7 juillet 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en son honneur par M. Janos Kadar et M. Pal Losonczi au Palais du Parlement, Budapest, mercredi 7 juillet 1982.

Monsieur le premier secrétaire,
- Monsieur le président,
- Messieurs,
- Je vous remercie, monsieur le premier secrétaire, des paroles que vous venez de prononcer. J'éprouve vivement le privilège d'être ici ce soir, à Budapest, au-coeur de l'Europe, le premier chef d'Etat français en exercice à fouler le sol hongrois.
- "O Europe, que de frontières " s'écriait en 1927 votre grand poète, Attila Jozsef.
- Oui, il y a trop de frontières et surtout des frontières trop épaisses entre les deux parties de notre Europe. Et pourtant, nous sentons bien que nous sommes les héritiers d'une histoire, d'une culture et, n'hésitons pas à le dire, d'une civilisation qui nous est largement commune. Ce n'est pas la moindre des raisons qui me font attacher une grande importance à cette visite chez vous.
- Les Français se rappellent que la couronne de Saint-Etienne a été donnée à vos ancêtres par un pape français, que des Anjou ont régné en Hongrie. Que le christianisme, la Réforme, le siècle de l'Encyclopédie, les révolutions pour la liberté qui ont suivi, ont créé de multiples traits qui nous rapprochent. Etienne comme Louis IX ont été de ces rois qui ont annoncé le devenir de nos nations. Mais les relations de nos deux pays, situés dans deux cantons très distincts de l'Europe, sont restées espacées. Et le temps présent nous a souvent trouvés dans des camps opposés.
- Mais parlons d'aujourd'hui et de demain.
- En répondant à l'aimable invitation des autorités de la République populaire hongroise, j'ai souhaité revoir la Hongrie que j'avais déjà visitée en 1975, nation originale et courageuse qui a fait ses preuves, Etat qui a su là où il est, et dans les conditions qui sont des siennes, se faire une place respectée, se faire entendre, pays digne de considération. Sans doute aussi, monsieur le premier secrétaire, parce que je vous connais et que je rencontre pour la troisième fois, le sens de votre action m'apparaît-il clairement.\
Vous l'avez rappelé à l'instant, mon voyage intervient alors que l'-état du monde et des -rapports entre les principales puissances inspire de graves inquiétudes.
- J'ai eu à plusieurs reprises l'occasion d'exprimer la position de la France. Elle diffère à l'évidence de la vôtre.
- Certes, comme nous-mêmes, vous prenez d'abord en-compte, et qui vous le reprochera ?, votre intérêt national et le respect de vos alliances. Mais à-partir de principes semblables, les nécessités du temps nous conduisent à regarder autrement autour de nous.
- Cherchons de quelle façon nous pourrons peu à peu et le plus tôt possible avoir le même regard sur les affaires du monde.
- Si la France, monsieur le premier secrétaire, a dû constater les atteintes qui ont été apportées à ce qu'on appelait la "détente" selon l'expression consacrée, elle l'a fait avec regret. Je mesure pleinement les conséquences bénéfiques qui en avait résulté pour nombre de pays. J'étais récemment chez vos voisins autrichiens. Je connais bien l'Allemagne `RFA` et je comprends, croyez-moi, les aspirations de votre pays. Qui ne souhaiterait que les conditions d'équilibre qui avaient permis de mettre en pratique une réelle coexistence, soient à nouveau réunies ? L'Europe, l'Europe que telle la dessine l'histoire et la géographie, la grande Europe, où nous avons, vous et nous avec d'autres, un rôle essentiel à jouer, en a besoin pour s'épanouir.
- Je le répète, la France, pour sa part, s'y emploie. Et si elle n'a pas l'intention de se départir de sa fermeté, chaque fois que ses intérêts légitimes sont en jeu, chaque fois qu'est mis en péril le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, chaque fois que les droits de l'homme sont bafoués, elle reste ouverte à tous les dialogues véritables.
- Nous tenons à préserver les équilibres. Et nous savons bien que du moindre déséquilibre peut découler la guerre. Il faut donc écarter toute idée de domination, refuser de faire prévaloir sa propre puissance contre celle des autres. Et cette règle vaut pour tous. Ni guerre commerciale, ni guerre culturelle, ni guerre tout court.\
Sans doute, dans l'-état de tension où nous vivons devons-nous protéger ce que nous sommes. Chacun dans notre alliance `Alliance atlantique ` Pacte de Varsovie`, soyons les défenseurs de l'équilibre des stratégies mondiales. Evitons les armements excessifs accumulés sur un territoire étroit, évitons les interventions dans les affaires des autres. Nous connaissons les réalités nées de la dernière guerre mondiale. Que nous allions à travers le temps vers l'affirmation de chacun des peuples qui composent l'Europe est bien normal, mais que cela se fasse dans le souci de ne pas rompre ce qui doit être uni, ni de précipiter des événements qui doivent être dominés.
- C'est ainsi que nous sommes, nous Français, attachés à la poursuite et à l'aboutissement de la Conférence de Madrid `CSCE`. Ce n'est pas que nous n'ayons pas d'observations sévères à faire sur le comportement de celui-ci ou de celui-là. Si l'on veut que les futures conférences réussissent, à la suite de la Conférence de Madrid, elle-même issue de la Conférence d'Helsinki, encore faut-il ne pas laisser une partie des bagages en route, surtout si ces bagages sont ceux de la liberté de l'homme. Mais nous l'avons dit, nous croyons que ce forum reste irremplaçable pour l'Europe puisque c'est l'un des rares endroits où tout le monde se rencontre.
- Nous avons vivement approuvé, comme vous, l'ouverture ou la reprise des deux grandes négociations de Genève. Nous souhaitons qu'elles soient menées avec sérieux, avec la volonté d'aboutir, que des progrès réels soient accomplis. C'est l'intérêt des uns, et des autres et le nôtre, bien entendu.
- Je vois là une convergence de besoins et d'aspirations qui constitue une large base pour un dialogue politique entre les nations et entre nous au plein sens du terme.
- La France a pris l'habitude de s'exprimer avec clarté. C'est donc très clairement que je vous dirai que la France souhaite que le dialogue surmonte les contradictions. Ce dialogue suppose la clarté ai-je dit mais aussi qu'il ne soit pas renoncé, ni au départ ni à l'arrivée à ce qui fait la liberté de l'homme, l'indépendance des nations et le souci primordial de la paix.
- Et la paix est menacée, dès lors que sur-le-plan de l'Europe dont nous sommes, s'instaure un trop grave déséquilibre sur-le-plan des armes.\
Vous avez raison de le dire, monsieur le premier secrétaire, la visite que j'effectue en Hongrie accompagné de quatre membres du gouvernement français `MM. Cheysson, Jobert, Chevènement, Lang`, de deux parlementaires éminents `MM. Joxe, Chazelle` représentants des amitiés franco - hongroises ayant autorité dans leurs assemblées, de collaborateurs, de diverses personnalités du monde littéraire, scientifique et diplomatique, ce voyage veut s'inscrire dans la capacité de dialogue avec le pays, le vôtre, qui nous paraît par sa disposition naturelle, par l'exemple qu'il a su créer, ouvert à cette conversation. J'espère que la Hongrie, n'est pas la seule ouverte à cela parmi les pays d'Europe de l'Est. Mais il fallait bien commencer par l'un d'entre eux et je crois que c'était le chemin le plus court que celui qui doit mener à une meilleure compréhension.\
Mais il est temps, monsieur le premier secrétaire, mesdames et messieurs, que nous parlions de nos échanges bilatéraux.
- Nous souhaitons les développer, avoir des échanges culturels plus réguliers et plus féconds. Nous connaissons par des traductions intelligentes et utiles l'énorme apport de la Hongrie à la culture contemporaine. Je rencontrerai d'ailleurs bien au-dehors de vos frontières. Parmi ceux qui ont bien voulu m'accompagner se trouve un grand poète français qui a présenté les poètes hongrois. Il faut améliorer les échanges quant à l'enseignement de nos langues. Il faut multiplier les liens d'affaires, la coopération industrielle, mettre en-commun certaines recherches utiles au progrès. Bref, avancer ensemble. J'y veillerai, de retour dans mon pays. Des relations entre nos deux pays ont déjà commencé, disiez-vous, depuis cinq années et l'un de mes ministres venait déjà négocier au nom de la France en 1973. Mais avouons-le nous avons des progrès à faire et ce ne sera pas difficile. Il y a là entre nous une amitié réelle mais un peu endormie.
- Entre la Hongrie, qui améliore tranquillement mais constamment les règles de son organisation, et la France, où le gouvernement met en oeuvre le changement voulu par son peuple, tout commande que des relations plus étroites s'instaurent. Nous en parlerons au-cours des entretiens que nous aurons pendant ces deux journées, et que les ministres auront avec leurs homologues. Nous aurons à examiner pourquoi les intentions affirmées dans ce sens, dans le passé, n'ont pas été couronnées de succès, nous chercherons à déterminer les obstacles et à les surmonter.
- Bref, l'invitation, dont je vous remercie, a rendu possible ce voyage, je souhaite qu'il soit un point de départ et je profite de cette transmission par les medias de nos pays pour dire au peuple hongrois, peuple formé dans la lutte pour la -défense de son identité, que le Président de la République française veut lui dire l'estime dans laquelle il tient son courage affirmé à travers des siècles difficiles. Je veux dire au peuple hongrois que je me sens honoré d'être aujourd'hui son hôte.
- Et je lève mon verre à mon tour en votre honneur, monsieur le premier secrétaire, en l'honneur de Mme Janos Kadar,
- en l'honneur du président du conseil de la Présidence de la République populaire de Hongrie et de Mme Losonczi,
- à votre santé, comme on le dit chez nous, mesdames et messieurs, autour de cette table, pour vos familles et pour vous-mêmes,
- à la santé de votre peuple,
- à l'avenir de la Hongrie.\