23 mars 1983 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution télévisée de M. François Mitterrand, Président de la République, après les élections municipales et le réajustement monétaire décidé à Bruxelles, sur les objectifs du nouveau gouvernement, Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 23 mars 1983.

Françaises, Français, au jour et à l'heure convenus, me voici devant vous pour vous dire où nous en sommes, où nous allons. Ma tâche en ce moment de notre histoire est d'assurer la conduite du pays, de connaître pour les comprendre vos aspirations, vos besoins, de vous montrer la route à suivre et de vous faire partager autant qu'il m'est possible, la conviction que j'ai de l'intérêt national. Cette tâche est belle et difficile. Vous m'en avez confié l'honneur, j'en assumerai toute la charge.
- Les 6 et 13 mars derniers, vous vous êtes exprimés. J'ai perçu, moi aussi, dans les résultats du premier tour des élections municipales, l'expression de votre inquétude, même si au second tour la confiance l'a emporté en fin de compte sur le doute. Mais le réalignement monétaire décidé lundi à Bruxelles a rendu plus actuelle encore cette interrogation : la politique engagée depuis le mois de mai 1981 est-elle bonne pour la France ? Puisque j'en ai pris la responsabilité, il m'appartient de vous répondre et je le ferai sans détour.
- Oui, cette politique est bonne parce qu'elle est nécessaire pour qui veut changer la société française en ce qu'elle a d'injuste pour le plus grand nombre de ceux qui la composent et qui lui apportent par leur travail et leur talent sa richesse principale qu'est la ressource humaine. Oui, cette politique est bonne pour qui sait les contraintes qu'impose un environnement international soumis à d'autres politiques économiques que la nôtre.
- Or, nous n'avons pas voulu et nous ne voulons pas isoler la France de la Communauté européenne `CEE` dont nous sommes partie prenante, la séparer du mouvement qui porte cette Europe à devenir enfin l'un des grands partenaires du monde, comme nous n'avons pas voulu et nous ne voulons pas, quelque réserve que nous fassions, nous éloigner de l'alliance `Alliance atlantique` sur laquelle repose une part de notre sécurité. De la sorte, nous avons pris des risques. Ce sont ceux que peut prendre une nation comme la nôtre, sûre et fière de son droit à l'indépendance de ses choix.\
En dépit des difficultés, nous avons progressé sur ce chemin ardu, réalisé en peu de mois plus de réformes, plus d'avancées sociales que la France n'en avait connues durant un demi-siècle. Mais maintenant, nous avons plus que jamais à vaincre sur trois fronts : le chômage, l'inflation, le commerce extérieur.
- Le chômage : il y a 35 millions de chômeurs dans les seuls pays industriels qui sont pourtant privilégiés, 13 millions aux Etats-Unis d'Amérique, 12 millions dans la Communauté `CEE`, en Allemagne `RFA` plus de 2,5 millions, en France 2 millions. Tragique litanie ! En un an, exactement 14 mois, le chômage s'est accru de 29 % en Allemagne, de 22 % aux Etats-Unis, en France : 4 %. Mais, la limitation de la croissance du chômage a entraîné pour nous un effort financier qui n'a pas permis de réduire l'inflation aussi rapidement que chez d'autres.\
Quant à cette inflation, c'est une triste histoire qui a commencé avec le choc pétrolier de 1973. Ceux qui gouvernaient à l'époque ont vu le franc `monnaie` perdre en sept ans 40 % de sa valeur par-rapport au mark et nous, nous avons dû à notre tour dévaluer trois fois. C'est une loi à laquelle nul n'échappe : un pays dont la hausse des prix dépasse celle de ses voisins est condamné à dévaluer d'une façon ou d'une autre.
- Telle est la vérité. Je devais vous la dire sans chercher d'excuses trompeuses. Mais elle nous dicte notre devoir. Il est temps, grand temps, d'arrêter la machine infernale. Combattre l'inflation, c'est sauver la monnaie et le pouvoir d'achat. Voilà pourquoi je lutterai, et le gouvernement avec moi, de toutes nos forces, contre ce mal, et mobiliserai le pays à cette fin. Une première bataille a été gagnée l'an dernier. Nous avions hérité d'une hausse des prix de près de 14 %, nous l'avons ramenée au-dessous de 10 %. Ce n'est pas suffisant. Il faut aller plus loin. Mais je pose la question : sans vous, que pouvons-nous faire ? Cette bataille est la vôtre aussi.\
Et il en va de même face à l'autre mal qui nous ronge : le déficit insupportable de notre commerce extérieur et l'endettement qui en découle. Et je vous pose à nouveau la question : sans vous, que pouvons-nous faire ?
- Car votre rôle est décisif. Partout où l'on fabrique et partout où l'on crée, partout où l'on achète, partout où l'on échange, dans votre manière de vivre, de consommer et même de voyager, vous devez préférer, à qualité égale, les productions françaises.
- Choisir et épargner. Epargner quand on le peut, plutôt que de consommer lorsque c'est superflu, c'est l'exigence de base pour servir le pays et préparer son avenir.\
J'ai chargé M. Pierre Mauroy `Premier ministre` de mener cette action. Il a constitué son gouvernement dans cet objet. Ce que j'attends de lui n'est pas de mettre en oeuvre je ne sais quelle forme d'austérité nouvelle, mais de continuer l'oeuvre -entreprise, adaptée à la rigueur des temps, pour que nous sortions au plus vite du creux de la tempte. Aussi lui ai-je fixé les objectifs suivants :
- - Former les jeunes, tous les jeunes, aux métiers d'avenir.
- - Ramener l'inflation à un niveau comparable à celui de nos concurrents.
- - Rétablir en deux ans l'équilibre de notre commerce extérieur.
- - Soutenir les entreprises et les équipes de créateurs qui innovent pour exporter.
- - Respecter les équilibres financiers de la Sécurité sociale et contenir le budget de l'Etat dans ses limites actuelles.
- - Développer l'épargne en l'orientant, et par tous les moyens, vers la rénovation de l'industrie et l'amélioration du logement.
- Il va de soi, enfin, que l'effort demandé à tous devra être équitablement réparti pour que chacun y contribue à la mesure de ses moyens.
- Finalement, c'est à un formidable effort de formation des hommes que l'on doit s'atteler, en regrettant qu'un tel retard ait été pris au-cours des dernières décennies. Mon idée fixe est de vouloir armer la France d'une capacité humaine égale ou supérieure à quiconque dans le monde.\
Mais, ce qu'on appelle la crise, comme s'il s'agissait de la colère des dieux, d'un phénomène incontrôlable, d'une fatalité par-nature plus forte que le génie de l'homme, n'est au contraire que le produit de ce génie désordonné. Tout simplement, la société industrielle du XXème siècle n'a pas encore assimilé les effets de la technique et de la science sur ses structures de production et de travail, donc sur son mode de vie, et nous assistons aujourd'hui aux soubresauts d'un monde qui meurt, en même temps qu'un autre naît. Il n'y a là-dedans rien de mystérieux. On en connaît le mécanisme. Il suffit de s'en rendre maître.
- Certes, la France ne peut pas, à elle seule, résoudre les problèmes qui se posent à l'échelle mondiale. Mais elle peut, et elle doit, par ses propositions et ses initiatives, contribuer à l'avènement d'un nouvel équilibre. Au-delà de ses frontières, on l'entend, croyez-moi, quand elle parle. Il faut qu'elle dise aux responsables du monde entier qu'il est intolérable de gaspiller des biens quand il y a deux milliards d'êtres humains qui souffrent de la misère et de la faim. Qu'il est dérisoire de se plaindre de l'inflation, du chômage et de la concurrence "sauvage" quand on pourrait instituer, comme ce fut le cas jusqu'en 1971, un système monétaire international cohérent. Qu'il en vain de parler de développement des pays pauvres quand les pays riches consacrent tant d'argent à leur propre armement. Qu'il est suspect de proclamer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes quand les grandes puissances entendent régenter les peuples les plus faibles.
- C'est la France qui, dans le passé, a répandu sur toute la terre les mots d'ordre de liberté et plus récemment, d'arbitrage, de désarmement et de sécurité collective. Pas davantage aujourd'hui, elle n'est à court d'idées. Mes prédécesseurs, avant moi, ont sur ce thème émis de sages propositions. A Mexico, Cancun, Alger, Delhi, j'en ai, à mon tour, appelé à la conscience universelle. C'est un domaine, voyez-vous, où se rejoignent aisément tous les hommes de bonne volonté.\
Quant à nous, organisons notre avenir autour d'un grand dessein. Tout commence par la jeunesse, évidence trop oubliée. Elle nous reprochera un jour non pas de lui avoir trop demandé mais de l'avoir sous-estimée au point de ne pas lui demander davantage £ la récompense est dans l'effort. On la croit indifférente alors qu'elle n'en peut plus d'espérer dans la vie. Il dépend de nous qu'elle bâtisse, du moins je l'espère, une société où s'affirmeront ces valeurs essentielles que sont d'abord la vie, l'intelligence et la conscience humaine.
- Encore faut-il, et tout de suite, redoubler d'énergie et de ténacité pour le redressement national. L'année dernière, je vous demandais de résister, résister au laisser-aller, à l'incurie, aux affrontements inutiles, à l'exaspération des intérêts particuliers, à tout ce qui menace et divise la patrie dans son existence-même, mais aussi extirper la haine contre ceux qui vivent parmi nous et qui sont différents, refuser le déclin de la France qui s'inscrit dans le déclin de la famille.
- Et j'en reviens ainsi toujours au même point : sans faiblesse et sans complaisance, soyez mobilisés au service de la France, même si c'est difficile, parce que c'est difficile. Je n'hésiterai pas, quant à moi, à exiger ce qui est dû à l'intérêt public, mais j'ai confiance dans ma patrie parce que j'ai confiance en vous.
- Vive la République ! Vive la France !\