15 janvier 1983 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'aide au développement et les relations Nord-Sud, le développement économique du Bénin, la paix, les libertés, au Stade de l'amitié de Cotonou (Bénin), samedi 15 janvier 1983.

Mesdames et messieurs,
- Aujourd'hui m'échoit l'honneur d'être le premier Président de la République française à pouvoir contempler la terre hospitalière du Bénin et à m'adresser à son peuple chaleureux et fraternel dans ce magnifique Stade de l'Amitié car c'est bien sous le signe de l'amitié que je veux placer cette visite.
- Béninoises, Béninois ! Je vous apporte le salut de la France ! Et comment ne serais-je pas heureux de vous parler et d'être entendu dans notre langue commune !
- Les relations entre nos deux pays, le président Kerekou vient de le rappeler, portent la marque de l'histoire centenaire, et plus que centenaire, scellée par le sang de nos fils tombés ensemble sur les champs de bataille d'Europe et d'Afrique pour la -défense de notre bien commun le plus précieux : la liberté.
- Béninoises, Béninois, compagnons des heures difficiles, la France ne vous a pas oubliés et elle entend être à votre côté pour d'autres combats, ceux de l'indépendance, de la paix et du développement.\
C'est que le Bénin doit faire face à la grande épreuve de notre temps : la crise économique qui affecte avec brutalité les pays les moins avancés `PMA`. L'Afrique, cet immense continent, où l'on retrouve le plus grand nombre de ces pays, court ainsi le risque, si l'on n'y prend garde, d'être progressivement exclue du système économique mondial. Nous ne pouvons accepter cette injustice ! La part de ces pays est en stagnation. Celle de l'Afrique dans l'ensemble des crédits privés accordés aux pays en développement régresse. Et la prépondérance de l'aide publique dans le financement du développement s'affirme chaque jour. Mais vous le savez bien, la crise est mondiale. Et elle touche aussi des pays comme le mien. Et la tentation est grande pour nombre de pays industriels de se laisser aller à l'égoisme et au repli sur soi en laissant se creuser l'écart, le fossé entre les pays développés et les pays plus pauvres. La France, je vous le dis, n'entend pas rester indifférente au scandale de la misère, de la souffrance et de la faim, et elle a décidé d'augmenter considérablement son effort. Elle consacrera en 1983 des sommes très importantes à l'aide au développement. Elle n'en tire pas mérite. Elle constate tant de défaillances autour d'elle auxquelles elle ne peut à elle seule se substituer. Mais elle considère comme un grand devoir d'être à vos côtés parmi les tout premiers de vos amis pour traverser cette "mauvaise passe".
- J'ai demandé au gouvernement de la République française de veiller à ce que cet effort concerne de façon privilégiée nos plus anciens pays amis d'Afrique et les pays les moins munis du continent. Ainsi, lors de la Conférence de Paris de septembre 1981, j'ai indiqué qu'au nom de la France, je prenais l'engagement de consacrer en 1985 les pourcentages demandés par l'Organisation des Nations unies `ONU`. C'est dire combien, à plus d'un -titre, mon message à votre pays est, au-delà de l'amitié, un message de solidarité.\
Je sais que votre gouvernement, sous la haute autorité du président Kerekou, s'est engagé dans la bataille du développement. Il a établi une stratégie économique d'ensemble, fondée sur la valorisation des ressources propres du pays. Il s'est doté d'un instrument de cohérence et de prévision - le plan national - et il s'est fixé des objectifs précis et réalistes que j'apprécie : développer l'agriculture par des actions de vulgarisation, améliorer la gestion de l'économie nationale, mettre sur pied une véritable politique industrielle.
- Dans cette -entreprise, le Bénin bénéficie de nombreux atouts : une position géographique privilégiée, un réseau de communications développé, des ressources touristiques importantes. Mais il possède surtout des ressourceshumaines, les vôtres, Béninoises, Béninois et bien au-delà de ce stade, dans l'étendue de tout votre pays. Des ressources humaines qui justifient l'appel à une mobilisation d'énergie et à la capacité d'initiative de chaque citoyen.
- La voie dans laquelle s'est engagé le Bénin - on vient de le rappeler - celle d'un développement autocentré, conforme aux orientations définies par la Communauté africaine au sommet de Lagos, rencontre pleinement ma propre volonté d'inscrire l'effort de la France au regard de ce continent dans-le-cadre d'une stratégie enfin plus cohérente. Respectueux de la volonté des gouvernements africains de choisir une marche plus ferme encore vers l'économie et vers l'indépendance, nous entendons prendre en-compte les exigences des peuples africains et continuer à satisfaire au-premier chef à ces priorités : autosuffisance alimentaire, satisfaction des besoins essentiels dans le domaine de l'habitat, de la formation et de la santé, choix d'une industrialisation et des équipements adaptés, enfin réponse au défi énergétique. C'est donc bien dans la clarté et dans le respect mutuel que nous entendons aujourd'hui contribuer au développement du Bénin. C'est pourquoi deux missions françaises de programmation se sont récemment rendues à Cotonou et ont travaillé avec vous dans cet esprit.\
Mais l'avenir économique de ce pays ne peut être isolé de celui de l'ensemble de la région. Et à cet égard la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest `CEAO` constitue un instrument précieux pour l'harmonisation économique des Etats en question et la tenue du dernier sommet de cette organisation, en mai 1982, à Cotonou, témoigne de l'intérêt justifié que lui porte votre gouvernement et votre pays.
- Je suis pour ma part convaincu du rôle éminent que les organismes régionaux peuvent jouer dans cette partie du monde et pour le renforcement de l'unité africaine. Dans cette voie, il est permis d'estimer que les grands projets d'investissements bénino - nigériens `Bénin ` Niger` favoriseront l'émergence d'une réalité régionale qui, demain, donnera un nouvel élan à cette partie du continent.
- Ces efforts ne sauraient aboutir s'ils n'étaient relayés par ceux de la communauté internationale toute entière. De nombreux secteurs appellent des ajustements rapides. Il en va ainsi, je viens de le dire, dans le domaine de l'énergie, dans le domaine financier et en-matière d'échanges internationaux. Tant de progrès restent à faire pour l'organisation des matières premières et la stabilisation des cours. Partout où je vais, je répète qu'il faut que les pays du Nord, ou pays industriels, se décident enfin à acheter les matières premières du tiers monde à leur prix. Cela serait plus juste et plus sain et finalement plus utile que de laisser jouer une honteuse spéculation qui écrase vos prévisions, qui vous empêche d'organiser et d'apporter à votre peuple ce qui lui est justement dû. Oui, je dis que, plutôt que de redistribuer ensuite pour compenser de trop grandes misères des aides insuffisantes, mieux vaudrait procéder autrement. Et j'en appelle partout - vous l'avez rappelé - à Mexico, à Cancun, à Ottawa, à Paris, à Versailles, à Kinshasa, aujourd'hui encore à Cotonou. J'en appelle à l'intelligence et au sens du devoir des pays avancés. Sans relâche, au nom de la France, je continuerai à défendre vos intérêts et ceux de tous nos amis africains, bien entendu, dans-le-cadre de vos propres suggestions et de vos propres volontés. Car si nous entendons être à vos côtés, nous ne voulons jamais nous substituer à votre décision.\
Plus que jamais, aider le tiers monde c'est s'aider soi-même. Je crois profondément que l'une des solutions à apporter à la crise qui nous frappe, c'est précisément de restituer au terme de l'échange leur valeur et leur force. Le monde industriel ne peut vivre seul engagé dans une compétition sauvage, anéantissant ses efforts mutuels alors que des centaines de millions - et milliards bientôt - de femmes et d'hommes sont prêts à apporter le travail de leurs mains et de leur esprit pour que le monde sorte enfin de l'abîme où il se précipite. Solidarité par le développement, telle est bien l'ambition de la France. Bien entendu, j'ai le souci d'apporter la contribution de mon pays à la sécurité et à l'indépendance des Etats d'Afrique qui le requièrent.
- L'autonomie économique renforce grandement l'indépendance politique. Encore faut-il veiller à récuser toutes les interventions extérieures, prenant garde que la rivalité des super-puissances `Etats Unis - URSS` ne vienne aggraver les tensions partout où se développent, où se gangrènent des conflits régionaux. Veillons partout à assurer l'indépendance dans le respect des amitiés que chacun est fondé à choisir selon sa préférence. Notre solidarité, en France, s'exerce afin que se réduisent les tensions et particulièrement les tensions militaires. Or, il n'est pas de meilleure voie que de rechercher partout celle de l'indépendance. Quand je pense au point où nous en sommes encore dans l'Afrique australe, à tout ce qui pèse pour que la Namibie ne trouve pas les chemins de sa véritable indépendance, alors je me dis que la conscience universelle manque encore d'indispensables éléments. La France qui participe, au premier rang, aux groupes `Groupe des Cinq` qui demandent que la paix s'établisse sur les simples notions de justice et d'indépendance des Etats, tient à rappeeler cette donnée devant le peuple béninois, ici à Cotonou.
- L'échec des dernières réunions de l'Organisation de l'unité africaine témoigne de divisions qui nous inquiètent. Mais je tiens à exprimer ici publiquement ma confiance dans votre capacité, à vous pays africains, à surmonter de dangereuses querelles et à faire triompher en dernier ressort la sagesse, la vieille et célèbre sagesse africaine.\
Enfin, de par son histoire, la France se sent engagée dans une mission particulièrement délicate mais tellement noble : celle de plaider partout où cela est nécessaire pour la sauvegarde des libertés individuelles et collectives. Si elles ont reculé, il faut rectifier partout car le devenir de la civilisation des hommes tient au respect des libertés. Je souhaite ardemment, au nom de la France, remplir partout cette mission dans le respect de la souveraineté et de l'indépendance des Etats.
- Développement, paix, liberté tels sont bien, Béninoises et Béninois, les objectifs que nous réaliserons et défendrons ensemble grâce à l'amitié renouvelée de nos peuples. Je veux que vous compreniez ma joie d'être ce soir parmi vous aux côtés de vos dirigeants, dans cette immense foule, devant ce beau spectacle qui témoigne de la vitalité de votre peuple. Je retrouve à la fois des liens d'ancienne amitié pour avoir parcouru vos chemins, connu vos hommes, apprécié les richesses de votre art, connu la générosité de votre coeur et je viens ici, monsieur le président, en ami fidèle, heureux de renouveler une trame, non pas rompue, mais un moment trop longtemps négligée. Le Bénin et la France s'engagent à nous voir à nouveau dans la voie d'une amitié féconde et, sous le sceau de cette amitié, nous allons initier les -rapports entre nos deux pays. L'accueil que je reçois depuis mon arrivée chez vous, auprès du président Kerekou et des autres dirigeants qui m'ont fait l'honneur de venir à moi, cet accueil, reçu auprès de vous, amis Béninoises et Béninois, ne me laisse aucun doute sur les chances du présent et celles de l'avenir.
- Ensemble, cet avenir, nous allons le construire.
- Vive le Bénin ! Vive la France ! Vive l'amitié franco - béninoise !\