13 juin 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du déjeuner offert en l'honneur des maires de Corse, Corte, lundi 13 juin 1983.

Mesdames et messieurs,
- Il n'est pas prévu de discours et ma journée en sera suffisamment occupée pour que je n'en ajoute pas un à ceux qui m'attendent. Cependant, alors que vous avez, mesdames et messieurs les maires de Corse, répondu aussi obligeamment à mon invitation, je me dois de vous en remercier. J'ai été pendant longtemps votre collègue et je n'ai quitté le conseil municipal, où j'étais entré il y a 25 ans, seulement au mois de mars dernier, pour la première fois non candidat pour la gestion de ma petite ville `Château-Chinon`. Je garde de ce long passage des souvenirs d'amitié avec celles et ceux qui dans mon département, géraient comme moi une petite collectivité. Et déjà j'avais remarqué qu'au-delà des inévitables et nécessaires compétitions de la démocratie, se créait facilement entre élus, soucieux de bien gérer et d'interpréter fidèlement les aspirations des populations, un dialogue aisé. Il allait le plus souvent jusqu'à la sympathie, quand on n'atteignait pas les rivages de l'amitié, qui ont été, pour cette expérience vécue, l'un des éléments importants de ma vie publique.
- J'imagine donc qu'il doit bien en être un peu ainsi, en Corse, dans ces deux départements avec ces variétés d'opinion, de lieux, de traditions, avec vous toutes et tous attachés d'abord à votre île et désireux de servir au mieux les légitimes intérêts des gens qui vivent sur place : ceux que l'on connaît, ceux qui vivent là, ceux dont on connaît le plus souvent les parents, les enfants. On peut retenir les dates d'anniversaires, celles de la joie et celles de la tristesse, on s'y reconnaît dans les allées des cimetières, bref, on compose la même collectivité de base, hors de laquelle il est impossible d'imaginer un devenir national. C'est là-dessus que repose d'abord la démocratie, mais aussi à mon sens la vie d'un peuple. Les maires, femmes et hommes, qui me reçoivent ici ressemblent tellement, au-delà de leurs particularités, à ceux que j'ai connus à travers toutes les régions de France, et quelle que soit leur origine professionnelle : professions libérales, artisans, paysans, ouvriers, que sais-je encore, qu'ils constituent cet ensemble humain avec lequel, plus que tout autre, il est possible de parler le même langage puisqu'on a les mêmes soucis, puisqu'on a les mêmes devoirs.\
Je serais triste de penser qu'un jour pourrait s'effacer la trace de ces communes. Il y en a tant et tant et non pas spécialement en Corse. C'était le cas de mon Morvan lui-même, montagneux, à la jonction de la Bourgogne £ autrefois même, on disait à la jonction de la Bourgogne et de la France, puisque c'est à quelques kilomètres de ma petite ville que se sont déroulés les derniers combats qui devaient précéder l'unité nationale. En même temps à quelque distance, se trouvait, se trouve toujours le Mont Beuvray ou Bibracte, principale citadelle a pouvoir résister aux Romains, qui vit Vercingétorix recevoir le serment de fidélité de tous les chefs gaulois, première esquisse de la nation française. J'ai vécu cela. Il m'arrive de regretter que le cours de ma vie politique m'en ait éloigné, sans cependant m'éloigner des préoccupations quotidiennes de ceux que j'ai ainsi connus. Et j'éprouve comme une sorte d'agrément particulier de me trouver dans ces départements et dans cette ville de Corte, auprès du maire de cette ville, ayant en face de moi, et tout à côté, des maires de grandes ou petites communes. J'ai un plaisir particulier à ressentir que nous parlons des mêmes choses, que nous connaissons au fond la même peine, le même effort des hommes en même temps que l'irremplaçable communauté que constituent les familles d'une commune. Et il en est qui disparaissent, et tant de hameaux qui se vident, phénomène propre à notre époque où la grande ville, l'urbanisation, les grands courants économiques aspirent le peuple des campagnes.
- On ne peut certes aller de front contre l'évolution des temps. Mais il faut arcbouter sa volonté, et définir ses plans pour sauvegarder ce qui peut l'être, et faire revivre, assurer la renaissance de ce qui reste en profondeur le meilleur du pays.\
Femmes et hommes, maires de Corse, vous êtes, vous-mêmes, les bons artisans de cette oeuvre. Vous bâtissez tous les jours la Corse, vous bâtissez tous les jours la France. Sans vous elle ne serait pas ce qu'elle est. Une source vive disparaitrait qui transformerait le sens même de notre société.
- Je suis flatté de vous rencontrer. Oh, je connais le protocole. Le Président de la République française incarne toutes les communes de France. On est flatté de rencontrer le Président de la République française, non point pour sa personne, mais pour sa fonction. Mais moi je suis flatté de rencontrer les maires de France et particulièrement les maires de Corse parce que je reconnais en elle et en eux la pérennité de ce qui m'est le plus cher. Comment diriger une société sans connaître les femmes, les hommes qui la composent. C'est cette abstraction du temps présent qui nous éloigne des nôtres. C'est la rupture des familles naturelles qui nous précipite le plus souvent dans une société mécaniste où l'on peut sans doute à base de dossiers traiter des affaires d'un pays, mais où l'on ignore la vérité profonde : celle des hommes.
- Toute ma vie je me suis acharné à préserver pour moi-même cette chance que j'avais. Chef de l'Etat je veux veiller à ce que, tout le temps dont je disposerai, la responsabilité qui est mienne tende à ce que renaisse, non pas dans l'artifice, non pas en fabricant une société qui ne serait pas la société de la fin du siècle, du début de l'autre, mais par la réflexion, le plan, le dialogue, une juste conception de la décentralisation. Utiliser chaque parcelle de terre, utiliser chaque énergie là où elle se trouve pour que le pays tout entier vive comme il le doit. Cela n'est possible que parce que vous existez, mesdames et messieurs les maires. Je me devais de vous le dire et m'adressant à vous j'ai le sentiment, bien au-delà de ce beau chapiteau, bien au-delà de la commune de Corte que je remercie pour son accueil, souvenir qui restera cher pour moi, que c'est aux Français que je parle et c'est en même temps à tous ceux qui consacrent une part de leur vie au service des autres. Il y a comme cela quelque chose de commun entre nous. Est-ce que cela n'est pas préférable à ce qui sépare ?
- Mesdames et messieurs, je vous remercie.
- Vive Corte !
- Vive la Corse !
- Vive la République !
- Vive la France !\