15 avril 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Toast prononcé par M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert en l'honneur du Conseil fédéral, Berne, vendredi 15 avril 1983.

Monsieur le président de la Confédération,
- Madame,
- Messieurs les Conseillers fédéraux,
- Mesdames et messieurs,
- En ma personne et au-delà de ma personne, c'est la France qui reçoit ce soir ses amis de Suisse et c'est vers vous d'abord, monsieur le président, que je me tourne pour dire à quel point je suis touché par la chaleur et par la qualité de l'accueil qui m'a été réservé durant ces deux journées passées dans votre pays.
- Je l'ai exprimé à diverses reprises, je tiens à le répéter ce soir avant de terminer ce voyage. Mais c'est aussi à tous ceux et toutes celles qui sont autour de cette table et qui incarnent les forces vives de la Confédération que je voudrais dire combien moi-même et la délégation qui m'accompagne avons apprécié la sympathie dont vous nous avez entouré durant les étapes de ce bref séjour.
- Riches et denses, ces deux journées m'ont permis d'approfondir, en votre compagnie, ma connaissance de la Suisse. Votre capitale fédérale d'abord, où nous sommes, lieu de rencontre symbolique entre les civilisations latines et alémaniques. Bâle ensuite, où soufflait l'esprit avant qu'Erasme, Jakob Burkhardt et Friedrich Nietzsche n'en soient citoyens mais aussi Bâle, cité rhénane du négoce et de la finance, porte de la Suisse sur l'Europe et le monde.
- Enfin, après Soleure où est encore présent, j'ai pu m'en rendre compte, le souvenir des ambassadeurs de France accrédités auprès de la Suisse et de la Diète helvétique, j'ai eu la joie de me rendre chez vous, monsieur le président, à Neuchâtel qui est de longue date un foyer de culture française, que vous-même illustrez aujourd'hui £ vous n'êtes pas le seul dans ce pays fidèle aux sources de la culture.\
Mais si tout cela a remis en mémoire les quelques-uns des épisodes marquants de votre histoire, cela ne saurait faire oublier le rôle que joue la Suisse dans le monde d'aujourd'hui. Le génie de votre pays, on le sait bien, est d'avoir su concilier un rôle qui va croissant dans les affaires internationales, avec son statut de neutralité dicté naguère et qu'il a su toujours jalousement préserver. Cette neutralité ne comporte pas seulement des avantages, elle implique aussi, telle est votre ligne de conduite, des obligations et même des sacrifices. Vous en avez assumé la charge en constituant notamment d'exemplaires armées de milices. Dans certaines occasions, vous avez fait la preuve que les plus pacifiques des soldats pouvaient être aussi les plus valeureux, démonstration qu'il n'est pas utile de faire.
- Ai-je besoin de vous dire combien la France est heureuse de la participation accrue de votre pays aux affaires d'un monde de plus en plus inter-dépendant ? Votre présence, vos responsabilités dans un grand nombre d'enceintes internationales nous permettent de nous rencontrer très souvent, d'y échanger nos vues. Elle sont le plus souvent largement convergentes. Aujourd'hui au Conseil de l'Europe, à l'OCDE, à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe `CSCE`. Demain peut-être, mais cela n'implique aucune intrusion dans vos affaires intérieures, peut-être aux Nations unies. Mais je vous le disais, vous y êtes déjà. L'esprit qui souffle ici, on le retrouve partout où l'on discute de la paix.
- Je sais, monsieur le président, la contribution personnelle que vous avez apportée à cette évolution et j'ai pu, auprès de messieurs les conseillers fédéraux, apprécier leur façon d'être et leur ouverture d'esprit. Vous avez pu remarquer peut-être que sur cette feuille d'invitation, il s'agit d'une invitation faite au Conseil fédéral de Suisse. C'est donc à ce gouvernement collégial d'un caractère si particulier, cette réussite unique au monde, c'est à cette assemblée que je m'adresse pour lui dire ce que j'attends de sa présence diverse et multiple partout où l'on débat du sort du monde.\
Nous avons, en effet, dans ces instances internationales, à rechercher des solutions aux maux qui minent aujourd'hui la société des hommes, l'accumulation déséquilibrée et absurde des armements, l'appauvrissement progressif et continu des pays déjà les plus démunis, le recours à la force qui se multiplie pour régler les conflits sans tenir compte le moins du monde de l'ordre international et cet ordre international lui-même si peu capable de s'imposer. Ce désordre, cette confusion économique et monétaire, les plus hautes intelligences du monde, faute de volonté, n'ont pas encore été en mesure de juguler, d'harmoniser, de commander, comme nos prédécesseurs avaient su le faire au lendemain de la deuxième guerre mondiale de 1944 - 1945 à 1971 en permettant tout de même que les fluctuations ne soient pas destructrices pour les économies nationales, tandis que l'économie du monde connaissait une période de croissance qu'elle n'avait pas connue depuis longtemps, qu'elle n'avait peut-être jamais connue. Ce n'était pas un hasard, il y a un lien entre ces deux phénomènes. On ne devrait pas l'oublier d'autant plus que la contre épreuve est venue, c'est au moment où ce système a été détruit que la crise a rebondi jusqu'à atteindre les dimensions que l'on pouvait penser à jamais abolies depuis la crise des années trente `1930`.\
Cette soirée qui n'achève pas tout à fait mon voyage, puisque demain matin j'aurai encore le plaisir de rencontrer certains d'entre vous, mais enfin il est vrai que c'est une brève visite. Il est difficile de passer plus de deux jours pleins, et même un peu plus, dans un pays aussi proche, mais tout de même les affaires de la France, j'en ai aussi la charge. J'espère que cela nous a permis de nous mieux connaître. Nous nous sommes entretenus longuement de toutes ces affaires, les grandes affaires que j'évoque et j'ai la conviction que la Suisse, forte de son histoire originale, de sa tradition de médiation, au savoir-faire diplomatique à nul autre pareil, a beaucoup de choses à nous apporter et dans cette société en proie aux conflits de toutes -natures, j'ai aussi la conviction, car j'ai conscience du rôle que peut jouer mon pays, que notre accord peut et doit très utilement contribuer pour que le dialogue politique entre nous ait ses prolongements bien au-delà de nous, conmme une façon de parler du reste du monde. Et puis, nous n'avons pas négligé nos relations bilatérales, nous n'avions pas du tout l'intention - je l'ai plusieurs fois répété - de nous réfugier dans les grands principes pour tenter d'oublier ou de faire oublier que la Suisse et la France, pays voisin, avaient à régler ou à tenter de régler, à se placer en disposition d'avoir à régler, bref à appliquer leur volonté et leur bon vouloir pour que tous les différends qui surgissent à tout moment, il en va ainsi de toute société humaine, puissent être intelligemment réglés et justement.
- A cela, nous nous sommes appliqués dès la première minute, monsieur le président, puisque nous n'avons hésité ni vous ni moi, ni les ministres et les membres du conseil fédéral qui se trouvent ici présents, qui ont beaucoup discuté au-cours des heures de ces journées, nul n'a hésité à parler franchement pour contribuer à une heureuse solution.\
Ces conversations, je crois pouvoir le dire, je l'ai d'abord exprimé lors d'une conférence de presse cet après-midi, ces conversations ont permis de régler parmi la douzaine de questions pendantes, d'en régler le deuxième tiers, tandis que le premier tiers avait été déjà réglé par les travaux préparatoires, de telle sorte qu'il nous reste à mettre au-point un certain nombre de litiges secondaires qui découlent souvent d'ailleurs de la différence de nos lois et de nos usages, beaucoup plus que d'un différend diplomatique entre nous. Il faut prendre les choses comme elles sont et nous y parviendrons. Rien en tout cas d'important par-rapport aux enjeux. La France entend être un pays ouvert, bien entendu elle se place en situation de défense, non pas par-rapport à la Suisse, mais par-rapport à un certain nombre d'autres grands concurrents qui n'hésitent pas souvent à employer des chemins de travers. Si je le dis par-rapport à la Suisse, ce n'est pas pour faire un compliment, car je connais les chiffres de notre commerce et de nos relations commerciales entre votre pays et le mien, et je dirai que nous devons être reconnaissants à un pays comme le vôtre d'être celui qu'il est, c'est-à-dire un client fidèle et profitable. Il ne s'agit pas de commettre d'injustices et de laisser supposer que parce que nous devons décider une politique qui peut en effet, ici et là, ralentir certaines transactions internationales, il faut dire et hautement que la Suisse aujourd'hui comme hier, est un partenaire principal. Croyez-moi, cela entre en ligne de compte lorsque nous examinons les rares différends, secondaires la plupart du temps, qui nous opposent. Et je le dis et le dirai à mes compatriotes, tout permet de penser que, quels que soient les problèmes - compréhension, politique, de méthode gouvernementale, de choix fondamentaux sur lesquels vous et nous gardions notre entière liberté - il est des règles internationales qu'il convient que respecter. D'abord celles du contrat - c'est-à-dire celle que nous décidons nous-mêmes entre nous, c'est la première règle de toute société civilisée - sans oublier non plus les règles internationales qui ne sont pas bilatérales mais auxquelles nous avons apporté notre poids.
- Je vous exprime ma gratitude, mesdames et messieurs, et je vous dis, monsieur le président, en levant mon verre selon l'heureuse tradition, les voeux que je forme pour vous, pour les vôtres £ vous, mesdames et messieurs, pour les êtres qui vous sont chers, mais aussi pour les souhaits que vous formez pour votre patrie, pour le bien de la patrie humaine £ je lève mon verre au bonheur du peuple suisse.\