20 janvier 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Mitterrand, Président de la République, à la Stadthalle, Bonn, jeudi 20 janvier 1983.

Mesdames et messieurs, il n'y a pas de discours prévu à cette heure et je ne m'en plaindrai pas et vous non plus. J'étais heureux de vous entendre pour la première fois de la journée, vous adressant à un public allemand et français. Et nous poursuivrons demain ce dialogue. Cette fois-ci vous serez notre hôte, et c'est vous qui vous adresserez aux Français. J'ai retrouvé dans vos propos la tonalité que j'ai pu apprécier dès notre premier entretien, le jour-même de votre désignation au poste de chancelier `Helmut Kohl`.
-J'ai ce matin voulu exprimer au peuple allemand d'abord ce qui était le corps de doctrine, de pensée, de propositions des Français. Mais je n'ai pas du tout entendu me substituer aux décisions allemandes `sur la sécurité européenne et l'armement nucléaire` ni même me placer en donneur de conseils. Vous êtes un trop grand peuple pour que je puisse y songer. Je viens en ami, en ami responsable appartenant à la même alliance `Alliance atlantique`, à la même zone géographique, nous avons une histoire à régler entre nous, il n'est pas indifférent que nous sachions, avec la plus grande précision possible, ce que l'autre pense des problèmes majeurs. Dans la liberté de choix des Allemands entièrement respectée, il est une donnée que chacun jugera à son goût : la position française.
- Nous ne pouvons nous identifier, même si nous sommes proches. Les lendemains de la dernière guerre mondiale ont créé des situations différentes au regard du droit international qui pèsent encore. Et la France a pu se doter des instruments nécessaires. Ce dont a été privée la République fédérale d'Allemagne. Nous avons donc suivi une voie qui ne pouvait être la vôtre, quoiqu'on en pense, bien entendu, c'est un fait. Mais alors nos réactions peuvent ne pas être semblables. Je n'ai pas dit ne peuvent pas être semblables, elles peuvent n'être pas semblables, et il faut le comprendre. Au moins nous savons où nous en sommes et j'ai bien senti qu'aussi bien sur-le-plan de notre commune sécurité, que sur-le-plan de la commune construction de l'ensemble européen, il existait de profondes résonnances, ici et là. Là, je veux dire en France. Ce sont ces résonnances qui dominent mon esprit au moment où je m'adresse à vous, avant de vous quitter pour rejoindre Paris.\
Cela c'est le -fruit de l'histoire. Parler de réconciliation, c'est du passé, la célébrer, c'est bien, mais cette mémoire collective qui nous habite continue de diriger nos sentiments et nos choix. Cette histoire et cette mémoire politique, marquées de tant de douleur et de souffrance, et maintenant d'espérance. Nous sommes deux vieux peuples riches d'épreuves et d'expériences avec encore de belles forces de la jeunesse capables de continuer longtemps à travers les siècles l'histoire de l'Allemagne et l'histoire de la France.
- Nous sommes un peu à la convergence des chemins, et j'allais dire que le présent c'est toujours la conjonction du passé et de l'avenir bien entendu. Le présent-même existe-t-il ? A peine l'a-t-on évoqué qu'il a disparu. Mais il est cependant des moments, et je crois que nous en vivons un, où on a le sentiment qu'une porte s'ouvre sur l'avenir. Nous sommes en-train de l'ouvrir nous-mêmes, nous sommes donc des ouvriers privilégiés de l'histoire. Ensuite par cette porte ouverte beaucoup passeront, du moins je l'èspère. Voilà l'esprit qui est le mien.
- Mesdames et messieurs, je suis sensible à cette belle réception, dans cette décoration qui flatte le regard. Je regrette de ne pouvoir vous connaître davantage et ne pouvoir m'attarder parmi vous comme on le fait à la veillée d'une journée dans les lieux que l'on aime, c'est là le moment le meilleur de la journée. Mais voilà telle est ma tâche, ou notre tâche, il me faut déjà poursuivre mon chemin. J'espère, mesdames et messieurs, que l'étape aura été bonne et vous en remercie.\