25 mai 1983 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au dîner offert à l'occasion de la journée de l'Afrique, Paris, mercredi 25 mai 1983.

Monsieur le doyen,
- Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
- Je vous suis particulièrement reconnaissant de m'avoir invité aujourd'hui parmi vous car c'est le moment où l'Afrique tout entière célèbre le XXème anniversaire de son organisation continentale.
- Votre organisation est, en effet, à bien des égards, irremplaçable dans ce monde où la tentative du repli sur soi, où la crispation pour la -défense de ses intérêts propres tend à devenir la règle. L'OUA est, par excellence, le lieu de rencontres, de confrontations, souvent quasi familiales et, quant au rôle qu'elle joue par l'importance qu'elle a, la France a toujours pensé qu'elle devait être soutenue et confortée au-sein de la communauté internationale.
- Votre organisation, enfin, témoigne, en dépit des difficultés qui surgissent inévitablement ici ou là, de la grande solidarité dont vous, Africains, savez faire preuve à l'heure des difficultés et, ce disant, je pense aux difficultés politiques et économiques qui affectent votre continent.
- Les termes de votre charte rédigée en 1963, je le crois, restent profondément d'actualité vingt ans après. Elle affirme, parmi ses principaux objectifs, l'unité et la solidarité des Etats africains en offrant de meilleures conditions pour que chaque peuple atteigne ou préserve sa souveraineté, pour que soient respectées, maintenues, proposées, l'intégrité et l'indépendance de chaque Etat.
- Lors des rencontres internationales, l'OUA joue un rôle souvent décisif face aux interventions extérieures et cela permet d'éviter que la rivalité des superpuissances ne vienne par trop aggraver les tensions d'un continent, menacer l'indépendance des Etats, compromettre votre désir de paix.
- Nous le savons, comment pourrait-il en aller autrement, l'Afrique n'échappe pas aux crises et aux rivalités. Cependant, ma confiance demeure en la capacité de vos gouvernants, de vos responsables, en la capacité de vos peuples, à faire prévaloir finalement les solutions les plus conformes aux aspirations, aux traditions, aux intentions, aux intérêts, des femmes et des hommes africains.\
Vous avez devant vous les problèmes du développement. Lors du sommet de Lagos, la communauté africaine tout entière s'est prononcée pour un développement autocentré - je le rappelle non pas pour vous qui le savez, mais pour ceux qui nous écouterons en dehors de cette salle - afin que soient respectées vos priorités propres : l'autosuffisance alimentaire, la satisfaction des besoins essentiels en-matière d'habitat, de formation, de santé, une industrialisation adaptée, l'indépendance énergétique. Nous connaissons bien vos orientations et je crois pouvoir dire, vous l'avez vous-même signalé à l'instant, monsieur le doyen, que la France a multiplié les efforts pour que cette conception du développement soit mieux comprise et soit soutenue par la communauté internationale. Vous avez, également, bien voulu évoquer les grandes conférences des tribunes illustres où j'ai pu porter la parole de la France, toujours autour de l'idée qu'il existe un intérêt fondamental commun entre le Nord et le Sud, entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. Je rappellerai pour mémoire que nous consacrons une aide qui place notre pays parmi les premiers dans ce domaine. Mais cela n'est pas dit pour nous flatter, cela est dit pour affirmer une conviction. Une conviction qui s'est traduite dans une politique, et c'est cette politique que j'ai -entreprise et que je compte mettre en oeuvre.\
J'ai - vous le savez - très récemment, devant les ministres des affaires étrangères et des finances des pays membres de l'OCDE, énuméré, approfondi quelques grandes propositions que je me permettrai de rappeler très brièvement devant vous pour que cela soit bien entendu toujours au-delà de ceux qui se trouvent ici.
- Notre premier objectif doit être le retour à une croissance soutenue grâce, sans doute, à une réduction importante des déficits budgétaires. Je me permets de vous rappeler que la France, pour l'instant, - avec la Grande-Bretagne - est le pays industriel au monde qui a le plus faible déficit budgétaire. Il faut une stimulation des économies les plus fortes, la poursuite de la lutte contre le chômage, cela nous semble possible d'abord par la formation des jeunes aux nouvelles technologies et par l'assouplissement de la durée du travail, dans nos sociétés telles que nous les vivons.
- Nous pensons également que l'on ne retrouvera pas le chemin de la croissance si l'on ne cherche pas patiemment à réaliser un autre objectif, celui de la construction ou de la reconstruction d'un système stable des relations économiques internationales dans trois domaines essentiels : la monnaie, le commerce, les matières premières. Un système monétaire stable, celui que j'appelle de mes voeux - j'en parlerai dans quelques jours loin d'ici - qui tourne autour de quelques idées simples et très répandues : notre refus du protectionnisme et aussi notre volonté de résister aux tendances protectionnistes qui se développent un peu partout afin que rien ne vienne freiner la croissance et l'essor des pays plus pauvres.\
Pour ce qui concerne les échanges de matières premières, comment ne répéterait-on pas ici la nécessité d'une stabilisation qui s'impose, qui a été recherchée dans toutes les instances par plusieurs des hommes qui siègent aujourd'hui au gouvernement de la République française et qui a conduit une large part de mes propres engagements politiques. Vous connaissez la situation : spéculation, abus de pouvoir, réduction de grandes richesses naturelles a un échange médiocre, chute brutale d'une année sur l'autre qui rend impossible des plans de codéveloppement et, finalement, comme par dérision, des pays plus riches qui viennent pour une part tenter de compenser la différence dont vous souffrez. Absurdité ! D'abord, créer les conditions de votre appauvrissement pour ensuite offrir quelques compensations ! Cela heurte la raison, le bon sens, cela heurte aussi le sentiment que nous avons tous de la dignité de l'homme et de chaque peuple. On le comprend bien à travers le monde. Encore faut-il que cette compréhension soit suivie d'effet, c'est-à-dire qu'elle puisse dominer les préoccupations nationales égoistes qui sont au demeurant des préoccupations à court terme car la réponse à la crise dont souffre le monde occidental, le monde où nous vivons, est née précisément dans la meilleure définition des relations économiques entre vos pays et les nôtres.
- Nous pensons que cette action doit être soutenue par des accords de produits, eux-mêmes dans un Fonds commun des produits de base, dont l'urgence se fait sentir chaque jour. De même les marchés à terme doivent être régularisés et une discipline plus stricte doit être adaptée afin de leur donner le rôle indicateur qui leur revient.\
Mais au-delà de cette relance de la croissance, de cet effort de stabilisation du système économique, il ne faut pas oublier le problème propre qui caractérise le développement des pays dits du Sud. C'est ce que j'ai dit, affirmé, dans les grandes circonstances, que vous avez vous-même souligné, monsieur le doyen. Je noterai nos conversations de Kinshasa lorsque je me trouvais là avec nombre de nos chefs d'Etat ou de gouvernement `Conférence franco-africaine`. Et je disais que rien ne sera possible pour le Nord si la relance n'est pas assurée au Sud.
- Aucune relance, aucun système monétaire, aucun système d'échange, si la situation économique et financière des pays du Sud n'est pas d'abord débloquée. Il faut chercher les moyens de financer les dettes, de promouvoir la croissance de l'ensemble de ces pays. Il faut que les engagements financiers à prendre au bénéfice du Sud en-matière d'aide et de crédit soient assurés d'une plus grande prévisibilité. Qu'on puisse juger à distance, même à distance raisonnable, à moyen terme - je ne prétends pas régler les problèmes pour un siècle -, ce serait déjà un immense progrès.
- Compte tenu de la situation actuelle du continent africain, il est évident que l'ensemble de ces mesures ne suffirait pas. Vous disposez dans la plupart de vos pays d'un produit national brut `PNB` par tête insuffisant qui stagne depuis dix ans et, selon une expression bien triste, vous risquez d'être demain le continent perdu pour le développement.
- La France, pour sa part de responsabilité, est et continuera d'être présente partout où ce combat doit être mené, assurée que ce combat sera courronné par une victoire commune. C'est une affaire d'intelligence, sans doute - l'intelligence ne manque pas, c'est un bien très largement très réparti -, de volonté - elle est plus rare -, et de volonté politique dans le beau et grand sens du terme. Avoir une vision du monde tel qu'il sera presqu'à coup sûr dès le début du siècle prochain avec les générations nombreuses qui se dressent et qui réclameront leur dû, auxquelles il faut fournir dès maintenant les moyens de la formation, du savoir, les moyens aussi de survivre. Leur exigence est légitime et il faut le savoir.\
Seulement, ce développement suppose que d'autres termes de ce raisonnement soient réunis, je veux dire que les conditions d'une plus grande justice, que les conditions de la paix soient également rassemblées. Nous nous voulons, nous aux côtés des peuples d'Afrique chaque fois qu'il s'agit de défendre la dignité de l'homme et, en-particulier, celle des peuples en lutte contre les séquelles des colonialismes, les racismes. Nous les avons souvent vécus, nous savons de quoi nous parlons et je crois pouvoir dire que la France se présente aujourd'hui aux yeux de chacun de vos dirigeants et de vos Etats, comme un pays qui a délibérément tourné son regard vers l'avenir, connaissant les leçons du passé, avec un sentiment de fraternité et de respect mutuel que je ressens avec le plus petit, le plus modeste des Etats africains, dès lors qu'il représente la souveraineté et la dignité d'un peuple.
- Nous cherchons à mettre en pratique les définitions de principe. Vous avez cité le cas de la Namibie, c'est un des derniers pays d'Afrique à ne pas avoir accédé à la souveraineté. Il n'y a pas de préalable politique à poser, il faut rejeter toutes les tentatives d'entraver la mise en oeuvre des résolutions des Nations unies - les puissances dites du Nord qui se laissent parfois aller à des considérations politiques immédiates, à des compromis, alors qu'un sujet comme celui que j'évoque, l'indépendance d'un peuple, ne souffre pas de compromis.
- Ce n'est pas le seul conflit : il en est d'autres. Dans chaque cas, nous entendons reconnaître la vertu souveraine des peuples qui ont le droit fondamental de disposer d'eux-mêmes. Ce droit, nous sommes ici pour le célébrer puisque cela fait bien vingt ans que vous êtes vraiment ensemble. Comment ne pas faire des voeux pour que les vingt années qui commencent maintenant voient se résoudre sans tarder les difficultés qui ont empêché l'Organisation de l'unité africaine `OUA` de connaître, dans les mois récents qui viennent de s'écouler, l'épanouissement qu'elle aurait dû connaître. Il faut surmonter ces problèmes et ce n'est pas facile - si c'était facile, vous l'auriez déjà fait - car il faut tenir compte des oppositions de principe, des intérêts divergents qui sont souvent également respectables. Et pourtant, ce qu'il y a de plus respectable, de plus nécessaire, c'est la paix et, le souci de faciliter aux autres leur chance de développement et de vie. Vous me direz : il y a une grande sagesse africaine £ on la retrouve sous toutes les formes de civilisation dans ce continent si divers £ sous toutes ses formes, car l'Afrique a aussi son Nord, son Sud, son Est, son Ouest et ce Centre massif qui fait de ce continent cette prodigieuse puissance contenue qui peut paraître parfois comme en sommeil alors qu'au premier réveil, on saura ce que signifie la puissance de l'Afrique.\
Mais vous êtes, aujourd'hui, porteurs de l'histoire troublée qui a été, elle-même, esquissée par des pays qui n'étaient pas d'Afrique. Vous avez à gérer un passé séculaire, millénaire, qui est le vôtre, et vous avez aussi à porter un peu plu loin toute une série de legs qui sont venus avec le développement des moyens de puissance surtout depuis la fin du XIXème siècle. Ils sont venus à la fois retirer et apporter des éléments dont vos peuples ont généralement le génie d'assurer la synthèse : rester très proche de vos origines, dont vous êtes fiers - et vous avez raison - et aspirer à pénétrer sans plus tarder une certaine forme de culture. C'est ce que vous faites, ici, messieurs les ambassadeurs, et bien d'autres peuvent aspirer à connaître toutes les grandes routes qui conduisent au progrès, à la prospérité, à la connaissance de ce monde à la fois si vaste et si petit. L'Organisation africaine `OUA` est à cet égard un relais qui me paraît indispensable. Je pense à l'Europe en évoquant l'unité de l'Afrique, à ce que l'Europe a pu perdre dans ses guerres aujourd'hui appelées guerres civiles depuis le XIXème siècle, et j'imagine que l'Afrique conquerra ce qu'elle doit aujourd'hui conquérir pour parfaire ses moyens d'existence et de développement si vous êtes ensemble, mesdames et messieurs, au-delà de vos différences, parfois de vos oppositions, dont je n'ignore rien, si vous êtes ensemble sur la surface de la terre et dans les assemblées internationales, alors, vous représentez beaucoup, vous représentez une force qui ira grandissant.
- Et si la France se réjouit d'être votre amie dans beaucoup de cas, si nous avons la chance de parler la même langue et, si lorsque cela n'est pas le cas, nous avons sû trouver le langage de l'esprit et du coeur qui permet d'aller loin dans les connaissances mutuelles, je considère que c'est pour la France une chance historique et j'entends bien que l'on ne manque pas ce rendez-vous là avec l'Afrique dont vous êtes, en France, les éminents représentants.
- A mon tour, je vais lever mon verre, exprimer des voeux pour la grande Organisation que vous avez en charge et qu'il faut perpétuer. Il n'est pas d'autre destin souhaitable que celui-ci. Des voeux que chacun d'entre vous apportera à ses dirigeants que j'ai l'honneur, dans un très grand nombre de cas, de connaître. Des voeux pour quelques-uns avec lesquels j'entretiens des relations d'amitié et qui ne nous rajeunissent ni eux, ni moi, mais qui font aussi la richesse de notre vie. Des voeux pour les peuples africains, la femme, l'homme d'Afrique qui a tant à donner au reste du monde en restant d'abord soi-même.
- Je lève mon verre, mesdames et messieurs, à vos santés personnelles, à vos familles, aux êtres qui vous sont chers. Représentants de vos pays, rien ne peut vous être plus cher que la santé de l'Afrique qui nous honore aujourd'hui, nous, représentants de la France.\