2 septembre 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du déjeuner offert en son honneur par M. Andréas Papandréou, Premier ministre de la République héllénique, Vouliagméni, jeudi 2 septembre 1982.

Monsieur le Premier ministre,
- Mesdames et messieurs,
- Au deuxième jour de mon voyage officiel dans votre pays, je me réjouis d'être votre hôte dans cette ville de Vouliagméni, à quelques kilomètres de ce haut lieu de la Grèce antique, le Cap Sounion. Tout ici, on le devine pousse au silence, à la méditation, à l'apaisement. Et pourtant, comment ne pas évoquer l' -état de désordre et d'injustice où se trouve notre monde, les conflits, les égoismes, les haines. La cohorte de maux qui accompagnent ce déroulement, désespère les peuples et font naître un désir profond de sortir de ces inquiétudes qui finissent par ronger les esprits.
- Je ne vois donc ni simple coincidence ni effet de contagion dans le fait que le peuple français et le peuple grec se soient, l'an dernier, par un choix démocratique, prononcé pour le changement `victoire du parti socialiste panhellénique aux élections législatives du 18 octobre 1981`. Répondre à cette attente, restaurer l'espoir dans les consciences individuelles et collectives, corriger les injustices, créer les fondements et les structures de la société nouvelle, telle est notre tâche commune, exaltante certes, mais aussi redoutable et qui exige, de la part des responsables politiques, l'union d'un grand dessein et d'une action persévérante dans la réalité de tous les instants.
- Monsieur le Premier ministre, `Andréas Papandréou` dans votre discours programme au Parlement grec du 22 novembre 1981, vous exposiez ainsi vos vues : "Le changement est une vision et une marche. Mais c'est aussi la manière de travailler, la manière de vivre". Je découvre dans ces propos, l'expression même de mes préoccupations. Aussi n'est il pas étonnant de constater que Paris été, l'automne dernier, la première capitale étrangère que vous ayez honoré de votre visite et dépassant les choix légitimes de chacun, de chaque individu, de chaque groupe social, de chaque formation politique, c'est à tous les Grecs que je m'adresse en cet instant. Représentant de la France, je dois les mêmes égards à tous ceux qui participent à la vie de ce pays, de la majorité ou de l'opposition. J'ai mes choix, vous les connaissez, ils me font ressentir profondément la similitude de nos démarches, monsieurs le Premier ministre, comme vous l'avez vous-même signalé. Mais ces choix je n'ai pas à les imposer et il faut que chacun sache ici que mon choix principal c'est de dire à tout Grec que la France est son amie.\
A l'enracinement dans l'histoire des liens entre la France et la Grèce, scellé par une participation ininterrompue d'amitié, la conjoncture nous incite à donner une nouvelle dimension. Le dialogue confiant et permanent qui s'est établi dans de nombreux domaines entre nos deux capitales en est le témoignage. Nous venons à nouveau d'en faire l'expérience au-cours des conversations que nous avons eues hier, notamment avec M. le président de la République, ce matin, en tête-à-tête d'abord, monsieur le Premier ministre, puis entourés des ministres qui m'accompagnent ici et de leurs homologues grecs.
- Certes, dans un contexte historique, psychologique et social différent, les mêmes méthodes ne s'appliquent pas nécessairement. La France en est consciente et sait qu'il convient de prendre en-compte cette donnée pour assurer au renforcement de notre coopération l'efficacité que nous en attendons.\
Cette coopération est aujourd'hui multiforme, elle touche à tant de domaines qu'il serait long de les énumérer. Bien des aspects mériteraient attention mais je voudrais souligner que l'originalité de cette oeuvre vient sans doute de l'impulsion qui lui a été donnée par nos hommes de culture.
- Quand je dis "les hommes de culture", j'entends une expression générique puisque, en l'occurrence, le gouvernement grec se trouve représenté par une femme éminente, très significative de la culture moderne `Mélina Mercouri`. N'oublions pas, vous les Grecs, et nous, les Français, que nous avons ensemble désormais une responsabilité particulière à l'égard de la mer Méditerranée qui entoure vos côtes et certaines des nôtres et dont une large part de notre civilisation est née : rendre à la Méditérranée son existence plutôt que de la voir définitivement vidée de sa couleur, de ses richesses, de son histoire £ mettre tout en oeuvre pour que les peuples qui la bordent s'entendent d'une rive à l'autre que les déséquilibres aux dépens du Sud disparaissent, agir pour que les conflits qui déchirent le Moyen-Orient trouvent une issue vers la paix, voilà notre mission.
- Il faut sauver notre mer, triplement menacée, pour reprendre la récente expression du professeur Miquel "de mort, de silence et d'ennui". Rappelez-vous, chers amis, pour ceux d'entre vous qui ont vécu ces instants, rappelez-vous Saint-Maximin, Marseille et plus récemment Hydra.
- Espace culturel, nous luttons pour que se crée un espace culturel européen. Nous en sommes, vous et nous, au même-titre que l'espace social, si difficile à se dégager des contradictions d'intérêts. Et pourtant tout cela doit donner un sens à la vie des femmes, des hommes qui vivent dans cet ensemble, trop marqués du sceau d'un économisme, sans doute nécessaire, toujours insuffisant.\
C'est avec un grand intérêt, parfois même avec passion, que nous suivons les étapes de votre action, monsieur le Premier ministre et de celles et de ceux qui y participent. Nous y retrouvons, certes, toute une part de ce que nous entreprenons nous-mêmes et nous formons des voeux pour votre réussite, qui devrait être, à nos yeux, la réussite de la Grèce.
- Elargissons notre horizon : nombreux sont ceux, parmi vous, qui ne sont pas socialistes et d'autres qui le sont..., ceux qui pour avoir enduré la prison, la torture, l'exil, ressentent avec une acuité particulière l'injustice du monde et la nécessité du changement dans les relations entre les Etats.
- Comment oublier l'appel d'Antigone : "Je suis née pour partager l'amour et non la haine" ? Puisse ce langage devenir politique, alors qu'il le paraît si peu !
- Qu'on se rassure, nous ne perdrons de vue ni nos intérêts légitimes ni la rude société dans laquelle nous vivons. Il faut savoir que nous fourbissons par nécessité nos propres armes, pour faire triompher ce qui nous semble être le droit et la justice. A la condition de savoir, et savoir toujours, que la loi, dans une démocratie, est commune, que l'on doit veiller, avec plus de soin encore, au droit des autres avant de songer au sien propre.
- La difficulté de notre tâche tient au fait que l' -entreprise est engagée au pire des difficultés internationales, et que nous devons veiller à une plus juste répartition des biens alors que leur production diminue. Cela ne doit pas nous faire changer de route mais il est moins aisé de faire comprendre aux masses qui nous ont fait confiance que la route est plus longue, et plus ardue qu'on le voulait.
- Après tout, l'essentiel c'est de garder la direction, de ne pas poser lesac sur le bord de la route et d'avancer toujours : c'est la seule façon de ne pas reculer.\
Monsieur le Premier ministre, vous incarnez une action dont je me sens proche. Vous avez bien voulu évoquer les liens personnels d'amitié qui nous unissent depuis dépà longtemps : je pense que c'est un facteur non négligeable pour le temps qui vient, pour les relations entre nos deux pays et, plus encore, pour le développement de notre action commune au-sein de l'Europe des Dix `CEE` dont nous sommes membres vous et moi. Il y a quelques années, j'ai eu la chance d'être votre hôte dans votre maison, d'y connaître votre famille et votre mère, de partager votre repas et d'échanger les propos que l'on tient dans ces circonstances mêlées de rêve et de réalité. Je n'oublie pas ces instants privilégiés et j'espère que le rude temps politique qui nous attend nous permettra de connaître encore ces étapes.
- Je lève mon verre à votre santé, à la santé des vôtres, à la santé de ceux qui assument la responsabilité de la Grèce, à la santé du peuple grec.\