8 octobre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la cérémonie d'ouverture de la conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique à Kinshasa (Zaire), vendredi 8 octobre 1982.

Monsieur le président, notre hôte,
- Messieurs les chefs d'Etat,
- Messieurs les chefs de délégation, Mesdames et messieurs,
- Je veux d'abord adresser les remerciements de la France et, j'imagine de l'ensemble des pays ici représentés, au Zaire, qui nous réserve l'hospitalité la meilleure, à son peuple, et dire au président Mobutu combien nous sommes sensibles aux attentions qu'il nous réserve.
- Nous allons travailler pendant deux journées autour de thèmes précis afin d'avancer dans notre connaissance des problèmes, de préparer leurs solutions et, lorsque cela sera terminé, de veiller au-cours des mois prochains à ce que les paroles dites entre nous entrent davantage dans les faits.
- La signification de cette rencontre vient d'être exprimée en termes excellents. Vous savez que les sommets des chefs d'Etat d'Afrique et de France ont débuté par la rencontre des pays francophones. Là était le noyau central. Puis en raison de la communauté d'intérêt, de l'importance des problèmes, de la nécessité d'une concertation plus large, ces sommets sont devenus la rencontre que l'on peut constater aujourd'hui, très représentative des intérêts généraux de l'Afrique et de la France qui reste et doit rester fidèle à l'origine. Il ne faut pas que le noyau se dissipe et, cependant, il faut que les Etats francophones restent à l'écoute, débattent, discutent, se rencontrent avec ceux de leurs voisins qui représentent le continent dans sa réalité géographique et historique. Voilà les deux thèmes autour desquels nous organisons nos dialogues. Sachons rester fidèles et à l'un, et à l'autre.\
Il ne s'agit pas d'une institution, pas même dira-t-on d'une organisation. Le sommet des chefs d'Etat de France et d'Afrique entend ne se substituer à personne et particulièrement pas, nous n'en avons ni le mandat, ni l'intention, à l'Organisation de l'unité africaine `OUA`.
- C'est à l'Afrique, faut-il le répéter, qu'il appartient de se déterminer elle-même. C'est au-sein de ces niveaux, de hauts niveaux privilégiés de l'Organisation de l'unité africaine, que doivent et peuvent s'exprimer sur leurs intérêts communs les Etats africains.
- La France estime être leur ami. Mais elle n'est pas, sur ce plan-là, des leurs. Elle se réfère à des principes qui inspirent l'Organisation de l'unité africaine : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit à l'autodétermination, le droit au développement, le droit à la sécurité.
- Dans l'assemblée internationale où elle siège, elle dit et dira son mot selon ses convictions et l'idée qu'elle se fait de l'intérêt général de l'Afrique. Mais, et c'est ce qui aura lieu au-cours de ces deux journées, lorsqu'elle aura dit ce mot comme l'un des membres permanents du conseil de sécurité des Nations unies, `ONU`, comme un pays doté d'une riche et grande histoire et d'une grande connaissance des problèmes de l'Afrique pour avoir lié amitié avec la plupart des chefs d'Etat et des peuples d'Afrique, la France n'en restera pas moins fidèle à sa mission : d'une part, compter sur-le-plan des destinées du monde et d'autre part, laisser à ceux qui vivent ce continent parce qu'ils en sont, le soin d'aller selon leur décision.
- Voilà donc des assises tenues en cette séance solennelle en présence de nombreux invités que je salue ici et qui se perpétuera dans les heures à venir dans-le-cadre d'une conférence internationale. Les échanges de vues doivent essentiellement être un dialogue autour d'une table entre hommes de bonne volonté, désireux de s'associer et de coopérer, chacun apportant à l'autre ce qu'il détient, ce qu'il peut apporter dans une égalité et le respect de la dignité mutuelle. Il n'est pas d'autre loi pour la France au nom de laquelle je m'exprime.\
Commençons si vous le voulez bien, à l'inverse du plan adopté par le président de la conférence, par l'étude de quelques problèmes économiques et nous terminerons par l'évocation de problèmes touchant à la sécurité de l'Afrique et à la paix dans le monde.
- Au-cours de la dernière décennie, la croissance des pays du tiers monde, faible sans doute, s'était située aux alentours de 2,5 à 2,7 % chaque année. Et, cependant, à l'intérieur de ce pourcentage, la croissance des pays d'Afrique n'atteignait pas 1 %. Un certain nombre de pays parmi les moins avancés avaient même ce que je n'ose appeler par dérision une croissance négative, ce qui signifie qu'au-cours des 10 dernières années, la mise en oeuvre des grands projets imaginés auparavant n'avait pas vu le jour. Quant à la dernière année, celle qui nous sépare du dernier sommet, le 8ème `à Paris les 3 et 4 novembre 1981`, elle nous a réservé la triste constatation d'un déclin continu.
- Voilà une réalité dont il faut se pénétrer. Je vais très rapidement vous en donner les éléments. Depuis combien de temps les pays dits du tiers monde en voie de développement ont-ils demandé que pût s'engager une négociation globale au-sein des Nations unies ? Pour que, c'est l'explication de ces termes, pût s'engager un vaste débat sur lesquels chaque pays serait conduit à faire savoir ce dont il a besoin pour que chacun pu en tenir compte et que les diverses faces des problèmes posés au monde actuel fussent complémentaires.
- Dans-le-cadre des Nations unies, aucun institution paraissant préférable à celle-là, avons-nous avancé dans le vocabulaire ? Sans doute un peu. Il était déjà important de noter, que lors de la conférence des industrialisés d'Ottawa, au mois de juillet 1981, ces termes et répétés à Versailles `sommet des pays industrialisés juin 1982`. Mais dans la réalité des faits, aucun progrès.\
Il faut un système monétaire international ordonné. Après ces dix années où l'on vit tous les principes sur lesquels le développement de l'après-guerre mondiale de 1945 s'était établi, le désordre a gagné.
- Aujourd'hui une monnaie dominante `dollar` qui sans correspondre en quoi que ce soit à des réalités économiques, a valeur de spéculation et pèse lourd sur les échanges de ceux qui doivent se procurer leurs matières premières au moyen de cettemonnaie. Une monnaie qui, ayant acquis ce rang, semble n'en avoir pas compris le devoir, et dont les mouvements erratiques inconsidérés laissent la plupart des pays du monde, et d'abord les pays en voie de développement, dans une situation pratiquement intolérable.
- Nous avons parlé de garantir les cours des matières premières. Il faudra bien en arriver à ce fonds commun qui nous permettra de régulariser les situations de vos économies. Et je me souviens encore de l'exhortation de la prévision si remarquable du président Houphouet-Boigny lors du 8ème sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France l'année dernière à Paris.
- Qu'en est-il advenu ? Rien. Que dis-je ! Le système monétaire, la détérioration des termes de l'échange, les endettements qui s'accumulent, l'impossibilité où se trouvent les pays industrialisés, comme la France, et les pays en voie de développement d'Afrique, d'assurer comme il conviendrait les plans de co-développement, faute de savoir ce que deviendront les cours d'une année sur l'autre - que dis-je ! - d'un mois sur l'autre ! Voilà sur quoi nous devons porter notre regard. Voilà sur quoi nous devons porter notre action.\
Dans le même moment, l'on assiste à la diminution des aides, diminution d'un tiers des programmes internationaux pour l'Afrique, au passage soudain de la contribution américaine reportée de trois ans sur quatre ans pour l'Association internationale du développement £ à la réduction du programme des Nations unies `ONU` au-sein de l'organisation créée à cet effet `PNUD` £ à l'abandon, des recherches pour le développement des agricultures, au silence de la Banque mondiale face aux problèmes de l'énergie pour les pays - c'est le cas d'un grand nombre de ceux qui sont ici représentés - qui ne sont pas pays producteurs de pétrole et qui, cependant, disposent d'immenses ressources énergétiques. Ah ! Certes, tout cela s'accompagne d'une récession dramatique dans les pays industrialisés eux-mêmes. Mais ce n'est pas une explication suffisante, j'y reviendrai tout à l'heure. On pourrait même penser que la timidité, l'absence d'imagination, de volonté, que le déclin dans la conception des pays industrialisés au regard des développements des pays du tiers monde, contribue à cette récession. Comme si la présence sur la planète de centaines de millions de femmes et d'hommes, bientôt des milliards, capables de créer, de produire et donc d'échanger, n'était pas la réponse principale à la crise mondiale, à ces ruptures du temps au-sein des pays industriels eux mêmes.\
Alors, après cette description, qui semblera bien pessimiste mais qui ne l'est pas, quelle est donc l'action de la France ? Elle s'organise autour de quelques principes pour les Etats africains : l'autosuffisance alimentaire d'abord, l'indépendance énergétique, pierre angulaire de tout développement, une industrialisation adaptée, un développement auto-centré sur chacun des Etats ou chacune des régions à l'intérieur desquels les Etats passeront contrat et enfin, la fameuse interdépendance entre le Nord et le Sud qu'inlassablement j'ai rappelé partout où je me suis rendu au nom de mon pays.
- Dois-je ici rappeler mes appels à la conscience internationale et à la raison des peuples industrialisés à Ottawa, à Mexico, à Cancun, à Paris, encore,lors du sommet des pays les moins avancés `PMA`, à Versailles, à Paris encore, récemment, à Abidjan, à Toronto par l'intermédiaire de mes représentants ? Et de même au-sein des assemblées plénières de l'Organisation des Nations unies `ONU` : toujours le même discours au risque de lasser. Mais nul ne doit penser que nous arrêterons de répéter les mêmes thèmes : un système international monétaire, une garantie des cours des matières premières, l'autosuffisance alimentaire, l'indépendance énergétique, le fonctionnement adapté des grands mécanismes internationaux : Banque mondiale, aide au développement, fonds monétaire international `FMI`, ainsi que toutes les institutions subséquentes.
- Récemment encore, c'était la conférence "Afrique, Caraibes, Pacifique" - ACP - et Communauté économique européenne `CEE` à Libreville, chez l'un des vôtres. L'appel de la France a été celui de la reconstitution des ressources pour alimenter le STABEX dont vous savez, messieurs les chefs d'Etat, à quel point il a représenté un progrès dans le développement économique. De même, lorsque nous avons constaté l'abandon du programme initial de certains grands pays industriels au-sein de l'AID `Agence internationale de développement`, avec quelques autres pays comme le Canada, l'Italie, nous, la France, nous avons décidé de contribuer à un fonds spécial alimenté par nous-mêmes au-dessus de la proportion consentie initialement afin de combler certains vides. De même, nous avons demandé et ce sera, j'imagine, l'un des sujets de notre conversation, qu'il soit décidé au-sein du Fond monétaire international `FMI`, une vue audacieuse comme dans les grands moments du dernier demi siècle où quelques hommes illustres ont su prendre en compte les intérêt du monde, le nécessaire doublement des ressources des montants du Fonds monétaire international.
- Nous avons de même - j'évoque ici l'action de la France pour qu'elle soit bien claire dans l'esprit de chacun - nous avons aussi décidé de participer au fonds spécial affecté aux pays les moins avancés et, après en avoir parlé pendant six ou sept ans, pour la première fois on peut enfin y contribuer.
- J'ajouterai, si vous vous souvenez de la recommandation des institutions internationales, une contribution de chaque pays industriel avancé au développement du tiers monde à hauteur de 0,7 % du produit intérieur brut `PIB`, sachant que la France partait de loin, de trop loin, 0,3 % un peu plus, 0,35 % en 1981. Nous avons décidé d'atteindre le niveau de nos obligations, c'est-à-dire les 0,7 %, d'ici 1988, c'est-à-dire d'ici la fin de mon mandat. Et, déjà cette année, nous atteindrons 0,52 %. C'est-à-dire que nous avons aligné par nos dispositions budgétaires nos décisions sur nos promesses. Ce qui est la moindre des choses mais il n'est pas mauvais de la souligner. De la même facon, nous avons décidé de prendre part aux 0,15 % de notre produit intérieur brut pour l'aide des pays les moins avancés. Nous sommes partis de 0,08 nous atteindrons le niveau recherché en 1985. Et tout cela représentera environ 20 milliards de francs en 1983.\
Bref, constatons la diminution des aides multilatérales auxquelles nous maintenons notre apport sans tenir compte des défaillances voisines. Nous avos décidé de contribuer davantage aux aides bilatérales, faute de pouvoir, pour l'instant, agir autrement. Et dans ces aides bilatérales, priorité à nos partenaires africains. Pourquoi ? C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles nous sommes là tous ensemble. Parce que l'histoire, au travers de situations diverses, parfois contradictoires, heureuse ou malheureuse, à créé entre nous un lien puissant, parce que nous considérons avoir des devoirs au regard de l'Afrique. J'ajoute que cette aide prioritaire à nos partenaires africains - auxquels il faut le dire, nous avons ajouté quelques petites îles, les Caraibes, proches des départements français de cette région lointaine mais qui ne pèsent pas lourd en raison de leur modeste démograpphe sur les chiffres globaux - oui, cette aide bilatérale, nous en avons accru le montant au-cours de cette année.
- Mais je ne dirai pas, mesdames et messieurs, qu'il s'agit de la part de la France d'un acte généreux. Nous n'allons pas placer ce débat simplement sous l'angle des sentiments. Ils ne sont pas absents. Je me réjouis de ces relations humaines qui existaient depuis longtemps, qui se sont recréées, accrues, approfondies. Cela n'est pas indifférent à la conduite des affaires publiques.
- Mais c'est aussi l'intérêt bien compris et des pays en voie de développement et des pays industriels. Les uns et les autres verront s'affirmer leur capacité de progrès dans la seule mesure où ils auront su bâtir une politique cohérente de développement commun. Il faut bien comprendre que la France elle-même, prise dans la tourmente de la crise mondiale, ne peut à elle seule se substituer à ceux des grands pays qui ont pris du retard, qui n'ont pas compris ou qui ont cru qu'il était plus sage pour eux-mêmes de replier leurs ailes, de limiter leurs vues du monde aux -rapports de force militaire sans savoir - ou en oubliant - qu'une force moins visible sans doute, mais plus durable, réside dans la capacité d'un peuple à affirmer son indépendance par la qualité de sa production, la vigueur de sa création. Bref, par la part qu'il prend aux ressources du monde.\
Il serait injuste de prétendre que la France fût le seul pays à comprendre son devoir et je ne le prétendais pas. Il est vrai que nous avons trouvé, que vous avez, messieurs, trouvé un relais dans la Communauté économique européenne `CEE` et que si la voie de la France n'a pas encore réussi autant qu'elle le voudrait sur-le-plan mondial à ébranler les préjugés ou les précautions de plusieurs des grands pays industrialisés, elle a été largement entendue dans cette enceinte déjà très vaste que représente la Communauté des Dix.
- Devrais-je rappeler que cette Communauté a pratiqué une ouverture constante des marchés, qu'elle s'est refusée aux alibis du protectionnisme et qu'elle continuera de s'y refuser, qu'elle est devenu le premier partenaire commercial des pays du tiers monde et particulièrement de l'Afrique ?
- Il est vrai que la dimension européenne donne plus de force encore à l'argument selon lequel la France se trouve être, je m'en réjouis, un partenaire privilégié pour ses amis africains.
- Aussi, me permettrais-je d'attirer votre attention, pendant cette conférence, sur la préparation de ce que l'on appelle Lomé III : troisième rencontre autour des accords initiaux de Lomé auxquels, vous le savez, les représentants de la France au-sein de la Commission européenne ont joué - j'allais dire a joué puisqu'il s'agit du ministre actuel des relations extérieures `Claude Cheysson` de la France - un rôle décisif.
- Il faut bien se rendre compte, messieurs, qu'il existe un danger de dilution de la construction de Lomé, qu'elle est en péril et qu'il convient de rester bien accroché au sol, de ne pas élargir au-delà des limites raisonnables, même de ne pas élargir les données initiales pour approfondir la qualité de nos accords.
- Il faut consolider l'acquit de Lomé II dans l'action, par exemple, sur les recettes d'exportation, priorité parmi les priorités, pour l'encouragement à la coopération régionale entre vous, messieurs les chefs d'Etat. Car il est une dimension qui apparait de plus en plus a nombre d'entre vous, le développement des coopérations Sud - Sud, conception à laquelle la France n'a pas besoin de se rallier - c'est la sienne. Il n'est pas seulement nécessaire d'envisager de nouvelles relations entre le Nord et le Sud. Une vue juste et complète des problèmes qui se posent à l'Afrique permet déjà de concevoir des coopérations particulières Sud - Sud qui s'intègreront heureusement dans le dispositif général.\
Et là encore, les principes que je me permets de recommander, ceux que je mets en oeuvre au-sein de la Communauté européenne des Dix `CEE` comme dans les institutions internationales, ces principes restent une sélection aussi pertinente que possible des investissements - tout investissement n'est pas bon - en respect des programmes. Je le disais tout à l'heure : comment s'organiser dès lors que d'une année sur l'autre, tout est bouleversé malgré des prévisions retenues avec solennité. Et je le répète encore : priorité absolue à l'autosuffisance alimentaire - certains des vôtres y parviennent - et à l'indépendance énergétique, à la maîtrise de l'explosion urbaine dont certains d'entre vous souffrent dramatiquement - et nous aussi dans certaines métropoles d'Europe - à la -recherche systématique d'un développement autocentré. Ne pas se perdre dans les distances ou dans les confusions, observer chaque unité et autour de cette unité nationale, veiller au développement particulier, intelligent et audacieux.
- Il est vrai, je ne surprendrai personne, que je ne suis pas de ceux qui croient que la simple loi du marché va suffire à répondre à la question posée. Je ne nie pas - pas davantage dans mon pays - la réalité de ces lois du marché. Comment n'aurais-je pas les yeux bien ouverts sur la réalité qui m'entoure ? Mais seules ces lois du marché se corrompent d'elles-mêmes - le plus fort ayant toujours tendance à devenir le plus fort et de plus en plus fort - on le disait tout à l'heure pour l'endettement : il faut être deux, et le fort fonde sa force sur la faiblesse des autres. Comment imaginer que ces simples lois supposées mécaniques et qui recouvrent, en réalité, bien des ambitions, bien des formes d'impérialisme, doivent être corrigées par la coopération des Etats responsables, par l'intervention de la société internationale. Est-ce la loi du marché qui verra ici se bâtir des écoles ou bien des hôpitaux ? N'est-ce pas davantage la conception de nos Etats capables d'imaginer à distance et de savoir que le vrai profit n'est pas toujours le profit immédiat, mais le profit planifié au regard des intérêts de chacun aussi bien que de l'intérêt commun.
- Il est vrai aussi que dans cette relations si heureuses entre nous, c'est un honneur que vous faites à la France de la considérer comme votre amie. J'allais ajouter que l'honneur que vous lui faites en comptant sur elle, sur son amitié, sa fidèlité vaut obligation pour nous : obligation d'être présents, obligation de remplir nos promesses, obligation de parler franchement, et de dire ce qui lui est possible et ce qui ne l'est pas. J'ai trop d'estime pour vous, messieurs, pour ne pas employer ce langage car je dois du même coup, face à la crise qui m'environne, et tous les Français avec moi, veiller au propre développement de l'économie française. Veiller à réduire son inflation et son chômage, veiller à reconstruire sa capacité concurrentielle dans l'industrie et dans les industrie d'exportation de pointe, veiller à reconquérir une large part de notre marché intérieur. Non point, je le répète, par le protectionnisme, mais par la qualité de nos produits, ce qui exige bien des investissements consacrés à notre propre développement condition même de notre capacité à regarder autour de nous et bien au-delà, pour remplir les obligations que nous devons à la solidarité franco - africaine, objet même de ce débat.\
J'ai dit, tout à l'heure, tout sera plus bref puisque tout a été - ou presque - dit dans le discours inaugural du président du IXème sommet `Mobutu Sese Seko`. Je terminerai par l'examen de quelques problèmes touchant à la sécurité en Afrique et à paix dans le monde.
- La sécurité : la France, dans le passé, et le présent, a contracté avec un certain nombre de pays, ici présents, des accords que j'appellerai des acccord d'alliance, comme il en est en Europe, à l'Ouest et à l'Est, par exemple, entre la France et d'autres partenaires, entre d'autres pays parmi lesquels on ne compte pas la France. Ainsi va la loi du monde.
- Faut-il le redire : la France respectera scrupuleusement cet engagement, sur ce principe fort difficile à distinguer tant que l'aide à la sécurité - je veux dire à l'indépendance et à l'unité des pays africains qui ont contracté avec nous - ne sera pas confondue, ni d'une part, ni de l'autre - et il suffit de dire ces mots pour qu'aussitôt vous mesuriez la difficulté du propos - tant que ne sera pas confondue l'aide à l'indépendance et à l'unité avec l'ingérence dans les affaires intérieures. La ligne de conduite est celle de la bonne foi, du dialogue ouvert et du respect mutuel.\
Il faut toujours se rappeler que lorsqu'un conflit local s'envenime, la décision échappe vite aux partenaires adversaires qui s'entêtent dans leur refus. Cette décision désormais passe bien au-delà, au-plan de ceux qui tentent d'arbitrer les destinées du monde. Si bien que l'on peut constater que dans tels et tels endroits, sur tous les continents où s'envenime, se perpétue s'éternise un conflit, c'es autant de liberté perdue pour les pays en cause jusqu'au jour où la décision finale est dictée de l'extérieur.
- Il faut pourtant que la société internationale s'en mêle et il vaut mieux que ce soit l'institution de la société internationale `ONU` qui, elle, ne peut pas obéir par définition à des vues de domination bien impérialistes. C'est la position de la France. C'est celle que nous préférons. Ce n'est pas toujours celle que nous sommes en mesure de faire prévaloir. Exemple : le Proche-Orient dont vous avez parlé. Oui, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit des Etats à vivre en sécurité, le droit des peuples à disposer d'une patrie, le dialogue préféré à la guerre, le rôle que devrait exiger davantage pour lui-même le Conseil de sécurité, tout cela fait partie des données traditionnelles de la diplomatie française. Traditionnelle mais actuelle.
- L'équilibre du monde entre ce que l'on appelle les super-puissances, tient dramatiquement à l'équilibre de leurs forces. Qu'un déséquilibre se produise, et la guerre mondiale menace, la guerre nucléaire. Considérer ce déséquilibre pourrait conduire si la sagesse était de mise, à un désarmement contrôlé. Il conduit, puisque la sagesse n'est pas de mise, au surarmement. Cycle infernal qui ruine les Etats, qui ruine la société. Vous avez dit 5 % de ces dépenses seraient-elles consacrées au développement que l'on commencerait à sortir déjà de la misère où se trouvent certains.
- Eh bien, pour la France, et pour l'homme que je suis, héritier d'une grande tradition de la vie politique française, les termes de sécurité collective, d'arbitrage et de désarmement gardent toute leur force.
- Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes c'est presque comme on le dit dans une comédie française, c'est presque une "tarte à la crème" : quelque chose que l'on répète comme cela tout le temps, presque des mots qui finissent par perdre leur sens. Et pourtant, est-il une vérité plus forte dans le monde moderne que celle-là ? Messieurs, ici présents, vous avez tous combattu pour que le peuple que vous représentez, puisse disposer de lui-même, et cela est naturellement pour vous la base sacrée de votre engagement. Sachez que la France qui a vécu des expériences douloureuses mais qui, elle aussi, au travers de ses deux derniers siècles, a dû bâtir autour de quelques grands principes universels, sa propre capacité à vivre indépendante, après une longue histoire, sachez qu'il n'est pas de principe qui nous soit plus cher. Messieurs, la France est avec vous et restera à vos côtés chaque fois qu'une menace pèsera sur votre indépendance.\
Lorsque l'on approche des réalités diverses qui se présentent, ces définitions peuvent parfois se perdre dans les méandres de la politique quotidienne. Oui, c'est vrai, vous avez parlé du problème du Tchad : nous en traiterons au-cours de cette conférence puisque vous l'avez placé, monsieur le président, dans votre discours inaugural. Voilà un pays qui a droit, comme tout autre, à son indépendance et à son unité. Ce peuple a droit, comme tout autre, à vivre l'histoire qu'il construit chaque jour. Et la France répondra sûrement à toute demande qui lui sera faite de contribuer à tout ce qui se fera pour la reconnaissance, pour la reconstruction, pour l'unité de ce pays. Il ne nous appartient pas de décider à la place du peuple tchadien, et si quelqu'un a pu douter de la valeur de ces principes dans ma bouche, je le répète ici, je n'ai pas d'autre inspiration.\
Vous savez le rôle que je joue mon pays dans le groupe de contact des Cinq, dans-le-cadre et avec le mandat de la résolution 435 des Nations unies. Ouis, il faut que la Namibie accède à l'indépendance dans les termes reconnus par la société internationale. Il faut que son peuple ait droit à l'existence, et les recommandations, les inflexions de l'attitude des uns et des autres, et particulièrement de la SWAPO, permettent de penser que nous avons aujourd'hui avancé. Encore faut-il parachever cette -entreprise qui d'une part ne peut supporter que la Namibie reste dépendante, tandis que les pays qui exercent sur elle l'autorité indue, pourraient perpétuer ce système intolérable, inacceptable de l'apartheid.
- Et je dois dire que la France, au-sein du groupe de contact, n'a pas ménagé ses efforts. Vous savez bien qu'il est arrivé des moments où la négociation - ou plutôt la -recherche de la négociation - tendait à s'assoupir. La France a joué le rôle du pays qui réveille les énergies, et nous entendons bien continuer dans cette voie.\
D'autres problèmes en Afrique même sollicitent notre attention. On sait bien sur quoi a achopé la conférence de l'OUA `ajournée début août faute du quorum des deux tiers des Etats membres du fait de la présence de la RASD`, mais il n'appartient pas à la France de faire autre chose que de donner son avis, étant entendu que c'est à l'intérieur de l'Organisation africaine qu'il appartient de déterminer, comme elle l'a déjà fait, la voie à suivre. Et en fin de compte, au peuple même, à s'autodéterminer.
- Une vérité profonde exprimée par le président du IXème sommet tout à l'heure, c'est que la paix et la sécurité, mesdames et messieurs, sont la condition même du développement. Tant que pèseront des menaces sur vos indépendances, tant que le monde riche organisera son économie autour de l'armement, le développement souffrira. Rechercher la paix et la sécurité, c'est oeuvrer pour le développement.
- Voilà pourquoi, les deux parties des deux discours, les deux parties inversées de l'intervention du président Mobutu et la mienne sont bien complémentaires. Développement, sécurité, sécurité et paix, voilà, messieurs les chefs d'Etat, messieurs les chefs de délégation, mesdames et messieurs, ce à quoi nous allons travailler, en deux journées, où nous allons parler pour agir, à notre place, comme il convient, avant de quitter Kinshasa. Je salue ici, le peuple zairois auquel j'adresse mon hommage et le témoignage de mon amitié, avant de quitter cette ville avec le sentiment que nous avons fait avancer les chances de la paix. C'est en tout cas, messieurs, ce qui entre dans l'esprit. La grandeur de la France, elle se mesurera à cette aune.
- Aura-t-elle réussi, en cette fin du XXème siècle, à transférer tant d'ambitions et tant d'histoire pour la naissance d'une économie nouvelle qui soutiendra la renaissance des peuples de l'Afrique dont vous êtes les artisans. Je vous remercie.\