11 octobre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de sa visite au Congo, Brazzaville, lundi 11 octobre 1982.

QUESTION.- Monsieur le Président, comment estimez-vous l'-état des relations entre le Congo et la France ? Comment comptez-vous entretenir ces relations et qu'est-ce qui va changer après votre passage à Brazzaville ?
- LE PRESIDENT.- Je suis très satisfait de mon voyage et, si je l'ai entrepris, c'est pour que ça marche mieux que ça ne marchait. Ca ne veut pas dire que ça marchait mal, mais on peut toujours faire mieux. Les relations entre le Congo et la France sont, je l'ai dit plusieurs fois hier, des relations anciennes et sont vraiment ancrées dans l'histoire de nos deux peuples. Il fallait, pour un certain nombre de raisons, ranimer, réveiller, rafraîchir, et donner un nouvel élan à une coopération qui se situait pourtant dans ses données commerciales parmi les plus importantes dans les relations de la France et de l'Afrique. Rien ne vaut les échanges de vues personnels, nous les avons donc entrepris. J'ai eu de longues conversations avec le président Sassou Nguesso, nous venons d'avoir des entretiens élargis aux ministres et certains de mes collaborateurs, des séances de travail. Ils ont passé eux-mêmes de longues heures ensemble. C'est-à-dire que nous avons vraiment fait un bilan et dressé des plans. Au-coeur d'une crise mondiale qui nous frappe les uns et les autres, nous avons, je le crois, tiré le meilleur de ce qui peut être tiré pour que la coopération soit étendue et approfondie. Etendue, c'est-à-dire qu'il y ait plus de secteurs qui fassent l'objet du développement commun entre le Congo et la France et, approfondie, c'est-à-dire que pour certains problèmes comme, par exemple, celui des hydrocarbures, on sache davantage où l'on va, non seulement quant aux discussions commerciales qui sont menées par la société nationale Elf-Aquitaine d'une part, et par l'Etat congolais de l'autre, et pour que les problèmes posés par ceux de la recherche et de l'exploitation de tout ce qui a déjà été répertorié se déroulent dans de meilleures conditions, sans oublier les recherches nouvelles qui doivent nous permettre d'exploiter les ressources naturelles du sous-sol, le développement des richesses du sol, le développement des richesses de la mer.
- Si vous nous voyez satisfaits de cet entretien, ce n'est pas une satisfaction de commande comme il conviendrait sans doute dans tout voyage officiel, non, nous avons l'impression vraiment que nous avons avancé. Il en restera des échanges continus, nous n'attendrons pas plusieurs mois. Déjà les discussions autour des hydrocarbures doivent s'achever avant le début décembre. La commission mixte se réunira début janvier et les relations entre chefs d'Etat vont se multiplier.
- Voilà quelques données qui me permettent de répondre à votre question.\
QUESTION.- Il y a de nombreuses entreprises privées françaises qui sont engagées dans des opérations intéressant le développement. Que s'est-il dit? Que s'est-il décidé entre le président Denis Sassou-Nguesso et vous-même qui puisse bien sûr laisser penser aux responsables des entreprises qu'ils peuvent maintenant aller beaucoup plus sérieusement et beaucoup plus rapidement de l'avant ?
- LE PRESIDENT.- Que s'est-il dit ? Tout. A-partir du moment où l'on veut que nos relations soient plus actives, cela se reporte naturellement du côté privé. Il n'y a pas que des relations d'Etat à Etat, il n'y a pas que des relations de développement sur fonds publics et, d'ailleurs, les fonds publics ont eux-mêmes généralement pour objet de faciliter le développement d'un certain nombre d'actions qui restent privées. On crée un courant économique et, à-partir de là, chacun de ceux qui en ont le moyen et la capacité vient assurer son propre développement. Il y a des données purement publiques qui touchent aux problèmes de formation par exemple £ que nul ne ferait à notre place dans le domaine privé : il y a des problèmes d'équipement de base, des problèmes d'infrastructure mais, à-partir de là, je ne connais pas. Je l'ai demandé aux Français que j'ai rencontrés, je ne pense pas qu'il y ait d'entrave particulière pour l'action de telle ou telle société privée. S'il y en avait, bien entendu, je m'en informerais, mais je n'ai pas été saisi de cas particulier. Vous savez que la raffinerie de Pointe-Noire sera inaugurée, je pense après les nouvelles mises au-point en décembre. Cela supposera une nouvelle branche d'exploitation à-partir des hydrocarbures qui viendra compléter les besoins de l'économie congolaise. Non, je vous le répète, hier, j'ai pu rencontrer plusieurs des dirigeants des sociétés privées. J'ai l'impression qu'il y a un véritable intérêt pour le Congo où j'ai même rencontré des compatriotes, non seulement français, mais également des régions que je connais particulièrement moi-même. Je les ai senti optimistes quant aux facultés de développement. Ils connaissent les difficultés du Congo mais cela ne les empêche pas de venir y travailler.\
QUESTION.- Les négociations sur l'indépendance de la Namibie sont actuellement bloquées par une exigence sud-africaine reprise par les Etats-Unis qui lie tout accord pour l'indépendance de la Namibie au retrait simultané des forces interventionnistes cubaines d'Angola. Monsieur le Président, que fait la France, pays membre du groupe de contact pour éliminer ce prétexte ?
- LE PRESIDENT.- Elle fait tout ce qu'elle peut, c'est-à-dire qu'elle fait beaucoup. Elle ne peut pas se substituer à l'Afrique du Sud. Son bon vouloir se heurte en effet à beaucoup de mauvais vouloir ici et là. Mais, comme je le disais hier soir, la plupart des initiatives du groupe de contact, du groupe des cinq, émane de la volonté de la France et rencontre des -concours - on sent qu'elle n'est pas seule - et rencontre aussi des obstacles. Dans le problème de la Namibie comme vous le savez, se pose un problème de stratégie qui fait que chacune des super-puissances cherche à tenir des gages. Toujours face à face dans de nombreux pays ou régions d'Afrique et du monde. Tout de même, on a pu observer un progrès. Est-ce que ce progrès sera suffisant ? Seule la suite le dira. Un progrès par exemple dans les dispositions de la SWAPO qui est passée par dessus certaines objections de procédure quant au mode de scrutin, par exemple, et qui a montrè là un sens politique qui peut être très utile. On a pu, par ailleurs, assister au-cours de ces derniers mois à une certaine inflexion de la politique de l'Afrique du Sud.
- Quand à l'Angola, vous savez que j'ai eu des relations directes avec le président de l'Angola `Dos Santos`. Je pense que ce pays veut pouvoir assurer son indépendance et il ne demande pas de -concours extérieurs pour le plaisir £ il veut assurer sa sécurité. Il est évident que tant qu'il y aura possibilité d'agression, d'ingérence, de l'Afrique du Sud dans les problèmes intérieurs de l'Angola, l'Angola assurera sa propre sécurité par les moyens de son choix. C'est un cercle infernal. Si l'on veut que de part et d'autre les choses se détendent, il faut d'abord assurer la sécurité et la sécurité dépendra des accords diplomatiques au-niveau international, dans-le-cadre de l'ONU et des accords qui seront passés pour l'indépendance de la Namibie. Considérez donc, madame, que c'est un problème primordial parmi les problèmes de l'heure.\
QUESTION.- Est-ce que les prix du pétrole et, éventuellement, du gaz, seront compris dans un accord politique global et, d'autre part, j'aimerais que vous me donniez un commentaire sur le rôle que peut jouer une société nationale comme Elf-Aquitaine dans le développement d'un pays comme le Congo ?
- LE PRESIDENT.- Cette société existe déjà depuis longtemps, elle joue un grand rôle, elle est une des sociétés nationales dont l'action est un élément très important de notre économie générale. C'est une société qui fait son travail, qui le fait correctement en veillant à ce que les opérations commerciales auxquelles elle se livre ne se déroulent pas au détriment de son équilibre financier. Ce souci est quand même tout à fait normal. Le souci de l'Etat est de veiller à ce que les relations entre les pays avec lesquels nous contractons et nous-mêmes puissent s'examiner à distance car nous avons une vue planificatrice de nos relations commerciales. Ce problème, vous le savez, se pose actuellement dans nos relations avec l'Arabie Saoudite par-rapport à la fourniture de pétrole qui représente le gros de nos achats à ce pays. Pourquoi voulez-vous qu'il ne se pose pas avec le Congo alors qu'il intervient des éléments d'appréciation autres que purement commerciaux dans l'étude de ces affaires. Cela s'est fait en d'autres circonstances. Je dois dire que même en 1982 d'une certaine façon, cela s'est fait dans les relations sur les hydrocarbures entre la France et le Congo et pour 1983, nous devons d'abord connaître les données commerciales. C'est en discussion, c'est-à-dire que c'est à Elf-Aquitaine de mener cette conversation. Nous n'avons pas l'intention de nous substituer à elle. Lorsque ce sera fait, nous apprécierons par-rapport aux accords de développement ce qu'il convient de faire, selon la -nature de ce que recevra, sous forme de paiement de son pétrole, le Congo. Nous verrons la marque qu'il s'agit de remplir pour assurer une marge normale de développement au Congo mais je ne peux pas préjuger aujourd'hui ce qu'il en sera.\
`Suite réponse sur la politique pétrolière de la France` J'ajoute que pour l'exemple de l'Algérie, en effet, nous avons accepté - et je pense que nous avons bien fait - la référence aux prix du pétrole pour le gaz avec une référence équilibrée entre une série de pétroles légers et de pétroles lourds, le pétrole lourd étant plus stable et cher et le pétrole léger moins cher mais moins stable. C'est une appréciation globale qui permet de savoir si sur-le-plan de la stratégie économique, on a intérêt à traiter de cette façon, étant entendu que les contrats avec l'Algérie se sont multipliés d'une façon très opportune pour notre commerce extérieur. Nous contribuons au développement de nos amis africains et lorsqu'il nous paraît possible, tout simplement dans les limites du possible, nous ajoutons ce qu'il convient au développement. Mais nous ne mélangeons pas les deux choses. Le débat commercial doit avoir lieu et le développement est le propre d'autres organismes d'Etat, notamment le ministère de la coopération et le ministère de l'économie et des finances.\
QUESTION.- A travers l'exemple de ce pays, dans quelle mesure la France et les pays de l'Est et Moscou sont-ils en compétition en Afrique ?
- LE PRESIDENT.- Moi, je ne me sens en compétition avec personne ici. Les dirigeants du Congo ont des relations traditionnelles profondes avec la France, nous sommes les premiers fournisseurs de ce pays, cela se comprend quand on sait la -nature de nos liens sur lesquels je ne reviendrai pas. Tout ce qui intéresse le Congo lorsqu'il s'adresse à la France, nous l'étudions sérieusement. Nous disons oui autant que nous le pouvons et nous ne nous occupons pas de savoir si le Congo s'adresse à d'autres pour autre chose. C'est son affaire, c'est bien son droit et c'est légitime. Nous nous réjouissons bien entendu chaque fois que le Congo s'adresse à la France. Nous souhaitons que le volume de nos échanges s'accroisse, et pas à sens unique, et je ne m'intéresse absolument pas et cela ne pèse pas du tout dans mon jugement de savoir si le Congo s'adrese ici ou là pour compléter ses fournitures. Bref, je ne fais pas entrer de problèmes de ce genre dans mes échanges avec les Etats, notamment les Etats africains qui ont besoin de s'adresser un peu partout pour leur propre développement. J'ajoute que nous ne serions pas en mesure, à l'égard de tous nos amis africains, d'assurer la lourdeur d'une charge qui serait uniquement franco - africaine. Il y a de la place pour d'autres. Nous pensons simplement préserver une place dans le coeur, dans l'esprit et, le cas échéant, dans les affaires, qui y soit la première et on y travaille comme on peut.\
QUESTION.- Il existe une similitude dans la politique d'agression d'Israel et de l'Afrique du Sud. Les deux pays, malgré les résolutions des Nations unies et les prises de position vertueuses des puissances occidentales poursuivent impunément leur politique de conquête par les armes sur les peuples voisins. Exemple : le Liban pour Israel, l'Angola pour l'Afrique du Sud. Quelles sont les mesures préconisées par la France socialiste pour limiter les moyens de cette politique belliciste de l'Afrique du Sud particulièrement quand on sait qu'elle se procure une partie de ses armes en France ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je peux vous dire, c'est que, à ma connaissance depuis le temps que j'ai pu m'occuper de ces choses, il n'y a pas eu de contrat entre l'Afrique du Sud et la France. Peut-être avez-vous des informations plus précises que les miennes. Mais non, la France a été tout à fait logique avec elle-même et je ne voudrais pas reprendre ici tout un thème que j'ai plusieurs fois développé au-cours de ce voyage. Sur le Proche-Orient, je me suis exprimé hier, ici même dans cette ville. L'action de la France a été très vivante puisque, comme vous le savez, nous avons déposé plusieurs résolutions dont une pour nous-mêmes et nous seuls aux Nations unies qui demandait, dès le point de départ - quel dommage, quelle tristesse que l'on ne nous ait pas écouté - qu'une force neutre multinationale ou internationale vint sur place et éviter les contacts entre les armées en conflit afin de protéger la population libanaise de Beyrouth ouest et d'assurer aux combattants de l'OLP des conditions dignes de retrait, la vie sauve, et dans la dignité. Ce n'était pas exorbitant, on a fini par nous écouter mais bien tard, trop tard.
- Nous avons une amitié traditionnelle avec le Liban et je crois que le témoignage général des forces là-bas représentées a été de constater que la France avait rempli un rôle éminent sur-le-plan humanitaire et sur-le-plan politique. Tout cela a été décidé sur la base de principes clairs. C'est tout d'abord le droit à la sécurité de l'Etat d'Israel. Nous avons reconnu cet Etat lors de sa -constitution, avec un léger retard sur l'Union soviétique `URSS`, à une heure près, et nous avons mis autant d'entrain à reconnaître l'existence de ce pays que depuis lors nous avons toujours estimé qu'il eût été hypocrite que les droits à l'existence ne soient pas assortis de moyens d'existence. Cela ne nous a pas conduits pour autant à considérer que le gouvernement d'Israel pouvait agir n'importe comment pour faire n'importe quoi.
- Je suis moi-même allé en Israel et j'ai développé à la tribune de la Knesset les positions de la France qui supposent ce que je viens de vous dire sur Israel, bien entendu. Mais c'est aussi la reconnaissance des droits du peuple palestinien à disposer d'une patrie dans laquelle ce peuple agira à sa guise. Quand au Liban, le Liban est un pays indépendant ou qui devrait l'être, souverain ou qui devrait l'être, uni ou qui devrait l'être, et nous soutenons les actions que son gouvernement légitime mène pour assurer ces trois objectifs qui supposent naturellement le départ des armées étrangères du sol du Liban.\
`Suite réponse sur les questions d'Afrique australe` Pour l'Afrique du Sud, on a parlé tout à l'heure du groupe de contact, du groupe des cinq. Notre position est, je crois, bien comprise par l'Angola puisque l'Angola a entrepris pour la première fois des démarches du côté de Paris et puisque j'ai reçu M. Dos Santos pour développer la coopération entre nos deux pays. C'est donc qu'un climat de confiance a commencé à se créer et nous avons constamment dit que l'Afrique du Sud devait consentir à l'indépendance de la Namibie et cesser ses incursions en territoire angolais. J'ajoute que je pense que nous avons été logiques avec nous-mêmes dans nos relations de caractère commercial ou sur-le-plan des armements avec ce pays. Que puis-je vous dire de plus, la France n'a pas l'intention d'intervenir militairement en s'érigeant en gendarme chargé de la police des moeurs dans l'ensemble de ces territoires, le Proche-Orient ou l'Afrique australe, mais partout où elle dit son mot, et c'est quand même un des cinq membres du Conseil de sécurité `ONU`, et partout où elle vote, partout où elle pèse, elle agit dans ce sens. Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet.\
QUESTION.- Monsieur Mitterrand, par votre voix, la France a exhalté tout au long de ce voyage l'excellent principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats. Peut-être y a-t-il aujourd'hui un gouvernement qui regrette que cette bonne règle ait souffert une exception, je paarle du gouvernement polonais à la suite du communiqué du gouvernement français. Est-ce que vous avez un commentaire à faire sur la situation actuelle en Pologne ?
- LE PRESIDENT.- Je parlerai de la Pologne à mon retour en France.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République française, selon des thèses largement répandues dans la presse occidentale et américaine, une menace soviétique pèserait sur la sécurité des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe occidentale. C'est cette menace qui justifierait dans le milieu de l'OTAN un besoin ou plutôt une nécessité de s'armer ou de se surarmer, au détriment des dépenses prioritaires par-rapport aux besoins réels des peuples. Monsieur le Président de la République française, croyez-vous personnellement à la réalité de la menace soviétique ?
- LE PRESIDENT.- C'est la course aux armements et au surarmement et jusqu'ici l'ensemble des débats qui ont eu lieu sur le désarmement n'ont jamais visé le désarmement mais ont toujours visé une certaine limitation du surarmement. C'est pour ça que nous trouvons un peu fort que l'Union soviétique `URSS` et les Etats-Unis d'Amérique puissent s'offrir le luxe de s'occuper de nos affaires plutôt que de s'occuper des leurs, en prétendant insérer l'armement nucléaire français dans leurs négociations surtout lorsqu'on voit l'Union soviétique poser cela en termes généraux. Alors, quand ils en seront au niveau de l'armement français, on verra. Pour l'instant, ils ont de quoi se détruire sept ou huit fois, à mon avis c'est déjà sept ou huit fois de trop sur-le-plan des positions politiques et, en tout cas, s'ils peuvent se détruire sept fois, sur-le-plan purement de l'efficacité militaire, c'est six fois de trop.
- Qu'ils discutent donc, qu'ils mettent un terme à cette course insupportable qui en effet empêche le monde industrialisé de contribuer au développement des pays du tiers monde autant qu'il le faudrait et dont les conséquences sont absolument multiples, incalculables et toujours dommageables.\
`Suite réponse sur l'armement nucléaire américain et soviétique` Maintenant vous me posez la question, est-ce que je crois à la menace ? C'est un peu orienté votre question. Je vais vous répondre franchement. Alors que j'étais encore dans l'opposition en France, je suis monté à la tribune de notre Assemblée nationale pour dénoncer l'installation massive des SS 20 soviétiques sur le sol de l'Europe, il suffit de 150 fusées SS 20 pour détruire la totalité des dispositifs militaires du nord de la Norvège au sud de l'Italie. Il y en a maintenant plus de 350. Pourquoi ? Je comprends certaines raisons, cela fait partie de la course. Les systèmes avancés américains sont venus donner des forces supplémentaires à l'OTAN, forces avancées par-rapport aux sanctuaires qui sont installés en Europe, et les Russes ont estimé que par-rapport à leurs fusées anciennes, il fallait faire un effort nouveau. Très bien. Alors les Américains maintenant estiment que puisqu'il y a tous ces SS 20, il faut des Pershings, sans oublier bien entendu les Cruises et le reste. Si les Soviétiques n'acceptent pas de vraiment négocier sur les SS 20, c'est inéluctable, il y aura des Pershing II et on aura franchi un cran de plus dans la course aux armements, car le secret de la paix actuellement, c'est un secret terrible, c'est celui de l'équilibre des forces. Alors dès que l'un des blocs prend de l'avance, l'autre essaie de le rattraper et même de prendre une nouvelle avance. Si on voulait faire maintenant le compte à rebours, alors il faudrait dire voilà : faut-il que les Américains et l'OTAN renoncent aux Pershings ? Faut-il que les Russes renoncent aux SS 20 ? Toujours un degré en dessous, faut-il que les Américains renoncent à leur système avancé comme il est demandé par les négociateurs soviétiques à Genève ? Faut-il, ayant renoncé à tout cela, que les Soviétiques renoncent à leur domination écrasante sur-le-plan des armements conventionnels en Europe ? Faut-il bref, arriver à une sorte de point zéro idéal où tout le monde aura désarmé ? Ne rêvons pas, il appartient donc aux négociateurs soviétiques et américains de trouver le point exact, quant à la force de puissance des armements, quant à leur portée et quant aux moyens de contrôle pour s'assurer de la réalité de la tenue des engagements. Qu'ils ne mêlent pas les questions qui ne sont pas de leur ressort, qu'ils cessent de se préoccuper de l'armement français, armes purement défensives, qui n'empêchent pas l'Union soviétique `URSS` d'entretenir des relations correctes avec la France comme elle l'a fait dans des moments particulièrement clairs au-cours de ces vingt, vingt-cinq dernières années. La France dispose d'une arme défensive, nucléaire qu'elle accroîtra plutôt que le contraire, puisque c'est le minimum nécessaire pour notre sécurité. Alors si vous voulez savoir de moi qui menace l'autre du bloc atlantique ou du bloc soviétique, je vous dirai : ils se menacent l'un et l'autre et c'est d'ailleurs la -nature même de leur compétition. Il faut donc, puisqu'ils négocient, qu'ils négocient sérieusement, qu'ils déterminent le point moyen à-partir duquel les forces s'équilibrent, et la paix y aura gagné, en même temps que ces pays retrouveront des disponibilités qui leur permettront de faire autre chose que la préparation de la guerre.\
QUESTION.- Que pense faire la France pour la sauvegarde de la paix ?
- LE PRESIDENT.- Je suis un petit peu contraint de me répéter. La France, elle joue son rôle, un rôle actif dans la société internationale des Etats. D'autre part la France n'entend pas s'ériger en gendarme du monde, c'est-à-dire que nous n'avons pas l'intention d'envoyer nos propres armées pour faire la paix chez les autres, ni l'intention, ni les moyens, ce serait absurde. Alors il nous reste à user, à nous servir, des institutions internationales, qui comptent. A nous servir de notre influence dans les endroits où nous sommes, par exemple dans l'alliance `Alliance atlantique` à laquelle nous appartenons, pour infléchir les tendances actuelles détestables des grandes puissances et du monde entier qui comme vous le disait tout à l'heure votre prédécesseur, ont tendance à répondre aux problèmes de l'équilibre par un suréquipement et un surarmement. Chaque fois qu'il y a un conflit, nous avons pris des positions comme dans le cas de l'invasion de l'Afghanistan, en Asie. Nous n'allons pas en faire la liste mais nous avons toujours défendu ce que nous considérons être le droit international. Nous avons quelques fois fait plus encore, nous avons quelques fois apporté des aides techniques, des aides militaires, nous avons, rappelez-vous, contribué de façon modeste d'ailleurs à l'équipement du Nicaragua. Nous ne pouvons pas en faire une règle dans toutes les zones chaudes où se déroulent des combats, la sagesse est de ne pas rajouter aux causes de tension, même si nous estimons avoir des obligations de sauvegarde ou de témoignage. Vraiment madame, je crois que la voix de la France s'est beaucoup fait entendre sur tous ces problèmes. Faut-il exercer aussi une pression militaire ? Vous mesurez fort bien que telle n'est pas votre intention, vous mesurez fort bien que nous devons nous garder de ce genre d'opérations, et si nous sommes intervenus militairement récemment au Liban, c'est dans-le-cadre d'une force multinationale munie d'un mandat international et en relation étroite, pour ce qui nous concerne, avec l'organisation des Nations unies `ONUù`.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes le Président de la République française, c'est-à-dire d'un pays avec des traditions capitalistes bien ancrées, un pays avec de grosses sociétés monopolistes ayant un poids tant dans-le-cadre de l'économie française que des échanges avec l'extérieur. Un pays avec un passé colonialiste et néocolonialiste relativement récent. Monsieur le Président, ne pensez-vous pas que cela justement pourrait entraver vos efforts et bien entendu votre volonté d'aller à la rencontre d'une Afrique qui voudrait se libérer ?
- LE PRESIDENT.- Comme vous savez une bonne analyse marxiste indiquerait qu'un pays vit dans un environnement géographique et historique donné et la première partie de votre question s'est contentée de décrire une situation qui existe depuis le début de la société industrielle. Je sais bien que c'est une réalité et cette réalité j'en tiens -compte. Si je n'en tenais pas-compte, il est vraisemblable que je n'obtiendrais pas les résultats que je souhaite obtenir pour corriger cette situation. Mais je n'en tiens pas -compte au-point de ne rien faire pour changer cette situation. Le colonialisme était un épiphénomène du capitalisme. C'est la même explication au fond et la société française repose en effet sur les données traditionnelles de la société industrielle. En outre les caractères particuliers - c'est encore une vue marxiste, je ne vais pas faire un cours de marxisme, car moi je ne suis pas marxiste, enfin disons que j'ai quand même un peu lu et écouté - les traditions nationales jouent aussi un rôle dans cette analyse. Il s'est créé une situation propre à notre pays. Nous avons eu en effet d'une part la création de grands monopoles et d'autre part un tissu économique et social de classes moyennes avec un développement des appareils d'Etat sous toutes les expériences politiques celles qui nous ont précédé comme la nôtre. Les autres ont pratiqué le dirigisme. Nous, nous préférons agir à face ouverte et lutter contre la bureaucratie en développant toutes les formes de démocratisation du secteur public que nous avons, comme vous le savez, élargi. Tout ce qui est monopolistique dans un secteur privé de l'économie, nous le nationalisons. C'est ce que nous avons fait pour la chimie, c'est ce que nous avons fait pour l'industrie d'aviation et d'armement, c'est ce que nous faisons dans beaucoup de domaines, nous l'avons même fait avec la banque, expérience assez rare dans les pays capitalistes. Donc lorsqu'il y a le poids monopolitique dans un secteur clé de l'économie ou des biens indispensables à la vie et à la sécurité de la nation ou lorsque les sociétés privées vivent uniquement ou presque uniquement de l'Etat client, nous intervenons. Pour changer cela, qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'autre ? Je ne me contente pas d'espérer, j'agis, ce qui ne fait pas plaisir à tout le monde, mais j'agis en tenant -compte de l'environnement géographique et historique.\
Il y a beaucoup de traditions françaises et de structures françaises auxquelles je suis très attaché. Celles en-particulier qui garantissent toutes les formes de libertés, de liberté politique, de liberté d'expression, de débats démocratiques, de respect de l'opposition parlementaire, même si cela provoque des tensions de temps à autres, je veille à ce que ces tensions s'apaisent tant que cela relève de mon pouvoir, sans renoncer au débat, dans sa vitalité, ce qui est une bonne chose pour mon pays. Je ne sépare absolument pas le développement de notre action politique, de la sauvegarde des principes fondamentaux sur lesquels est bâtie notre démocratie et suppose une alliance étroite entre la démocratie politique, la démocratie économique et la démocratie sociale. Vous dire que c'est facile, non. Peu d'entreprises de ce genre ont pu être menées à leur terme depuis un bon siècle, c'est dire que nous nous trouvons affrontés à des résistances tout à fait naturelles, ce qui implique de notre part de la volonté et de la persévérance avec une bonne faculté, comme on dirait sur un ring, d'encaissement. Il faut encaisser les coups et le cas échéant il faut pouvoir les rendre, mais cela doit se faire dans les règles du jeu, qui sont les règles du jeu démocratique. Ai-je bon espoir ? Oui. Nous `PS ` socialisme` avons la volonté politique, nous avons la majorité parlementaire, nous avons le pouvoir exécutif, c'est déjà bien et grâce à cette persévérance nous serons, je pense, en mesure de dominer les effets d'une crise mondiale, qui n'est pas une crise française mais une crise qui frappe la France. Je ne vous en dirai pas plus parce qu'une fois sorti de cette analyse de caractère général, j'entrerai à l'intérieur de nos débats français et je m'interdis toujours de porter des appréciations concrètes de politique intérieure lorsque je me trouve à l'étranger, fusse dans un pays ami.\
QUESTION.- Il existe à Brazzaville une symbolique de la libération liée à plusieurs discours du Général de Gaulle, je voudrais savoir comment vous ressentez le fait, en venant ici, de prendre la suite de cette symbolique gaulliste.
- LE PRESIDENT.- C'est une symbolique française, la preuve c'est qu'au moment où le Général de Gaulle disait cela, j'étais à ses côtés et je n'ai donc pas à me forcer. Ensuite nos voies se sont séparées. Je pense que la mienne était la bonne. Mais tant qu'il s'est agi de défendre l'indépendance de la France et d'en appeler à l'indépendance et à la libération des peuples d'Outre-mer et d'Afrique, j'ai toujours été de ce côté-là. De ce fait, vous me rattachez à une tradition qui remonte à une certaine époque où les forces qui se trouvaient rassemblées comptaient d'une illustre façon à leur tête le Général de Gaulle et comptaient un certain nombre de citoyens, et j'y figurais moi-même. Je me sens très à l'aise avec les déclarations de 1940 et les déclarations qui ont suivi pendant la guerre et j'ai été très heureux de voir un jour le Général de Gaulle s'inscrire à son tour dans la démarche que j'avais moi-même inaugurée lorsqu'il a fallu examiner les relations de la France et des pays d'Afrique et particulièrement de l'Afrique noire dans les années 1950 et 1951. Vous voyez donc qu'à tour de rôle nous avons pratiqué la politique de l'autre. Cela s'appelle donc la politique française.\