31 août 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de l'installation du président et des membres de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, Paris, Maison de la radio, mardi 31 août 1982.

Madame la présidente `Michèle Cotta`,
- Messieurs les membres de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle,
- Mesdames et messieurs,
- Votre installation marque à la fois le terme d'une longue démarche et, je l'espère, le début d'un âge nouveau de la communication audiovisuelle en France.
- La démarche a commencé à entrer dans les faits voici quelques 14 mois, quand le Premier ministre `Pierre Mauroy`, sur la recommandation de M. le ministre de la communication `Georges Fillioud`, a demandé à une commission présidée par M. Pierre Moinot, d'éclairer les choix que les pouvoirs publics allaient devoir opérer pour réformer notre système audiovisuel. Remis trois mois plus tard, le rapport de cette commission, dont je salue ici les membres en les remerciant à nouveau de la grande qualité de leurs travaux, embrassait le problème d'un regard neuf et pénétrant. Ces travaux ont été ensuite l'objet d'une longue consultation à laquelle ont été associés tous les services publics, toutes les institutions, toutes les organisations syndicales intéressées et qui a entretenu par-delà les medias un très large débat public.
- Sur ces données, ont été établis les choix du gouvernement, exprimés dans le projet de loi que l'on vient de rappeler, qui a fait lui-même entre avril et juillet de cette année l'objet d'un examen très attentif par les deux Assemblées où il a donné lieu à plus de 150 heures de débats publics.
- Bref, jamais en France une réforme de l'audiovisuel - et on n'en a pas manqué - n'a été précédée par une aussi large consultation, ni mûrie par un débat, hors du Parlement et en-son-sein, aussi démocratique, aussi ouvert à la vie de chacun.
- Je tiens à cet égard à rendre hommage aux agents de la radio et de la télévision et à leurs syndicats qui, pendant cette période, ont su assumer leurs responsabilités, à leurs dirigeants à qui revenait de maintenir le cap, à M. le ministre de la communication qui a eu la délicate mission d'arbitrer entre des positions diverses, de gérer le quotidien et cependant de tracer le -cadre de l'avenir avant de le soumettre à la représentation nationale et désormais de veiller à la mise en place de la loi nouvelle dans des délais que j'espère brefs.\
La Haute Autorité est, madame, messieurs, la clé de voûte du nouvel édifice de l'audiovisuel, le signe le plus visible de la rupture avec le passé qui, comme toute période d'existence, a présenté ses réussites comme ses échecs - il est difficile d'échapper à tous les affrontements, les contradictions que l'on rencontre au passage - un passé que le gouvernement et moi-même avons voulu, comme je m'y étais engagé, établir de telle sorte que vous portiez l'espoir de cet âge nouveau de la communication. A cette institution le législateur a transféré des pouvoirs dont aucun gouvernement, en France, n'avait jusqu'ici envisagé de se dessaisir.
- L'Etat a vis-à-vis du service public de la radio et de la télévision des responsabilités de plusieurs ordres £ des responsabilités liées à la gestion des fonds publics ou à la cohérence des réseaux de même -nature que celles qu'il exerce à l'égard de tout service public national. Et pourtant il existe à ce service des caractères, des finalités, des moyens propres, une responsabilité liée au ressort profond de toute démocratie qui oblige à garantir et à organiser la liberté. Hier c'était le cas de la presse écrite, aujourd'hui c'est celui de l'audiovisuel. Telle est la raison qui a conduit la commission présidée par M. Pierre Moinot à préconiser la création de la Haute Autorité, le gouvernement à la retenir, le législateur à l'approuver.\
Mais les compétences qui vous sont transférées ne sont pas limitées à la seule tutuelle du service public £ il vous revient aussi d'intervenir dans la régulation des nouveaux espaces de liberté ouverts par le législateur. Car la loi sur la communication audiovisuelle n'a pas pour unique ambition de rénover le service public, mais également, et pour la première fois là aussi, de créer les conditions d'un véritable droit à la communication puisqu'il s'agit de forger les instruments d'une communication multiforme, adaptée à la pluralité des publics, en donnant à ces publics les moyens d'exprimer leur identité, soit en choisissant les programmes répondant à leurs aspirations, soit en participant à leur conception.
- La fin du monopole de programmation, la liberté d'accès aux divers réseaux et la décentralisation des outils de la communication organisent cette liberté nouvelle. C'est dans ce -cadre juridique rénové que vont pouvoir se développer les techniques qui bouleverseront bientôt les schémas traditionnels avant de faire émerger puis de consolider la société de communication £ la télévision directe par satellite, la télé-distribution et le développement concomitant de la télématique accroîtront, vous le savez bien, considérablement les besoins de communication et permettront une meilleure adaptation à cette pluralité des publics qu'il ne faut jamais perdre de vue et dont je faisais -état il y a un instant.
- Il vous revient, il nous revient, dans les années à venir, de saisir ces chances en évitant les facilités de ce que l'on appelle la société de consommation audiovisuelle.\
Permettez-moi, en cette circonstance, de souligner ici, à l'intention d'autres que vous, deux impératifs du secteur public ou du service public que je crois essentiels : le premier c'est le pluralisme, un pluralisme enfin restitué dans toutes ses dimensions, un pluralisme des croyances, des familles de pensée, des courants d'opinion, déjà affirmé par les lois antérieures mais qu'il faut faire plus encore entrer dans la réalité. Mais aussi pluralisme des goûts et des curiosités, pluralisme des cultures, pluralisme des langages. La diversité, la fertilité culturelle de notre peuple ont été trop longtemps victimes, je le crois, de contraintes excessives, d'un monopole au demeurant nécessaire, tout comme d'une concurrence parfois inopportune entre les chaînes `de télévision` qui leur assignait de viser toujours le plus grand nombre au mépris de ces différences dont le dialogue doit continuer d'entretenir le sentiment d'identité nationale. On dira pourtant que le travail de ces chaînes mérite souvent l'éloge. Simplement, il reviendra à la Haute Autorité, sans se substituer aux directions de ces chaînes, de Radio-France, de prévoir l'harmonisation de telle sorte que les Français s'y retrouvent.
- Le second impératif c'est de conserver ou de restituer toutes leurs possibilités aux outils de communication eux-mêmes. Ils sont assurément des outils ou des moyens d'information et d'expression et ils doivent être aussi des moyens de création. Le service public de la radio et de la télévision est le plus puissant instrument de création artistique qui existe dans notre pays -grâce notamment à l'appareil de production dont la richesse et la vitalité doivent être soulignées. Il dépend de vous, pour une large part, que le développement de la création contribue à la satisfaction du ou des publics comme à notre rayonnement culturel au-delà des frontières. Pluralisme et création.\
Si j'avais besoin, madame et messieurs, de signe de votre attachement à ces valeurs, j'en trouverais la confirmation dans la richesse et la diversité de vos propres carrières. La création, plusieurs d'entre vous s'y sont distingués dans l'audiovisuel ou en dehors et l'expérience professionnelle que vous avez acquise ne saurait laisser douter de l'attention que tous vous y portez. Quant au pluralisme, vous en êtes une image vivante £ différences de sensibilités, d'itinéraires, de caractères £ pluralité de vos regards qui seule donne le relief au choses et qui garantit la pertinence de votre jugement, avec deux qualités, cependant, que vous avez en commun, qui sont le goût de la communication et le sens du service public. J'en appelle, madame la présidente `Michèle Cotta` et vous messieurs, à ce qui vous sépare comme à ce qui vous unit et je -compte sur l'un et sur l'autre pour assurer le succès de la mission de la Haute Autorité.\
Monsieur le Premier ministre `Pierre Mauroy`, vous avez à mes côtés, avec le ministre de la communication `Georges Fillioud` assuré toute cette époque qui maintenant s'achève et qui débouche sur l'horizon que je viens de décrire.
- Monsieur le président du Sénat `Alain Poher`, monsieur le vice-président de l'Assemblée nationale, vous avez, par votre autorité et votre diligence, permis au Parlement d'aboutir, comme l'avait fait auparavant la commission, dans les délais - ce qui n'est pas constant - souhaitables. Il fallait que les personnels, il fallait que les responsables, que chacun pût le plus tôt possible savoir de quoi il retournait pour l'organisation, les structures de l'avenir, et la réalité professionnelle de chacun.
- Il revenait aussi au Parlement de dire ce dernier mot pour que la radio et la télévision française puissent à nouveau, partant d'un bon pied, imaginer ce que seront les richesses de l'avenir, les saisir et les interpréter.
- Je vous remercie et je vous prie de bien vouloir transmettre ces remerciements aux membres de vos assemblées.\
En bref, chacun a son rôle £ de même qu'il n'appartenait pas et qu'il n'appartient pas au pouvoir exécutif de se substituer à vous-même, pas davantage il ne vous appartiendra de vous substituer aux responsables des chaînes, de Radio-France, et des autres sociétés que vous aurez vous-mêmes à choisir. C'est en respectant cette répartition des tâches, en avançant autant qu'on le puisse, je le disais tout à l'heure, parmi les difficultés mais avec l'assurance d'accomplir son devoir, c'est ainsi que nous parviendrons à créer pour notre société un mode de communcation où les Français sauront qu'ils ont encore une fois dans leur histoire de ces deux derniers siècles £ défini l'exercice d'une liberté.
- Je résumerai ce propos en trois mots : former, informer, distraire, apporter à la vie de très nombreux Français ce dont ils ont besoin pour accroître leur réflexion, pour rendre plus sûres encore leur connaissance et leur information et pour trouver goût à la vie qui est la leur £ pouvoir aussi sortir de leur vie quotidienne, rêver et, je le dis, se distraire, aimer ce qu'ils font et aimer ce que font et ce que feront celles et ceux dont vous prenez aujourd'hui la plus haute charge.
- Madame la présidente, messieurs, je vous souhaite bon courage sur la longue route qu'il s'agit maintenant de tracer et dont vous allez déterminer le sens.\