26 avril 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Saint-Pol-sur-Ternoise, mardi 26 avril 1983.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Je trouve comme un air de famille en pénétrant dans votre ville de Saint-Pol-sur-Ternoise. J'ai pendant 35 ans représenté un département du centre de la France, pendant 35 ans les mêmes personnes, les mêmes voisins, les mêmes électeurs, le même attachement. C'était un pays rural avec quelques cités de modeste importance. Château-Chinon doit avoir la moitié des habitants de Saint-Pol. Les petites villes à densité ouvrière, mi-ouvriers, mi-paysans, dans un pays rural. J'ai moi-même été élevé en Charente par un grand-père, exploitant agricole. J'ai toujours vécu cette vie-là. On me le reproche parfois, d'autre part.
- Si des problèmes se posent - il s'en est toujours posé - j'ai dans ma mémoire tout ce qui est advenu depuis que je pouvais entendre l'écho de ces paroles sans que ce soit pour moi impénétrable. Dès l'âge de 10 ans - 12 ans, en 1930, j'ai toujours entendu les paysans français décidés à se battre pour la réussite de leur travail et de l'agriculture française et cela m'a toujours beaucoup intéressé.\
Je voyage dans la région Nord - Pas-de-Calais, attentif surtout, on le comprend, aux grands problèmes industriels, de la ville, de la pêche, de la façade maritime jusqu'à la métropole. Avec une démarche que j'effectuerai cet après-midi dans le département du Nord, ce sera l'une des deux seules occasions que j'aurai, ici et à la coopérative tout à l'heure, de m'entretenir des problèmes agricoles, d'être à l'écoute des professionnels, de leurs craintes et j'en reparlerai tout à l'heure. Il y a des réalités qu'on ne peut ignorer : il y a des difficultés aujourd'hui, mais il y en a plutôt moins qu'hier puisque c'est la première année depuis neuf ans où le pouvoir d'achat moyen des agriculteurs est positif. C'est une moyenne et il ne faut pas se laisser prendre aux moyennes. Car il y a aussi des catégories qui ont subi de rudes épreuves. Je me souviens des producteurs de moutons, des producteurs de volailles, des producteurs de porcs. Il y a aussi les problèmes qui se posent aux producteurs de lait et puis ceux qui dans d'autres régions se posent aux producteurs de vin. Est-ce qu'on n'a pas oublié les horticulteurs ? Selon les années, les circonstances, une moyenne est trompeuse, mais cependant on ne peut pas oublier dans l'analyse que l'on fait d'une situation qu'au total l'agriculture française est bénéficiaire dans les portions importantes de 5 à 9 %, alors qu'elle était déficitaire depuis 1973.\
Il reste cependant un très gros obstacle : c'est celui des montants compensatoires monétaires. Ces montants compensatoires ont été créés en 1969. C'est une contrainte antérieure, qui date de 1969, sur la proposition de la France. Il a fallu que la France insiste pour obtenir de ses partenaires européens qu'ils acceptent les montants compensatoires monétaires. Cela veut dire que la France a plutôt manqué d'esprit de prévision. Mais, enfin, voulà ce que je trouve moi. Voilà la réalité. Il y a aujourd'hui un écart de 18 % avec l'Allemagne, si l'on fait l'addition des montants compensatoires positifs allemands et des montants compensatoires négatifs français. Mais en 1975, cet écart était de 25 %. En 1976, de 26 %. Voilà ce que je trouve en arrivant et à l'heure actuelle notre ministre de l'agriculture `Michel Rocard`, après que Mme Cresson se soit bien battue les années précédentes, sur la base d'accords qui ont été souscrits par nos partenaires allemands et sur la base des conversations que j'ai eues avec documents écrits avec le ministre des finances, M. Stoltenberg, et le chancelier Kohl lui-même, nous avons pris des engagements. Ils ne peuvent pas, disent-ils. Je comprends leurs problèmes, mais il faut imposer le démantèlement complet des montants compensatoires pour les démanteler, ou au moins qu'on se fixe un délai en peu d'années et que ce soit conséquent dès cette année. La proposition de la Commission a déjà fait des progrès puisque la Commission européenne a retenu 3 %. Nous, nous demandons davantage. Les Allemands refusent tout en dépit de ces engagements. Voilà la bataille que nous menons. On se retourne du côté du gouvernement français de M. Pierre Mauroy et du côté du Président de la République pour dire : ces montants compensatoires sont inadmissibles. Mais, mesdames et messieurs, je suis bien d'accord. Cela fait partie d'un système européen qui s'appelle le marché commun agricole et il y a dix pays qui y participent et il faut l'accord des autres ou alors il faut le quitter. Voilà la question que les agriculteurs doivent se poser s'ils sont responsables. Voilà le problème qui m'est posé, qui est posé à M. le Premier ministre, à M. le ministre de l'agriculture. Discutons sérieusement. Rien de remplace l'analyse des faits. Crier un peu fort, ça ne veut rien dire. C'est de la confusion d'esprit ou c'est de la passion politique inutile. Voilà un point que je serai ravi de dire aux représentants des organisations agricoles comme je le dis aux élus qui se trouvent dans cette salle et qui, je le pense, doivent bien connaître ces problèmes, autant que quiconque, quelquefois mieux parce qu'un élu vit tous les aspects des choses.\
Je ne voudrais pas me répéter deux fois dans la même matinée, mais donner juste une indication. La politique du marché commun agricole par-rapport au lait, mais qu'est-ce que c'est ? Ce n'est pas moi qui ai accepté que par les accords du GATT, qui est le contrat international de commerce entre tous les pays occidentaux, que je soja, les tourteaux venus d'Amérique ne seraient pas imposés, échapperaient aux taxations pour entrer dans le marché commun comme si les Américains étaient dans l'Europe des Dix. On dirait qu'ils y sont d'une façon. Cela fait des années et voilà ce que j'ai trouvé. Et pour obtenir que cela change, il faut l'accord du GATT ou bien il faut le quitter. Le GATT s'y refuse. Qui est-ce qui s'y refuse ? Les Allemands, les Hollandais, les Anglais, les Danois, sont d'accord avec les Américains parce qu'ils craignent des mesures de rétorsion. Ce n'est pas moi qui ait fabriqué les usines à lait du Danemark et de Hollande ou d'Angleterre mais j'ai par contre arraché au sommet de Londres `Conseil européen`, il y aura bientôt deux ans, une différenciation dans le traitement, c'est-à-dire un quantum qui fait que les petits producteurs de lait ont un prix différentiel à leur avantage jusqu'à un certain niveau - c'était 30000 litres à l'époque - mais bien entendu pour obtenir davantage, il faut l'accord des neuf autres, et la puissance des usines à lait contrecarre souvent victorieusement dans cette assemblée complexe les intérêts des petits producteurs ou des coopératives. Voilà encore une réalité sur laquelle tout esprit sérieux doit se pencher.\
Vous m'accueillez. Je vous en remercie. Je profite de l'occasion qui m'est donné pour vous apporter ces explications et je les redirai, dans un instant, si le sujet s'y prête, et je pense qu'il y a quelques chances de s'y prêter.
- Je suis très content d'être ici. Très content d'être ici près d'un homme dont l'amitié me flatte depuis déjà de longues années. Je connais très bien M. Pignion, et le rôle qu'il remplit ici mais aussi qu'il remplit dans les assemblées européennes. Il comprend très bien mon langage. C'est un homme convaincu de la nécessité de l'Europe, mais qui ne ferme pas les yeux sur ses difficultés, sur les égoismes nationaux.
- A vous voir, mesdames et messieurs, les élus, les responsables, il y a là un modèle de vie, un type d'organisation sociale dans une ville comme celle-ci, dans un canton, dont j'imagine assez les problèmes. Et c'est pour moi une possibilité de ressentir plus que d'expliquer - on n'a pas le temps - de ressentir la façon dont vous réagissez devant ces problèmes, et cela me sera très utile ainsi qu'à M. le Premier ministre et le ministre présent, pour la conduite des affaires publiques.
- Mesdames et messieurs, je vous remercie pour cet accueil courtois, même charmant. Je me trouve très bien chez vous mais voilà, ma route est là...\