6 octobre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Toast de M. François Mitterrand, Président de la République, au dîner offert par le colonel Jean-Baptiste Bagaza, Président de la République du Burundi, Bujumbura, mercredi 6 octobre 1982.

Monsieur le président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs les ministres,
- Mesdames et messieurs,
- C'est une grande joie pour moi que d'être le premier Président de la République française à se rendre en visite officielle au Burundi.
- Votre pays, situé, comme on le sait, au coeur du continent africain constitue, sans nul doute, un lieu privilégié pour se mettre à l'écoute de l'Afrique, partager les aspirations de ses peuples, comprendre ou essayer de comprendre leurs problèmes, leur apporter, comme je le fais aujourd'hui, au nom de la France, un message de paix et de fraternité. L'importance que vous, monsieur le président, et moi-même, accordons à notre rencontre, pour souligner notre commun attachement aux relations franco - burundaises se double pour moi de la satisfaction de découvrir un pays connu dès la plus haute antiquité puisque l'un des Ptolémée l'avait désigné sous le vocable des Monts de la Lune. Votre jeune République, monsieur le président, représente un trait rapidement parcouru dans l'histoire d'une nation. Et pourtantn les grandes mutations, les profondes transformations qu'a connues le Burundi lui permettent aujourd'hui de regarder l'avenir avec confiance et de se lancer avec le courage séculaire et la détermination qui le caractérisent dans la grande aventure du développement. Je connais bien sûr les contraintes auxquelles vous devez faire face pour mener à bien votre ambitieux projet. Entreprenant en mai dernier mon premier voyage en Afrique, en ma qualité de Président de la République française, j'avais tenu à consacrer ma première visite à un pays du Sahel, le Niger, profondément éprouvé par la sécheresse au-cours des dernières années. En commançant aujourd'hui par le Burundi ce second voyage je veux apporter un témoignage de solidarité à l'égard d'un pays dont le développement reste entravé par cette autre contrainte de la nature qu'est l'enclavement, la situation géographique qui a interdit à tant de voyageurs des temps passés d'aller jusqu'à vous.\
Je sais, d'autre part, combien l'évolution erratique des cours des produits de base - pour le Burundi il s'agit de nombreux produits, notamment du café - le poids de l'approvisionnement des produits énergétiques - nous en souffrons nous aussi, mais proportionnellement c'est pour vous insupportable - fait peser des incertitudes sur vos recettes d'exportations, sur le coût de vos importations, sur vos investissements, bref sur vos finances publiques.
- A cet égard, la France se fait partout, vous le savez, vous avez bien voulu le souligner il y a un instant, l'avocat inlassable d'un nouvel ordre économique plus équitable, moins désordonné afin d'obtenir de la communauté internationale des prix justes, stables pour vos produits. Vous pouvez comptez sur la France pour continuer de combattre, de la même façon, contre les égoismes ou les impérialismes qui menacent à la longue de faire glisser l'ensemble de l'économie mondiale dans l'abîme.
- Vous l'avez rappelé : que ce soit à New York dans-le-cadre des Nations unies, à Cancun, à Versailles `Sommet des pays industrialisés`, à Toronto, à Bruxelles, vous le rappeliez à Abidjan, par ma propre bouche ou par celle de nos ministres des relations extérieures ou de la coopération, nous n'avons pas cessé de parler et d'agir pour que les pays les plus pauvres `PMA` reçoivent l'aide indispensable à leur développement.
- Vous connaissez nos efforts pour que soient respectés les engagements pris envers l'Association internationale pour le développement `AID`. Vous savez à quel point nous estimons indispensable de relancer les négociations globales dans-le-cadre de l'Organisation des Nation unies `ONU`, combien nous souhaitons, dans-le-même-cadre, que soit définie une approche plus cohérente et plus sérieuse des questions énergétiques.
- Enfin, et le Burundi est particulièrement bien placé pour le savoir, nous préconisons inlassablement une stabilisation des cours des matières premières dans l'esprit des accords de Lomé conclus naguère entre la Communauté économique européenne `CEE` et les pays d'Afrique, des Caraibes et du Pacifique `pays ACP`.\
Cette solidarité internationale pour laquelle nous oeuvrons, je viens en porter témoignage au nom de la France. Ce n'est pas seulement pour nous une profession de foi. Nous l'avons inscrite comme une priorité dans notre action et nous comptons atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé l'an dernier de porter nos crédits d'aide à 0,7 % du produit national brut `PIB`, à l'horizon 87-88 `1987 - 1988`, tels qu'ils ont été demandés par l'institution internationale dont 0,15 % aux pays les moins avancés. C'est un effort considérable si l'on pense que notre point de départ était de 0,3 %. D'ores et déjà la France a décidé de consacrer en 1983, 20,5 milliards de francs d'aide au développement, soit cette fois-ci 0,52 % de notre PNB. Nous voulons agir sans autre délai pour les pays les moins avancés. Vous savez qu'au moment où les plus grands pays du monde qui participaient à l'aide internationale ont décidé de geler leurs nouvelles aides, la France a été l'un des rares pays à déclarer tout aussitôt que loin de suivre l'exemple - on aurait pu le faire - des Etats-Unis d'Amérique, entre autres, dans cette démarche, nous avons maintenu notre contribution telle qu'elle était initialement fixée. Cela signifie que la France participe proportionnellement beaucoup plus encore à l'effort commun.\
Et puisque nous parlons des pays qui luttent pour leur vie, vous constituez un bel exemple de courage et de continuité dans l'action. Voilà plusieurs années que le Burundi a opté pour une politique de rigueur financière, pour un développement planifié, autocentré, pour l'autosuffisance alimentaire et vous y parvenez. Certes, à un niveau qui doit vous permettre, grâce aux technologies modernes, de fixer à votre peuple de nouvelles échéances. Mis vous y parvenez. Et si rares sont dans le monde les pays parvenus à cette autosuffisance que l'on remarquera ce pays de 5 millions d'habitants environ, composé surtout de paysans connaissant admirablement les capacités de leur sol, habitués à vivre durement. Et cependant ils ont apporté cet effort qui est venu donner un nouvel élan aux efforts, que vous-même, monsieur le président, et ceux qui vous entourent font pour aborder la période moderne, celle de la grande compétition internationale.
- J'observe depuis longtemps, et particulièrement depuis plus d'une année, avec sympathie et grand intérêt, cet effort qu'il faut connaître. Votre pays semble éloigné du nôtre, il ne faut pas l'ignorer. Il y a, ici et là, et particulièrement dans ce pays, de jeunes équipes ardentes, capables de s'imposer des sacrifices, désireuses de servir leur peuple, de mobiliser leur énergie. A cet effet, je salue en vous, monsieur le président, l'un de ces hommes. Vous avez, de même, choisi d'organiser une solidarité régionale dans-le-cadre de la "communauté économique des pays des grands lacs" et de l'organisation du bassin de Kagera. Nous ne pouvons que vous féliciter de cette orientation. J'ai parlé de vos efforts, j'ai parlé de votre personne, ils sont liés dans la mesure où vous conduisez votre pays vers un stade de réflexion, de débat et de dialogue assez remarquable dans un continent comme l'Afrique. A ces efforts, la France s'associe, vous le savez, dans-le-cadre de nos relations bilatérales, comme dans-le-cadre de nos relation en tant que membres de la Communauté européenne `CEE` des Dix. Mais sur-un-plan strictement bilatéral, la dernière commission mixte qui a réuni vos représentants et les nôtres, a vu cette aide s'accroître d'une année sur l'autre de plus de 40 %. Vous avez vous-même remarqué à quel point vous sentiez le besoin d'accroître cette coopération dans les domaines de la formation, de la santé, de la défense, de la communication.\
Quand on pense aux communications, au pluriel, on pense, bien entendu, aux difficultés propres à cette région géographique qui veut que pour écouler vos produits, vous soyiez obligés de passer par des routes étrangères, mêmes si elles restent amies, qui ne sont pas toujours équipées suffisamment pour vous permettre, dans le temps qu'il faudrait, de transporter d'abord, puis de vendre au loin les produits nécessaires.\
Et puis, il y a la communication. Puisque je viens d'indiquer que notre coopération marchait bien, je veux, ou je voudrais qu'elle marche mieux encore. Je suis heureux de pouvoir vous informer, ce soir, que sachant que vous nourrissez le projet de développer dans votre capitale, un réseau de télévision, je puis vous convier, dès maintenant, à envoyer à Paris vos représentants pour le début de l'année 1983, afin que nous puissions, non seulement étudier les moyens mais aussi en fournir, c'est-à-dire ajouter notre contribution. La France oeuvrera ainsi pour la communication nécessaire au développement culturel, à la paix civile, à l'unité du pays, qui n'est pas une unité menacée mais qui a toujours besoin, comme la nôtre même, d'être renforcée. Ainsi la France se flattera-t-elle d'avpir contribué utilement à votre oeuvre déjà -entreprise.\
Bien entendu, le développement ne dépend pas seulement d'une mobilisation de moyens financiers. Il faut envisager les conditions de l'environnement, de stabilité économique et de paix entre les peuples. Le droit des peuples et des pays, ici comme ailleurs, à la sécurité est un principe essentiel pour nous, pour que - revenons à l'Afrique - femmes et hommes de ce continent assument leur identité dans des conditions de vie dignes et honorables.
- Et je sais que vous êtes aussi les fermes artisans d'une politique de non-alignement, ce qui vous vaut des amitiés sur la surface de la planète. Je ne saurais vous le reprocher. Vous avez à choisir la voie du progrès. Quiconque y contribue doit être votre ami. Je répète devant vous qu'il appartient à la France - sans doute le fera-t-elle dès après-demain à Kinshasa `conférence franco - africaine`, comme elle l'a fait depuis longtemps déjà - d'adresser aux pays industrialisés dont elle est, le message pressant qui devrait enfin permettre plus qu'un dialogue, une tâche commune entre les pays du Nord et les pays du Sud. Oh ! je sais bien que cela représente comme une clause de style dans la plupart des discours mais j'ai mis en garde, notamment à Cancun, précédemment à Ottawa, récemment à Versailles `sommet des pays industrialisés`, les grands pays occidentaux industrialisés contre l'erreur de conception qu'ils ont tendance à commettre lorsqu'ils oublient que leur intérêt à brève distance, d'ici la fin du siècle, rejoint leur devoir moral et humain.
- Ou bien nous serons capables de multiplier les termes de l'échange avec ces centaines de millions, bientôt ces milliards d'êtres humains qui ont besoin que d'être mis en mesure de produire, de créer, d'échanger - et le siècle prochain sera un siècle de prospérité et j'ajouterai de paix - ou bien je vois dans la disparité entre le Nord et le Sud l'une des deux ou trois causes fondamentales des guerres futures. Comment pourrait-on supporter cette inégalité ? Ceux qui ont faim, qui sont soumis aux rigueurs du soleil ou du froid, de la famine, qui sont objet de la nature sans pouvoir la dominer, victimes des épidémies, bref, comme dans les temps anciens, emportés par le hasard des choses. Le devoir des pays industrialisés, c'est d'offrir les plans précis et particulièrement - et cela nous concerne aussi - un système monétaire international fondé sur d'autres bases, y compris lorsqu'on s'est avancé sur la route des droits des tirages spéciaux en servant d'abord les pays détenteurs d'or et le petit club des pays privilégiés.\
Il faut aussi arriver à la garantie des matières premières. Impossible d'imaginer un plan de co-développement entre un pays industriel et un pays du tiers monde, un pacte ou un contrat de co-développement sur deux ans, sur cinq ans. Impossible avec les mouvements de matières premières comme le café, le cacao, le bois, le coton, que sais-je encore. A la seule disposition non pas des lois du marché comme on le prétend, mais d'une spéculation elle-même concentrée sur trois ou quatre places : citerai-je Londres, Chicago, New York, où l'on décide souverainement de ce que sera le prix du produit dont dépend la vie de centaines de milliers, la vie de millions d'hommes ici et là.
- Et, comment un pays y compris le nôtre, qui pourtant le fait, pourrait-il préserver dans la voie du co-développement s'il ne peut assurer à court et à moyen terme ces prévisions financières ?
- C'est un problème urgent. J'aimerais qu'on m'entendît bien au-delà de cette salle, bien au-delà de vos frontières et je le répèterai à Kinshasa `conférence franco - africaine`. Je le répèterai plus encore, comme cela vient d'être fait récemment par le Premier ministre, M. Pierre Mauroy, devant l'assemblée des Nations unies `ONU`. Il faut que le monde industrialisé prrenne conscience de ce qui est plus qu'un devoir, de ce qui est l'assurance de son propre développement dans les années prochaines.\
J'ai cité tout à l'heure les problèmes alimentaires. Il faut, en effet, contribuer à démultiplier les moyens de la science. Une science que la France pratique et qui permet sur-le-plan agricole de décupler certaines productions. Il faut que les moyens énergétiques d'une région comme celle-ci ne soient pas seulement le pétrole. Il suffit de regarder autour de cette ville pour constater que les moyens hydrauliques, par exemple, ne doivent pas manquer. Quant à ceux du soleil, s'ils sont absents ici, où les trouvera-t-on ?
- Energie traditionnelle, énergie nouvelle, vous êtes riches potentiellement. Il vous manque le moyen d'exploiter cette richesse. Il nous appartient de vous apporter ce moyen et ces richesses profiteront à l'ensemble du monde. La France ne peut évidemment se substituer à elle seule aux défaillances de tant d'autres pays industrialisés. Nous sommes donc obligés de concentrer nos efforts en deçà de ce que nous souhaiterions et il va de soi qu'au centre de ces efforts, se trouvent nos amis, l'Afrique. Ceux qui parlent notre langue, ceux qui l'enseignent et qui l'apprennent, comme vous le faites si courageusement, je dirais même si intelligemment. Car c'est important qu'un peuple comme le vôtre, qui dispose de sa langue nationale, ait décidé de se doter d'une langue véhiculaire avec le reste du monde, la nôtre. Que de choses sont possibles ! Il suffirait d'un peu d'intelligence, beaucoup de volonté et de capacité de regarder au-delà de ce que le regard peut percevoir lorsque l'horizon est bordé, comme ici, par des hautes montagnes. Ou bien alors, il faut monter dessus et regarder au loin. Le monde occidental s'est trop enfermé depuis quelques temps, trop enfermé dans des considérations de caractère idéologique finalement dans le domaine économique qui ont, en réalité, tourné le dos à tout ce qui a signifié le progrès depuis le début de ce siècle. Sachez, monsieur le président, que la France ne cessera pas de tenir ce langage.\
Enfin, je crois que nous agirons utilement si nous développons une meilleure connaissance culturelle qui nous permettra de mieux comprendre nos modes de pensée : le livre, le film, le disque, les revues. Leur marché naturel, c'est la vaste communauté des peuples, lorsque l'on a franchi la barrière du langage. Cette barrière, entre nous, les Français qui sont ici l'on constaté avec plaisir en vous entendant, n'existe pas.
- C'est dire que la zone de libre circulation des biens culturels, des idées et des langages, en s'efforçant d'entraver les empêchements tarifaires ou techniques qui contrarient les échanges, devrait connaître d'ici peu un formidable bond en avant.
- Dans le même temps, et pour réduire le déséquilibre de nos échanges, des dispositions doivent être prises pour que, au-moins dans l'aire francophone, la réalité que je tente ici de décrire, s'affirme de plus en plus.
- Oh, je sais bien que le Burundi paraît bien éloigné de la France ou que la France paraît bien éloignée du Burundi, la géographie, en dépit de la rapidité accélérée des transports, imposant telle distance et l'histoire des siècles passés ne nous ayant guère offert l'occasion de nous rencontrer. Et pourtant, au-cours de ces deux dernières décennies, et particulièrement depuis cinq ou six ans, le Burundi et la France ont réussi à nouer des liens si étroits et si divers qu'ils permettent déjà à nos deux peuples de vaincre et l'espace et le temps. La preuve, c'est qu'aujourd'hui même, pour commencer un voyage qui nous permettra d'approfondir la connaissance de certains pays de l'Afrique centrale, dans l'accueil qui nous est réservé, par les échanges qui nous ont tout à l'heure réunis avant ce repas, nous savons que nous sommes unis, unis par de solides liens, que nous allons resserrer pour le bénéfice du progrès, de la paix, en Afrique, dans le monde.
- Et, à mon tour, monsieur le président, madame, je lèverai mon verre pour célébrer notre amitié. Je lèverai mon verre, selon une vieille tradition, à la santé du président, à votre santé, madame, à la santé de votre famille, aux vôtres, à ceux qui vous sont chers. A la santé de celles et de ceux qui ont bien voulu participer à ce repas ce soir. A la santé du peuple burundais auquel va le meilleur et l'essentiel de ce message. A la santé d'une amitié solide et durable entre nous.\