17 mai 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet franco-allemand, notamment sur l'équilibre des forces en Europe et la politique économique du gouvernement, Paris, Palais de l'Élysée, mardi 17 mai 1983.

Mesdames et messieurs,
- Nous venons de tenir la dernière réunion de ce sommet franco - allemand qui a été occupé par des conversations directes pendant un peu plus de trois heures entre le Chancelier et moi-même, des conversations entre les ministres compétents selon les domaines dans lesquels ils exercent, et d'une séance plénière qui vient de s'achever. Ont été examinés les dossiers bilatéraux, cela va de soi : industrie, commerce, télécommunications, transports, défense, éducation nationale, que sais-je encore... éducation nationale pour la France bien entendu et relations culturelles entre l'Allemagne et la France. Tout cela dans-le-cadre de débats à caractères économiques et commerciaux qui éclairaient chacun des sujets particuliers.
- Nous avons aussi examiné, comme cela se conçoit aisément, l'ensemble des relations internationales et plus particulièrement celles qui nous sollicitent, je veux dire la rencontre de Williamsburg et les problèmes qui s'y posent : relations est - ouest, relations ouest - ouest, relations nord - sud. Des propositions ont été faites par les uns ou les autres - on se souviendra peut-être de celles que j'ai exprimées il y a quelques jours devant les représentants de l'OCDE compte tenu de la situation telle que nous la vivons actuellement avec des débuts timides de reprise ici ou là, des taux d'intérêt trop élevés et une réanimation nécessaire des échanges entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement.
- L'un des supports de notre action, à l'Allemagne et à la France, et de nos démarches communes continue d'être et devrait être de plus en plus la Communauté européenne `CEE`. Il nous a semblé que si l'on percevait davantage l'importance des potentialités de la Communauté, un certain nombre de données économiques, vues de l'autre côté de l'Atlantique, seraient également mieux comprises. Cela pose aussitôt un problème : de quelle façon donner à la Communauté une cohérence qui lui manque souvent d'une façon dommageable à nos intérêts communs ?
- Je peux dire que les conversations franco - allemandes, pour beaucoup grâce à l'autorité du chancelier allemand et à son désir de bon accord, de bonne entente, ont permis d'avancer. Cela vous sera communiqué, mais déjà dans cette conférence de presse, vous pouvez poser les questions de votre choix qui vous permettront d'éclairer ces propos. Je tiens donc à remercier comme il se doit la délégation allemande du temps consacré à nos intérêts communs dans le monde et entre nous et je cède la parole à M. le chancelier de la République fédérale d'Allemagne. Nous n'avons pas beaucoup de temps, assez cependant pour répondre aux questions essentielles que vous souhaitez nous poser.\
QUESTION (M. Bortoli, A2).- Le chancelier fédéral a parlé tout à l'heure de la double décision de l'OTAN. Alors pouvez-vous nous confirmer qu'aujourd'hui, alors que s'ouvrent de nouveau à Genève les négociations sur les forces intermédiaires, les forces à moyenne portée, il y a bien une position commune, française et allemande, sur la question de l'équilibre des forces nucléaires en Europe ?
- LE PRESIDENT.- La situation de l'Allemagne fédérale et celle de la France, vous le savez fort bien, sont tout à fait différentes, puisque l'un de ces pays, la République fédérale, verra son sol offert au déploiement et que tel n'est pas le cas de la France. D'autre part, l'Allemagne fédérale appartient au commandement intégré de l'OTAN, ce qui n'est pas le cas de la France. La France entend bien persévérer dans ce comportement.
- Il n'empêche que la sécurité dans le monde, l'équilibre des forces, l'-état des armements, particulièrement sur notre continent, intéresse la France au plus haut point. La France désire qu'indépendamment de l'équilibre mondial, souhaitable pour que nul ne soit en situation d'agresser l'autre, un équilibre raisonnable des forces prévale également en Europe. J'ai rappelé en diverses circonstances, solennelles, et particulièrement devant le Parlement allemand `le 20 janvier 1983 `, la position française qui met l'accent sur la négociation, qu'il n'y ait pas de confusion là-dessus, qui souhaite que la négociation aboutisse : aboutir veut dire que la négociation permette de situer le point, qui peut être zéro, qui peut être différent, le point où se situera l'éventuel déploiement de fusée Pershing en Europe.
- D'autre part, la France, vous le savez, n'entend pas du tout prendre part à la discussion qui s'est ouverte d'un côté, non pas de l'autre pour l'instant, sur la prise en compte des forces françaises. La situation de notre pays se trouve donc originale. Et là aussi nous comptons persévérer. C'est-à-dire que je ne doute pas de la volonté des négociateurs américains, pas plus je ne doute de le position allemande de refuser cette prise en compte.
- Mais en eût-il été autrement, et il n'en est pas autrement, de toute façon la position française eût été tranquillement déterminée : la France n'entre pas dans ce calcul. Elle dispose de l'autonomie de ses forces et elle entend en user selon une formule consacrée qui dit bien ce qu'elle veut dire : pour la défense de son territoire, pour les intérêts majeurs, vitaux, expression exacte, telle que la France les conçoit ou telle qu'elle les définit, et elle ne sortira pas de ce raisonnement.\
'Suite réponse sur l'équilibre des forces nucléaires'
- Mais quant à l'équilibre, il est certain qu'il n'y a pas de raison pour la France qu'il y ait d'une part un formidable armement conventionnel et un puissant armement nucléaire tactique - force intermédiaire - et que d'autre part il y ait ce décompte souhaité par l'Union soviétique qui aboutirait, en fait, à ce qu'on appelle le découplage, c'est-à-dire à la séparation des stratégies entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Europe occidentale. Nous, à la différence de quelques autres, nous n'avons pas du tout, dans ces discussions, posé de préalable, ni sur le point zéro, ni sur le gel. Nous pensons que c'est la négociation qui dira d'ici la fin de l'année le point où l'on en est. Mais cela dit, la négociation, si elle ne peut aboutir, ce qui serait tout à fait dangereux pour tous, par le mauvais vouloir évident de l'une ou l'autre partie, conduira inévitablement à un début d'installation. Bref, la France n'a pas de raison de modifier son attitude quant à l'idée qu'elle se fait de l'équilibre des forces qui paraît être la meilleure garantie de la paix.\
QUESTION (A. Basbous, La Voix du Liban).- Ma question est adressée au Président Mitterrand - Monsieur le Président, est-ce que vous avez abordé avec le chancelier Kohl l'accord libano - israélien qui vient d'être signé et le blocus syrien qui vient d'être instauré au Liban ?
- LE PRESIDENT.- Cela a fait l'objet d'échanges de vues approfondies entre M. le ministre des affaires étrangères de la République fédérale allemande et M. le ministre français des relations extérieures `Claude Cheysson`. Ils en ont rendu compte tout à l'heure lors de la réunion plénière. La France, vous le savez, a toujours apporté son soutien au gouvernement légitime du Liban. Elle n'entend pas se substituer à lui dans les décisions qui l'engagent. Elle a le droit, en effet, de s'inquiéter pour l'équilibre si souvent rompu de cette région du monde et pour les difficultés de mise en application de l'accord qui vient d'être signé. Mais enfin, je le répète, il appartient au Préisent Gemayel de conduire son action. La France est présente, de diverses manières, et notamment par de nombreux soldats, qui, à un double titre, la FINUL d'un côté et d'autre part la présence du contingent mis en place à Beyrouth, marque la détermination de mon pays à jouer un rôle historique que le temps lui a confié et qui reste plus vivant que jamais. J'aurai l'occasion de parler de ce sujet avec le Premier ministre, M. Wazzam, du Liban qui viendra d'ici peu me rendre visite. Nous avons encouragé les efforts de ceux qui tendaient à faire évacuer le territoire libanais par toutes les troupes étrangères, et tel est l'objectif qui reste essentiellement souhaitable, sans quoi on imagine aisément la fragilité de toute détente provisoire au Liban, pour peu qu'il y en ait.\
QUESTION.- Dans la perspective du sommet de Williamsburg, `sommet des pays industrialisés`, est-ce que vous avez réussi à élaborer avec le chancelier fédéral une position commune en ce qui concerne le commerce est - ouest ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que c'est un des sujets sur lequel l'Allemagne et la France se retrouvent le plus aisément. Nous n'entendons pas que la conférence de Williamsburg se transforme essentiellement en conférence sur le commerce entre divers pays d'Europe occidentale et l'Union soviétique. Si au demeurant il en était question, on pourrait s'intéresser aussi au commerce entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique, rendu possible par un protectionnisme caractérisé - je veux dire le prix du blé - mais c'est un sujet qui a perdu de son actualité, semble-t-il. De même que l'on ne parle plus guère des taux de crédit, ni du gazoduc. Sans doute les Etats-Unis d'Amérique ont-ils le souci également de tenir compte des observations de leurs alliés occidentaux. Les relations Est - Ouest ne sont tout de même pas absentes ! Ce serait surprenant et d'ailleurs regrettable s'agissant d'un sommet comme celui de Williamsburg, à la condition qu'il n'y ait pas de fixation sur un certain nombre de points secondaires et que l'on aille directement aux points importants. Les points importants, c'est une information mutuelle sur la négociation de Genève et sur les objectifs définis par les différents pays participants m{lés à cette affaire. J'ai déjà dit tout à l'heure que leur situation n'était pas identique. On pouvait penser il y a quelques mois que ces relations commerciales prendraient le pas sur beaucoup d'autres sujets plus importants. Je pense aux relations Ouest - Ouest, économiques, commerciales, monétaires, et les relations Nord - Sud, condition sine qua non, à mes yeux, d'une véritable reprise des échanges dans le monde. Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet.\
QUESTION.- Des déclarations contradictoires ont été faites hier par deux de vos ministres, l'un à Bruxelles, l'autre à Paris, sur le maintien de la France dans le SME et le protectionnisme. Ces déclarations contradictoires laissent penser qu'une lutte assez vive entre deux politiques économiques se poursuit au-sein du gouvernement français et laissent penser aussi que la politique actuellement suivie pourrait être remise en question. Qu'en est-il exactement ?
- LE PRESIDENT.- Je n'avais pas remarqué cette contradiction. Je vous remercie de me la signaler. Il faudra que je m'informe tout à l'heure. Il y a une politique de la France, il n'y en a pas deux. Cette politique, c'est celle du redressement national qui consiste à remettre d'aplomb, en-particulier, une industrie française mise à mal depuis dix ans, mal structurée dans bien des cas et, en dépit de remarquables réussites particulières, qui se trouvait en situation de déclin lorsque nous avons eu à la gérer, à-partir de 1981. En même temps qu'il nous fallait - cela a été accompli - restituer ses chances à notre agriculture qui a obtenu en 1982 ses meilleurs résultats depuis dix ans. Ce redressement national supposait que les différentes couches de la population, que les différents groupes socio-professionnels, traditionnellement écrasés ou dominés par d'autres, puissent trouver toutes les raisons de cet élan patriotique nécessaire pour le redressement de la France. La justice sociale est la pierre angulaire de tout redressement national.\
`Suite réponse sur la politique économique du gouvernement`
- Et puis, nous nous sommes engagés, vous le savez, dans une action que l'on dit être de rigueur, qui est en effet rigoureuse, depuis le mois de juin 1982, qui a connu différentes phases du même ordre, de même -nature. Est-il plus dur, plus rigoureux, de réaliser le blocage des prix et des revenus, ou de réaliser une ponction importante comme cela vient d'être fait, sur la consommation ? Je laisse à chacun le soin d'apprécier, mais c'est la même politique. Et cette politique suppose non seulement la volonté de la France, mais sa persévérance, sa ténacité dans la politique engagée, mais aussi les meilleurs accords possibles avec ses partenaires naturels qui sont ses partenaires de l'Europe. Ce n'est pas moi qui ai dit que, lorsque l'on est plusieurs ensemble à se battre dans le même sens, on est plus forts qu'isolés. Nous avons en effet à réparer les dommages de ces dix années dans deux domaines particulièrement sensibles, aujourd'hui. Le chômage, cela va de soi. Mais c'est une bataille dont nous avons déjà décrit les conditions. Je n'y reviendai pas car cela reste une priorité absolue.
- Mais, présentement, l'inflation, partie de 14 %, parvenue à 9,5 %, allant vers 8 %, ce qui est un effort considérable par-rapport à ce qui avait été accompli précédemment car nous sommes parvenus au deuxième taux différentiel le moins important - mais trop important cependant - depuis 1973, c'est-à-dire environ 5,5 % entre les prix allemands et les prix français. Il n'y a qu'une seule année qui a été légèrement meilleure que 1973, c'est 1975, avec 5,2 %. Mais nous en étions arrivés précédemment à 8,9 points de différence. Nous avons également réduit la différence.\
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-Suite réponse sur la politique économique du gouvernement` Et, l'autre point, c'est le commerce extérieur qui connaissait déjà un déficit de 61 milliards lorsque nous avons reçu cet héritage, par la volonté du peuple français. Nous avons besoin de faire des efforts considérables, non seulement pour éviter qu'ils ne s'accroissent par le simple effet mécanique, en-particulier du prix du dollar - vous imaginez le poids qu'il faut supporter ! - mais aussi pour amener à des chiffres supportables ce déficit afin que notre endettement se réduise, que les frais financiers ne se substituent pas aux frais normaux d'investissements productifs qui sont l'objectif de toute politique saine. Voilà les deux points les plus sensibles et pour cela, la meilleure méthode, monsieur, c'est d'être fidèle à la ligne engagée. Bien entendu, il peut toujours se poser des problèmes de méthode. Mais notre choix a été exprimé par M. le Premier ministre `Pierre Mauroy` et par M. le ministre de l'économie et des finances `Jacques Delors`. Au-cours de ces derniers mois, je les ai à diverses reprises, couverts et assurés de mon soutien entier. Je souhaite que tous les Français nous aident pour que cette politique réussisse. Nous nous sommes appliqués à en réunir tous les éléments et nous n'avons pas l'intention d'en retirer un seul. J'espère que tout cela sera compris de la façon la plus claire. Il n'y a pas et il ne peut pas y avoir deux politiques à la fois. La réussite de celle que nous avons engagée tient précisément à sa clarté, à sa simplicité et à sa durée.\
Je me contenterai de dire, au moment de clore cette conférence de presse, que pour ce qui concerne la France, il y a une règle fondamentale, c'est que lorsqu'il existe une communauté, une alliance - et après tout, il existe aussi une communauté des peuples, même lorsqu'elle ne donne pas lieu à des institutions - l'effort de l'un doit être accompagné par l'effort de l'autre. Alors, nous avançons dans la coopération franco - allemande.
- Nous constatons que l'on a pu aboutir cette nuit à un accord sur-le-plan agricole, que l'on a commencé à s'engager dans la direction, nécessaire, du démantèlement des montants compensatoires, de multiples accords industriels sont à l'heure actuelle en voie d'être signés. Les déséquilibres commerciaux, on va tenter de les réduire par des normes entre nous mais aussi des normes européennes, par davantage d'échanges industriels et agricoles. C'est un effort accompagné par un autre effort.
- Nous voudrions bien qu'il en fût de même dans les relations Ouest - Ouest. Il n'est pas normal que le déficit budgétaire américain soit payés par nous, en particulier, et par d'autres. Il n'est pas normal que ce déficit budgétaire considérable, je crois de 6 % du produit national brut - en France, il est de 3 % et même un peu moins - entretienne des taux d'intérêts élevés, ce qui marque bien qu'il n'y a qu'une confiance réduite dans la réduction décisive ou définitive de l'inflation aux Etats-Unis d'Amérique. A cause de ce déficit budgétaire, il n'est pas normal que ces taux d'intérêts élevés fassent une aspiration telle que le dollar atteigne des prix semblables à ceux qu'il obtient actuellement et qui sont une cause du déséquilibre mondial. Il faut que l'effort de l'un soit soutenu par l'effort de l'autre et cela vaut dans tous les sens et dans toutes les matières. Voilà pourquoi il est temps, à-partir d'un bon accord entre l'Allemagne et la France, d'une réanimation de la Communauté européenne, de poser clairement les problèmes qui doivent l'être et notamment au sommet des pays industrialisés `Williamsburg`. Vous savez de quelle façon je m'y suis engagé. Je peux dire que l'Allemagne et la France ont beaucoup de choses à dire en-commun dans des matières aussi sensibles, desquelles dépendent le retour à la prospérité.\