16 janvier 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner au Palais de la République à Cotonou (Bénin), notamment sur les libertés, les problèmes de l'Afrique australe, la politique étrangère de la France au Tchad et au Proche-Orient, les relations Est-Ouest et Nord-Sud, les relations bilatérales franco-béninoises, dimanche 16 janvier 1983.

Monsieur le président de la République du Bénin,
- Mesdames et messieurs,
- A la fin de cette deuxième journée passée au Bénin, j'exprime au Président de la République, aux dirigeants, aux responsables qui nous ont reçus, ma femme `Danielle Mitterrand` et moi, ainsi que la délégation qui m'accompagne, mes sentiments de gratitude.
- Nous avons été bien reçus. Nous avons goûté votre hospitalité et nous vous quitterons demain matin avec le sentiment d'avoir établi de solides fondements pour l'amitié de nos deux peuples et, au delà de cette salle, je veux dire au peuple béninois tout entier les sentiments que la France lui porte. J'ai pu constater la somme de vos efforts et le sérieux de vos projets. Les difficultés qui sont vôtres sont celles des pays les moins avancés. C'est dire l'immensité de votre tâche qui ne réussira qu'appuyée sur la volonté, l'intelligence et les qualités de travail de votre peuple. Je sais que vous vous êtes mis à la tâche avec courage, assiduité et détermination. Pour la première visite dans l'histoire d'un Président de la République française au Bénin c'est sur une note d'espoir que j'irai plus loin en attendant le moment où il me sera donné de retrouver mes amis de ce pays.\
Vous nous avez exposé, monsieur le président de la République `Ahmed-Mathieu Kérékou` les conditions dans lesquelles vous avez engagé votre action. J'écoutais avec intérêt. C'est une histoire vécue, vécue par vous-même et à quel niveau ! C'est l'histoire d'un peuple pendant onze années, c'est donc une histoire importante pour ce peuple d'Afrique occidentale. Je me disais que mon rôle à moi, en ma qualité de Président de la République française, c'était de respecter vos choix. Ils vous engagent. Choix idéologiques, choix politiques, choix des méthodes. Mon rôle en qualité de responsable d'un pays ami est de contribuer à la réussite d'une difficile -entreprise. Sans doute la France, et vous l'avez rappelé, est-elle profondément fidèle à un certain nombre de principes qui ont fait la qualité de sa démocratie. Sans doute dira-t-elle ici comme ailleurs qu'on ne fonde rien de solide ni de durable sans le respect primordial des droits de l'homme. Et je connais le -prix de l'effort ! Je n'ignore pas ce que votre pays a dû surmonter pour parvenir au fondement de son unité hors de laquelle il serait vain d'espérer quelque destin historique que ce soit. Attaché passionnément à cette unité du peuple béninois, monsieur le président, vous en êtes le premier artisan et c'est à ce premier -titre que je vous salue.\
C'est la marque du respect mutuel qui caractérise nos relations aujourd'hui même renouvelées. Observant de quelle façon avance votre peuple comme vous-même observez la façon dont nous avançons - encore heureux de constater que nous avançons de telle sorte que nous nous rapprochons les uns des autres car si nous avions pris le chemin inverse, comme nous regretterions la vieille et l'ancienne solidarité du Bénin et de la France ! Mais au lieu de celà nous avons choisi la bonne direction dans l'indépendance de votre souveraineté, de votre volonté intérieure, de vos préférences et dans le respect des nôtres nous entendons contribuer, je vous le disais à l'instant, au progrès, au développement, à la sécurité et à la paix non seulement pour le Bénin mais dans cette région du monde comme dans le monde tout entier.
- Nos relations bilatérales sont bonnes. Si elles ont connu une période obscurcie, je crois qu'on peut estimer à la suite de nos franches conversations, que cela appartient au passé, un passé qui au demeurant contient de belles et riches heures. Vous les rappeliez hier soir, elles remontent à trois siècles. Elles nous ont associés sur bien des champs de bataille. Elles vont nous associer dans les travaux pacifiques qui nous attendent. Voilà donc des relations bilatérales comme je les souhaite : un contact direct, ouvert, approfondi, sans complaisance, avec la volonté d'exposer chacun de son côté son propre dossier tel qu'il est, ce que l'on peut, ce que l'on ne peut pas, de quelle façon il faut agir et où se diriger. J'ai trouvé en vous monsieur le président, non pas depuis 48 heures, mais depuis que je vous connais, un partenaire sensible à ces arguments et à cette méthode, un partenaire loyal, je peux le dire, un ami de la France.
- Nous allons appliquer ces relations bilatérales à des dossiers concrets, sérieux, bien étudiés en choisissant comme nous le disions au-cours d'un entretien de travail en fin de matinée, non seulement l'exploitation de vos ressources et d'abord leurs recherches - elles sont nombreuses et prometteuses mais aussi en établissant une hiérarchie des urgences pour que vos richesses coincident avec l'ouverture des marchés. Cela nous laisse un champ immense où nous allons nous engager.
- Coopération et solidarité dans le domaine culturel. Il suffit de vous entendre, mesdames et messieurs, d'entendre l'expression de vos artistes ou de voir la qualité de leurs oeuvres pour percevoir ce qu'il est d'universel en vous. Nous avons deux cultures d'abord complémentaires qui ont su s'aligner de telle sorte qu'aujourd'hui nous parlons le plus souvent le même langage, et qui plus est, dans la même langue.\
L'Afrique est un continent qui sort des limbes modernes après avoir connu dans les siècles des siècles beaucoup d'actions illustres et qui après la période coloniale a dû bâtir les fondements de son indépendance dans le développement. La France a pris sa part. Elle le devait. Vous avez rappelé vous-même tout à l'heure, monsieur le président, qu'il incombe des devoirs particuliers à ceux qui ont rempli le rôle contesté - et cependant par certains points utiles - de colonisateur. Nous avons contracté des devoirs envers vous. Ce n'est pas pour rien si j'évoquais notre langue commune : c'est avec nous que vous avez un dialogue possible plutôt qu'avec quiconque, puisque notre esprit, notre cerveau, nos structures les plus profondes ont été formés au même réseau culturel.
- Il faut que nous abordions les problèmes de l'Afrique avec la même démarche ouverte et le cas échéant audacieuse. J'ai toujours mis en garde les pays du tiers monde, ici comme ailleurs mais ici en-particulier, contre la tentation de faire durer, se perpétueer des conflits locaux ou régionaux qui bientôt se gâtent et deviennent le champ clos des rivalités internationales. Indépendamment des bienfaits de la paix, quoi qu'il advienne, pour tous les peuples, n'oublions jamais cette vérité d'évidence. Il faut la paix pour la Namibie, on la lui doit. Son peuple doit jouir des formes et du fond d'une indépendance véritable. La France a déjà dit très haut ce qu'elle en pensait. Elle participe, je puis le dire, en première ligne aux débats et aux démarches qui permettent aujourd'hui d'espérer qu'un jour la paix viendra. Mais au-delà de la Namibie elle-même, le fait de mettre un terme à ce conflit devrait permette à tout le continent austral d'échapper à la confrontation grandissante entre les blocs. Curieuse aventure pour ce pays du Sud que d'être pris dans les rêts maléfiques des conflits Est - Ouest. Notre position en faveur de l'indépendance franche et catégorique de la Namibie avec les conséquences que cela implique au regard, en-particulier, du conflit entretenu par l'Afrique du Sud en Angola, tout cela suppose un nouvel horizon auquel nous travaillons vous et nous.\
Vous avez parlé du Sahara occidental. Il y a déjà longtemps que nous avons indiqué, non pas comme si nous étions des prophètes ou chargés de faire la loi universelle, mais simplement parce que cela relevait du bon sens que nous devions nous en remettre à la volonté du peuple, du peuple qui vit ou qui est né dans cette région du Sahara : d'où le principe tout simple de l'autodétermination sur la base d'un référendum, les procédures et les contrôles étant exercés par les organisations internationales, telles que l'Organisation de l'unité africaine `OUA` et, pourquoi pas, l'Organisation des Nations unies `ONU`.
- Il n'y pas d'autre issue, mesdames et messieurs, croyez-le, et ceux qui, trop pressés, voudraient précéder cette décision du peuple lui-même, ne pourront que retarder l'échéance.\
Vous avez parlé du Tchad, en émettant comme moi-même le souhait d'une réconciliation nationale. Qui pourrait y songer plus que la France qui a été tant mêlée à l'histoire, ancienne déjà et aussi récente de ce peuple, de ce grand peuple malheureusement déchiré ? Nous avons contribué, et nous continuerons de contribuer à la réédification de ce pays par la construction ou la reconstruction des ses maisons, de ses aéroports, de ses télécommunications, par les soins apportés dans les hôpitaux, par - tout simplement - la solidarité qui s'impose, je dirais presque au-delà des personnes ou des partis qui ont prévalu dans l'histoire de ce pays. Mais, bien entendu, nous n'avons pas dans ce domaine la volonté de nous substituer, pas plus que dans les autres, à l'Organisation des Nations unies `ONU`, de même que nous avons épousé sa démarche dans les mois précédents. Nous pensons aujourd'hui que nous devons, sur la base de l'aide nécessaire dont je viens de vous parler, contribuer autant qu'il est possible à ce que, offensive contre offensive, arrivée, départ, substitution d'hommes et d'équipes, de partis, que sais-je encore, à ce que le Tchad échappe aux ingérences extérieures, soit libéré de toutes formes d'occupations extérieures et règle lui-même ses problèmes par les procédures démocratiques que la France, sans cesse, rappellera aux uns et aux autres.
- Voilà. Nos positions sont simples. La réalité du pouvoir exercé au Tchad nous conduit a apporter la contribution qui nous paraît juste et raisonnable et nous ne voulons pas, non plus, que ce conflit local, peu à peu s'envenime, comme on peut le redouter, au point que les plus grandes puissances, sans oublier les puissances voisines, ne s'engagent sur un terrain profondément miné. Je mets en garde également les pays d'Afrique comme le vôtre contre les conséquences de tels événements.\
Vous avez parlé du Proche-Orient, sortant du continent africain - mais c'est bien votre droit : vous êtes un pays libre, souverain, indépendant, vous participez aux institutions internationales, et les affaires du monde, sur les autres continents, ne sont la chasse gardée de personne - et je trouve fort heureux que vous en ayez parlé, à votre façon, bien entendu, et selon vos conceptions.
- Je parlerai comme vous, en évoquant les droits du peuple palestinien, que nous avons défendus. J'en ai exposé la thèse de la tribune même de la Knesset, monsieur le président de la République, ce qui était d'ailleurs un excellent endroit et particulièrement choisi pour développer l'opinion que la France avait de la paix dans le Proche-Orient. Nous avons refusé l'occupation du Liban, comme nous refusons toute occupation d'un pays par un autre. C'est le commencement de la fin si l'on s'engage sur ce terrain.
- Nous avons protesté contre l'occupation du Cambodge, même si nous avons des relations profondes et anciennes avec le Vietnam. Nous avons à protester, nous continuons de protester contre l'occupation militaire de l'Afghanistan, même si nous reconnaissons le rôle éminemment historique du grand peuple russe `URSS`.
- Nous ne nous déclarons pas les adversaires de ceux qui accomplissent ces actions £ nous nous déclarons les adversaires de ces actions. Il faut que cela soit bien clair, de même que dans le Proche-Orient, le droit du peuple palestinien, de tous les peuples de cette région, a disposer d'une patrie s'accompagne du droit des Etats reconnus par la Société des nations - c'est-à-dire par l'Organisation des Nations unies `ONU` - de vivre en paix et en sécurité : cela s'applique à Israel autant qu'aux autres Etats de la même région. Telle est la position de la France que je rappelle ici comme je le fais en d'autres circonstances. Car si j'ai parlé du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et en-particulier, du peuple palestinien de la tribune de la Knesset, j'ai parlé de l'existence, du droit à l'existence de l'Etat d'Israel aussi bien à Alger qu'à Taif, c'est-à-dire en Arabie Séoudite comme je le dirai partout où j'irai : la France n'a qu'une seule parole et n'a pas besoin d'en changer selon l'endroit où elle se déplace.\
Quant à la paix dans le monde, monsieur le président, elle tient d'abord, croyez-moi, à un certain nombre de données fondamentales. Et là, vous vous retrouvez au premier rang. Si le monde industriel ne trouve pas - en vérité il a trouvé, simplement il hésite à mettre en ordre les solutions qui s'imposent à l'esprit - si le monde industriel ne propose pas des solutions rapides pour harmoniser le développement et la croissance des pays du tiers monde, nous nous préparons à rentrer dans une ère de cataclysmes qui se démultiplieront. Ce seront les causes des futurs conflits mondiaux. Car rien ne prévaut contre la misère, la famine, le désespoir. Vous avez parlé de votre parti `Parti unique de la Révolution populaire du Bénin ` PRPB` et de votre pays révolutionnaire. Une révolution ne se produit que lorsque l'Etat dans lequel on vit est devenu insupportable. A ce moment-là se crée une conscience publique qui, en la circonstance, deviendrait une conscience universelle. Et cette conscience se révolterait justement contre l'égoisme des autres qui se confond, souvent, avec un impérialisme inavoué.
- La France échappe à ces données historiques, et je le répète ici hautement. Nous appartenons nous-mêmes à une alliance militaire. C'est une alliance défensive : c'est l'Alliance atlantique. Ainsi ont été les conditions créées à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale. Et nous sommes des alliés et des partenaires loyaux auxquels il n'est rien retiré de leur indépendance : on l'a vu et on le verra. Nous avons une entière liberté de jugement dans le respect de nos contrats. Et cela ne nous empêche pas de souhaiter qu'en Europe, là où nous sommes, nous puissions parvenir à un équilibre, en-particulier, à l'équilibre des forces. Là où se produit le déséquilibre, la guerre peut surgir. Nous tenons à cet équilibre, d'où la nécessité de conduire plus avant les négociations de Genève `désarmement`, avec aussi l'annonce simple et claire que si ces négociations ne devaient pas aboutir par une erreur d'appréciation dans l'équilibre des forces, alors il serait juste que l'alliance à laquelle nous appartenons se dote des moyens d'y pourvoir, étant entendu que la voie que nous avons choisie, c'est celle de la négociation, de la paix, et donc de l'équilibre. Voilà, monsieur le président, un certain nombre de données pour répondre à celles que vous avez bien voulu exprimer.\
L'aide au tiers monde, j'en ai parlé hier soir suffisamment pour qu'il soit inutile d'y revenir. Le soutien des cours et les garanties à apporter aux matières premières ce qui suppose une refonte du système monétaire international. Ce qui suppose une série d'actions singulière pour l'autosuffisance alimentaire, pour les productions énergétiques, pour que les négociations globales entre le nord et le sud dans-le-cadre des Nations unies, puissent enfin s'engager. Seul le dialogue où tous seront représentés, chacun avec son caractère, ses intérêts ses idéaux, seul ce dialogue permettra à la génération qui nous suit de vivre en paix. Je tiens à le répéter ici, au Bénin, devant nos amis qui m'écoutent, car mes paroles iront au-delà de ce pays-même, et rien de ce que j'énonce, rien, ne peut échapper à l'observation des autres et des plus grands. Chaque mot que je prononce engage mon pays et j'en ai pleine conscience.\
Nous allons donc poursuivre notre chemin la main dans la main, monsieur le président. Nous avons même du retard à rattraper. Nous avons au moins l'avantage, non pas de partir à zéro ou d'une table rase, mais enfin d'avoir une table - pas comme celle de ce soir - peu garnie. Je veux dire la table de nos relations sur laquelle nous allons pouvoir édifier toute une série de constructions. Nous y sommes prêts. Les ministres ici présents, des relations extérieures, `Claude Cheysson`, de la coopération et du développement `Christian Nucci`, ont pleinement participé à de multiples conversations. Ils repartent d'ici avec des dossiers pleins. Ils savent très bien où vont vos préférences, car vos choix, vos préférences, vos hiérarchies, doivent naturellement prévaloir. Nous n'entendons pas, je le répète jusqu'à la lassitude, mais cela est bien nécessaire, nous n'entendons pas nous substituer à la volonté du peuple béninois.\
Mesdames et messieurs, j'espère que vous garderez le souvenir d'une délégation française venue chez vous, Béninoises et Béninois qui m'entendez, avec amitié, avec le désir de mieux vous connaître et de mieux vous comprendre, avec la ferme volonté de servir la solidarité internationale. Je puis vous garantir que vos hôtes quitteront votre beau payas avec le regret des trop courtes haltes. Nous aurions aimé approfondir nos conversations, goûté plus encore le charme de votre culture, apprécié mieux encore vos paysages, vos moeurs, vos usages. Mais, rien ne s'arrête en cet instant. Non seulement vous serez le bienvenu, monsieur le président, lorsque vous serez en France, mais aussi je connais plusieurs des nôtres qui, déjà, ont bâti le projet de revenir parmi vous. Je dois d'ailleurs indiquer que, dans cette délégation figure le président du groupe parlementaire franco-béninois, lui-même député de la région d'Auvergne, et qui, bien entendu, n'est pas là de passage, même s'il doit comme nous-mêmes rentrer dans son pays, la France. Il aura pour charge de maintenir au-sein de notre Parlement une tradition que j'appelais tout à l'heure une tradition renouvelée. Quant aux hauts fonctionnaires, membres de notre administration, qui connaissent bien vos itinéraires, ils mettront plus de coeur encore à régler les problèmes chaque fois que cela sera possible et nous ne manquerons jamais de vous dire où se trouve la limite de nos moyens. Voilà pourquoi il m'est aisé, monsieur le président, mesdames et messieurs, de lever mon verre à votre santé dans l'espoir des jours futurs, éclairés par le jour présent. Pour l'amitié entre le Bénin et la France, pour le service de nos peuples, de leur indépendance, de leur sécurité, et de la paix dans le monde ! Pour que l'amitié refleurisse - une belle chanson tout à l'heure évoquait la rose de mai - oui, pour que toutes les fleurs, pour que tout ce qui est beau, même fragile, refleurisse ! Pour que l'amitié solide, vous apporte encore les joies que nous avons reçues, monsieur le président, par l'accueil du Bénin ! Vive le Bénin, Vive la France ! Vive l'amitié franco - béninoise !\