avoir une vue exaustive de l'activité économique. Ici, à La Roche-sur-Yon, j'aurai vu une entreprise textile `Big Chief` et je serai venu à l'hôtel de ville : une vue très partielle et, le cas échéant, très partiale, qui ne me suffira pas assurément.\
Mais tout de même, j'ai connu votre département dans mon enfance, puisque j'étais l'un de vos voisins et j'ai souvent parcouru vos routes. J'avais connu la Vendée, pays essentiellement agricole, selon le partage géographique et souvent politique décrit par les livres dans lesquels j'apprenais à l'école. J'ai rencontré cette population rurale, courageuse, très courageuse. C'était pendant la guerre de 1939. Avec un groupe de vendéens, j'ai pu voir ce qu'étaient les paysans de ce pays. Aujourd'hui, je me retrouve dans un département qui se situe parmi les plus actifs, parmi ceux qui ont fait le plus grand effort pour se moderniser, s'industrialiser. Quand on parle d'industrie, on dit Nord, Lorraine, on dit Bassin de la Seine, mais on oublie généralement que la Vendée se trouve aujourd'hui située parmi les premiers. Et à partir d'une aide venue du pays lui-même : je veux dire que ce sont les Vendéens qui, après avoir créé la richesse, après avoir supporté la pauvreté d'une condition de vie tout le long des siècles jusqu'à une époque récente extrêmement difficile - et les conflits en Vendée n'ont pas cessé - ont su créer la richesse et entrer de plein-pied dans le monde industriel.
- Et là encore, ce n'est pas suffisant. Ce que je viens de voir montre, m'a montré à l'instant, qu'il n'y avait de sauvegarde que dans la modernisation des techniques. Cela passe naturellement par la formation des hommes. Il faut le -concours des grandes instances internationales - d'Europe - nationales - l'Etat - et locales - la région, le département, la commune - pour que l'entrepreneur se sente encouragé, aidé à faire la transformation nécessaire, à récupérer les productions à l'étranger pour en faire des productions françaises, pour qu'il soit tenté de reconquérir ou de conquérir le marché intérieur et puis de se projeter sur les marchés lointains.
- Tout cela correspond exactement aux intentions que j'ai cent fois définies, sans ignorer que des contradictions ou des dialectiques opposent naturellement, légitimement, tous ceux qui participent à cet effort, surtout à l'intérieur de l'entreprise. Cela représente sans doute des intérêts communs - la réussite, la reconquête, le développement de la France - mais aussi des intérêts originaux suivant le groupe socio-professionnel. Constater tout cela est pour moi très intéressant, de même que de me retrouver dans cet hôtel de ville auprès du maire de cette ville `M. Auxiette` que je compte depuis déjà pas mal d'années parmi mes amis - on me permettra de faire une incursion dans le domaine personnel. C'est, je dois le dire, une façon pour moi d'appréhender la France qui est peut-être l'une des plus agréables.\
D'abord, il faut bien faire comprendre que quelques lignes d'action doivent présider au développement de la France. Quelques lignes tout à fait simples sur-le-plan économique bien entendu, sur-le-plan social, sur-le-plan culturel et sur-le-plan de notre politique extérieure. Quelques données simples, quelques grandes idées, quelques grandes directions.
- Sur-le-plan économique, il est clair que la France peut rester dans la compétitition, doit constamment s'adopter aux évolutions de la science et de la technique. Il va de soi que c'est à partir de l'école dans ses diversifications professionnelles, sociales et culturelles que se trouve la réponse à toutes les questions, pour avoir des femmes, des hommes adaptés aux responsabilités, aux activités, aux entreprises d'aujourd'hui sans quoi la France sera de plus en plus dominée par la compétition extérieure.
- Pour cela, il fallait commencer par mettre un cran d'arrêt ou, comment dirais-je si je peux prendre une autre comparaison, il fallait faire cesser les hémorragies. Hémorragie de l'inflation : avec des prix qui montaient d'année en année de 10 à 14 %, qu'est-ce que vous voulez faire ? Comparé à notre principal voisin concurrent et partenaire, l'Allemagne par exemple, qu'est-ce que vous voulez faire ? C'est la monnaie constamment en péril. C'est un commerce extérieur constamment enfoncé. C'est l'impossibilité de préserver le potentiel économique de la France et par voie de conséquence, pardonnez cette vérité de La Palice, de le développer. Il a fallu naturellement d'abord faire cesser ces hémorragies. On n'y est pas encore entièrement parvenu. J'ai déjà employé souvent cette image : une locomotive marche à 200 à l'heure £ il faut donner un coup de frein £ le coup de frein ne permettra pas de l'arrêter en 30 mètres. Nous sommes encore sur cette lancée fâcheuse.
- Et puis, il faut aussi dire les choses : ce n'est qu'en réformant les structures qui produisent les maux dont nous souffrons et qui tiennent souvent à certaines formes d'égoisme sociaux, d'individualisme excessif, c'est en s'attaquant à ces structures qu'on arrivera à moderniser la France comme il convient.\
Comme nous avons dans le même temps un grand souci de liberté qui s'est épanouie et, en dépit des difficultés, plus que jamais, le souci de la démocratie, cela veut dire que nous engageons, nous avons engagé une politique qui d'une façon que je considère comme tout à fait légitime, doit s'exposer à la critique et donc, doit être livrée à l'analyse des diverses oppositions qui doivent être respectées. En même temps, il faut bien continuer dans la ligne droite de celle qui a été définie et qui a reçu le consentement populaire.
- Voilà les synthèses à faire. Elles ne sont pas tous les jours aisées. Je suis là pour ça. Pas moi tout seul. Et vous, à quoi servez-vous ? N'êtes-vous pas, au-delà de votre fonction d'élu, quelque fois de votre fonction militante, de votre qualification professionnelle, n'êtes-vous pas décidés à faire que la France et sa façon d'être, de considérer la démocratie, représente une belle construction issue de siècles et de siècles de travail que nous laisserons ensuite à nos successeurs qui auront, à leur tour, à parachever notre action.
- Quand je m'adresse aux Français - je lis les journaux moi aussi, j'écoute ce qui se dit, j'entends le bruit de la rue, je ne suis ni sourd, ni aveugle et j'ai appris à lire, donc, je sais bien ce qui se passe - j'aperçois les doutes, les hésitations, les oppositions parfois excessives, trop systématiques. Mais cela fait partie de la politique française. Il faut s'y faire. Il y a d'ailleurs longtemps que je m'y suis fait.\
A condition de ne pas perdre de vue l'objectif. Et l'objectif, il est de faire de la France un grand pays capable de tenir son rang - je ne dis pas cela par vanité nationale mais par un orgueil légitime de ce que représente la France dans le monde - capable de tenir tête aux plus puissants, de leur dire "Non", ce que nous faisons d'un côté ou de l'autre selon les cas, sans nous gêner. L'objectif c'est de persévérer dans le développement de notre pays, de son influence et son rayonnement auprès de beaucoup d'autres pays et spécialement dans le tiers monde qui requiert une compréhension, une intelligence de l'avenir, une connaissance du présent de chaque instant.
- Nous sommes au service de la paix. Comment pourrait-on faire autrement. Ce n'est pas dans notre esprit que de vouloir embarasser la marche en avant des peuples. Nous avons souffert de deux guerres mondiales. Nous en connaissons le prix. La paix reste un objectif essentiel et majeur. Seulement la paix ne sera pas préservée simplement par le consentement à tout ce que d'autres proposent ou aux ambitions hypocritement voilées sous des paroles agréables, tandis que les ambitions et les expansionnismes se perpétuent. Donc il faut protéger notre indépendance et développer notre rayonnement. J'ai souvent employé cette expression.\
Lorsque je vous ai dit, il faut assurer le redressement national. Oui, "redressement" parce qu'il faut redresser, améliorer, perfectionner, moderniser, adapter. "National" parce que cela concerne tous les Français. Ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, ceux qui sont plus riches, ceux qui le sont moins, ceux qui sont pauvres. Mais s'est rajouté "dans la justice sociale" parce que cela concerne d'abord ceux qui ont vécu une grande espérance et qui continuent de la vivre au cours de ces dernières années, qui savent bien qu'il n'y a pas de redressement sans que d'abord soit assurée la justice entre les différents groupes de Français. Je ne vais pas m'attarder davantage.
- Je veux simplement que vous compreniez que ma raison d'être en tant que Président de la République française, conforme à mon propre caractère, c'est de rechercher en toutes circonstances les conciliations sans renoncer ni à être moi-même, ni à la mission dont j'ai été chargé. Voilà encore une tâche difficile que d'allier ce qui peut apparaître aux yeux de beaucoup comme des contraintes, qui ne le sont pas dans mon esprit.\
Merci, en tout cas, monsieur de maire de vos paroles. J'ai bien noté au passage de quelques détours de phrases qui ont toujours été très aimables, même amicales, la pointe des revendications propres à votre ville et à votre région. Vous remplissez votre fonction en me le disant : c'est vrai que vous ne pouvez pas faire grand chose sans l'Etat, non plus que l'Etat ne peut faire grand chose sans vous. C'est pourquoi nous avons développé d'une façon audacieuse - que certains trouvent imprudente - une décentralisation active qui va se trouver maintenant dotée de toutes ses compétences et de tous ses moyens.
- Il faut, mesdames et messieurs, que les Français réapprennent à vivre ensemble tout en restant fidèles à ce qu'ils croient, chacun en lui-même pour le groupe qu'il représente, le -cadre qu'il a choisi, mais il faut réapprendre à vivre ensemble.
- Je vous remercie de votre accueil. J'ai bien noté au passage que se trouvent ici des représentants étrangers et amis : la Royal Air Force, cela me rappelle les voyages en France. C'est peut-être vous qui m'avez transporté lorsque je suis venu d'Angleterre en France pendant la guerre. Je ne pense pas mais c'est dire la valeur de symbole dans notre rencontre, ici, dans cet hôtel de ville. Nos amis du Québec : je recevais, il y a très peu, M. Lévêque. Des amis espagnols : je sais les liens fraternels qui nous unissent aux dirigeants espagnols d'aujourd'hui. Et puis j'ai entendu dire que d'autres nationalités se trouvaient ici représentées, en particulier l'Allemagne fédérale : j'étais avant hier avec le chancelier d'Allemagne fédérale `Helmut Kohl`. C'est dire que tous ces liens montrent bien que la France entend jouer la partie qui lui revient dans le concert des nations.
- Merci encore. Je terminerai pas des termes très simples en vous disant : vive La Roche-sur-Yon ! Vive la Vendée ! Vive la République ! Vive la France !\