5 novembre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet franco-britannique, Paris, Palais de l'Élysée, vendredi 5 novembre 1982.

Nous venons de terminer la séance plénière de cette réunion entre la Grande-Bretagne et la France. Cette séance a consisté à nous permettre d'entendre le compte-rendu des discussions bilatérales qui se sont déroulées depuis hier entre les ministres compétents sur la plupart des questions en cause, et tout cela a succédé à deux conversations qui avaient réuni Mme le Premier ministre `Mme Thatcher` et moi-même.
- Ces conversations, selon les termes rituels, se sont déroulées dans un climat cordial. Mais il n'y avait pas que le rite, en dépit de la difficulté que nous posent certaines des questions traitées. Nous avons su les insérer dans une disposition d'ensemble et dans une définition politique qui nous permet de penser que les conversations de ces deux jours, et celles qui suivront, devraient permettre - du moins c'est le souhait que j'exprime - une plus grande harmonie de nos démarches.
- Cette harmonie est déjà acquise dans de nombreux domaines parmi les plus importants et particulièrement sur ce que l'on pourrait appeler la politique générale, la vie du monde, les relations Est - Ouest, certains domaines des relations Nord - Sud - je pense en-particulier à la Namibie - sur l'attitude de nos deux pays à l'égard des Etats-Unis d'Amérique - je pense aux problèmes posés par les sanctions sur le gazoduc - certaines vues sur le tiers monde - je pense à l'augmentation souhaitée, de part et d'autre, des montants du Fonds monétaire international - à certaines dispositions touchant aux droits de la mer, aux droits de la pêche.\
Nous avons essentiellement parlé de ces données de politique générale extérieure, mais aussi de vie interne et externe de la Communauté des Dix `CEE`. Vous le savez, on peut isoler un problème particulier qui fait difficulté, qui n'est pas résolu, qui continuera d'être discuté entre nous : celui de la contribution. Cela a déjà fait l'objet de plusieurs sommets de la Communauté. On est arrivé vaille que vaille depuis 1980 à différents accords. On ne s'est pas mis d'accord sur les principes. Nous continuons d'en discuter. Pour être tout à fait précis, le débat porte non pas sur le principe d'une contribution, elle porte sur son volume et sur sa durée, et même, sur un certain -plan, sur l'idée que l'on s'en fait.
- S'agit-il d'une nouvelle institution, d'une règle nouvelle - ce à quoi la France se refuse ? S'agit-il d'une circonstance qu'il convient de traverser ?\
Nous avons en revanche, des positions tout à fait communes dans de nombreux domaines puisque la négociation internationale du GATT ou la continuation des conversations au-sein du groupe dit de Versailles relatif aux interventions sur le marché des changes.
- Sur-le-plan plus strict du commerce extérieur, il y a un souhait commun qui sera exprimé, de faire le tour de ce que l'on pourrait appeler les protectionnismes rampants pratiqués par l'ensemble des pays de la Communauté et par l'ensemble des pays industrialisés entre eux, à l'intérieur et à l'extérieur de la Communauté `CEE`.
- Nous avons parlé des montants compensatoires, thème qui est revenu dans la bouche des ministres de l'économie et des finances, des ministres de l'agriculture. L'agriculture elle-même nous a permis de cerner un ou deux problèmes délicats qui sont dans votre esprit. Recherche et industrie : de nombreux points nous permettent d'accroître, c'est en tout cas notre volonté, la coopération de nos deux pays, on a parlé Airbus, moteur d'avions, équipements automobiles, télécommunications, sidérurgie, centrales nucléaires, surgénérateurs. Le point d'avancement est inégal, mais l'intention est commune.\
Enfin, pour permettre à ces conversations de connaître un déroulement utile, nous avons décidé de resserrer la -nature de nos débats, donc de nos relations. Chaque mois auront lieu, entre les délégués de nos gouvernements, des rencontres, soit à Londres, soit à Paris, donnant matière à compte-rendus aux chefs de gouvernement et d'Etat, qui nous permettront de suivre exactement l'évolution de nos affaires, le degré de nos rapprochements sur les contentieux existants, et heureusement de constater sur la plupart des problèmes la bonne conduite de nos affaires communes.
- J'ai été sensible à la visite en France de Mme le Premier ministre du Royaume-uni, à la présence de plusieurs de ses ministres. Nous les avons accueillis comme nous entendons le faire chaque fois qu'il s'agit de ce grand pays ami. La franchise de nos débats ne peut que contribuer au progrès de nos relations.\
QUESTION.- Monsieur le Président, peut-on considérer que la France a levé sa réserve à l'accord sur le budget pour 1982 ?
- LE PRESIDENT.- Vous me permettrez, en vous priant de m'excuser monsieur - je répondrai à votre question bien entendu - de dire ce que je pense de la résolution déposée à l'Organisation des Nations unies `ONU` sur l'affaire des Malouines, que d'autres appellent Falklands, mais je crois que nous parlons de la même chose. Je l'ai exprimé dans un communiqué que le gouvernement a publié hier, avant, en effet, l'arrivée de Mme Thatcher à Paris, non pas spécialement pour ouvrir ces débats sur une note optimiste, mais parce que le débat à New York s'engageait peu d'heures après. La coinidence a été heureuse, mais ce n'est qu'une coincidense, car je ne souhaitais pas que cette position de la France fût l'objet d'un débat dans nos conversations. Cela d'ailleurs ne nous était pas demandé. Je tenais à ce que cela fût une position de la France en tant que telle, sur un sujet international d'importance, et il est certain que les considérants de la France ne sont pas les mêmes que les considérants de la Grande-Bretagne. En effet, nous estimons que le fait que l'on invite les parties prenantes, antagonistes aujourd'hui, à s'engager dans une négociation rapide correspond à notre pensée. Nous considérons par ailleurs que le Secrétaire général des Nations unies peut remplir une mission de bons offices. Là où nous ne pouvions pas être d'accord avec cette proposition - après avoir constaté notre approbation sur deux questions de fond que je viens d'évoquer - c'est que la façon dont cet acte était rédigé présupposait ou préjugeait la conclusion et plaçait dès l'abord la Grande-Bretagne en situation de culpabilité dans une affaire qui faisait l'objet de négociations entre l'Argentine et la Grande-Bretagne de longue date et qui avait été résolue provisoirement par la République argentine, par les moyens de la force. Si finalement les moyens de la force n'ont pas joué en sa faveur, cela ne crée pas un droit pour autant. Si le droit doit être dit - et de ce point de vue la position de la France n'épouse pas la position de la Grande-Bretagne - au moins faut-il que cela soit fait dans des conditions de négociation pacifique et de respect mutuel. Et tout ce qui permet de préjuger la réponse à apporter à cette question dans une résolution qui a pour objet de concilier les points de vue, n'était pas acceptable par nous. Cela a été dit de la façon la plus claire et je le répète ici. Je l'ai d'ailleurs précisé à Mme le Premier ministre dès le début de notre rencontre.\
Quant à la question de la contribution `britannique au budget communautaire`, on doit considérer que les montants, les chiffres qui ont été débattus et acceptés au mois de mai et répétés tout à fait récemment sont les bons, du moins pour l'année en-cours. Notre accord n'a pas été donné aux conditions subséquentes posées pour un certain nombre de "MECUS" `millions d'Ecus` comme on dit. Disons en bref qu'une contribution qui se situait l'année dernière à quelques deux mille quatre cents millions de francs, se trouve ramenée à un chiffre inférieur, étant entendu que la France - et je le répète - n'entend pas s'abstenir de contribuer à régler une situation dont souffre la Grande-bretagne. Simplement, nous ne voulons pas l'ériger en principe - ce qui sur ce plan-là nous différencie de la Grande-Bretagne - et, comme je le disais tout à l'heure, nous ne souhaitons pas l'installer en permanence dans les relations intra-communautaires. On avait parlé de 7 années du côté britannique, nous disions : 3 ans c'est déjà beaucoup. Nous impliquions une notion dégressive dans cette contribution, ce qui veut dire que nous avons encore à débattre du volume qui, dans notre esprit, ne pourrait allerqu'en diminuant. Le problème n'est donc pas réglé. C'est déjà très important de pouvoir en parler comme nous l'avons fait.
- QUESTION.- Pour cette année ?
- LE PRESIDENT.- Pour cette année dans la limite des accords initiaux qui ont été passés, c'est une affaire réglée. Dans la limite des demandes supplémentaires qui ont été ajoutées sur la façon dont la France contribuerait à un rajout, - puisque l'Allemagne `RFA` déclare forfait - puisque d'autres pays de l'Europe du Marché commun disent : nous ne sommes pas en mesure de faire ces efforts, donc ce sera la France, alors ça, certainement non.
- QUESTION.- (inaudible) De la Grande-Bretagne à la suite des accords budgétaires de 80 et comment ce problème va être résolu ?
- LE PRESIDENT.- Je serai très bref là-dessus. Je pense que la réaction de la France est celle de la Grande-Bretagne, c'est-à-dire celle de l'honnêteté. De ce point de vue, la Grande-Bretagne n'a pas de leçon à recevoir. Si elle a trop perçu, eh bien ! elle rendra. Il restera simplement à établir la façon dont les choses se passeront. Cela ne me paraît pas discuté. Les estimations qui ont été faites n'étaient pas exactes. Elles auraient pu être insuffisantes, elles ont été excessives. Ca, c'est une mise au point dont nous n'avons même pas parlé, car il faut mettre en face les techniciens de ces affaires et, bien entendu, on ne peut pas considérer comme acquis ce qui ne correspondrait pas à la réalité.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez commencé des discussions avec Mme Thatcher sur la défense et sa stratégie générale... (inaudible) avec vos partenairesde l'Allemagne de l'Ouest ?
- LE PRESIDENT.- A vrai dire, nous n'en avons que peu parlé. Sans vouloir être exagérément indiscret, je dirai que cela a fait l'objet d'une conversation dès le début de notre discussion, hier soir. Ce qui prouve, puisque c'est venu tout à fait au début, que c'est un sujet qui nous intéresse.
- On ne peut pas dire que nous ayons abouti à des conclusions semblables à celles de Bonn. D'abord, pour une raison de fait évidente, c'est qu'il existe un traité entre l'Allemagne fédérale et la France qui n'existe pas entre la Grande-Bretagne et la France, qui n'avait d'ailleurs pas de raison d'être, car il ne faut pas oublier que la Grande-Bretagne et la France étaient alliées et particulièrement alliées pendant les deux derniers - spécialement le dernier - conflits mondiaux. Les situations ne sont pas comparables. La situation géographique de la Grande-Bretagne et l'Allemagne n'est pas non plus la même, et la détention de l'arme nucléaire - que possède la Grande-Bretagne et que ne peut pas posséder l'Allemagne fédérale - crée également des situations différentes. On ne peut donc pas assimiler ces situations. Quant à avoir des conversations de caractère stratégique, militaire entre la Grande-Bretagne et la France cela va de soi. Déjà, nous avions dit, lorsque nous nous étions rencontrés à Londres, que nous accentuerions nos échanges de vues, entre techiciens militaires et entre politiques. Eh bien ! nous continuons. Nous continuerons d'accentuer, sans que l'on puisse parler de véritable novation, mais il est très important que la Grande-Bretagne et la France aient, dans une matière aussi capitale, une détermination commune.\
QUESTION.- Est-ce que la France soutient les efforts du gouvernement britannique visant à trouver un accord avec les Etats-Unis sur les grands principes du commerce Est - Ouest pour permettre en contre-partie une levée de l'embargo qui vise les sociétés européennes travaillant pour le gazoduc ?
- LE PRESIDENT.- J'allais vous dire oui sur les deux tiers de votre question, et je suis obligé de vous dire - pas non - mais d'exprimer une plus grande réserve sur le dernier tiers. Quant à savoir si les pays occidentaux, membres de l'Alliance atlantique, sont prêts à débattre, eux, des conditions à poser dans les échanges commerciaux, surtout s'ils concernent des domaines technologiques touchant à la sécurité avec les pays de l'Est, notamment l'Union soviétique, bien entendu. La France est un partenaire qui n'a jamais refusé de dire son mot dans des affaires de ce genre, ni de contribuer à la défense commune de l'Alliance à laquelle elle appartient. S'il s'agit de considérer que ces propositions aboutiraient à une sorte de - comment dirais-je - de moyen d'échange qui permettrait de donner aux Etats-Unis d'Amérique ou d'accorder je ne sais quelle concession nouvelle en échange du renoncement aux sanctions - dont je me suis d'abord demandé si elle étaient uniquement appliquées à l'Union soviétique et à la Pologne - pour en arriver au point qui me fait poser cette question : ces sanctions ne sont-elles pas des sanctions des Etats-Unis d'Amérique à l'égard de leurs alliés ? Ce qui est tout de même singulier et paradoxal.
- Pour ma part, je considère que cela ne peut pas être l'objet d'une négociation véritable. Le devoir des Etats-Unis d'Amérique, c'est de revenir sur une décision qui a été contraire au principe de l'indépendance de mon pays sur lequel je serai, bien entendu, intransigeant.
- Alors, traitons cela avec bon sens. La Grande-Bretagne et la France, d'autres pays encore, souffrent de la décision américaine unilatérale, injuste, juridiquement très contestable, et politiquement inadmissible. Peut-on s'arranger ? Si on peut s'arranger tant mieux, ce n'est pas la France qui y fera obstacle. Mais en échange de concessions nouvelles sur d'autres terrains, c'est-à-dire rendre négociable ce qui ne l'est pas, en ce qui concerne la France, bien entendu, il n'en est pas question.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quel sera d'après vous, à votre avis, l'impact qu'aura l'abstention de la France à l'ONU sur la question des Malouines, sur la politique latino-américaine de la Francce ?
- LE PRESIDENT.- Cela nous éloigne de l'objet même de cette réunion. Nous ne faisons pas ici une conférence de presse sur l'ensemble des problèmes qui touchent à la vie du monde. Les conséquences, nous les constaterons. Notre politique à l'égard de l'Amérique latine a été définie par le fait que, dans notre communiqué, et dans l'exposé des motifs de notre position, formulé par notre représentant aux Nations unies, nous avons exprimé notre accord sur l'objectif recherché par la résolution et notre désaccord sur les considérants qui motivaient cette décision. Nos partenaires d'Amérique latine sont des gens suffisamment informés, souvent même de la langue française, pour percevoir parfaitement ces nuances et comprendre que si nous cherchons et voulons la paix, si nous voulons que le droit soit dit - aussi bien pour ce qui touche aux intérêts de la Grande-Bretagne que pour ce qui touche aux intérêts des pays d'Amérique latine - nous considérons qu'un arbitrage, que les bons offices, qu'une solution à ce problème ne peut pas supposer que cette affaire est réglée avant de commencer. C'est tout. Nous gardons donc une liberté de jugement et nous entendons développer nos relations avec les pays d'Amérique latine. On dira que nous n'en prenons pas le meilleur chemin. Je crois que cette abstention sera comprise, en tout cas, nous l'expliquerons.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans ce sommet franco - britannique, avez-vous parlé de l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun maintenant qu'il y a un gouvernement socialiste à Madrid ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons parlé, et ce n'est pas parce qu'il y a un gouvernement socialiste à Madrid, qui d'ailleurs n'est pas encore en place. Nous en parlons déjà depuis plusieurs années. Le problème qui se pose à nous, c'est le problème de l'Espagne. Bien entendu, dès lors que notre partenaire est quelqu'un que nous connaissons, que nous estimons, avec lequel nous avons des relations amicales, cela donne une coloration que je crois positive. Mais le problème de fond, c'est le problème de l'Espagne, et quel que soit le gouvernement de l'Espagne, nous avons pour lui le même respect. Il exprime les volontés d'un même peuple, qui est un peuple que je veux croire ami. Donc les évolutions de la politique intérieure de l'Espagne, aussi intéressantes qu'elles puissent nous paraître, ne sont pas une condition de modification de fond dans nos positions.
- J'ai déjà dit plusieurs fois, cent fois, que nous considérions comme tout à fait normale l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Europe occidentale `CEE`. Ces deux pays lui appartiennent par l'histoire, la géographie, la culture. C'est en même temps un signe d'ancrage dans une vie démocratique, reconquise avec beaucoup de courage par ces deux pays. Mais une telle entrée pose - comme il s'en est posé, comme il s'en pose d'ailleurs avec la Grande-Bretagne - un certain nombre de problèmes pratiques.
- Les échanges commerciaux, les courants d'échanges commerciaux de la Grande-Bretagne et de la France ne sont pas les mêmes, et nous sommes encore en-train de régler, nous en avons parlé, des situations transitoires. Cela, c'est le résultat de l'histoire.
- Il se trouve que l'Espagne produit un certain nombre de marchandises qui sont directement concurrentes de celles de la France, et pas simplement de la France.
- Nous avons donc besoin d'harmoniser nos politiques, pas simplement nos politiques commerciales, mais aussi nos politiques sociales et fiscales. Nous aurons besoin d'organiser une concurrence loyale.
- C'est ce débat simplement qui est demandé et je suis sûr que ce débat étant posé en termes clairs, précis - pas dans la confusion où l'on est trop souvent restés - devrait permettre d'avancer. Donc nous ne posons pas de questions sur l'utilité ou la nécessité de la présence de l'Espagne dans le Marché commun, nous considérons qu'elle va de soi. Mais nous ne voulons pas nous trouver dans une situation qui aurait été imprudemment réglée, sans être réglée, qui laisserait tous les contentieux derrière la porte et qui ferait, qu'à peine cette décision aurait été prise, aussitôt la France ou l'Espagne seraient obligées de recourir à la règle - à la limite dommageable - de l'unanimité pour obtenir raison sur des questions souvent subalternes. Il faut que nous avancions dans l'examen mutuel des problèmes qui restent posés.
- J'ai d'ailleurs écrit à cet égard, il y a deux mois je crois, à M. Thorn, président de la Commission européenne pour que réponse me soit apportée à certaines questions que j'ai posées dans ce domaine. Voilà le point actuel.
- Maintenant, mesdames et messieurs, je vous remercie, nous n'allons pas transformer en conférence de presse générale ce qui est un compte-rendu, au demeurant intéressant. Enfin, les questions qui nous ont été posées nous ont permis, je crois, d'approfondir certains sujets délicats. Je vous en remercie. A bientôt.\