25 avril 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Roubaix, lundi 25 avril 1983.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- La brièveté des propos que nous venons d'entendre ne pouvait qu'ajouter à leur force. Il est certain que si M. le maire de Roubaix ou toute autre personnalité de cette ville voulait ou devait faire l'exposé en détail de tous les problèmes qui vous sont posés, cela eut exigé un long rendez-vous. En allant à l'essentiel, cela me permettra à la fois de suivre personnellement les questions traitées et de donner au gouvernement qui, par la personne même de son Premier ministre `Pierre Mauroy` connaît mieux que personne, les problèmes en cause, de donner un élan et de mettre l'accent là où il faut.
- Vous avez décrit, rapidement mais sérieusement, l'-état de détresse - vous avez parlé de péril - dans lequel se trouve une ville comme celle-ci. Perte d'emplois, population en déshérence, usines en friche, arrivée massive d'éléments qui cherchent aussi du travail sans en trouver, tout cela est bien une description de la réalité et ce n'est pas pour rien, croyez-moi, monsieur le maire, que j'en appelle constamment au redressement national exigé par au moins dix années pendant lesquelles se sont accumulées les difficultés et les drames.
- Nous ne sommes pas sortis, malheureusement, de la tourmente internationale qui frappe les économies voisines mais, ne nous réfugions dans aucun argument : c'est en nous que réside le salut. Quand je dis en nous, je ne veux pas dire, monsieur le maire, simplement la municipalité de Roubaix et même sa population, en nous "la France" qui doit en effet, et nous en parlerons cet après-midi devant les élus de la région Nord - Pas-de-Calais, se rassembler pour panser ses plaies dont celle-ci est visible, et la France tout entière n'a pas oublié, croyez-moi, monsieur le maire, la grande histoire de Roubaix, à la fois médiévale mais aussi contemporaine.
- Sont nées ici, il y a bien longtemps, des luttes pour la conquête des libertés en face des seigneurs, sont nées ici bien des idées qui ont servi, qui servent encore, vaillantes et fortes, à abattre les féodalités modernes. Roubaix s'inscrit dans cette grande Histoire et vous-même, monsieur le maire - moi, je n'entre pas dans le débat, bien entendu, il m'intéresse, j'y ai participé, je représente la France dans son ensemble mais aussi, par les responsabilités qui sont les miennes, un certain choix fondamental - ces choix vous les avez vécus. Mieux que d'autres vous pouvez les comprendre.\
En effet, la rencontre de traditions, de philosophies, de croyances, d'espérances qui se sont rencontrées, retrouvées, rassemblées, dans mon enfance et mon adolescence, à quoi s'est ajoutée mon expérience personnelle qui ne pouvait que m'engager là où je suis allé ... et je me trouve à l'aise, à Roubaix. A l'aise en tant qu'individu, venu à la rencontre d'une population, mais triste et souvent plein de soucis lorsque je constate la dégradation commencée depuis si longtemps sans qu'on ait agi autant qu'il convenait pour redresser cette situation. Nous voilà à notre tour sur le terrain, au plus fort de la mêlée : cela n'ôte rien à nos devoirs, monsieur le maire, et je ne retire rien de ce que vous avez dit sur-ce-plan, cela nous crée un devoir fondamental.
- Je crois que nous y avons répondu sur-le-plan d'une industrie majeure, dans votre région, dans votre ville `Roubaix`, qui est l'industrie textile. Je ne crois pas exagérer, je me méfie de tout excès, en disant que le plan textile dont l'initiateur dans un gouvernement précédent, sous l'autorité déjà de M. Pierre Mauroy `Premier ministre`, était M. Pierre Dreyfus `ministre de l'industrie`, je crois que le plan textile a sauvé ce qui pouvait l'être du textile en France. Plus que sauvé : nous sommes à la veille de repartir dans une renaissance qui ouvrira un champ vaste pour les ambitions industrielles de la France.
- Je dirai tout à l'heure et vous le savez déjà vous-même, vous m'entendrez le redire, que le gouvernement entend prolonger sur l'année prochaine l'ensemble des dispositions adoptées pour le plan salvateur qui permet encore à bon nombre de vos entreprises de survivre avant de repartir à l'attaque des marchés nationaux et internationaux. Cela a été fait. Sans cela on compterait un plus grand nombre encore de travailleurs sans emploi.\
Vous avez aussi attiré mon attention sur, disons un "réaménagement" - vous n'avez pas employé ce terme mais vous parliez de la chose - des chances et des moyens entre Roubaix et sa région et, comme vous êtes tout proche de pays amis étrangers, une compétition qui vous permet de jauger, avec une grande précision, ce que vaut l'effort de pays comme la Belgique, la Hollande, l'Allemagne `RFA`, la Grande-Bretagne.
- Vous savez que, sur-ce-plan, c'est tout de même notre pays qui, au-cours de ces deux dernières années, a le mieux réussi à juguler l'augmentation du chômage, dans des proportions considérables, par comparaison, sans être encore parvenu - car il faut être juste dans l'opinion que nous exprimons - à enrayer le chômage lui-même. La courbe prévue, qui devait nous conduire, à bref délai, vers les 2500000 chômeurs, prévue par les experts des gouvernements précédents, a connu une stabilisation qui nous place dans une triste situation, moins triste cependant que celle des voisins que je viens d'évoquer. Oh ! on ne se satisfera pas de cette comparaison qui reste dommageable à l'ensemble des travailleurs. Simplement, je dirai "unissons nos efforts" et il est quelques plans où cela est nécessaire £ pas sur tous, il faut que la démocratie française soit florissante, il faut que les idées s'opposent, il faut que les formations politiques s'affirment, il faut que le champ des idées soit ouvert et il reste bien des débats entre les groupes socio-professionnels où subsiste l'héritage de cette lutte des classes rendue malheureusement nécessaire par les oppressions, les dominations de sociétés fermées, tout le long du XIXème siècle et, on peut le dire, jusqu'à nos jours.
- Je voudrais appeler les Français, je veux les appeler, il n'y a pas de conditionnel, à s'engager dans un effort de redressement national sur la base d'un rassemblement pour quelques objectifs qui sont les objectifs que vous avez vous-même évoqués : de solidarité, d'effort, de persévérance... pourquoi faire ? Pour sauver le présent et pour préparer l'avenir ! L'avenir, il est là, à notre portée. La crise ? Elle peut être dominée. Ce n'est pas un objectif que de vaincre la crise, c'est du court terme et il faut remplir cet objectif-là. Mais ce n'est pas suffisant.\
Il faut déjà concevoir les entreprises de demain, les techniques, la formation des traveilleurs adaptée à ces techniques nouvelles. Il faut un dessein industriel puissant comme dans les grands moments de notre Histoire depuis deux siècles ... et à cela se trouvera naturellement mêlée notre agriculture car l'industrie agro-alimentaire est déjà, est peut-être plus encore l'une des bases de ce redressement. Cela n'est possible que par ce que nous avons en nous-mêmes. On ne trouvera pas de réponse dans la simple opposition des pensées et des intérêts, on la trouvera dans la volonté des Français d'atteindre cet objectif qui est d'abord de vivre mieux en produisant davantage avec une meilleure productivité et donc en disposant d'hommes et de femmes mieux formés et d'un instrument industriel moderne. Je le dirai en d'autres occasions, ce soir et demain, cela exige des choix. Eh ! bien, le gouvernement aura le courage de ces choix. Tout ne peut être fait en même temps.\
Mais vous avez attiré mon attention sur les problèmes de sécurité. Sachez, monsieur le maire, que le gouvernement ici représenté par le Premier ministtre `Pierre Mauroy` et plusieurs ministres responsables, notamment le ministre de l'intérieur `Gaston Deferre`, est celui qui, depuis très longtemps, je n'ai pas fait le calcul et pourrais le faire, si vous voulez, a fait l'effort le plus important en recrutement de personnel, de personnel d'agents de sécurité £ que la France, quelques critiques nous le disent, et je ressens ces critiques, reprochent ou reprocheraient à la France d'être le pays d'Europe qui disposerait de la plus importante force de sécurité publique, et les chiffres le démontreraient.
- Il y a donc un problème et vous l'avez situé. Un problème d'une ampleur qui dépasse de loin les rivalités locales. C'est que le développement de la société urbaine, qui donnera naissance, j'en suis sûr, au siècle prochain, à une nouvelle et une grande forme de civilisation, si on a les yeux tournés vers le progrès et si l'on a une conception générale de la marche de l'humanité et, particulièrement de la société française, tout cela m'amène à penser que la sécurité tient essentiellement à l'organisation de la ville.
- Vous avez vous-même perçu et abordé ce problème rapidement, on m'a dit que vous y étiez contraint, en parlant de la prévention. Oh ! je ne dis pas cela, monsieur le maire, pour me réfugier derrière l'analyse des préventions indispensables qui nous éviteraient de faire l'effort immédiat, malheureusement immédiat, de la répression lorsque la répression devient nécessaire et vous avez parfaitement distingué un phénomène général de circulation des hommes et des travailleurs au-delà des frontières et le problème de la délinquance, même si l'inadaptation de nos structures pour recevoir ces travailleurs étrangers a pu être, ici et là, une incitation au développement de certains désordres.
- Sachons distinguer. Vous l'avez fait et je le ferai aussi. Tout ce qui contribue au travail et à la production doit être reçu par la France comme bénéfique et conforme à nos plus grandes traditions. Tout ce qui vient en plus, sans loi et sans logique, risque en effet de contrarier l'heureux épanouissement de nos cités urbaines. Voilà notre problème. Dans la pratique des choses, nous écouterons votre conseil et nous allons développer toute une série de mesures qui nous permettront de garantir davantage la sécurité des citoyens mais sur la base que je vous ai indiquée, l'effort du gouvernement actuel est le plus important qui ait été accompli depuis un demi-siècle, chiffres en main. Je peux le démontrer. Simplement, la tâche s'est elle-même démultipliée et notre société ne s'est pas encore remise du formidable mouvement qui a conduit la France à transformer sa propre société par le développement normal, le cas échéant souhaitable, mais en tout cas nécessaire des villes comme celle-ci.
- Alors, lorsque l'on fait le compte de ce que vous appellez vous-même "les zones en friche", les usines en friche, les usines abandonnées, les métiers dépassés, lorsque vous faisiez le compte de tous ceux qui s'ajoutaient à la population ambulante, errante, non fixée et qui finalement trouvent un toit - quand ils en trouvent - pour ajouter leur pauvreté à celle des autres, on a un raccourci saisissant.
- Je vous le dis, monsieur le maire, mesdames et messieurs, notre devoir est le même : s'il s'agit de lutter contre ces maux, vous pouvez compter sur le gouvernement et je l'affirme ici hautement.\
Et puis sur la région, j'imagine, ce n'est pas pour rien qu'on a voulu décentraliser en accompagnant cette décentralisation, c'est l'objet du débat actuel, des moyens suffisants. Et puis il y a les élus locaux, mesdames et messieurs les conseillers municipaux qui me reçoivent avec vous. Là aussi, je dépasserai, vous l'admettrez, ce ne serait pas mon rôle autrement, les compétitions encore locales qui doivent laisser quelques traces dans la gestion quotidienne. Franchissons cette distance et disons que nous avons ensemble la responsabilité d'une ville comme Roubaix qui est le prototype des villes où l'accumulation des défauts de la société occidentale est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Ce n'est pas la faute de tels ou tels édiles. Je ne suis l'avocat ici de personne. C'est la faute du temps qui est passé sans qu'on ait conçu, depuis longtemps, depuis la fin de l'autre siècle, ce moment où les villes étoufferaient, où les usines de la première et de la deuxième révolutins industrielles fermeraient, où n'aurait pas été préparée à temps la troisième révolution industrielle qui se déroule sous nos yeux, et où l'on n'a pas créé les institutions de formation sur lesquelles le gouvernement d'aujourd'hui met l'accent avant toute autre chose pour que 600 à 700000 jeunes gens cessent d'être la proie préférée du chômage.
- Bref, monsieur le maire, nous avons beaucoup de choses à dire ensemble £ vous tous, mesdames et messieurs, beaucoup de choses à faire ensemble. Et puis, ce que les uns et les autres voudront faire à part, ils le feront, c'est leur domaine parfaitement légitime dans la République que nous formons. Mais nous avons beaucoup à faire ensemble et ceux qui s'écarteront de ce travail en-commun auront tort.\
C'est vrai que beaucoup de Françaises et de Français doutent, s'inquiètent : comme je les comprends ! Voilà que, depuis déjà bien une année, il nous faut, après avoir mené une politique de plus juste répartition sociale, bref de justice sociale en faveur des plus démunis ou des familles ou des personnes âgées, voilà que la crise dont les meilleurs experts annoncaient qu'elle commençait à céder du terrain à-partir de 1982, continue de prendre à la gorge la plupart des sociétés occidentales. Et les mesures qui ont été prises sont des mesures dures à supporter, bien qu'elles épargnent, dans la majorité des cas, les millions de foyers : 10, 11, 12, 13, 14 qui souffrent le plus. Nous aurons l'ccasion d'en reparler, monsieur le maire, mesdames et messieurs. Dans une ville comme Roubaix, qui valait bien le détour - mais, monsieur le maire, ce n'était pas un détour, je ne passe pas par là par hasard - un programmme de chef d'Etat, dans une région et pour deux jours, cela suppose beaucoup d'obligations dont je ne me plains pas et que je suis heureux d'assumer £ puis, quand on reçoit un message du maire d'une ville comme celle-ci qui dit : Eh ! n'oubliez pas Roubaix ! Qu'est-ce que je réponds tout aussitôt : je n'ai pas oublié, je viendrai. Voilà pourquoi nous sommes ici, mesdames et messieurs, je noublierai pas ce bref passage.
- Je crois que Roubaix vient, à l'origine, de la notion de ruisseau ? Puis, vous êtes devenus une très grande rivière, maintenant cette rivière a tendance à se répartir en une multitude de ruisselets nouveaux, à sembler s'éloigner du mouvement naturel que suit le cours d'un fleuve qui s'élargit toujours, eh bien ! nous allons ensemble creuser le sol, élargir les berges, redonner toute sa puissance aux flots qui a valu à Roubaix d'être l'une des villes que les Français depuis longtemps, pour ses idées et pour ses actes, ont toujours considérée avec respect. Merci, monsieur le maire. Vive Roubaix, vive la République, vive la France !\