21 janvier 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du 20ème anniversaire du Traité franco-allemand, Paris, au Salon Murat du Palais de l'Élysée, vendredi 21 janvier 1983.

Monsieur le chancelier,
- Mesdames et messieurs,
- En visitant hier le musée consacré au chancelier Adenauer à Rhondorf, puis la demeure où il vécut, j'ai été frappé par les deux souvenirs qu'il avait tenu à faire figurer, dans son bureau, sur sa table de travail : une lettre adressée en 1950 par une jeune Française pour lui faire don de la Croix de guerre 1914 - 1918 de son père et deux clous de la cathédrale de Coventry. On devine pourquoi. Ces souvenirs nous révèlent avec force l'homme que fut le chancelier Adenauer, lui qui a symbolisé, en son temps, avec quelques autres, la volonté de paix et de réconciliation en Europe.
- Konrad Adenauer consacra l'essentiel de son énergie à faire renaître l'Allemagne, à réconcilier son pays avec la France et à poser les bases d'une union européenne.
- Faire renaître l'Allemagne, il s'y attacha dès 1945 et en eut la charge première lorsqu'il devint, dès le 15 septembre 1949, le premier chancelier de la République fédérale, charge qu'il occupa quatorze ans jusqu'au 15 octobre 1963. Se souvenant sans doute qu'il avait demandé au chancelier Bruning de mettre en oeuvre une politique de l'emploi, alors que la crise économique mondiale des années 30 `1930` s'amplifiait et frappait de plein fouet son pays - faute de quoi la démocratie serait condamnée - il tint, lui qui en 1933, 1934 et 1944 avait payé de sa personne l'étouffement de la démocratie, à apporter à son peuple tout à la fois prospérité et liberté.
- A l'extérieur, c'est à ramener l'Allemagne dans la communauté des peuples libres qu'il s'employa, et avec quelle réussite ! il a permis à l'Allemagne d'être considérée comme un partenaire de confiance par la communauté des nations. Mais le chancelier comprit que cette oeuvre ne pouvait trouver toute sa dimension sans l'établissement d'une relation personnelle particulière avec la France.
- Il s'y est engagé dès les années 1950 - parce que c'était sa conviction et parce que ses origines le prédisposaient à une telle démarche. Je me souviens à cet égard, j'y étais, de sa rencontre avec Pierre Mendès France, de l'action menée pour qu'aboutisse le projet, puis le traité créant la Communauté européenne du charbon et de l'acier `CEE`, des rencontres avec le général de Gaulle en 1958 et, bien sur, de sa visite officielle en France en 1962 qui préluda à la signature du traité de 1963 `Traité de l'Elysée` que nous célébrons aujourd'hui.
- C'est ainsi que, transcendant l'estime et la compréhension mutuelle entre deux hommes - lui, le chancelier Adenauer et le général de Gaulle - il sut donner à ce -rapport entre deux individus les dimensions d'un lien entre deux peuples, réconciliés après s'être tant déchirés.
- Il voyait cette résolution comme seule capable de poser les bases d'une union des pays d'Europe. Tournant le dos à une politique illusoire de bascule se situant dans la logique de Locarno plus que dans cette de Rapallo, désireux d'ancrer absolument son pays dans la communauté occidentale, Konrad Adenauer voulut insérer l'Allemagne dans une Europe libre qui, ayant assuré sa sécurité au sein de l'Alliance `Alliance atlantique`, délivrée de la haine et de la peur, puisse avancer dans la voie de l'union dans l'esprit même des Traités de Rome.\
Je devine l'émotion qui fut la sienne `Konrad Adenauer` lorsque le Bundestag vota ces textes auxquels nous devons l'Europe d'aujourd'hui et le symbole que fut pour lui l'attribution de la médaille Robert Schuman. Ce dernier nom nous rappellera que le mérite de cette entente et de cette amitié reconquise entre l'Allemagne et la France est dû à une longue suite d'imagination, de création d'efforts. Dès les années de l'immédiate après-guerre, j'ai rencontré moi-même au premier Congrès européen de La Haye en 1947, les initiateurs des temps nouveaux. Il y fallut du courage et de l'abnégation pour les principaux d'entre eux qui abordèrent pendant de longues années une période désertique car il n'était guère entendu. Je pense à Robert Schuman, à Jean Monnet mais à bien d'autres que l'on trouve dans plusieurs des pays de l'Europe et la naissance des premiers traités, les premiers accords, le début de la Communauté `CEE`. Parmi ces actes, celui que nous célébrons, je le disais à l'instant, le traité de coopération franco - allemand dit de l'Elysée. Il fut signé, monsieur le chancelier, mesdames et messieurs, dans cette salle à peu près dans ces conditions.
- Le traité que j'ai sous les yeux avec les cachets adéquats porte la signature du chancelier fédéral de la République fédérale d'Allemagne, le chancelier Adenauer, et celle du ministre fédéral des affaires étrangères de la République fédérale, M. Schroeder. Il porte la signature du président de la République française, Charles de Gaulle, du premier ministre français, Georges Pompidou et du ministre français des affaires étrangères, Maurice Couve de Murville. Ces noms ne nous feront pas oublier ceux qui avant 1963 et depuis 1963 ont été les artisans de cet ouvrage. Ceux qui à-partir du traité ont maintenu, consolidé, développé aussi bien sous l'autorité du président Pompidou que sous celle du président Giscard d'Estaing, oeuvre que nous continuons, je le disais. L'historien se chargera de démêler les différences d'approche et de conception mais cette continuité-là, l'amitié franco-allemande, est restée la base de nos efforts, la base de nos démarches.
- L'Allemagne et la France dans une Europe occidentale unie, dans une Europe tout court, celle que dessine la géographie et qu'aurait dû faire l'histoire, Europe de l'Ouest, Europe de l'Est, l'Europe tout simplement, telle est la démarche qui, dépassant les circonstances de ce jour, dépassant les antagonismes et les philosophies, est comme une sorte d'esquisse de ce que pourrait être la communauté des hommes sur le continent qui est le nôtre et dont le traité franco - allemand de 1963 pourrait bien servir de modèle.\