17 janvier 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert au Palais de la Rénovation par M. Omar Bongo, Président de la République du Gabon, notamment sur le développement économique du Gabon, la coopération franco-gabonaise, les libertés, Libreville, lundi 17 janvier 1983.

Monsieur le président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Les paroles d'amitié que vous venez de prononcer, en cette soirée qui nous rassemble à Libreville, paroles d'amitié à l'égard de la France et de son peuple, me touchent profondément.
- Je vous en remercie d'autant plus qu'elles traduisent la qualité de l'accueil que vous-même, ainsi que les autres autorités de l'Etat, du Parti démocratique gabonais, la foule, ont manifesté sans réserve. A mon tour, permettez-moi de vous dire combien je me réjouis de me trouver parmi vous.
- Vous aviez raison de souligner, monsieur le président, que cette amitié séculaire que beaucoup nous envient, a été placée par l'histoire sous le double signe de la liberté et de la dignité. Ce choix de liberté, de dignité a déjà été fait le long des côtes gabonaises par les équipages de nos navires contre l'odieuse traite des noirs. Car c'est dans ce contexte que Bouet Willaumez `capitaine de vaisseau français` qui commandait le brick "La Malouine" et qui cherchait un appui pour la divisioon navale de l'Atlantique Sud, signa successivement en 1839 puis en 1842, des traités avec les rois Denis Rapontchombo et Louis Dowé avant de fonder, en recueillant les esclaves d'un bateau négrier, la future capitale du Gabon : Libreville.
- Histoire commune que nous avons plusieurs fois assumée, célébrée en commun. Qu'il s'agisse comme il y a deux années du centenaire de la création de Franceville par Pierre Savorgnan de Brazza. Qu'il s'agisse dans un temps plus lointain mais proche de nos mémoires de ceux qui sur cette terre africaine, ont joint leurs efforts et leurs sacrifices à nos efforts et à nos sacrifices, à un moment où la France était au bord de l'abîme. Qu'il s'agisse des conditions dans lesquelles a été rendue à votre peuple son indépendance `17 août 1960`, qu'il s'agisse enfin de notre coopération qui a conservé son caractère privilégié.\
Une grande part du mérite de cette histoire contemporaine vous revient, monsieur le président. Homme d'expérience, vous avez déjà pu, aux côtés de Léon M'ba, que j'ai bien connu, premier Président de la République gabonaise, vous préparer, avant d'accéder en 1967 à la Présidence de la République, au difficile exercice du pouvoir, en mettant avec détermination l'accent sur ce qui rassemble - que ce soit dans votre propre pays, dans-le-cadre des relations avec la France, ou encore dans la -recherche d'un nouvel ordre économique mondial - vous avez su mener votre pays sur la voie du progrès et du développement, tout en lui assurant sur le continent et dans le monde entier, un réel pouvoir de rayonnement.
- Oui, dans ce monde qui subit depuis plusieurs années les effets de la crise, le Gabon reste un pays finalement prospère, même s'il connaît des difficultés. Il est vrai, monsieur le Président, que votre objectif de rénovation économique et sociale - je cite - est une formule que vous mettez en oeuvre avec courage et que vous inscrivez chaque jour dans la réalité. Votre pays est certes généreusement pourvu en ressources naturelles. L'exploitation de l'okoumé `bois` depuis la période de décolonisation, celle ensuite des gisements de manganèse et d'uranium, et plus récemment celle du pétrole, ont fourni les bases d'un développement économique remarquable. L'existence, en outre, d'énormes gisements de fer, encore inexploités dans la région de Belinga, vous permet d'envisager l'avenir avec confiance. Mais, c'est surtout dans les qualités de votre peuple, bien entendu, et dans son union que vous trouverez les ressources d'énergie qui vous mèneront à l'avenir.\
Et cette prospérité ne résulte pas, je le dis, seulement de ces exceptionnelles richesses naturelles. Une politique volontariste, une stratégie mise en oeuvre, sur la base d'un peuple intelligent et courageux, vous ont permis de gagner la confiance de la communauté internationale. Vous avez ainsi pu réaliser un remarquable redressement financier après la crise qui a frappé particulièrement le Gabon en 1977, et ce langage de la raison vous a permis de mener à bien une difficile -entreprise. Ainsi votre pays se trouve-t-il finalement dans une situation enviée.
- Vous avez pris le pari de transformer votre pays, de l'équiper, de le doter d'infrastructures de toutes sortes, modernes et adaptées. Et, dans cette perspective, vous m'avez fait l'honneur, et je vous en remercie, de m'associer à l'inauguration demain du premier tronçon du chemin de fer Transgabonais. Chemin de fer qui donne la mesure de votre détermination pour ce fameux développement dont vous avez tracé les premiers instruments. Ce projet qui tenait de l'épopée, vos l'avez fait aboutir en dépit de nombreuses réticences, ici et ailleurs. C'est aujourd'hui l'un des plus grands chantiers du monde où des hommes venus de France et d'autres pays européens `CEE` oeuvrent avec les Gabonais pour perçer, avec un courage et un dévouement remarquables, la grande forêt équatoriale.
- Le Transgabonais, monsieur le président, est aussi un symbole. Celui des progrès économiques, facteurs d'unité nationale, l'instrument de désenclavement des richesses agricoles et minières, qui fait le lien entre les hommes de la côte et ceux de l'arrière-pays. Ouvrant le pays à la civilisation industrielle, vous avez su ainsi mettre en oeuvre une politique sociale. Et je veux noter, à cet égard, l'effort qui a permis à votre peuple d'atteindre un taux de scolarisation de 90 %, l'un des plus élevés de l'Afrique. Volonté de développer la formation technique et professionnelle, de doter ce pays de cadres nationaux de haut niveau, de promouvoir une université dynamique : voilà une façon de répondre aux légitimes soucis des états modernes, afin d'assurer la maîtrise de leur démarche économique.\
Chacun reconnaît au Gabon une place, un rôle et un rayonnement spécifiques sur la scène africaine et mondiale. Cela est dû, en premier lieu, au fait que la République gabonaise, vit, commerce et dialogue en bonne intelligence avec ses voisins. Votre conception de la solidarité régionale - je pense à l'union douanière et économique de l'Afrique centrale, à la Banque des Etats de l'Afrique centrale, au projet de communauté économique des Etats d'Afrique centrale - vise à assurer une plus grande cohésion de ces ensembles régionaux et rencontre les plans et les objectifs d'un certain nombre d'institutions internationales et particulièrement sur-le-plan de l'Europe.
- Votre voix, vous la faites également entendre lorsqu'il s'agit de l'Afrique toute entière, et vous déployez une diplomatie active, en recherchant toujours la solution des différences.\
Je sais enfin combien vous êtes attaché - vous l'avez vous-même souligné en reprenant l'un des passages de mon intervention à Kinshasa au dernier sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France - à la sauvegarde et au renforcement des liens qui existent entre la France et ses partenaires africains et qui sont un héritage de l'histoire de nos peuples. La France, c'est vrai, monsieur le président, a des devoirs envers l'Afrique. Nous en avons conscience, nous les assumerons. Ma présence au Gabon n'est-elle pas d'ailleurs le signe évident de ce que veut mon pays, de ce qu'il entend faire sur-le-plan de la coopération, et sa façon de contribuer à fortifier une identité commune qui est celle de la francophonie ? Car vous vous êtes vous-mêmes prononcé en faveur de la -défense et de l'illustration de la langue française, sans pour cela, bien entendu, remettre en cause votre appartenance à la civilisation bantoue.
- Oui, monsieur le président, je partage l'analyse que vous avez développée - je vous cite - "le moment paraît venu d'engager un véritable dialogue des civilisations permettant une fécondation réciproque des cultures" - je vous cite toujours - "laquelle devrait grandement faciliter à la fois un changement de modèle de croissance des pays avancés, et une solidarité effective débarassée enfin de tout relent colonialiste entre ces pays et les pays en voie de développement".\
Et bien, la France est à vos côtés, amis Gabonais, lorsque vous défendez avec constance et vigueur la course au développement, lorsque vous prenez des positions que l'on sait importantes dans les diverses négocations sur le dialogue nord sud ou dans-le-cadre de réunions de la Communauté économique européenne `CEE`. C'est dire que nous avons une commune vision et une même impatience de réaliser les objectifs que vous avez vous-même définis. Bien entendu, cela mérite discussion et cette discussion est aujourd'hui engagée entre nous.
- Vous avez souhaité, en effet, qu'une centrale nucléaire, de modeste taille, pût s'installer au Gabon. Et je crois qu'une étude est nécessaire pour connaître exactement la -nature des besoins, surtout dans un pays comme le vôtre, qui doit à la fois - c'est ce que vous faites avec raison - penser à l'après-pétrole, mais en même temps, qui se trouve doté de grandes richesses énergétiques. De toutes façons, des instructions seront données pour que experts et spécialistes puissent mettre l'étude au point, ce qui nous permettra ensuite de raisonner en connaissance de cause, sur les capacités sans oublier que la technologie évolue. Car aujourd'hui, cette technologie ne nous permettrait pas de céder ou de vendre une centrale de la taille de celle que vous souhaitez. Mais, le progrès va vite et cette étude sera un élément indispensable pour que nous puisssions reprendre une conversation après avoir planté les premiers jalons ainsi souhaités.
- D'autres dossiers ont été examinés au sein de la réunion élargie que nous avons tenue cette après-midi autour de vous et de moi-même. Ce dossier montre que nous avons les uns et les autres une volonté très ferme de régler ce qui peut l'être et de débrouiller ce qui ne l'est pas encore. De ce point de vue, je n'ai pas non plus d'inquiétude pas plus que vous et je sais bien que notre coopération continuera d'être extrêmement féconde. Nos discussions sont sérieuses, nous y apportons le sentiment qu'il convient de contribuer au progrès du peuple gabonais, donc d'éviter de l'engager sur des chemins qui seraient sans issue. La haute conception qui est la nôtre nous permettra sans aucun doute d'aboutir.\
J'ai eu beaucoup de plaisir à me trouver tout le long de cette journée parmi les représentants de ce peuple et, aussi, dans ce peuple, à l'accueil et au long des étapes jusqu'à ce soir. De même, j'ai eu beaucoup de plaisir à rencontrer à la Résidence de France les représentants de la Communauté française qui s'étaient déplacés nombreux. Je veux, vous me permettrez de le dire, au delà de cette salle, je veux que tous les Français sachent à quel point ils me sont chers. Quelle que soit leur opinion, ce sont des citoyens français qui ont une entière liberté de conscience et qui la garderont. Lorsque j'observe de quelle façon j'ai pu vivre avec eux ces quelques instants, je sais bien que les points communs d'attachement à notre pays pour que nous construisions ensemble une société plus juste, chacun choisissant sa voie selon ses convictions, je sais combien tout cela est parfaitement compatible avec le respect mutuel dû par chacun d'entre nous aux autres. J'ai trouvé, j'ai cru percevoir précisément dans cette fin d'après-midi, dans le climat de la Résidence de France que, finalement, c'était cet -état d'esprit de bonne compréhension entre Français qui prévalait. Et je dois dire, monsieur le président, que la façon dont vivent les Français au Gabon contribue à cet -état d'esprit car ils se sentent bien chez vous. On sent un véritable attachement, ils se sentent enracinés dans ce pays. Ils ont envie pour la plupart d'y rester pour continuer la tâche que je crois utile qu'ils remplissent afin de bien servir non seulement le Gabon mais la France en étant les artisans d'une coopération constante et féconde.
- Tout cela explique à l'évidence le caractère exemplaire de nos relations. Comment pourrait-il en être autrement, après tout ? Notre but est bien de préserver, d'approfondir ces liens qui sont légués par la culture et par l'histoire et qui sont renforcés par une compréhension réciproques. Nous agissons ensemble en partenaires indépendants, souverains et, en droit international comme dans la conception que j'en ai, égaux.
- Dans un monde que nous savons déchiré par les affrontements, traumatisé par les crises, menacé par les convoitises, nous avons su nous placer et placer nos rencontres sous le signe du dialogue, de la confiance, de l'amitié. C'est un atout maître dont bien peu de peuples disposent mais qui est notre propriété commune, monsieur le président. J'en retrouvai l'écho dans vos propos de tout à l'heure. Le Gabon a choisi en toute souveraineté, je le répète, un modèle qui lui est propre. Votre droit d'être ce que vous êtes existe, doit être respecté. En fondant le 12 mars 1968 le Parti démocratique gabonais `Parti unique`, vous avez souhaité instaurer cette démocratie en s'inspirant de vos valeurs propres. Vous avez voulu rassembler les Gabonaises et les Gabonais, forger une unité nationale d'autant plus indispensable que votre nation se compose de nombreuses ethnies et de différentes communautés humaines.\
Et bien, cherchant à dépasser ces rivalités, vous avez entrepris d'engager votre peuple dans la voie, selon votre définition, d'une politique de progressisme démocratique et concertée : ce que j'analyse comme une volonté d'établir une société toujours plus juste, toujours plus solidaire. Rappelerai-je à ce propos que le fond de notre action qui est en même temps reflet de notre civilisation, s'appelle précisément "Défense des droits de l'homme". Nous avons pour ces droits de l'homme un attachement, comment dirai-je, viscéral et vous savez, monsieur le président, que notre volonté est que, partout et toujours, les libertés fondamentales soient respectées. Vous savez à quel point je respecte les décisions propres à chaque étape que je visite parce que c'est une façon de vivre ensemble en évitant toute ingérence inutile. Puisque vous avez parlé de "pardon, d'indulgence et de meilleure compréhension, façon d'avoir finalement raison, je ne peux qu'exprimer le souhait qu'il vous soit possible dans un délai bref de faire passer ce grand vent de la générosité africaine dont vous avez été, il y a un moment, un parfait interprète. D'ailleurs, vous avez su en quinze ans, démontrer à plusieurs reprises que vous étiez capable de clémence. C'est de cette façon et selon ces perspectives, monsieur le président, que je ressens le caractère tout à fait particulier de nos relations. Je veux dire par là que le Gabon et la France attachent l'un et l'autre une extrême attention à la qualité de leurs -rapports, au maintien et à l'accroissement d'une coopération exemplaire fondée, je le disais, sur le respect mutuel. C'est cela la vraie solidarité sans oublier les relations personnelles fort importantes entre chefs d'Etat, entre respponsables qui ont d'abord besoin de se comprendre s'ils veulent comprendre leur politique. De ce pioint de vue, je dois dire que la façon dont, à Parris, dans des assemblées internationales et ici même, vous avez su tendre la main au gouvernement de la République comme vous l'aviez fait dans le passé, a représenté pour moi un acquit important de la même façon, madame, que j'ai eu la joie, le plaisir de vous recevoir, ce qui me permet de vous redire à quel point j'apprécie votre hospitalité d'aujourd'hui.\
Voilà bien des données qui nous permettent de travailler dans la sécurité mutuelle avec l'espérance au coeur. Une bonne amitié fondée sur l'histoire, sur la communauté de culture, voilà des éléments qui appartiennent en propre à nos deux pays. Il est aisé, à-partir de là, de répéter vos propres propos monsieur le président, et de vous dire oui : Vive le Gabon ! Vive la France ! Vive l'amitié entre la France et le Gabon ! Nous avons, monsieur le président, au-cours de cette journée, au-cours des journées précédentes dans d'autres pays, nous avons, j'ai moi-même rappelé les bases sur lesquelles repose notre politique, la politique française à l'égard du tiers monde. J'en ferai grâce à mes auditeurs qui connaissent les principes qui animent la France mais c'est vrai que lorsque je crie : Vive le Gabon, Vive la France, Vive l'amitié franco - gabonaise ! Je pense au rôle que nous pouvons remplir ensemble dans les relations bilatérales, dans les relations de la France et de l'Afrique, dans le soutien des cours des matières premières, par l'autosuffisance alimentaire, par la mise au service des institutions internationales au service de l'homme et de son progrès, par des négociations globales qui permettront à tous de rencontrer les autres. J'ai l'ambition, comme vous-même monsieur le président, de faire que les relations entre nos deux pays puissent précisément servir - comment dirai-je - de modèle. C'est peut-être beaucoup d'ambitions mais, en tout cas, le moyen pour faciliter entre les peuples du monde l'avènement de la concorde, celle qui règne entre nous.
- Monsieur le président, quand nous serons à la fin du repas mais sans mobiliser l'attention de chacun, discrètement je lèverai mon verre à votre santé, votre santé personnelle, celle de Mme Bongo, celle de votre famille, de ceux qui vous sont chers, celle de votre peuple et vous, mesdames et messieurs parlant à vos personnes, je m'adresse au peuple dont vous êtes aujourd'hui les représentants, à la santé du peuple gabonais. Merci.\