30 mai 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet des pays industrialisés, notamment sur la déclaration des sept sur la sécurité et sur les problèmes monétaires internationaux, Williamsburg, lundi 30 mai 1983.

LE PRESIDENT.- Le sommet ne m'a permis jusqu'à présent que des rencontres très partielles et rapides avec la presse. Là, nous allons pouvoir, pendant quelques moments, ramasser les éléments principaux de cette conférence. Selon la tradition déjà bien établie, je me passerai de préambule et répondrai à vos questions.
- QUESTION.- Monsieur le Président, repartez-vous avec plus ou moins d'illusion et d'espoir qu'à votre arrivée ?
- LE PRESIDENT.- Je repars sans illusion par-rapport à des mirages qui, par définition, apparaissent et disparaissent à mesure qu'on s'en rapproche, mais avec le sentiment que du travail a été fait, que des possibilités sont ouvertes et que le travail accompli peut-être utile, non seulement aux participants mais au reste du monde.
- C'est une affaire de longue patience que la démarche internationale. Si moi-même j'avance à pas comptés, c'est pour tenir compte, par obligation et presqu'avec regret, de cette cadence. Comme vous le savez, ce sommet s'est préoccupé de problèmes de sécurité plus que cela était prévu à son ordre du jour politique et de problèmes économiques, ce qui était sa -nature même. On pourrait dire que, contrairement aux prévisions de certains, mais pas des miennes, le débat économique a été plus aisé que prévu. Le texte sur les FNI `Fusées nucléaires à portée intermédiaire` a été très long à mettre au point. Il a été heureusement conclu et, si l'on a parlé d'autre chose, surtout au-cours des repas qui étaient des repas de travail, consacrés aux problèmes de politique extérieure, du type Proche et Moyen-Orient par exemple, on peut dire sans exagérer, que l'essentiel de nos travaux a tourné autour des deux textes ainsi que la reprise économique, puisque tel est l'intitulé de la déclaration, et enfin sur des propositions ayant valeur de déclaration, et qui touchent aux problèmes de sécurité dans le monde, particulièrement en Europe.
- Donc je pars comme je suis arrivé : résolu à poursuivre dans la direction qui est celle de la France et qui contribue, de façon reconnue, à l'édification d'une société où les conflits pourront être éliminés, du moins les conflits majeurs, et où l'Occident plus le Japon commenceront à prendre conscience de leurs responsabilités.\
QUESTION.- De votre allocution devant les ministres de l'OCDE, on peut détacher deux points. D'abord la grande conférence monétaire internationale £ on en trouve trace dans la déclaration finale. Le second point est consacré au tiers monde et, notamment, la demande que vous aviez effectuée concernant la mise sur pied d'un mouvement de stabibilisation des produits de base. Or cela, on n'en trouve guère trace dans les communiqués. Pensez-vous donc qu'on a davantage avancé sur les problèmes disons monétaires que sur les problèmes des -rapports Nord - Sud ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait imprudent de l'affirmer. Je pense que les participants de la conférence au sommet des pays industrialisés ont avancé dans la prise de conscience de ces deux sujets et que c'est à force de répéter les mêmes choses qu'elles finissent par pénétrer.
- A l'égard du tiers monde, des pays en voie de développement, j'avais, comme vous le savez, établi des relations préparatoires avec les principaux pays représentant les non alignés et, particulièrement, vendredi encore, avec Mme Gandhi. De même, j'avais rencontré nombre de représentants de pays qui n'étaient pas représentés au sommet de Williamsburg. La déclaration ne répond pas à toutes les questions, loin de là. Mais elle aborde, de façon claire et positive, un certain nombre de domaines où l'on pouvait craindre un excès de timidité. Je pense aux liquidités internationales, à l'action du Fonds monétaire international qui s'était réanimée récemment, mais on pouvait craindre que cela ne fût qu'un sursaut. Il est établi que, désormais, le FMI sera invité à faciliter d'avantage ce que je n'ose appeler "la reprise" dans les pays en voie de développement. D'autre part, quelques données concrètes ont été acquises, touchant par exemple aux ressources d'énergie propres aux pays non détenteurs de pétrole ainsi qu'à l'autosuffisance alimentaire. Ce sont deux des points que je répète sans arrêt, avec un troisième que vous avez tout de suite relevé naturellement, celui des garanties à apporter pour les prix des matières premières, livrées à la spéculation et qui, d'une année sur l'autre, connaissent de telles variations que cela interdit tout plan de co-développement. J'ai eu peu d'occasioons pour batailler sur ce point. Cela aurait occupé une journée de plus, et cela n'était pas prévu. J'ai quand même pu constater des gains pour les pays en voie de développement. Ainsi pour certains problèmes de financement - j'avais d'ailleurs reçu une lettre de M. Clausen, président de la Banque mondiale, qui marquait qu'au sein de cet organisme particulièrement intéressé aux problèmes énergétiques, une demande pressante se faisait jour. Comme souvent, ce texte va plus loin que les pessimistes ne pouvaient penser, et va moins loin que je l'aurais souhaité.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous pourriez donner des détails sur les discussions sur le Moyen-Orient et est-ce que vous avez discuté de la conférence sur la Palestine à Paris ?
- LE PRESIDENT.- Ce sujet n'est pas venu dans les discussions puisqu'il s'agit d'une décision interne aux Nations unies. La discussion, je le répète, s'est bornée à des échanges de vues pendant le repas d'hier soir. Ce qui ne nous a pas empêché de traiter aussi bien des problèmes du Proche-Orient, Israël et les pays arabes, le Liban, que du conflit Irak - Iran et autres sujets allant jusqu'à l'Afghanistan. Mais cela n'a pas donné matière à une délibération débouchant sur un texte. Je suis donc conduit à observer une certaine réserve quant à l'indication du contenu de ces conversations. Il est bon que vous sachiez, cependant, qu'elles ont occupé deux heures de temps de notre journée d'hier.\
QUESTION.- Monsieur le Président, était-il absolument indispensable d'avoir un texte sur la sécurité dans le monde, qui n'était pas prévu ? Quel en est, selon vous, l'utilité pour la recherche de la paix dans le monde et est-ce que cela ne risque pas de dénaturer un peu le cadre des sommets industrialisés ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait bien que vous demandiez cette explication à d'autres qu'à moi. Mais je suis là pour vous répondre et je le ferai, bien entendu. J'avais fait savoir, en tout -état de cause, avant la tenue de la conférence, que si je ne me refusais pas à débattre de ce sujet si important, je refusais que les instruments de cette discussion fussent délibérés au préalable et qu'il appartenait aux chefs d'Etat eux-mêmes d'aborder et, le cas échéant, de résoudre, cette affaire. Observation qui devrait normalement s'appliquer à tout le reste. En effet, ces sommets sont faits pour que les chefs d'Etat se rencontrent, discutent, approchent ensemble la réponse aux questions posées, soient mâitres de leurs discussions et non pas tenus déjà par des textes délibérés par l'administration, par des ministres ou par des "sherpas", textes qui, forcément, sont souvent diffusés et qui emprisonnent ensuite la discussion des responsables. Donc, c'est sous cette rubrique qu'il faut placer la venue en discussion du texte qu'on appellera le texte sur la sécurité. C'est une initiative de M. Reagan.
- Pour moi, l'essentiel était de savoir ce que serait le contenu de cette déclaration. A compter du moment où elle rappellerait les données fondamentales de l'équilibre en Europe, des projets, perspectives, prises de position déjà connues, en particulier celles que j'ai déjà moi-même exprimées, comment aurais-je pu y voir un inconvénient ? J'en aurais vu par contre si elle n'avait pas rappelé solennellement la position de sept grands pays, solidaires sur un sujet qui touche à la paix du monde et qui valait en effet d'être proposé à l'issue de cette conférence, pour qu'il soit bien compris non seulement de nos partenaires, ici et là, mais aussi de ceux qui sont aujourd'hui en discussion, notamment à Genève. Sept pays, quatre d'Europe, deux d'Amérique, un d'Asie, qui ont coutume de se rencontrer dans ces conférences au sommet, pouvaient-ils véritablement se séparer à quelques mois de décisions d'une très grande importance sans rien dire ?\
`Suite réponse sur la déclaration des septs sur la sécuritéù`
- Mais, s'il était bon de rappeler ce que j'appelle "l'équilibre des forces", particulièrement en Europe, il fallait que ce texte en restât là. Si l'on se reporte à ce texte, on apercevra que la seule donnée nouvelle, mais qui tombait sous le sens, c'est que je Japon est associé à une définition globale pour ce qui touche aux FNI `fusées nucléaires à portée intermédiaire` puisque les SS 20 sont en Europe et en Asie, et que ce qui pourrait être ôté de l'Ouest irait à l'Est ou le contraire. L'attitude du Japon et celle des pays d'Occident se trouvent liées, fût-ce malgré eux, par le seul fait de l'installation de ces armes. Mais cela est limité aux FNI, comme cela est précisé, je dois le dire tout naturellement, à ma demande, dans le texte.
- C'est donc bien clair. La position des participants par-rapport au problème posé, celui de la négociation, est rappelée solennellement en une circonstance importante, pour éviter que l'on s'engage plus encore dans la course aux armements et pour ne pas ajouter de donnée nouvelle pouvant peser inutilement sur les relations entre l'Est et l'Ouest.
- J'avais, au demeurant, un problème particulier, propre à la France. C'est qu'il n'était pas question pour moi d'accepter un fil directeur de raisonnement, comme il était prévu par certains, qui eût engagé la France sur des décisions dont elle n'avait pas eu l'initiative et dont elle n'avait pas eu à délibérer, puisqu'elle ne fait pas partie du commandement intégré de l'OTAN.
- Libre à la France de prendre les décisions qui l'engagent quand elle veut, là où elle veut. Mais il ne pouvait être question de l'engager dans une réunion de ce genre, de considérer comme acquis des projets et propositions énoncés par d'autres que nous-mêmes sans que nous ayons été préalablement consultés. J'ai donc tenu à ce que ce texte ne dépassât en aucune circonstance ce que j'avais moi-même dit à ce sujet à Bonn `devant le Bundestag`. Vous citez ce texte, si ce n'est déjà fait et vous ferez des soustractions entre les propositions initiales et le texte final.
- Bref, les objectifs que j'ai moi-même énoncés sont là dans ce texte avec la caution de la France. Le reste n'y est pas. C'est dire qu'il a été tenu le plus grand compte, dans un domaine aussi sensible, de la position de mon pays.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à propos de la proposition que vous avez faite de tenir à l'avenir une conférence monétaire internationale, je désirerais vous poser deux questions. La première : est-ce que dans votre esprit la réforme à laquelle vous pensez implique ou n'implique pas une révision de la réforme qui a déjà eu lieu en 1976, le changement des statuts du FMI ? Quant à la deuxième, on a eu l'impression ici qu'au départ vous pensiez surtout à une stabilisation des taux de change et que, maintenant, vous pensez au problème des liquidités internationales qui, dans le passé, a déjà suscité de nombreuses discussions et naturellement des décisions. Alors, qu'est-ce que vous entendiez exactement par "problème de liquidités" ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas de contradiction entre ces deux préoccupations qui sont importantes. Je suis sûr que vous êtes nombreux à avoir analysé avec attention le texte que j'avais présenté aux ministres et représentants des différents pays membres de l'OCDE. Ceux d'entre vous qui se sont attachés à cette question, savent qu'il arrive souvent que les interprétations excèdent le texte-même que j'avais énoncé. Par exemple, je ne me suis pas enfermé derrière des taux de change fixes. Bien entendu, j'ai souhaité qu'ils soient davantage stables. Pas davantage, je n'ai dit "il faut faire Bretton Woods", j'ai dit : "il faut s'inspirer de la démarche de Bretton Woods" £ de celle de ces gens imaginatifs et courageux qui ont commencé à travailler en 1940 et ont vu aboutir leurs propositions, quatre ans plus tard, et dans quelles circonstances : pendant une guerre mondiale, avec des disparités considérables entre les pays qui devaient participer à cette institution, et aussi entre pays qui s'inspiraient déjà, pour la plupart, de l'économie libérale. Quarante ans plus tard, on ne peut rien faire à l'identique. Je laisse aux experts et aux responsables qui en discuteront, le jour venu, le soin de savoir sur quoi ils mettront l'accent.\
`Suite réponse sur le "problème des liquidités" internationales`
- Je pense, quand même, qu'on ne pourra pas échapper au problème de la monnaie de réserve, de référence et aujourd'hui également monnaie refuge, le dollar qui, parce qu'il est à la fois monnaie nationale d'un grand pays et monnaie internationale, monte lorsque cela va bien, en raison de sa propre valeur, et aussi lorsque cela va mal, car elle constitue un refuge. Je souhaite, en effet, que les futurs négociateurs étudient ce problème et celui des liquidités internationales. Il y a des propositions dont on peut discuter - droits de tirage spéciaux `DTS`, panier fondé sur les matières premières. Les institutions spécialisées ont une très grande expérience dans ce domaine. Je ne dicte de loi à personne. Je dis simplement qu'il y a aujourd'hui un resserrement des liquidités, dû à un certain nombre de phénomènes dont le dernier est sans doute les difficultés que connaissent les pays arabes et, finalement surtout dans les pays en voie de développement, le moyen manque d'amorcer la pompe. Et il peut être plus facile de la réamorcer en disposant d'un instrument plus souple et plus varié que le seul dollar, dont je ne dis pas d'ailleurs qu'il doive être éliminé. J'ai donc proposé un certain ordre du système monétaire international, qui serait préparé, je l'ai dit, sagement, lentement. J'ai même eu l'imprudence de dire un moment - heureusement que cette expression n'a pas été remarquée - il faut le temps d'une génération. Vous imaginez l'un des négociateurs d'aujourd'hui me disant : "mais une autre génération, certains d'entre nous sont encore jeunes, on pourra se revoir dans trente ans". Heureusement que personne n'avait souligné cet aspect de ma déclaration de Paris.
- Il faut du temps. Je ne suis donc pas en opposition avec ceux qui estiment qu'il faut réfléchir, débattre, discuter avant d'organiser. Le texte qui vous est soumis est le texte qui était ressorti des discussions de cette nuit à l'initiative de la France.
- Quant au rôle du FMI, un moment, plusieurs - pas moi - ont émis l'idée que cette conférence monétaire pourrait se tenir d'abord dans le -cadre, puis à l'initiative du FMI. D'autres, dont je suis, ont fait alors observer que le FMI aujourd'hui était composé d'un certain nombre de pays avec une liste limitative, que d'autres pourraient y prétendre, qu'il serait fâcheux d'annoncer à l'avance qu'aucun autre, accédant à la responsabilité internationale, ne pourrait être présent à la conférence monétaire. Cette référence a donc disparu mais, comme je viens de vous le rappeler, le FMI devrait être naturellement, intimement associé. On pourrait dire que son initiative serait la bienvenue.\
QUESTION.- Le dollar continue de monter, la plupart des financiers que nous avons l'occasion de rencontrer annoncent un dollar à 8 Francs pour bientôt et même au-delà. Alors vous avez rencontré M. Reagan en tête-à-tête. Est-ce que au moins, le Président vous a exprimé sa compréhension du problème et du danger que cela représentait ?
- LE PRESIDENT.- Sa compréhension ne m'aurait pas suffit. Vous connaissez la théorie américaine qui repose sur une idée, sur une conception, j'allais dire, pardonnez-moi, une idéologie : le dollar épouse les fluctuations du marché. Ce qui est curieux, c'est qu'ayant consulté beaucoup d'experts au-cours de ces derniers mois, tous m'avaient annoncé qu'inéluctablement à compter du mois d'avril le dollar baisserait. Il faut croire que je choisis mal mes conseillers, mais comme j'ai consulté tout ceux qui de la droite à la gauche comptent dans la pensée française, et même à l'extérieur, on comprend comme il est difficile de prévoir. Il n'y a pas de remède magique, naturellement, personne n'y croirait. Cependant, on peut penser que de meilleurs équilibres budgétaires et des taux d'intérêts réels moins élevés devraient permettre de différencier davantage les mouvements des opérateurs internationaux. C'est une approche raisonnable. Quand je dis cela, je suis obligé de rappeler que les taux d'intérêts réels n'ont jamais été aussi élevés depuis 1929 - 1930, jamais. D'une façon générale, ils ont varié, que ce soit à court terme ou à long terme entre 1 et 3 %. Aujourd'hui ils sont de 5 à 7 % pour le court terme et de 8 pour le long terme. Il a donc fallu que se produisent beaucoup d'événements, dont deux guerres mondiales - et nous sommes quand même à plus de 35 ans de la deuxième - pour que nous nous trouvions dans une situation semblable.
- Je suis convaincu que les autorités américaines ont tout à fait conscience du grave problème ainsi posé, non seulement à l'économie des autres pays, mais aussi à la leur. Il leur appartient, pour ce qui les concerne, de trouver la réponse à cette question. Il était naturel que les autres pays en fussent préoccupés, ce qu'il n'ont pas manqué de dire, tous, au-cours de cette conférence.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pourriez-vous nous préciser ce qu'ont été vos conversations bilatérales ?
- LE PRESIDENT.- Conversations bilatérales essentiellement avec M. Reagan d'abord, environ 3 quarts d'heure, puis avec M. Nakasone, ensuite, très brièvement, aparté en conférence avec Mme Thatcher qui a écourté tous ses rendez-vous pour cause électorale, et je rencontre enfin tout à l'heure M. Trudeau. Ce matin, j'ai pris davantage de temps puisque j'ai pris mon petit-déjeuner pendant une bonne heure avec le chancelier Kohl.
- M. Reagan, ce fut une approche de la conférence qui allait suivre, dans laquelle j'ai exprimé quelques idées qui ont été portées à votre connaissance, à savoir que contrairement à ce que je voyais un peu partout, moi je n'arrivais pas du tout pour faire des demandes pour la France. Je suis dans une conférence internationale, je défends les intérêts de mon pays, à ma façon, avec toute la vigueur et la clarté d'esprit possibles. Je fais ce que je peux et je mets, vous pouvez le reconnaître, une certaine ténacité. Mais je ne prétends pas imposer mes points de vue, je ne tends pas non plus la main. Les éléments de la crise française tiennent sans doute pour beaucoup à la crise internationale, mais la réponse finale dépend de la France et des Français.
- Si je souhaite que l'environnement international s'améliore - chacun sait si je le souhaite ! - il n'empêche que la France ne saisira l'occasion que si elle y est prête. Et mon rôle est d'y préparer la France. Disons que d'une autre façon, c'est ce que j'ai exprimé à M. Reagan, sans y ajouter tout ce que je viens de vous dire à vous, journalistes français. Mais j'ai souligné que les Etats-Unis d'Amérique avaient des responsabilités... Et j'ai insisté en effet, sur le problème des liquidités qui était resté un peu au second -plan dans les propositions précédentes.\
`Suite réponse sur les conversations bilatérales lors du sommet`
- S'agissant du Premier ministre japonais que je ne connaissais pas mais avec lequel j'avais été en relation épistolaire, M. Nakasone était très intéressé, il l'a d'ailleurs dit en séance plénière, par les problèmes technologiques dont j'avais amorcé l'examen lors du sommet de Versailles, l'année dernière. Il a ajouté d'autres éléments aux dix-huit projets déjà retenus, notamment les sujets touchant à la biotechnologie. J'ai constaté qu'il était très soucieux des problèmes de sécurité, et notamment de ce dont nous avons déjà parlé, de la solidarité de fait entre le Japon et les pays d'Europe, créée par la présence des mêmes armes, le cas échéant voyageuses, d'un bout à l'autre du monde soviétique, armes produisant les mêmes effets en temps de paix, et le cas échéant, en cas de guerre. Il m'a semblé que c'était sa préoccupation principale.
- Avec M. Kohl, nous avons beaucoup parlé, nous en avons maintenant un peu l'habitude. D'abord des sujets-mêmes qui occupaient la conférence pour en faciliter le déroulement. Je dois dire que sur les deux textes qui sont en votre possession, la démarche franco - allemande a été constamment harmonieuse. Nous avions aussi à discuter d'un certain nombre de questions touchant, comme vous le dites, à nos relations bilatérales. Nous nous rencontrerons d'ailleurs au début de l'été de nouveau, lui et moi, je ne parle pas de Stuttgart, où bien entendu nous serons là, puisque c'est la dernière manifestation sous la présidence du chancelier allemand, dans le-cadre de la Communauté européenne.
- Avec Mme Thatcher, la conversation a été très rapide, mais c'est une personne qui en peu de temps sait dire beaucoup de choses, et je l'écoute toujours avec grand intérêt, mais vous comprenez fort bien que les préoccupations électorales viennent déranger son emploi du temps. La conversation reprendra donc sans doute le 17 juin à Stuttgart `Conseil européen`. D'autant plus que je crois avoir deviné que, passant rapidement d'un sujet à l'autre, Mme Thatcher pensait déjà au budget, c'est-à-dire au budget de l'Europe.\
QUESTION.- On dit traditionnellement que dans ces sommets il n'y a pas de vainqueurs, il n'y a pas de vaincus. Je vais cependant vous demander si vous avez le sentiment que les idées françaises, les conceptions françaises ont été écoutées et bien ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que la place de la France est importante et reconnue dans ces assemblées. Cela est dû à bien des facteurs qui font que c'est la France. Je m'efforce de servir le mieux possible ses intérêts. Oui, je crois pouvoir dire que pour ce qui touche à la déclaration sur les FNI `fusées nucléaires à portée intermédiaire`, rien n'a dépassé ce qui était la position de la France. Et pourtant il y avait des tentations notamment par le rappel de décisions antérieures où la France n'a pas de part £ ou par l'introduction de positions dans la négociation qui eussent été inflexibbles.
- Vous pourrez y retrouver des intentions excellentes, et même un appel à l'Union soviétique pour qu'elle contribue, je lis, "de façon constructive au succès des négociations".
- Surtout, il n'y a pas le rappel de formules trop précises qui avaientt été lancées par les Etats-Unis d'Amérique, même s'il en est de bonnes. Il ne faut pas s'enfermer, il faut que les négociations restent ouvertes. Ce texte devrait épouser très exactement, j'en avais le souvenir, la déclaration que j'avais faite devant le Bundestag, à savoir que, si devait intervenir un accord, ce serait la négociation qui déterminerait le niveau où se situerait le déploiement, notion à laquelle je tiens essentiellement. Cela figure dans ce texte.
- Bien entendu, au cas où il n'y aurait pas d'accord, il est dit, sans en faire une menace que la France n'a pas à exprimer, mais une constatation : on sait, que les pays concernés procèderaient, je lis : "procèderont au déploiement prévu des systèmes américaines `fusées Pershing` en Europe à la fin de l'année 1983".
- A compter du moment où cet appel solennel à la négociation, souligné par la volonté très forte des participants au sommet, était dans ce texte, et à partir du moment où cela n'excédait pas ce qui avait déjà été dit et ne créait pas de conditions nouvelles, oui, je suis satisfait de ce texte.
- Quand au texte économique dont j'aurais prféré qu'il allât plus loin sur un certain nombre de points, vous m'avez posé la question, qui est apparue comme centrale de la conférence monétaire internationale. Vous savez qu'il existait plusieurs textes en présence. Je suis quand même satisfait que le texte français, qui lui-même avait tenu compte des positions des autres, ait été retenu.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voulais procéder un petit peu à l'envers et vous demander si vous pensez que le sommet de Versailles a été l'échec que l'on avait dit, notamment dans le domaine économique et monétaire ?
- LE PRESIDENT.- Si vous vous rapportez au texte, vous vous apercevrez que, à deux reprises, pour les interventions sur le marché des changes et pour l'avancée technologique, la référence à Versailles est explicite £ on continuera avec les interventions sur le marché des changes ce qui nous relie tout de même avec le paragraphe nouveau qui touche au processus des conférences internationales. Comme toute chose, le sommet de Versailles n'a pas été l'échec qu'on a bien voulu dire. Il n'a pas été la réussite que l'on aurait souhaitée. Mais il en va de toutes les actions humaines que j'ai eu l'occasion d'observer depuis que je me suis mêlé à la vie politique de mon pays, de la France et puis du monde.
- Bon, le problème c'est toujours d'avancer. Et bien oui on a avancé. Personnellement je trouve que la déclaration d'aujourd'hui est la plus claire depuis deux ans à ce niveau.
- QUESTION.- Monsieur le Président, au terme de ce troisième sommet, est-ce que vous avez le sentiment que ce genre, que la formule de ces réunions est maintenant institutionnelle ? Est-ce que les résultats sont à la hauteur des espérances qu'on y met ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'arrive jamais, éliminez cela de votre discours ! Oui en effet j'ai fait trois expériences, déjà. L'expérience des trois derniers sommets me permet d'avoir une idée précise. Je pense que ce sommet s'est déroulé dans des conditions matérielles très bonnes, pour nous en tout cas. Je pense aussi pour vous, j'espère. Avec des possibilités de rencontres, d'échanges incessantes deux à deux ou à plusieurs, ce qui est mieux qu'à Versailles et qu'à Ottawa. Mais le sommet ne sera vraiment au meilleur de sa forme que lorsque l'on aura éliminé toutes les pesanteurs administratives. Au fond, plus on se rapprochera du schéma qui était, je crois, le schéma initial - quelques personnes, huit, sept plus un, et puis c'est tout - mieux cela vaudra. On en est encore assez loin mais il y a un progrès.
- QUESTION.- Monsieur le Président, en ce qui concerne le bilan du sommet de Versailles que vous venez de faire, il y a eu des études sur les interventions sur les marchés des changes qui ont donné lieu à un spectacle assez étonnant. Il y avait des réunions comme celle-ci avec des ministres des finances qui signaient un texte et qui donnaient ensuite des conférences de presse en disant : "j'ai signé, cela n'a aucune importance £ je ne m'en servirai pas". Ne craignez-vous pas que les formules retenues à cette conférence donnent lieu aux mêmes discussions ?
- LE PRESIDENT.- Il paraît que c'est arrivé. Cela arrivera peut-être. Que puis-je vous garantir ? Mais nous sommes quand même responsables de nos actes, et devant combien de millions d'êtres humains ! Je crois que le rôle de ceux qui se sentent investis d'une charge honorable et très grande pour l'avenir du monde, c'est de ne pas démentir ou contredire ce que l'on a soi-même décidé. Mais je ne peux parler qu'en mon propre nom en disant cela. Je fais confiance aux autres, c'est tout.\
QUESTION.- Il paraît que la question de commerce avec le bloc de l'Est était beaucoup moins importante cette année-ci que la précédente. Est-ce que vous pouvez nous en expliquer les raisons et aussi nous exposer un peu le contenu des discussions qu'il y a eu sur ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas eu de long débat sur ce sujet. Je trouve tout à fait légitime que plusieurs des pays de ce sommet se soient préoccupés du commerce et des relations Est - Ouest. L'année dernière, on en avait peut-être un peu trop parlé £ et peut-être pas exactement comme il aurait fallu, les malentendus qui ont suivi l'ont démontré. Instruits par l'expérience, je pense que les sept participants - il ne s'agit pas de dire, celui-ci plutôt que celui-là - les sept participants ont gardé une certaine retenue et le texte qui résulte de ces réflexions n'a pas excédé ce qui était raisonnable. Alors en effet, était-ce le mauvais souvenir de l'an dernier et de ce qui s'en est suivi avec les discussions sur le gazoduc ? Mais là, on s'en est tenu à des propositions raisonnables qui n'ont pas valu de difficulté aux participants de ce sommet. D'un sommet à l'autre, des approximations se font, et si chacun y montre de la bonne volonté, ce qui s'est produit, alors on arrive à des textes dont on peut tirer le meilleur, du moins je le crois.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avant le sommet, les échanges d'idées ont semblé largement franco - américain. Alors est-ce que pendant le déroulement du sommet, certains de vos partenaires ont partagé les préoccupations de la France vis-à-vis de la politique américaine ?
- LE PRESIDENT.- Certainement, mais je n'ai pas pour mission de vous détailler les prises de position des uns ou des autres. Cela pourrait même être déplaisant. Mais ce que je peux vous dire, c'est que sur les taux d'intérêt par exemple, c'est une voix très générale qui s'est fait entendre et je ne dirai pas que les Etats-Unis d'Amérique y soient eux-mêmes insensibles et ne soient pas préoccupés de cette situation. C'est donc là un point précis.
- Sur la conférence monétaire, cinq des sept pays ont été d'emblée favorables à la position qui figure dans ce texte. La discussion n'a donc pas duré très longtemps, et a abouti à un nouvel accord. Ce qui veut dire que, contrairement à ce que je crois avoir lu quelque part, je n'ai pas aperçu l'isolement de la France. Isolement qui au demeurant pourrait être fort honorable, dans lequel je ne me sentirais pas le moins du monde embarrassé, mais j'aime mieux qu'il n'en soit pas ainsi.
- QUESTION.- Monsieur le Président après avoir écouté le secrétaire des finances américain `Donald Reagan`, il n'a pas fait de différence entre Versailles et cette année, notamment sur l'intervention monétaire et plus spécialement, est-ce que l'Amérique va vraiment vous soutenir pour une conférence monétaire internationale ?
- LE PRESIDENT.- Je suis obligé de vous répéter ce que je viens de dire à l'instant £ il y a ce qui est écrit. Ce qui a été écrit a été précédé d'une discussion. Je pense que ce texte engage les participants, que chacun d'entre eux en ait voulu davantage où qu'il ait désiré une autre conclusion, c'est normal. On est plusieurs, et si on se réunit, c'est parce qu'on a besoin d'adapter les thèses de chacun à celles des autres. Mais je n'ai pas lieu de douter que ce qui est ainsi rédigé devrait enntrer dans les faits. Et puis si tel n'était pas le cas, ce que j'ignore tout à fait, je serais contraint de me répéter au-cours des échéances prochaines. C'est tout. Je ne préjuge pas que l'interprétation des textes donnera lieu à des différends irréductibles, je n'en sais rien.
- QUESTION.- Les marchés monétaires sont un certain juge, et pour l'instant les opérateurs à Paris, à New York et à Tokyo, jusqu'à présent ont dit qu'ils ne croient pas que ce texte sera suivi d'effet. Est-ce que vous pensez que le Franc va prendre de la valeur à cause de la déclaration ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'était pas fait pour cela. Vous êtes toutefois très précis et très factuel. Il y a écrit ici : nous avons invité les ministres des finances - nous, c'est les sept plus le président de la Commission européenne, "nous avons invité les ministres des finances, en liaison avec le directeur exécutif du FMI, à définir les conditions d'amélioration du système monétaire international, à prendre en considération le rôle qui pourrait jouer le moment venu dans ce processus une "conférence monétaire internationale de haut niveau". Ce texte dit ce qu'il veut dire, il ne dit pas autre chose. A chacun de juger.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous vous êtes exprimé sur la question de l'extraterritorialité américaine dans les conditions des échanges Est - Ouest ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas particulièrement.
- QUESTION.- Les négociations globales £ est-ce que cela veut dire que le sommet ne savait pas comment répondre à la demande des pays en voie de développement, des négociations globales ? Est-ce qu'il n'y a pas d'accord par les pays du sommet sur ces questions de négociations globales ?
- LE PRESIDENT.- Si cela ne figure pas dans ce texte, c'est parce qu'il n'y a pas eu de réel progrès dans l'approche de plusieurs des pays participants.
- QUESTION.- Est-ce que M. Reagan a partagé votre vision du déficit américain ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas exprimé d'opinion sur ce sujet.
- QUESTION.- Est-ce que le -cadre historique de Williamsburg vous a particulièrement inspiré ?
- LE PRESIDENT.- J'en avais déjà approché les charmes à l'automne 81, puisque c'est la deuxième fois que je viens ici en deux ans. J'y suis revenu avec grand plaisir. L'histoire m'inspire en effet aisément, et il s'est passé ici beaucoup d'histoire. C'était intéressant de tenir notre première rencontre dans la salle du premier Parlement de Virginie, là où délibéraient les fondateurs des Etats-Unis d'Amérique. Oui, sur le-plan de l'inspiration, c'est un lieu symbolique, et ce n'est pas sans importance.\
QUESTION.- M. Cheysson nous a fait part du fait que vous avez reçu des lettres d'une vingtaine de dirigeants du tiers monde. Dans ces lettres ils citent des chiffres et expriment des sentiments. Allez-vous répondre par des chiffres et des sentiments ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, je vous remercie du conseil, mais je leur répondrai comme j'ai envie de leur répondre. Je leur dirai : cela ne va pas aussi vite qu'il faudrait. Vous avez posé des questions très importantes qui n'ont pas reçu de réponse. Personnellement, je le regrette. On va continuer. En tout cas, la France va continuer d'être, partout où elle se rendra, l'avocat d'une cause juste, c'est-à-dire des capacités des pays en voie de développement à prendre part à la reprise. D'autant plus que je considère que c'est notre intérêt à nous aussi, nous, les pays industriels. J'ai l'intention de continuer, je le dis très tranquillement. Chacun d'entre nous a une vocation particulière. J'ai toujours pensé que la France avait celle-là. Williamsburg n'est qu'une étape dans une marche qui sera longue.\