9 octobre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de la conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique à Kinshasa (Zaïre), samedi 9 octobre 1982.

QUESTION (télévision sénégalaise).- Monsieur le Président, lors du 8ème sommet franco- africain, il y a un an, vous veniez juste de passez six mois à la tête de l'Etat français, donc vous n'aviez pû jeter que les bases de votre politique à l'égard des pays africains. Un an s'est écoulé déjà. Durant ce laps de temps, aussi court fût-il, peut-on savoir si vous avez tenu certains de vos engagements vis-à-vis de vos partenaires africains ?
- LE PRESIDENT.- Je cois, madame, les avoir tous tenus. L'année qui vient de s'écouler à été pour moi extrément riche en relations diverses avec les Etats d'Afrique. J'avais bien, auparavant, une idée assez précise de ce qu'il convenait de faire et j'avais acquis naguère une expérience de ces choses, mais les contacts personnels avec les chefs d'Etat, ceux que je connaissais depuis longtemps et ceux qui étaient plus récemment parvenus aux responsabilités, ont fait que cette année a été pour moi très utile, afin que j'aie une pratique exacte et constante des problèmes franco - africains. Par-rapport aux principes que j'avais énoncés lors de la conférence de Paris `en novembre 1981`, je n'ai pas entendu une seule observation qui ait pû correspondre, comment dirais-je, à un regret ou à un reproche à l'égard de la France car l'ensemble des décisions et des engagements pris ont été intégralement respectés.
- D'abord, sur les grands objectifs, l'engagement de la France de porter sa contribution à l'aide publique au développement à 0,7 % du PNB d'ici à 1988 de même que celui de consacrer des 1985 0,15 % de son PNB à l'aide aux pays les moins avancés `PMA`, ces engagements seront respectés. En ce qui concerne l'AID, certains pays ont été défaillants et ont étalé sur quatre ans ce qui était prévu pour trois mais nous avons, nous, maintenu notre contribution. Nous avons de même alimenté le fonds spécial pour les pays les moins avancés.
- Nous sommes intervenus sur toutes les tribunes qui nous étaient offertes pour proclamer, répéter les principes sur lesquels est fondée notre politique à l'égard du tiers monde. Faut-il le répéter, cela figure pour partie dans le communiqué où cela a été dit dans nos propos : développement du secteur énergie au-sein de la Banque mondiale, priorité à l'autosuffisance alimentaire et procédures du Fonds commun `de garantie des matières premières` à mettre en oeuvre pour le soutien des cours des matières premières. Il ne faut pas oublier naturellement les principes de droit public qui touchent au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à leur droit à l'autodétermination. Tout cela a été mis en oeuvre dans toutes les circonstances. Chaque fois qu'un pays du tiers monde a été en jeu et plus encore chaque fois qu'un pays d'Afrique s'est trouvé impliqué dans l'un ou l'autre de ces problèmes.\
Quant à la coopération bilatérale, madame, elle a été accrûe chaque fois que cela a été nécessaire, dans la mesure de nos moyens. Et, comme nous avons à faire à des pays amis qui connaissent les difficultés du monde occidental, dans lesquelles se trouve la France et qui connaissent les conditions dans lesquelles la France doit redresser la propre situation qui résulte des dernières années, eh bien, je crois que chacun de nos débats, chacune de nos conversations, a abouti à mesurer le progrès à réaliser mais il y a toujours eu progrès, il n'y a jamais eu recul. Voilà ce que je puis vous dire, madame, qui me parait correspondre à la réalité. C'est pourquoi les relations entre les pays d'Afrique, ici présents, et la République française sont des relations très cordiales, très confiantes et comme elles ne l'on peut-être jamais été. Nous avons confiance dans la parole donnée, c'est un point acquis que je crois considérable. Il s'est posé des problèmes de politique étrangère, comme on dit, ou extérieurs, dans différents points du monde et particulièrement de l'Afrique et la France à été chaque fois fidèle à la ligne qu'elle s'était fixée. On l'a vu récemment encore en Namibie, mais à l'a vu sur tous les terrains où elle a été appelée à donner son avis. Je ne veux pas me délivrer un brevet d'auto-satisfaction mais je réponds à votre question.\
QUESTION (Office rwandais de l'information).- Je voudrais savoir, monsieur le Président, si à l'exemple de la conférence qui vient de s'achever maintenant, si la France est prête à élargir cette concertation entre les pays du monde pour aplanir les -rapports internationaux, à l'exemple justement de cette conférence entre la France et certains pays d'Afrique ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que l'originalité historique de la relation franco - africaine explique l'originalité de cette conférence qui en est à sa 9ème édition. Elle marque une part de continuité dans la politique française, chacun de ceux qui la conduisent y apportant, comme je le dis, ses affections, son tempérament, ses propres conceptions, mais dans une ligne qui marque bien l'aspect prioritaire des relations entre les Etats d'Afrique et la France. Alors vous me parler d'élargir. S'agit-il d'élargir à d'autres pays, d'autres continents ? Non, la France, dans ce cas-là, préfère s'en tenir aux institutions internationales existantes et n'a pas l'intention de prendre d'autres initiatives pour en créer une nouvelle. Mieux vaut s'en tenir, à partir du noyau francophone dont j'ai parlé hier qu'il s'agit de préserver, mieux vaut s'en tenir à l'élargissement des relations qui se sont établies avec une série de pays d'Afrique qui ont bien voulu y participer depuis 1980 puis en 1981 et 1982 à l'invitation du Président à la conférence annuelle. Donc je n'ai pas l'intention d'élargir outre mesure. Je pense que le point où nous en sommes est bien et qu'il convient de bien préciser la formule qui, elle, doit être resserrée pour que nous parlions de tout ce qui touche à nos intérêts communs et que nous sachions aussi quelles conséquences en tirer dans la politique de coopération, qui doit rester une sorte de privilège, privilège de l'histoire, privilège politique, privilège culturel, privilège affectif entre la France et l'Afrique.\
QUESTION (Office Zaïrois de radiodiffusion et de télévision).- Monsieur le Président, dans un premier temps, j'aimerais tout de même savoir, à un certain moment n'avez-vous pas doute des possibilités matérielles, techniques et financières du Zaïre à pouvoir organiser ce 9ème sommet des chefs d'Etat de France et d'Afrique ?
- M. Le Président, vous avez parlé d'intensifier la coopération Sud - Sud, est-ce que vous ne pensez pas qu'elle serait préjudiciable aux pays "dits" développés. Je prendrai un exemple concret. La plupart de mes collègues qui sont ici, pour atteindre leur pays, ont du nécessairement passer par Paris. Alors, s'il y a coopération Sud - Sud dans le domaine des télécommunications, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y aurait manque à gagner du côté de nos anciennes métropoles.
- LE PRESIDENT.- Je vais répondre à la première partie de votre question. Vous me demandez si j'ai douté de la capacité du Zaïre à organiser une conférence internationale. Mais enfin, ce n'est pas la première conférence internationale qui se tient à Kinshasa et le Zaïre a déjà fait ses preuves dans ce domaine. Je ne vois pas du tout à quoi vous voulez faire allusion car je n'ai jamais exprimé d'opinion à ce sujet, dans aucun sens. J'aurais trouvé d'ailleurs indécent de ma part de supposer que l'un quelconque des pays d'Afrique, qui sera appelé, un jour ou l'autre à organiser une conférence, pût être qualifié à priori d'incapable à réussir. Je fais davantage confiance à mes amis africains et la preuve est faite que cette confiance est justifiée. La dernière conférence en Afrique s'est tenue à Kigali `Rwanda` je crois, qui est un pays comme vous le savez plus petit que le Zaïre, plus ramassé, qui fait partie des pays les moins avancés et, cependant, tout ceux qui ont participé gardent le meilleur souvenir des conditions dans lesquelles s'est déroulée cette conférence. Je pense que chaque Etat d'Afrique est tout de même suffisamment majeur pour être capable d'organiser ses assises et la satisfaction des participants vous montre bien que celui qui aurait douté aurait eu tort.
- Quand aux autres problèmes, le président Habyarimana souhaite intervenir.\
LE PRESIDENT.- Je suis heureux que le président Habyarimana `Rwanda` ait répondu de cette façon parce que, monsieur, cette idée des relations renforcées Sud - Sud émane des pays africains. C'est eux-mêmes qui ont senti le besoin de s'entraider et de ne pas simplement recourir à l'entraide Nord - Sud, et ce qui vient dêtre dit par le Président confirme exactement cette excellente thèse. D'ailleurs, à tout moment, je me trouve confronté à des questions de cet ordre.
- Ceux qui désirent dans la zone proche d'ici, je pense à la Guinée equatoriale, participer à l'ensemble monétaire avec ses voisins : Gabon, Cameroun et autres £ l'entente qui prévaut entre cinq pays autour de la Côté d'Ivoire, de la Haute-Volta, Benin, etc... beaucoup de ces groupes tendent à s'organiser entre eux chaque fois que cela leur est possible et c'est une très bonne chose. J'ai donc cru devoir, en effet, insister sur une suggestion qui venait d'ailleurs de mes partenaires africains et que je reprends à mon compte.\
QUESTION (télévision sénégalaise).- Dans votre discours, monsieur le Président, vous avez dit "qu'aider", vous aviez déclaré d'abord, avant ce discours, "qu'aider le tiers monde, c'est s'aider soi-même", et hier en vous écoutant, j'ai cru comprendre que vous disiez aux Africains : "Eh bien il ne faut pas tout attendre de la France, qui a ses propres problèmes internes". Est-ce à dire que donc : il faut s'aider soi-même avant d'aider le tiers monde. A mon avis, il y aurait un paradoxe.
- LE PRESIDENT.- Voilà quelque chose de bien subtil en effet. Je ne veux pas dire que mon discours était incohérent, mais chercher une cohérence entre deux phrases qui se trouvaient situées à deux bouts de cet exposé, c'est peut-être risquer de placer midi à quatorze heure.
- Lorsque je dis aux pays dits du Nord, c'est-à-dire aux pays industrialisés, qu'aider le tiers monde c'est s'aider soi-même, cela ne souffre pas d'ambiguités. Je l'ai d'ailleurs expliqué en disant qu'il était évident que ce dont souffrait, parmi d'autres causes, le monde industriel, c'est de ne plus disposer de marchés suffisants et avec la bataille économique du commerce extérieur que chacun se livre, avec la volonté de pénétrer dans chacun des marchés intérieurs qui se rétrécissent. Tout le monde ne peut pas gagner en même temps. Ce que l'un gagne, l'autre le perd. Il faut que le champ des échanges s'élargisse et il faut que les dizaines et les centaines de millions, bientôt milliards d'êtres humains qui vivent dans la difficulté deviennent des producteurs, qu'ils participent aux échanges en même temps qu'ils seront des consommateurs. Dans toutes les périodes d'expansion, il y a eu des esprits suffisamment audacieux, qui sont simplement des esprits de bon sens, qui ont aménagé les situations nouvelles d'expansion par la multiplication des échanges. où trouver ces débouchés, sinon dans ce tiers monde, qui recèle tant de femmes et d'hommes capables de produire et de créer et qui, de toutes façons, doivent consommer s'ils en ont les moyens. C'est donc s'aider soi-même quand on appartient au groupe des pays industrialisés que de développer ce mouvement économique. Voilà ce que j'ai voulu dire.\
`Suite réponse` Quand, dans une autre proposition je dis qu'on ne peut pas tout attendre de la France qui ne peut pas se substituer aux pays industriels défaillants, souvent plus puissants qu'elle, je dis une autre vérité. Mais il ne faut pas passer d'un terme à l'autre, je ne sous-entends donc pas : "Aidez vous vous-mêmes, pays du sud, on va vous laisser tomber". Non, cela serait une interprétation que d'ailleurs personne n'a retenue.
- Il faut que les pays du tiers monde et particulièrement les pays africains qui en ont conscience - c'est d'ailleurs leur devoir - sachent, et ils le savent bien, que la France peut être d'une -concours utile, parfois nécessaire, mais qu'il ne peutêtre que complémentaire, complémentaire du travail, du temps de création, d'imagination des peuples en question. D'ailleurs c'est leur fierté et leur dignité que de compter d'abord sur eux-mêmes. Alors je ne renvoie pas les pays du tiers monde à la formule "Aidez-vous vous-mêmes et je verrai bien ce qui se passera". Non, je dis, c'est s'aider soi-même, nous la France et les autres du Nord, que d'avoir une grande politique de développement dans le tiers monde et, d'autre part, comme rien ne peut reposer dans le développement sur la seule intervention des puissances "dites riches", surtout dans le creux de la crise mondiale, j'indique que la France, s'en tenant à son rôle, le renforçant au besoin, ce qu'elle a fait au-cours de cette dernière année, ce qu'elle fera l'année prochaine, compte aussi sur la production, les décisions prises à l'intérieur de chacun des Etats de l'Afrique. Et, quand je suis allé dans plusieurs des pays les moins avancés `PMA`, c'est-à-dire deux des pays que j'ai visités avant d'aller au Zaïre, j'ai constaté à quel point ces pays contenaient de l'énergie humaine, de l'intelligence, de l'esprit d'initiative, de la volonté d'aller de l'avant, et ceux que je rencontrais n'étaient pas du tout en situation de se retourner vers la France en tendant la main. Ils disaient "Voilà nos difficultés, pouvez-vous nous aider", cela est un -rapport digne et c'est tout le sens de mon intervention.\
QUESTION (La voix de la Révolution béninoise).- L'année dernière, au sommet de Paris, vous déclariez que la présence de votre pays au-sein de groupe des cinq occidentaux sur la Namibie ne devrait pas servir d'alibi à d'interminables négociations sur l'indépendance justement de ce pays. Mais ce que l'on constate, c'est que chaque année on remet cette indépendance à plus tard et, à ce sommet précis, il a été décidé que la Namibie doit accéder à l'indépendance en 1983. Est-ce à dire que la France envisage des mesures concrètes, plus efficaces, afin de parvenir effectivement en 1983 à l'indépendance de la Namibie. Nous vous remercions.
- LE PRESIDENT.- Eh bien, monsieur, la France agit dans-le-cadre du groupe de contacte qui est un groupe de cinq pays, elle agit dans-le-cadre d'un mandat des Nations unies sur la base de la résolution 435.
- A l'intérieur de ce groupe de contact, dit des Cinq, chacun reconnait que la France exerce une activité particulièrement dynamique qui a été parfois nécessaire pour que, en effet les solutions à apporter ne soient pas indéfiniment retardées. Dans le communiqué qui vient de vous être lu, cette proposition vient d'être reprise : l'indépendance pour 1983. Quand à la décision et au contrôle à exercer sur cette démarche, ce n'est pas à la France qu'elle incombe, c'est aux Cinq d'abord et aux Nations unies ensuite. Il ne faut pas douter de l'intention de la France mais il ne faut pas non plus élargir à l'extrème les limites de son mandat.\