28 septembre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Castres, mardi 28 septembre 1982.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Je vous remercie de votre accueil. Et au-delà de ces murs, je remercie la population de Castres que j'ai rencontrée le long de vos rues.
- C'est pour moi une occasion remarquable de revenir parmi vous. J'ai souvent fréquenté votre ville sans cortège officiel, j'ai visité chacun de ses quartiers et l'un de mes regrets sera de ne pas disposer de la demi-heure nécessaire pour faire une visite nouvelle au musée où je retrouverai une large part du souvenir de notre histoire.
- Monsieur le maire, je vous ai écouté avec intérêt. Mais je ne pourrai pour vous suivre dans ce large tour d'horizon qu'il vous revenait d'établir. Ce soir, à Toulouse, je répondrai à bien des questions qui m'ont été posées ici ou là, en répondant aux propos de monsieur le président de région, M. Alex Raymond, que je salue ici.\
Monsieur le maire de Castres, je vois en vous l'un des prototypes de cette génération de femmes et d'hommes jeunes, ces nouveaux élus de ces dernières années qui dans une période difficile, ont assuré, comme il est arrivé à d'autres par la suite, de lourdes successions.
- Il est important pour la France que vous disposiez de la confiance de vos concitoyens, comme il est important pour chaque élu responsable des communes ou d'un département, quelle que soit l'opinion politique dont on se réclame, de pouvoir se mettre à la tâche, d'apporter les ressources de l'intelligence, de l'imagination et de l'énergie, pour que la France moderne soit gérée par des gens modernes.
- J'ai aperçu, au travers de vos propos, l'écho de préoccupations qui me sont chères, et qui marquent bien qu'à Castres on regarde devant soi. Et si l'on aime évoquer les grandes oeuvres d'une période illustre, si l'on examine le déroulement des faits qui se sont produits au-cours du dernier demi-siècle, il n'empêche que l'on préfère encore s'atteler aux tâches de l'avenir. Et je suis sûr que vous êtes nombreux ici à partager ce sentiment.\
Plusieurs fois vous avez fait référence à Jaurès. A ce propos, je regrette que ce voyage trop rapide - il faut bien que je rentre à Paris et que je préside demain le conseil des ministres, cela fait partie aussi de mes obligations - ne m'ait pas permis de faire une halte suffisante pour célébrer le souvenir de l'un des plus grands hommes de l'histoire de notre pays, de l'histoire tout court, mais aussi de l'histoire de la pensée, des grandes pensées des philosophies modernes ou de cet écho immense de la générosité du coeur et de la largeur de l'esprit. Je le célèbrerai après vous, monsieur le maire, pour dire qu'il y a en chacun de nous quelque émotion en nous souvenant que Jean Jaurès est né dans cette ville, trait de lumière dans ces débuts du vingtième siècle, de la fin du dix-neuvième, homme de lutte et de réconciliation. Oui, j'ai tenu dès le 21 mai 1981 `visite au Panthéon au-cours de la prise des fonctions de la présidence de la République`, vous avez bien voulu le rappeler, à évoquer son nom, seul sans doute pour bien marquer que je me réclamais de cette tradition. On se demande pourquoi il serait permis à tout autre de se réclamer des autres traditions qui ont formé la France et qu'il serait interdit d'évoquer celle-là. Sans doute avait-elle quelque chose d'assez nouveau pour nous surprendre, mais si cela m'était donné, croyez-moi je ne manquerai aucune occasion de rappeler que le mouvement populaire qui m'a porté à la présidence de la République avait une signification historique. Il ne s'agit pas de refus à l'égard des autres traditions, j'ai la charge de les assumer toutes ensemble, mais d'épanouissement des couches sociales, d'espérance d'un peuple, un voeu longtemps retenu et qui enfin est en-mesure de démontrer par son action qu'il continue une longue histoire en la renouvelant.\
J'ai déjà expliqué ailleurs, je n'y reviendrai pas, que les 15 premiers mois de cette action consistaient à forger l'instrument de la renaissance. J'ai voulu en même temps situer les fonctions du gouvernement et du Parlement, puisque nous sommes dans une démocratie représentative. Bien entendu, il a fallu passer par la loi, et la loi a été débattue comme il convenait qu'elle le fût, avec naturellement les positions des uns, des autres et avec, je ne dirai pas du temps perdu, mais un temps nécessaire, qui ne nous a pas permis de mettre en place tout aussitôt l'ensemble des lois de décentralisation, l'ensemble des lois sur l'élargissement du secteur public, et bien d'autres textes touchant à l'agriculture. Je pense notamment aux offices `agricoles`, qui nous auraient permis de disposer plus tôt de l'instrument nécessaire pour la deuxième étape, celle que nous avons entamée, qui sera celle alors de la reconquête ainsi que je le disais hier soir à Figeac.
- L'exemple de Jean Jaurès, son enseignement, les combats guidés qui ont marqué l'histoire de ce siècle, les luttes des travailleurs, celles que nous évoquions tout à l'heure à Albi, celles que l'on retrouve ici à Castres, parmi les premiers mouvements où la classe ouvrière a pensé qu'il convenait de s'organiser elle-même - non pas pour se singulariser, mais pour défendre ses justes intérêts - et que ce soit à Carmaux ou à Castres, qu'il s'agisse de la verrerie ou qu'il s'agisse du textile, ou bien de la métallurgie, c'est tout un esprit né ici. Il a connu, vous le savez bien, un retentissement au travers de l'Europe d'abord et dans le monde entier. Il est pour moi très important de constater qu'en France, quand je vais au Creusot, quand je me rends à Commentry, quand je viens à Castres comme à Albi, c'est toute l'histoire du mouvement moderne des idées qui se déroule dans un paysage français.\
Eh bien, ce n'est pas la moindre des étapes que celle-ci, et ce n'est pas le moindre symbole que chacun des problèmes que vous avez évoqués, les difficultés d'un certain nombre d'entreprises, et en-particulier la dernière, celle que je vais visiter : la Société mécanique de Castres, sans doute reliée à un puissant groupe nationalisé, c'est-à-dire le Groupe Renault, qui représente, non pas l'originalité, cela existe ailleurs, mais enfin tout de même un élément remarquable de considération, c'est-à-dire une technologie de pointe qui allait disparaître. Que de fois j'ai eu l'occasion de discuter avec M. le ministre de l'industrie et de la recherche `Jean-Pierre Chevènement`, qui se trouve ici et qui est venu me rejoindre tout à l'heure, sur la tâche passionnante qui nous était dévolue.
- Parvenir à distinguer dans la masse des entreprises d'abord des industries, puis les secteurs industriels, notamment celui que l'on appelle "traditionnel" et qui est souvent indispensable à un pays indépendant - car nous n'avons pas à nous soumettre à la division internationale du travail et de la production décidée loin de chez nous et qui nous réserverait quoi donc ? Une agriculture réservée au commerce des matières premières sans jamais parvenir au produit fini - nous conduit, comme je l'ai dit à diverses étapes de ce voyage, d'abord à sauvegarder certaines de ces industries traditionnelles un peu lourdes, vétustes, pas toujours dirigées dans de bonnes conditions : les désastres successifs de la sidérurgie, dont vous avez eu à débattre monsieur le ministre hier soir encore £ les désastres successifs du textile et vous avez rappelé à l'instant que c'était le plan textile de ce gouvernement qui avait permis de prendre pied.\
J'ai observé récemment, lors d'une visite dans un établissement du Puy-de Dôme, un chef d'entreprise française, naturellement adossé aux travailleurs de son entreprise qui, eux-mêmes, ont des droits nouveux £ cette entreprise est capable maintenant d'exporter dans des pays dont on a coutume de dire qu'ils vont nous inonder : je pense aux pays du Sud-Est asiatique. Nous vendons, il faut le rappeler, des chemises,des tissus légers à Hong-Kong ou à Singapour. Et vous-même avec la grande, la forte tradition qui remonte, disiez-vous au Moyen-Age, vous savez bien que quand on parlait du drap, du tissu, à cette époque, on parlait de la Grande-Bretagne, on parlait des moutons de Flandre, on parlait déjà des draps tissés dans les pays que je viens d'évoquer, et qui étaient très souvent achevés, teints avec les coloris les plus remarquables en Italie ou à Florence. On n'oublie pas de dire que Castres avait déjà pris rang par une tradition ouvrière qui se situait au premier rang. Aujourd'hui encore, je vois qu'on lutte pour préserver ces héritages.\
Et puis, votre ville, d'importance moyenne, qui sert tout de même, je ne dirai pas de contrepoids, mais simplement de point d'équilibre dans le département à la ville d'Albi, qui représenté un centre important d'une ville déjà un peu différente, mais que la géographie a conduit à avoir des sources d'intérêts portées davantage vers le sud. Tout cela représente un facteur de travail, de réussite sur lequel je -compte, moi, chef de l'Etat, pour parvenir, grâce-à à votre appui, vous, les élus du peuple à quelque -titre que ce soit, ainsi que l'ensemble des travailleurs français, à notre objectif : la reconquête. Et cette reconquête passera par mille et un chemins, ceux que nous choisirons, par des décisions judicieuses afin de soutenir les travailleurs, afin d'investir là où il faut, afin de dégager les entreprises du surendettement, afin de libérer les facultés d'investissement £ mais, en même temps, il nous faut former les intelligences, réaliser les esprits inventifs, réveiller ce qui doit l'être - parce qu'il n'y a pas de raison de penser que la France soit ce vieux pays fatigué qu'on a tenté pendant si longtemps de nous représenter.
- Tout à l'heure, je vais vous quitter pour aller visiter l'entreprise en question. Et j'approfondirai cette conversation avec ceux qui vivent sur le tas, qui vivent de ce travail.
- Je suis toujours très honoré lorsqu'il m'est donné de rencontrer les travailleurs de France, de la ville et de la campagne, là où ils vivent et travaillent. Ils m'enseignent, ils m'apprennent, rien ne remplace cette conversation directe et ce que peuvent voir mes yeux, ce que peuvent entendre mes oreilles, ce que peut saisir mon intelligence lorsque l'avis, le conseil sont émis par ceux qui vivent cette vie-là. Et j'entends, qu'à tous les niveaux du pouvoir en France, après avoir été à la peine, pourquoi pas à l'honneur, ils participent à la décision. C'est ce qui explique bien des lois qui ont été proposées par notre gouvernement et votées par notre Parlement.
- Monsieur le maire, je vous remercie une fois de plus. Nous avons à poursuivre notre périple dans votre ville. Que celles et ceux qui sont venus cet après-midi, dans cette salle, sachent le plaisir que j'ai de me trouver parmi vous.
- Merci.\