3 mai 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert par M. Zhao Ziyang, Premier ministre de la République populaire de Chine, au Palais de l'Assemblée du peuple, Pékin, mardi 3 mai 1983.

Monsieur le Premier ministre,
- Mesdames et messieurs les ministres,
- Mesdames, messieurs,
- Vous venez de le rappeler à l'instant, monsieur le Premier ministre, cela fait la troisième fois que je viens en voyage en Chine. La première fois, c'était en 1961. J'y venais à-titre personnel, à l'invitation de l'Institut des affaires étrangères, et j'avais pu approcher cette grande civilisation et la révolution de ce grand peuple. J'ai retrouvé, à l'instant, quelques-uns de ceux qui, à l'époque m'avaient accueilli, et je leur adresse à distance l'expression de ma gratitude, pendant quelques semaines j'ai pu mieux comprendre vos besoins, vos aspirations, la force de votre action.
- La deuxième fois, c'était en 1981, il y a un peu plus de deux années, j'y représentais la formation politique que je dirigeais à l'époque, le Parti Socialiste français, et j'avais pu connaître et apprécier plusieurs des dirigeants actuels en nouant des relations de formation politique, qui se sont depuis lors heureusement approfondies.
- Eh bien, si la première fois je ne représentais que moi-même, si la deuxième fois je représentais mon parti, cette fois-ci je représente mon pays, mais si j'ai changé d'-état, je n'ai pas changé de sentiment, je suis venu chaque fois en ami de la Chine.
- En 1961, chacun s'en souviendra, c'était trois ans avant la reconnaissance de la République populaire de Chine par mon pays et j'appartenais à ces quelques Français trop rares qui accomplissaient ce voyage difficile pour tracer le chemin de l'histoire sur lequel nous sommes aujourd'hui.
- C'est pourquoi la chaleur de l'accueil que me réserve, ce soir, à mon arrivée en Chine, le gouvernement de la République populaire, me touche profondément. Cette chaleur est, bien sûr, dans la tradition d'une nation dont l'hospitalité est légendaire. Mais c'est aussi, je le crois, le reflet de l'amitié qui porte nos deux peuples l'un vers l'autre, depuis longtemps, amitié qu'il fallait revivifier.
- J'avais rencontré en 1961, le Président Mao Zedong. J'ai étudié l'effort colossal du peuple chinois. Pendant les quelques jours que je vais passer maintenant parmi vous, pouvant rencontrer ceux qui assument cette tâche historique, je mesure le chemin parcouru, et je suis heureux de pouvoir représenter la France en cette circonstance.\
Le monde des hommes est en constante évolution mais depuis quelque temps, il change vite. La Chine occupe une place parmi les toutes premières au-sein de la communauté internationale, elle s'est engagée dans une immense -entreprise de modernisation et de développement, elle poursuit, sous votre autorité, monsieur le Premier ministre, une réforme économique très courageuse qui lui permettra de mieux mobiliser des ressources extrêmes de travail, de courage et d'intelligence de son peuple. La Chine se donne une nouvelle Constitution, élargit l'empire de la loi, renforce ou accroît les garanties aux citoyens et contribue de plus en plus à la vie de la communauté internationale.
- Eh bien la France, de son côté, connaît aussi de profondes transformations. Elle veut être, plus encore que par le passé, une terre de justicce et de liberté. Aussi, avons-nous entrepris un vaste mouvement de réformes, de réorganiser la vie économique de façon à mieux servir l'intérêt public, de stimuler l'effort d'investissement et de recherche, de décentraliser l'organisation des pouvoirs pour que chacun participe davantage à la vie collective. Enfin, nous avons accru les droits des travailleurs dans l'entreprise et dans leur vie professionnelle. Les difficultés que nous rencontrons sont celles des pays qui vivent dans la zone économique où nous sommes. Parmi les causes de ces difficultés, il en est qui tiennent à la conception même du monde, je veux dire, aux relations entre l'Est et l'Ouest, aux relations entre le Nord et le Sud.\
Car nous avons, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, ici représentants et la Chine et la France, et dépassant nos propres problèmes sur lesquels nous reviendrons, ou dépassant nos propres frontières, à affirmer notre conception, notre conception de la paix et de l'équilibre dans le monde. A cet égard, sur bien des points, nos conceptions se rencontrent. Nos deux pays n'acceptent ni pour eux-mêmes, ni pour autrui, les -rapports fondés sur la loi du plus fort. Ils savent qu'aucune paix, qu'aucun droit ou ordre international ne peut durablement être établi sur la domination et la menace. Ils revendiquent le droit pour chaque nation de vivre libre, pour chaque peuple de déterminer lui-même son destin, à l'abri des ingérences extérieures, dans l'indépendance et la sécurité.
- J'ajouterai que nos deux peuples ont pour devoir de maîtriser les moyens de leur propre défense. Or, les principes qui constituent les fondements du droit international sont, en bien des endroits du globe, méconnus ou bafoués, où se poursuivent des crises et des affrontements dont aucun ne peut nous laisser indifférents.
- Ainsi en va-t-il en Asie, de l'Afghanistan et du Liban et du problème du droit des peuples et des Etats du Proche et du Moyen-Orient à voir reconnaître leur existance et leur sécurité. Ainsi en est-il en Afrique avec parmi bien d'autres problèmes, l'affaire de la Namibie. Et nous suivons avec une particulière attention quand ce n'est pas une grande inquiétude, l'évolution des conflits en Amérique centrale. Je cite ici les exemples les plus évidents d'ingérences, d'injustices et de déséquilibres condamnables en soi et dangereux pour la paix.\
Je voudrais m'attarder sur une question qui touche plus encore, sans doute, non seulement vos intérêts mais aussi aux sentiments de la Chine et de la France. Je veux dire le Cambodge. Parce qu'il concerne un pays d'Asie, proche de la Chine, mais dont le destin ne nous a jamais, à nous Français, été et ne peut pas nous être indifférent, parce qu'il touche un peuple ami de la France dont nous aimerions voir enfin se terminer la longue et terrible épreuve.
- Voici treize ans, que le Cambodge, auquel la sage direction du Prince Sihanouk que j'ai reçu, il y a quelques jours à Paris, avait permis d'affirmer dans la paix sa personnalité, a connu cinq années de guerre civile et étrangère, puis l'avènement d'un régime finalement sanguinaire, et à nos yeux, inexcusable puis l'intervention et l'occupation étrangères d'aujourd'hui. Tout cela constitue un engrenage infernal pour un peuple qui méritait un autre sort.
- Il faut que ce soit clair, nous ne changeons pas de langage avec les circonstances. La France a condamné l'agression dont a été victime le Cambodge et condamne l'occupation de ce pays. Elle ne reconnaîtra ni aujourd'hui, ni demain, le pouvoir installé à Phom-Penh.
- Elle considère qu'il n'y aura pas de solutions sans le retrait des forces étrangères qui asservissent ce pays, et souhaite que la libération du Cambodge rende effectivement à la nation khmère la possibilité de procéder à des élections libres sous contrôle international.
- A l'occupation doit succéder un Etat démocratique où tous les éléments du peuple cambodgien se retrouveront dans la paix intérieure, et non donc pas par la domination d'une faction. La politique de neutralité correspond à l'évidence aux aspirations du peuple cambodgien comme aux intérêts de tous les Etats de la région.
- Vous connaissez les liens qui unissent la France à plusieurs Etats de cette région d'Asie. Nous avons le sentiment d'une responsabilité. C'est pourquoi la France est disposée avec d'autres assurément, à apporter sa garantie à la mise en-place d'un processus susceptible de rendre enfin à un peuple qui lui est cher, le droit au bonheur ou du moins, à l'espoir.\
Nous le disons sans hostilité à l'égard de personne, dans le souci qui est le nôtre de préserver les équilibres nécessaires. Dès maintenant, la France continuera d'apporter une aide humanitaire pour soulager les souffrances du peuple khmer, tant au Cambodge même que dans les camps de Thailande et à l'égard de ceux auxquels nous accordons aujourd'hui refuge. La France ne saurait pour autant oublier qu'il convient de remettre dans le droit chemin ceux qui ont naguère assuré leur pouvoir dans le sang de leur peuple, c'est à une solution de paix intérieure et d'équilibre que la France donnera son soutien.
- Nous aurons, monsieur le Premier ministre, au-cours des prochains jours, l'occasion d'échanger nos vues sur ce problème et sur beaucoup d'autres. Nous les aborderons avec franchise, quelles que puissent être sur tel ou tel aspect nos divergences d'appréciation, avec le désir de mieux nous comprendre et de rechercher surtout ce que la France et la Chine peuvent faire ensemble, non seulement dans nos propres pays mais aussi dans le monde.\
Nous avons déjà mesuré, en d'autres circonstances, la qualité de notre dialogue, attachés l'un et l'autre, à favoriser une meilleure compréhension entre le Nord et le Sud, à promouvoir entre pays industriels et pays en voie de développement de véritables rapports de coopération dans-le-cadre d'un nouvel ordre économique, équitable et durable, nous en avons parlé, monsieur le Premier ministre, à Cancun, où nous nous sommes retrouvés, et vous avez depuis, et la France approuve cette démarche, cherché à renforcer la coopération entre pays du sud, particulièrement dans la région d'Asie où vous vous trouvez.
- Dans le grand débat sur le désarmement, plus que jamais ouvert, à la veille d'échéances décisives, nous avons souvent ressenti la convergence de nos préoccupations. De cette proximité de vues, sachons, monsieur le Premier ministre, tirer les conséquences et faisons en sorte que la France et la Chine, qui ont tant de choses à se dire à ce sujet, comme sur toutes les affaires du monde, se parlent plus souvent.
- Dans les relations Est-Ouest, notre principe est simple, nous entendons préserver toutes les chances de l'équilibre entre les forces et, précaution première, nous avons assuré les moyens de notre propre défense. Nous avons accru cette année la part qui va à notre stratégie dissuasive afin que la France soit dotée de l'instrument indispensable qui lui permettra de poursuivre sa route, non pas séparée des autres, mais assurée d'elle-même. Et ce que nous disons là, n'est pas contradictoire, nous recherchons le désarmement, l'arrêt à la course vers le surarmement, en-raison de la puissance hors de comparaison dont disposent les super-puissances militaires. Nous voulons seulement, de façon dissuasive et par -nature défensive, assurer au point où nous sommes, la défense de notre pays.\
Vous avez fait -état de la Communauté économique européenne `CEE`, nous y appartenons depuis le premier jour. Nous cherchons à accroître ses dispositions pour développer son unité de vue économique, technologique, commerciale et donc politique, dans le respect de la souveraineté de chacun, nous souhaitons, en effet, que l'Europe puisse être davantage présente sur la scène du monde sans oublier ce que la France représente en Europe et parmi le reste des nations.
- Et je n'aurai pas besoin d'autres discours pour souligner à quel point nous observons le comportement de la Chine, et combien nous savons que ce peuple immense, ce grand pays, cette haute et ancienne civilisation qui trouve ses prolongements modernes dans l'ordre de la science, de la littérature, de l'imagination, tout en restant fidèle à ses meilleures traditions, nous savons que la Chine, pour elle-même, ne peut que partager cette résolution.
- Je forme des voeux, monsieur le Premier ministre, pour que le support de cette politique extérieure reste une coopération bilatérale active. C'est le voeu de la France, je le répète. Nous voulons entretenir avec la Chine des relations où s'affirmera une audacieuse coopération industrielle qui permettra de trouver les équipements et les financements indispensables, d'assurer les transferts de technologie que votre pays souhaite, afin que son indépendance, elle aussi, ne puisse jamais être mise en-cause.
- Il est des domaines où la France ne craint et ne craindra aucune concurrence si elle sait rester, comme je le veux, à la pointe du progrès technologique. Je pense en-particulier aux télécommunications, aux transports aériens et ferroviaires, je pense à la connaissance que nous avons du mécanisme nucléaire, je pense à nos capacités dans le domaine agro-alimentaire, et où nous avons certainement à tirer profit des enseignements que peut nous transmettre la Chine.\
Plaçons au premier rang de nos préoccupations la culture. Sachons communiquer, en développant d'abord le langage. C'est ce qui sera fait au-cours de ce voyage. Plusieurs centaines de boursiers et de chercheurs chinois séjournent dans notre pays, les missions techniques se multiplient : que la place que chacun accorde à l'autre dans l'enseignement va s'accroissant bien que cet effort reste insuffisant. La décision qui vient d'être prise par vos soins, monsieur le Premier ministre, de créer un enseignement du français à la télévision chinoise, témoigne, et nous y sommes très sensibles de votre volonté de favoriser et d'inscrire dans une perspective à long terme le resserrement de nos relations. Les arts et les lettres, les sciences et les techniques sont peut-être le plus court chemin qui conduit à la compréhension commune.
- Je vous le rappelais tout à l'heure, monsieur le Premier ministre, je suis venu en Chine d'abord en plein hiver, puis à la fin de l'hiver. Cette fois-ci, nous sommes au printemps. Il nous reste d'autres saisons et d'abord, le plein été, ses épanouissements, ses réussites, le sommet de l'année dans lequel s'organisent l'oeuvre des hommes et l'oeuvre des choses. C'est dire qu'avant de lever à mon tour, mon verre en votre honneur et en votre santé, mon premier voeu sera de pouvoir un jour poursuivre ce dialogue, que je conduirai dans le sens de notre amitié pendant les années que le peuple français m'a accordées pour assumer le principal de son destin.
- A mon tour, descendu de cette tribune, je lèverai mon verre à la santé de mes hôtes, du président Deng Xiaoping, du Secrétaire général Hu Yao Bang que j'ai déjà rencntré naguère, à la santé de monsieur le Premier ministre Zhao Ziyang, à la santé des membres du gouvernement chinois ici présents, et de tous les responsables de la vie de votre pays, à l'amitié et à la coopération entre la Chine et la France et au-delà, à la santé de votre peuple.\