21 octobre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert par M. Helmut Kohl, chancelier de la République fédérale d'Allemagne au palais Schaumburg, jeudi 21 octobre 1982.

Monsieur le chancelier,
- A l'issue de cette première journée des 40èmes consultations franco - allemandes, les premières que nous menons avec vous, je veux d'abord vous dire combien je suis sensible à vos propos, à votre accueil, au ton personnel que vous venez d'employer.
- Le programme que vous avez défini en prenant vos fonctions accorde une signification particulière à l'étroite coopération entre nos deux pays, dans l'esprit du traité de l'Elysée signé, vous l'avez rappelé, par le chancelier Adenauer et le général de Gaulle, il y aura bientôt vingt ans, et dont nous nous préparons à célébrer dans trois mois l'anniversaire `traité de l'Elysée 1963`. Vous avez voulu souligner cette donnée fondamentale de votre politique étrangère en venant à Paris le 4 octobre, non seulement trois jours après votre désignation, mais le jour même de l'entrée en fonction de votre gouvernement.
- Ce geste nous a touchés. Et il a été apprécié non seulement par le gouvernement et par moi-même, mais aussi par l'ensemble du peuple de France qui sait à quel point les relations franco - allemandes sont un élément essentiel de paix, d'équilibre, de prospérité pour nos pays et l'Europe et sans doute pour le monde.
- J'ai noté ces paroles que vous avez prononcées à Paris - je vous cite - : "une amitié entre la France et l'Allemagne est l'acquit le plus important pour les Allemands depuis la dernière guerre". Et vous avez ajouté, je cite encore : "que l'ouverture vers l'Europe ne peut se faire que si les liens entre la France et l'Allemagne persistent".\
La République fédérale allemande et la France sont des démocraties solides où l'alternance fait partie des règles du jeu. J'avais dit, l'an dernier, à votre prédécesseur, que le changement de majorité en France ne remettait aucunement en cause, bien entendu, la qualité des liens qui nous unissent. Vous m'avez donné, cette année les mêmes assurances, pour les mêmes raisons.
- Nos choix politiques existent, ils sont différents. Mais que de points sur lesquels nos politiques se rencontrent ! Un certain nombre de valeurs qui sont celles de notre civilisation, une connaissance historique qui nous a conduit à fonder notre amitié, et le sentiment que notre étroit accord peut commander notre avenir.
- S'il ne s'agissait que de moi, j'aurais tout à fait négligé de faire cette remarque, tant il va de soi, dans mon esprit, que l'amitié franco-allemande par la noblesse de ses objectifs et par la grandeur de ses missions dépasse et doit dépasser les inévitables fluctuations intérieures qui marquent, je le disais, la vie d'une démocratie. Mais je le dis, pour bien marquer ce qui me paraît être la pierre angulaire d'une alliance que l'on croit si fragile qu'elle pourrait être emportée par les détours du chemin tandis que pour nous comme pour vous, elle représente une donnée permanente des intérêts de nos peuples.
- Mais toute -entreprise implique un effort d'approfondissement, sans quoi la vie, le temps, les hommes, tout peut la menacer. Aussi faut-il que nous traçions des voies toujours nouvelles pour cet approfondissement. Nous l'avons fait dans les consultations du mois de février dernier. Nous l'avons fait avec votre prédécesseur `Helmut Schmidt` et avec l'équipe qui l'entourait dans les conditions les plus cordiales et les plus fécondes. Nous le continuons avec vous. Et j'ai constaté à quel point les consultations engagées aujourd'hui ont représenté déjà plus qu'une simple prise de contacts entre deux délégations, mais aussi la marque privilégiée d'un progrès réel. J'y noterai pour mémoire la rencontre des quatre ministres des affaires étrangères `Hans-Dietrich Genscher`, des relations extérieures `Claude Cheysson` et de la défense `M. Worner et Charles Hernu` prévue par le traité que j'évoquais, vieux de plus de dix-neuf ans, et qui cependant comportait une clause encore négligée. Sans doute les conditions politiques n'étaient-elles pas réunies, elles le sont. C'est un progrès, monsieur le chancelier, qui marque votre entrée en fonction.\
Notre effort commun n'aura cependant de sens que dans la perspective plus large du devenir de l'Europe. En vous référant à l'oeuvre historique de votre illustre chancelier Konrad Adenauer, vous avez déclaré que votre gouvernement s'attacherait à promouvoir une relance, un nouveau départ, pour la construction européenne. Une impulsion commune de la République fédérale d'Allemagne et de la France est une condition nécessaire de la progression de la communauté européenne, elle n'est pas toujours suffisante, mais soyez certain qu'à partir de là, si nous le voulons, l'Europe se bâtira.
- Les propos, les discours n'ôteront rien aux difficultés, surtout économiques, qui nous attendent et qu'il faudra savoir surmonter en commun même quand nos intérêts paraissent contradictoires. Je ne puise pas la confiance seulement dans la référence du passé, à la construction que nous allons célébrer, disais-je, l'an prochain, aux dispositions qui sont les nôtres, je fais confiance aussi à mon expérience personnelle. Je vais même pouvoir vous rappeler que j'avais été blessé près de Verdun en 1942 et que j'avais été prisonnier de guerre quelques jours plus tard, alors que j'étais dans mon lit d'hôpital. Ce que vous ne savez pas, c'est que c'est là que j'ai appris à connaître les Allemands. Et dans quelles conditions ! Moi, prisonnier, eux, mes gardiens. J'ai préservé de cette époque quelques amitiés très précieuses avec ces Allemands-là, dont certains ont survécu au temps, et sont restés mes amis.
- Voici bien des raisons de donner aux usages toute leur force. Ce que je ferai, monsieur le chancelier, en levant mon verre en votre honneur, à votre santé, en l'honneur et à la santé des ministres et hauts fonctionnaires de votre délégation, à la santé du peuple allemand.\