9 mai 1983 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, en l'honneur des ministres des affaires étrangères et des finances des pays membres de l'OCDE, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 9 mai 1983.

Madame la présidente,
- Mesdames et messieurs les ministres,
- Monsieur le secrétaire général,
- Laissez-moi vous dire le plaisir que j'ai de vous recevoir ici. Je ressens votre présence comme un honneur pour mon pays, vous êtes réunis ici à Paris pour examiner et pour travailler dans-le-cadre d'une institution internationale qui nous est proche et qui nous est chère.
- Je voudrais au-delà de ces paroles d'accueil, saisir cette occasion qui m'est donnée pour indiquer selon la France, mais rejoignant sans doute la pensée de la plupart d'entre vous, les voies à suivre pour que nos travaux puissent déboucher sur un mieux être dans nos relations internationales et sur la nécessaire approche du temps qui vient, afin que la crise dont nous souffrons soit dominée.
- J'espère que les conditions de travail et de réflexion qui vous sont offertes à Paris correspondent à vos besoins, mais c'est déjà une longue habitude dans cette ville que de recevoir et d'échanger. Vous avez appris vous-mêmes entre vous à vous connaître à travers les décennies précédentes. Notre organisation a pris rang, forme, a commencé de dessiner des perspectives d'avenir et, on peut le dire d'une façon générale, a réussi dans sa mission.
- Je suis très heureux de vous rencontrer et je souhaite m'entretenir avec vous sur des thèmes que j'aurai l'occasion, je ne serai pas le seul, d'appréhender bientôt lorsque je me trouverai au sommet de Williamsburg `Sommet des pays industrialisés` à la fin de ce mois.\
Depuis 36 ans, votre organisation n'a cessé de participer à l'approfondissement des échanges entre grands pays industrialisés et de jouer un rôle important dans le dialogue et la coopération entre le Nord et le Sud. D'abord plaque tournante de la reconstruction de l'Europe dévastée, elle a ensuite, le temps de la prospérité revenu, élargi sa composition et le champ de ses intérêts.
- Bref, l'OCDE permet à chacun de nos pays d'exprimer librement son point de vue et, quand s'affirment des désaccords ou des difficultés, de rechercher ensemble des voies nouvelles. Les débats qui se déroulent en son sein sont la conséquence directe de l'interdépendance dans laquelle nous vivons. Chacun perçoit mieux l'impact de ses propres choix sur l'intérêt commun.
- Le travail accompli par l'OCDE, fait honneur à tous. Et je suis heureux d'avoir l'occasion de lui rendre cet hommage. Mais, vous le savez, et aujourd'hui comme après la dernière guerre mondiale, le monde est à reconstruire et nous avons besoin pour cela de retrouver l'esprit qui animait les fondateurs de l'organisation. Il ne suffit pas de gérer le quotidien. Sans perspectives claires, sans règles du jeu, nous ne sortirons pas de la crise.
- Rappelez-vous, au début des années soixante-dix, l'affaiblissement des disciplines monétaires, la création incontrôlée de liquidités internationales a entraîné une première vague d'inflation. Puis la généralisation des changes flottants a accru l'instabilité des parités et multiplié les tensions inflationnistes, et le second choc pétrolier a entraîné une sévère récession aggravée par les mouvements erratiques de certaines monnaies sur les marchés internationaux.
- Pour y remédier, de nombreux pays se sont engagés, sans se concerter, dans des politiques dont le cumul désordonné a entraîné l'économie mondiale dans le cercle vicieux de la récession. Le chômage a augmenté de façon dramatique de 25 millions dans nos seuls pays. Le protectionnisme multiple et dissimulé a ralenti la progression du commerce mondial, ce qui a freiné, à son tour, la croissance.
- Dans les principales économies, le déséquilibre des finances publiques a maintenu les taux d'intérêt réels à un niveau beaucoup trop élevé, sans précédent depuis trente ans, diminuant de la sorte la capacité d'investir, et dressant de nouvelles barrières au moment où la technologie permettait d'avancer. Tandis que s'éloignent ainsi les chances de l'avenir, le poids du passé grandit : la charge de la dette s'accroît, écrase un plus grand nombre de pays et d'individus, ralentit le mouvement des échanges.\
Bref, mesdames et messieurs si l'on n'y prend garde, le monde entier sera à la merci d'une panique ou d'une mise en défaut. Que faire alors ? C'est bien l'objet de vos travaux et de ma réflexion. L'expérience nous apprend que ni les forces du marché, ni le jeu des institutions n'ont jusqu'à présent réussi à dominer la crise. Certes, depuis le mois d'août 1982, la coopération entre les institutions financières internationales, les autorités monétaires et le secteur bancaire a évité le pire. L'élargissement des quotas du FMI et le renforcement des accords généraux d'emprunts ont accru les ressources disponibles afin de soutenir les pays les plus pauvres. Mais éviter le pire n'est pas une ambition.
- Si les grands pays comprennent leur devoir, nous sortirons bientôt et ensemble de la crise, mais à cette condition. Mais cela ne se fera pas par miracle, ni en une seule conférence, ni en une seule année, ni dans-le-cadre d'une seule organisation. Cela résultera d'une action internationale durable autour du plan mondial que j'appelle de mes voeux. Tâche immense, à l'échelle d'une génération. Et il nous appartient à nous qui sommes réunis ici même, d'y préparer les esprits et de lancer le mouvement. A cette fin, j'émettrai trois propositions.
- Vous savez mieux que personne que les relations d'échange ont besoin d'un moteur à deux temps : l'affirmation des différences et la coopération. Sans différence, pas d'échange utile. Sans coopération, pas de croissance durable. Cette observation commande les trois orientations qui inspirent ma démarche ce soir : la croissance, la stabilisation, le développement. Pour y parvenir, mesdames et messieurs, il conviendra d'agir avec ambition et discipline. Sans effort, que vaut une ambition. Sans projet d'avenir à quoi sert une discipline. Eh bien, je crois qu'il faut retrouver ensemble le chemin de la croissance. Rien de grand ne se fera sans esprit d'-entreprise, sans foi en l'avenir. Mais pour commencer, le premier pas de la remise en marche ne sera possible que par la croissance concertée, qui créera les conditions d'une reprise saine et continue, je veux dire sans inflation. Sachant ce que je sais des problèmes qui restent à résoudre dans un pays comme le mien, je le dis avec d'autant plus de force et de conviction.\
La reprise qui s'annonce, ici et là, s'essouflera très vite, beaucoup plus vite qu'on ne le croit, si rien ne la soutient. Ce qui nous ramène à trois données de base :
- - 1) personne ne conteste la nécessité d'une réduction massive des déficits budgétaires excessifs qui incitent à des taux d'intérêts réels exagérés et qui réduisent de ce fait les capitaux disponibles pour l'investissement. Plus les pays sont importants, plus ces déficits sont dangereux pour eux et pour les autres.
- - 2) Dans le même temps, il appartient à ceux qui disposent de marges de stimuler leur propre croissance. De beaux résultats dans le domaine de la lutte contre l'inflation doivent conduire à relancer l'activité économique.
- - 3) Enfin, la meilleure façon de lutter contre le chômage, vous le savez, est de former les jeunes aux nouvelles technologies et d'assouplir la durée du travail.\
Pour atteindre une croissance durable, les meilleures recettes économiques ne sauraient cependant suffire £ il faut d'abord et avant tout retrouver, j'y insiste, la confiance en soi, dans l'avenir de notre civilisation, dans nos valeurs communes et donc dans notre aptitude à créer et à travailler ensemble. C'est pourquoi, rien ne me paraît plus important que cet échange permanent entre nous comme ce soir, comme la journée d'aujourd'hui, ou la journée de demain. Tel est l'objet en tout cas de mon propos, ce soir, et de celui que je tiendrai dans quelques semaines aux Etats-Unis d'Amérique où je me trouverai avec les représentants de quelques autres pays. Et là j'aurai l'occasion de revenir sur les thèmes que j'évoque avec vous ce soir.
- Il faut aussi, mesdames et messieurs, stabiliser les échanges. Le retour à une croissance soutenue restera irréalisable sans la reconstruction patiente d'un système stable de relations économiques internationales, dans trois domaines essentiels : la monnaie, le commerce et les matières premières. Mais je conclurai, d'une façon illogique puisque c'est pour commencer en rappelant la nécessité d'un nouveau Bretton Woods, même si l'évocation de ce nom ne doit pas nous conduire à l'invitation pure et simple.\
On l'a bien vu au lendemain de la seconde guerre mondiale, tout commence par la monnaie. Retrouver les conditions d'un système monétaire stable, avec des monnaies qui soient suffisamment fixes, de valeur économiquement raisonnable, est donc une tâche urgente. Et ce n'est pas hors de notre portée, à condition de le vouloir, mais je pense que les étapes qui conduiront très progressivement à l'établissement d'un tel système monétaire international peuvent être parfaitement définies.
- Je rappellerai que nous avons, en premier lieu, à poursuivre l'effort entamé l'an dernier à Versailles `Sommet des pays industrialisés` et à mettre en oeuvre rapidement des dispositions que nous y avons prises. Une concertation effective entre les politiques économiques des pays industrialisés devrait être recherchée et renforcée : vous êtes, mesdames et messieurs les ministres, orfèvres en la matière. De tels échanges porteraient également sur les objectifs recherchés par la politique monétaire et sur les tendances de fond affectant les taux de change.
- J'indiquerai ensuite qu'il faudra s'attacher à retrouver des parités réalistes et à limiter les fluctuations erratiques à court terme autour des taux de référence. On étudiera, en outre, les moyens d'agir en-commun pour mieux ajuster les taux à moyen terme, lorsque s'écartent durablement les paramètres économiques fondamentaux des principaux pays, à savoir les prix, les taux d'intérêt et la balance des paiements.
- Je sais que cet effort paraîtra à certains impossible dans notre monde instable. Et pourtant, ainsi que le montrent les conclusions du groupe de travail sur les interventions dont la France avait prôné la création l'an dernier à Versailles, la concertation monétaire se révèle vite utile quand s'affirme le désordre sur les marchés, quand s'accélère la volatilité à court terme des taux de change. Ne sommes-nous pas dans une telle situation aujourd'hui même ? Les sept `pays industrialisés`, pour ne parler que d'eux - ils ne sont qu'un élément dans l'ensemble - n'ont-ils pas affirmé au surplus leur volonté de mettre en oeuvre des interventions coordonnées dans les cas où leur utilité serait reconnue ? Sinon, à quoi bon multiplier les réunions internationales ?\
Dans un contexte de taux de change stabilisés les échanges commerciaux connaîtront un essor nouveau, j'en suis sûr, dont chacun tirera avantage £ les taux de croissance s'élèveront raisonnablement et la coordination de nos politiques économiques sera facilitée.
- Alors, on ira plus loin et les trois principales zones monétaires, le dollar, le yen et les monnaies européennes pourront s'engager dans la voie du renforcement de leurs liens, et servir de pôles à la stabilisation des taux de change des principales monnaies du monde. Le Fonds monétaire international `FMI` verra son rôle renforcé, pour promouvoir l'usage des DTS `droits de tirage spéciaux` dans les réserves officielles, dans les opérations et les comptes des institutions internationales, et les transactions privées. Doté de moyens, il pourra intervenir en-cas-de difficulté grave et subite d'un pays donné.
- Oui, je le crois vraiment et je le répète volontairement, le moment est venu de penser à un nouveau Bretton Woods `accord monétaire`. Je ne veux pas exagérer mon propos et reprendre l'expression fameuse £ hors d'une telle proposition il n'y aura pas de salut. A cette époque, en partant de rien je veux dire au lendemain de la dernière guerre mondiale, on avait mis en-place un système cohérent. Si tout est aujourd'hui plus complexe, il ne faut pas pour autant renoncer à avancer, par étapes, vers un système adapté aux conditions économiques de cette fin de siècle. En vue, mesdames et messieurs, de faciliter ces réformes, je souhaite que soit organisée après une soigneuse préparation la réunion d'une conférence monétaire internationale au plus haut niveau, dans-le-cadre du Fonds monétaire international.\
Et je crois qu'il faut organiser le commerce des biens ainsi que la coopération technologique. Après avoir parlé de la monnaie, eh bien oui, je parlerai des biens eux-mêmes. Le protectionnisme, dont chacun se méfie lorsqu'il s'agit des autres, constitue sans doute et par définition un obstacle à la croissance des échanges et à l'essor des pays pauvres. Encore en faut-il situer l'importance.
- A l'heure actuelle, le protectionnisme ne représente que 10 % du manque à gagner des pays en voie de développement, tandis que 90 % sont dus à l'absence de croissance dans les pays riches, à l'insuffisance de l'aide publique, à l'instabilité du cours des matières premières et surtout à la hausse des taux d'intérêt, dont le supplément de charge soit 45 milliards de dollars - dont 29 milliards sont dus directement à la hausse des taux, le reste étant dû à l'augmentation de l'encours - représente près du double de l'aide versée à ces pays, soit 26 milliards.
- Si j'insiste auprès de vous ce soir, ce n'est pas au risque de vous attarder, c'est pour vous dire ces choses au nom de mon pays qui ne détient pas la vérité mais qui entend contribuer à la réflexion commune. Quelle circonstance plus solennelle avais-je pour le dire à l'ensemble des pays du monde ?
- Il est temps de rémédier aux principales causes du mal et de démontrer que nul n'aura rien à gagner à ce protectionnisme, y compris le plus masqué, celui des normes techniques ou sanitaires. Cela se fera notamment en assurant une couverture équitable des marchés, condition de la croissance économique, pour le Nord comme pour le Sud. Au demeurant, le GATT joue déjà son rôle pour stimuler les flux des échanges et contribuer à résoudre les difficultés résultant des différences de structures ou de rythmes d'évolution des économies. C'est bien £ ce n'est pas suffisant.\
Mais, seulement, vous le savez, on n'échange plus seulement des objets, on échange aussi des savoirs, c'est-à-dire des technologies. De plus en plus souvent, la coopération industrielle entre les nations différentes remplace le simple commerce des produits de chaque nation. L'intensification des échanges et de la coopération internationale en-matière de recherche avancée et de technologies progressera entre les entreprises privées et entre les institutions publiques.
- Le renouvellement de la coopération technologique commande en effet une autre division internationale du travail. Nous avons tous intérêt à éviter une compétition excessive, que ce soit entre les secteurs en déclin ou entre les industries nouvelles. Nous devons nous attacher à dégager progressivement quelques règles de conduite en-matière de stratégies et de politiques industrielles.\
Et puisque j'ai parlé tout à l'heure du Nord et du Sud et de leurs relations compliquées, incertaines, variables, comment ne pas parler de la nécessaire stabilisation à moyen terme des échanges de matières premières. Or, plus nous y pensions, plus nous comprenons que l'on peut, engager des actions rapidement, je vous en donne quelques exemples :
- - N'est-il pas possible de conclure partout où c'est possible des accords de produits ? Ces accords tendront à stabiliser les cours dans une fourchette réaliste, car on ne peut lutter indéfiniment contre les tendances lourdes du marché, cela nous le savons. Et comme les moyens financiers sont indispensables, j'insisterai sur la nécessité de donner vie sans autre délai au Fonds commun des produits de base dont on parle beaucoup et qu'on ne voit jamais.
- - Régulariser les marchés à terme. Cela me paraît aussi une priorité car ces marchés informent les opérateurs en déterminant un prix unique. Ils protègent les producteurs contre les spéculations. Lorsqu'ils n'existent pas, comme pour le riz, le désordre règne : infinité de prix, spéculations dans l'ombre, manipulations permanentes. Mais lorsqu'ils ne sont pas régularisés, au lieu d'informer, ces marchés trompent. Au lieu de protéger, ils accablent et poussent à la spéculation. Bref, une discipline plus stricte dans le jeu de la concurrence rendra à ces marchés le rôle qui leur revient.
- - Pour que le Sud puisse être partie prenante dans cette réorganisation des marchés, une action de formation, de formation des hommes, s'impose avec ceux qui déjà sont nos partenaires et le seront plus encore dans un monde plus ouvert. En relation avec les dispositions des accords de Lomé, dont nous mesurons chaque jour l'importance, il conviendra de mettre en oeuvre un programme de formation des ressortissants du tiers monde à nos techniques de commercialisation. C'est ce que nous essayons de faire pour notre part, je sais que d'autres pays, ici représentés, ont de remarquables réussites.
- - Enfin, le financement des investissements en-matière d'énergies non-renouvelables dans les pays en développement doit continuer d'être encouragé, en-particulier dans-le-cadre de la Banque mondiale ou bien sous la forme d'une institution spéciale à créer, mais la Banque mondiale a déjà émis des projets qui peuvent servir grandement à la réponse à cette question.\
Voyez-vous, j'insisterai sur ce point qui occupe nos pensées : rien n'est possible pour le Nord si la relance n'est pas assurée pour le Sud. Comment imaginer que nous pourrons sauver une moitié de la planète sans l'autre ? Comment vouloir dans le même temps libérer les échanges et cloisonner les solidarités ?
- Nous savons tous que seule la reprise, la renaissance économique, règlera nos propres problèmes, par l'ouverture de nouveaux marchés et l'exploitation de nouvelles ressources. Et cependant, par un inacceptable paradoxe, nous prétendons ignorer les marchés les plus évidents, les plus avides de croissance, ceux du tiers monde.
- Politiquement, j'en ai la conviction, il en va de la survie de nos démocraties et de notre capacité à faire vivre un monde libre autour de nous. Aucune relance, aucun système monétaire, aucun système d'échange ne sera stabilisé si la situation économique et financière des pays du Sud n'est pas débloquée. Si ces pays n'ont pas des moyens durables sérieux de financer leurs dettes et de promouvoir leur croissance, leur équilibre politique sera de jour en jour plus menacé. C'est déjà très souvent le cas. Il nous appartient de contribuer à leur développement.
- Et pour cela, aménager les financements à-partir de leurs besoins. La hause des taux d'intérêt et la récession mondiale alourdissent l'endettement des pays pauvres. Cet endettement ne menace pas qu'eux-mêmes, il est tragiquement dangereux pour le monde tout entier. Notre intérêt bien compris est d'alléger la dette du Sud. Il est essentiel pour tous les pays d'abaisser les taux d'intérêt réels qui sont la première cause d'aggravation du coût de l'endettement des pays du Sud. Au-delà, la situation, les perspectives deviendraient différentes, les pays les plus avancés ayant largement recours au marché financier privé tandis que les pays à bas revenus n'ont accès qu'à des aides publiques.
- Pour les pays du Sud en-cours d'industrialisation, je crois que des institutions multilatérales accordant leur garantie ou, au moins, leur soutien, à certaines ressources venues du secteur privé se révèleront de jour en jour plus nécessaires, cette garantie s'appliquant en priorité aux échéances longues de prêts supplémentaires. Et pour les pays les plus pauvres, la part des pays développés dans l'émission d'une nouvelle allocation de DTS pourrait servir à bonifier leurs prêts conditionnels au tiers monde, par l'intermédiaire des institions financières internationales, afin d'assurer une gestion raisonnable de la dette de ces pays.\
Depuis la réforme de 1975, les montants disponibles, du fait de la "facilité" du Fonds Monétaire International, ont atteint un niveau respectable, et c'est très bien ainsi. Mais l'ampleur des moyens est encore insuffisante. A cet égard, je l'ai noté, l'augmentation récente des quotas du FMI constitue un pas important. Mais il ne faudrait pas, dans le même temps, qu'une sévérité accrue des procédures limite l'emploi de cette nouvelle ressource, vitale pour de nombreux pays en développement.
- J'ajoute que le rôle de la Banque mondiale devrait être largement accru et diversifié en fonction des besoins des emprunteurs. Il serait opportun de modifier, je le crois, les ratios et d'augmenter significativement le montant du capital de la banque elle-même, en 1985, afin de lui permettre de faire face aux besoins des pays les plus pauvres. D'une manière générale, j'insisterai sur l'importance de la stabilité dans le temps des engagements financiers, en-matière d'aide et de crédits : comment monter des projets importants, je vous le demande, sur la base de financements annuels ? Comment les plus pauvres peuvent-ils établir des stratégies si l'apport extérieur est imprévisible au-delà de l'année en-cours ? Un élément essentiel de la Convention de Lomé entre la Communauté économique européenne 'CEE' et soixante pays en voie de développement a été de garantir le financement sur cinq ans. La pluriannualité de l'aide est essentielle et il faut, je le crois, s'inspirer de cet exemple. Il faut agir de façon spécifique pour les pays les plus démunis.
- Il devrait être possible de desserrer les contraintes de la dette de ces pays en leur permettant d'emprunter à des conditions plus souples des sommes très supérieures au montant de leur quota. En outre, une part des allocations nouvelles de DTS pourrait être utilisée à abaisser nettement le côut de ces -concours. Un autre type de protection spéciale existe déjà pour ces pays et fonctionne dans-le-cadre du STABEX de la Convention de Lomé. La première priorité est de la consolider. Lors de la Conférence de Paris sur les pays les moins avancés `PMA`, tenue en 1981, des engagements ont été pris pour l'extension de cette garantie STABEX à l'ensemble de ces pays. Cette voie doit être poursuivie. Des propositions intéressantes ont été faites en ce sens dans la perspective de la CNUCED et lors de la réunion des pays non alignés.\
Un effort supplémentaire d'aide s'impose en faveur des 36 pays les moins avancés, dans-le-cadre des suites de la Conférence de Paris et sur la base des programmes de développement établis et révisés par les consortiums de pays donateurs. Il y a là un devoir que les pays ici rassemblés sont appelés à accomplir. Chacun de nous doit faire ce qu'il peut pour atteindre au plus vite les niveaux d'aide recommandés par les Nations unies.
- Enfin, il faut que soit lancé un "Plan d'urgence pour l'Afrique", dont le produit national brut `PNB` par tête stagne depuis dix ans et qui, compte tenu de ses dettes, menace de devenir le "continent perdu du développement". Un effort exceptionnel de solidarité des pays occidentaux est urgent. Mon pays fera des propositions détaillées à ce sujet bientôt. Nous avons trouvé bien des exemples où certains d'entre vous ont marqué de l'imagination, de l'audace. Nous avons souvent à nous inspirer de qu'ils font, mais nous apporterons nous-mêmes notre contribution. Relancer, stabiliser, développer, voilà ce qui nous permettra d'organiser la reconstruction de l'ordre économique international £ reconstruction à laquelle je ne peux que vous inviter ce soir par la parole, mais dont les actes sont nécessaires, et ils dépendent de vous. Le tableau d'ensemble que je viens d'esquisser, à très larges touches, ne répond pas à toutes les nécessités du moment. C'est délibérément que j'ai insisté sur la relation Nord-Sud, en soulignant l'inter-relation fondamentale, économique et politique, qui existe désormais entre le sort de ces pays et le nôtre. Je vous le dis gravement, tout passe par là.\
J'ajouterai simplement, pour en finir, qu'il ne s'agit pas dans mon esprit de formules abstraites ou de visions utopiques. Ce sont en effet des principes que nous appliquons déjà, autant que possible, au sein d'une communauté restreinte mais enfin importante, la Communauté des Dix 'CEE', ici représentée. La signification de mon appel auprès de vous, mesdames et messieurs, elle vient précisément de l'expérience quotidienne de ces dix pays. Certes, cette expérience, nous le savons bien nous qui en sommes, est souvent décevante, surtout lorsque nous considérons les difficultés plutôt que le chemin parcouru. Mais en fin de compte, par-delà ses crises, cette Europe sait qu'elle est appelée à plus d'identité, à plus de responsabilité, à plus d'unité. Elle sent que l'ouverture équitable de ses frontières, la progression de ses prix agricoles, la stabilité relative de ses taux de change lui profitent. Quant les Européens l'oublient, le reste du monde, d'une façon ou d'une autre se charge de le lui rappeler et, au fond, c'est très bien ainsi. Cette Europe se doit donc d'être plus forte et plus unie, pour ell-même et pour l'exemple qu'elle donne au monde. Nous aurons l'occasion, certainement, d'en reparler, et particulièrement lors d'une rencontre déjà programmée pour le mois de juin à Stuttgart.
- Mesdames et messieurs, au risque d'accroître votre fatigue en cette fin de journée - mais quelle autre occasion me serait-elle donnée pour rencontrer au même moment tant de grands et vrais responsables de la politique économique dans le monde ? - j'ai essayé de vous parler ce soir un langage qui est le mien, que je voudrai être celui de la vérité, mais surtout de l'espoir. La crise, nous la vivons, nous en souffrons, elle est là, profonde, multiforme. Elle nous appelle à un dépassement collectif, au rassemblement de nos énergies, dans chacune de nos nations comme à l'échelle du monde. Seulement nous le pressentons plus confusément, sans toujours en tirer les conclusions indispensables. Or, l'avenir n'est pas fermé. Il n'a jamais été fermé à travers tous les temps. Il dépend de notre ambition, de notre coopération. Une action mondiale pour la reconstruction de l'ordre économique est possible. Il y faudra du temps, oui, mais enfin, des années, oui, mais enfin, beaucoup de moyens financiers, mais enfin, si nous n'agissons pas par ces moyens, par des réformes, par des accords, par la concertation, à quoi aboutirons-nous ? Et comment pourrions-nous hésiter à utiliser au mieux les immenses potentialités créées par le génie de l'homme dont nous sommes aujourd'hui porteurs ?\
Il est clair que le temps presse. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des occasions. Je vous ai parlé des réunions européennes, et se profile un Sommet des pays industrialisés `Williamsburg` £ nous pourrons vérifier à ces occasions si nous sommes sur la bonne voie ou bien si nous nous y refusons, choisissant l'arnarchie et la crise plutôt que le redressement. Chacun en tirera les conséquences qu'il souhaitera, et appréciera à cette mesure l'utilité de ce type de réunion.
- L'essentiel tient, par-delà nos différences, à une commune diposition d'esprit, à une volonté, à une mobilisation de nos chercheurs, de nos entreprises, de nos jeunes, de nos responsables. C'est à ce-prix, vous le savez, que nous pourrons créer, ensemble, un monde plus civilisé, plus libre et plus tolérant. Et qui doute parmi vous mesdames et messieurs, que c'est là l'objectif fixé par nos peuples mêmes ? Si nous sommes associés, rassemblés dans cette salle, c'est parce que la preuve a été faite que le monde s'inspire des principes de liberté et de travail, de progrès et de paix, et a su en d'autres temps dominer l'événement. Je voudrais que ma conviction soit unanimement partagée, cela est à notre mesure, à la vôtre, madame, mesdames et messieurs. Vous nous en apportez chaque jour la preuve par le sérieux et l'importance de vos travaux.
- Je vous souhaite cette fois-ci de les poursuivre en recherchant toujours la conciliation nécessaire, et je répèterai ce que j'ai dit pour commencer : vous nous honorez, mesdames et messieurs, en étant nos hôtes pour la reconstruction de l'ordre international. Vous êtes ici à Paris et en France chez vous. Vous y êtes les bienvenus. Oeuvrons pour le bien de tous. Je crois bien que c'est votre loi. Merci.\